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sammael world
31 août 2007

La révolution des poupées....

ningyo

En 1932, le juif allemand Hans Bellmer réalise "une fille artificielle aux multiples possibilités anatomiques" qu'il plie dans tous les sens comme une poupée sexuelle polymorphe, un symbole de la résistance à l'ordre  (nazi, entre autres) par "la perversion". En 1965, l'homosexuel japonais Simon Yotsuya découvre une photo de cette étrange oeuvre d'art et décide de créer la sienne, inaugurant le phénomène le plus bizarre du japon: l'amour des kansetsu ningyo, les "poupées articulées".

Des milliers de femmes apprennent à fabriquer ces clones, qu'elles mettent en scéne comme des doubles pervers. Visages graves, bouches équivoques, long yeux aux regards troubles: les poupées parodient le statut de la femme-objet avec d'inquiétantes expressions....

On les apelle, ningyo parce que ce mot qui signifie poupée, peut aussi se comprendre, prononcé différemment, sirène, créature maritime maléfique.

"Les poupées ne sont pas vivantes, elles n'ont pas de morale humaine, dit simon. C'est pourquoi elles ont l'air si étranges et dangereuses."

Dans un article consacré aux poupées, la journaliste Junquo Nimura explique: "longtemps, les poupées ont été des outils de cérémonie ou de magie. Sacrifiées, offertes, elles étaient fabriquées dans le seul but de chasser les mauvais esprits. Elles inspiraient l'horreur ou la vénération. Même quand, à l'époque moderne, on a fait des jouets, elles ont gardé leur pouvoir de suggestion." Avec leur corps en mue-torse nubile, sexe fendu- ces tentatrices évoquent les femmes des contes d'horreur, qui peuvent changer de forme pour séduire et tuer. Contorsionnées, démantelées, elles se transforment en corps sans têtes, aux quatre jambes imbriquées sur un ventre unique comme des araignées cannibales, ou se métamophosent en soeurs siamoises et incestueuses. Ce sont les doubles ambigus de la nouvelle génération, qui bouleversent sans bruit l'ordre établi: "nous ne sommes plus des jouets!".

poup_esEt pour cause: ce sont des oeuvres d'art marquées par la révolte. 85% des jeunes filles se disent révoltées au Japon. Soumises pendant des siècles à l'ésthétique de la marionnette, beaucoup de japonaises se rasent encore le duvet du visage...mais sous leur peau trop lisse, la rage couve.

"Ma poupée, c'est moi" raconte Hiroko Ishiyama, qui a créé sur internet le site "ma solitude" pour mieux faire passer le message: elle est seul avec ses poupées qui sont les multiples et sulfureuses incarnations d'elle même. Il y a comme un défi dans cette affirmation véhémente de l'ego. Affirmation reprise en choeur par toutes les créatrices:"les poupées me permettent d'exprimer mes désirs, mes attentes et mes émotions", dit Chian Ono, qui modèle des courtisanes sensuelles et solitaire. Mêmes discours chez Marino:"la poupée, c'est mon autre moi", ou chez Bee Kanno, qui proclame :"les poupées expriment qui je suis. A travers elles, je me retrouve."

Fabriquer des poupées, c'est saper le système, car les ningyo sont non seulement perverses mais révolutionnaires: elles incarnent le Moi, une valeur nouvelle au japon. "Ces dernières années, les mots d'ordre d'un individualisme hédoniste et narcissique ont le vent en poupe, raconte Anne Garrigue, sociologue:"soyez vous mêmes", "profitez de la vie".

"La quète identitaire des japonaises s'inscrit dans un mouvement de montée de nouvelles valeurs: égo-oriented".

" J'ai lu le livre Pygmalionism à 19 ans, explique Yoshiko Hori. Dedans l'auteur dit que créer des poupées, c'est devenir Dieu, briser un tabou." Sacrilège!! Yoshiko nomme ses créations iki-ningyo, "poupées vivantes" par allusion aux iki-hana, ces "fleurs vivantes" et éphémères qui désignent les femmes dans la poèsie ancienne. L'angoisse de la mort exhortait Ronsard à "cueillir les fleurs de la vie" dans la France galante du XVIe siècle. Au Japon, elle pousse les femmes de maintenant à fabriquer des poupées-sortilèges, qu'elles chargent de leurs désirs.......

pix: ryo yoshida

texte de Agnes Giard tiré de "l'imaginaire erotique au japon"

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