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sammael world

3 octobre 2013

les mythe du viol.....

 

 

sources.......

http://www.crepegeorgette.com/2013/07/29/les-mythes-autour-du-viol/?fb_action_ids=525151297534218&fb_action_types=og.likes&fb_source=aggregation&fb_aggregation_id=288381481237582

Les mythes autour du viol désignent les croyances entourant le viol, les victimes et les coupables. On les définit par des attitudes et croyances fausses mais profondément et constamment entretenues qui servent à nier et à justifier le viol. Ces mythes servent à décrédibiliser la personne violée et à excuser le violeur. Ainsi le comportement passé d'une victime peut servir à justifier qu'elle a cherché ce qui lui est arrivé. Une photo de Tristane Banon a ainsi servi à la décrédibiliser (rappelons que DSK a reconnu l'agression sexuelle sur Banon mais qu'il n'a pas été condamné car il y a prescription).

Avant de vous jeter tête baissée sur les commentaires, merci de prendre la peine de lire intégralement l'article et les liens associés.

 

Buddie et Miller dans Beyond rape myths: A more complex view of perceptions of rape victims. Sex roles montrent que 66% des personnes intérrogées adhéraient aux mythes autour du viol dans une étude utilisant des questions ouvertes. Dans une étude utilisant des questions fermées, (Lonsway et Fitzgerald, Rape Myths. In Review) , entre 25 et 35% des interrogés adhéraient à ces mythes.

Plus ces mythes sont acceptés et partagés collectivement, plus on y croit individuellement et plus l'on risque de violer.

Différentes études ont été menées afin de mesurer la propension au viol (c'est à dire la possibilité que quelqu'un viole). On a posé un certain nombre de questions sans jamais prononcer le mot viol. Par exemple, être avec une femme qui leur dit qu'elle est trop ivre et ne veut pas avoir de relations sexuelles. A un moment donné, elle est tellement ivre qu'elle s'endort. La question dit que l'homme en profite pour faire ce qu'il veut et l'on demande aux personnes interrogées si elles sont d'accord avec son comportement.
A plusieurs reprises, ce type d'études a révélé que 30 à 35% des hommes auraient ce type de comportements.

Les mythes sur le viol servent à justifier l'attitude de ces hommes qui, en acceptant ces mythes peuvent ensuite individuellement se justifier et se dédouaner d'avoir commis de tels actes.

Etudions donc à présent ces mythes :

Les femmes courent davantage de dangers la nuit car on sait bien que les prédateurs opèrent la nuit :

Le comité féministe contre le viol qui gère le numéro vert SOS viols et a pu mener desenquêtes statistiques qui révèlent qu'on viole autant le jour que la nuit. Ainsi selon leurs chiffres, "les agressions sexuelles sont commises le jour dans 45,7 % des cas, la nuit dans 54,3 %." Ce mythe sert juste à contrôler la liberté de mouvements des femmes ; ainsi des cartographies des lignes de métro par fréquentation par sexe montrent que la nuit, le metro devient quasi exclusivement masculin. Pourquoi entretenir des mythes qui sont faux (nous verrons que l'immense majorité des viols se déroulent chez la victime ou chez son agresseur) ?

Les femmes doivent faire attention aux lieux isolés, aux parkings, aux métros :

La même étude montre que le viol a eu lieu dans 67.7 % des cas au domicile de la victime ou de l'agresseur, dans 3.7% des cas dans la rue, dans 0.6% des cas dans un parking. On n'a eu de cesse, ces temps derniers de nous parler de ces imprudentes joggeuses ; le nombre de viols dans un bois ou un bord de route s'élève à 2.2% des cas.

Les viols sont commis par des inconnus :

L'étude menée par le comité féministe contre le viol montre que dans 74% des cas la victime connait son agresseur.

L’enquête Contexte de  la sexualité en France de 2006 souligne que "les agresseurs inconnus restent toujours  une minorité (17%), et que leur proportion décroît dans les générations les plus récentes".

Une étude menée en Angleterre par le ministère de la Justice montre que dans 90% des cas la victime connait son agresseur.

Goaziou et Mucchielli en 2010 montrent que le viol est avant tout un crime de proximité. Les viols familiaux élargis (viols commis par des pères, des beaux-pères, d’autres ascendants, des collatéraux, des conjoints ou des « amis de la famille ») viennent largement en tête, suivis par des viols commis par des copains ou des amis des victimes, par des voisins ou bien encore, à une échelle de plus basse intensité relationnelle, par des relations ou des connaissances, du voisinage ou professionnelles.

Aux Etats-Unis, une étude montre que deux tiers des viols sont commis par une personne connue de la victime.

Les femmes mentent au sujet du viol, parce qu'elles regrettent un coup d'une nuit ou parce qu'elles veulent nuire à un ex partenaire :

Un rapport en Angleterre publié par le ministère de la Justice en juillet 2011 révèlent que sur 5651 accusations de viol, 38 étaient fausses. Le rapport souligne que la moitié de ces fausses déclarations est faite par des personnes très jeunes, souvent en difficulté ou souffrant de maladies mentales. Une partie de ces cas révèle qu'il y a effectivement eu délit ou crime, même s'il ne s'agit pas d'un viol.
Le FBI a mené une enquête révélant qu'environ 8% des accusations de viol étaient non fondées ; cela inclut les non-lieux car rien n'a pu être prouvé.

Les femmes habillées sexy, ou qui vont en boîte de nuit l'ont bien cherché voire ont aimé cela : 

En 2009, le Daily Telegraph du présenter des excuses publiques après avoir fait dire à une étude que les femmes qui sortent, boivent de l'alcool et s'habillent court risquent davantage d'être violées.

Ainsi ce professeur chinois qui affirme qu'il est moins grave de violer une serveuse qu'une "fille bien".

Plusieurs études (dont Rape myth acceptance among college women : the impact of race and prior victimization, Carmody et Washington, Rape myth beliefs and bystander attitudes among incoming college students de Sarah McMahon)  montrent l'importance du mythe de "she asked for it" (elle l'a cherché).
Une tenue vestimentaire, une attitude, un lieu fréquenté, deviennent autant d'éléments prouvant que la victime a, sinon demandé à être violé, un peu provoqué ce viol.

Dans Sexy dressing revisited : does target dress play a part in sexuel harassment cases ?,  Beiner étudie  la corrélation entre une  tenue sexy et des cas de harcèlements sexuels. Elle montre qu'il n'y a aucun lien et que les femmes harcelées ne l'ont pas été pour leur tenue.

Différentes études comme (An Examination of Date Rape, Victim Dress, and Perceiver Variables Within the Context of Attribution Theory de Workman et Freeburg) montrent que ce que cherche avant tout un violeur est une victime qui donne un sentiment de vulnérabilité. La tenue n'est donc pas mise en cause, puisque, d'ailleurs une bonne partie des violeurs ne se souvient absolument pas de ce que portait leur victime. L'interrogatoire de violeurs condamnés montre qu'ils ont tendance à exagérer la tenue portée par leur victime, à la percevoir beaucoup plus provocante qu'elle n'était et à interpréter à peu près n'importe quelle attitude comme provocatrice. Ainsi un sourire ou un salut deviennent, pour le violeur, des éléments de provocation.

Ce sont les jeunes et jolies femmes qui sont violées :

Les victimes sont de tout âge, tout milieu socio-professionnel ; ainsi aux USA, 15% des victimes avaient moins de 12 ans. Les femmes en situation de handicap physique ou mental sont plus sujettes que les femmes valides à subir un viol. Certaines études avancent qu'elles pourraient être 4 fois plus sujettes à des situations de violences sexuelles.
Lorsque Nafissatou Diallo a déclaré avoir été violée, beaucoup ont mis en avant qu'elle était trop laide pour l'avoir été. Les accusés de Créteil ont également mis en avant le physique d'une des victimes lors du procès.

On viole davantage dans certains milieux : 

Viol
Selon l’enquête Contexte de  la sexualité en France de 2006, il y a peu de différence selon la catégorie socio-professionnelle avant 18 ans ; le pourcentage le plus élevé se rencontrant chez les filles de cadres. La fréquence après 18 ans varie de 6% à 10% selon la position sociale personnelle des femmes avec des chiffres un peu plus élevés chez les cadres et chez les artisanes-commerçantes. Les femmes violées existent donc dans toutes les catégories socio-professionnelles.

Si les affaires de viols condamnés par la justice montrent une surreprésentation des auteurs appartenant aux milieux populaires (ce qui est le cas de toutes les infractions), et que les membres des milieux sociaux favorisés sont sous-représentés parmi les personnes condamnées, on peut penser que les faits au sein de milieux aisés sont sous-judiciarisés car bénéficiant d'aides diverses. A l'inverse les populations défavorisées sont davantage surveillées par les services sociaux ce qui permet une plus grande détection.

Les hommes qui violent sont fous : 

S'il a été montré qu'une part des agresseurs judiciarisés a connu une enfance difficile ; carence affective, violences, carence éducative, rien ne conclut qu'ils sont "fous" au sens clinique du terme. Leur passage devant une tribunal et leur condamnation montre d'ailleurs qu'ils sont aptes à être jugés.

Seule une femme peut être violée :

Selon l’enquête Contexte de  la sexualité en France de 2006, 16% des femmes et 5% des  hommes déclarent avoir subi des rapports forcés ou des tentatives de rapports forcés au cours de leur vie (6,8% des femmes déclarent des rapports forcés et 9,1%, des tentatives, et respectivement 1,5% et 3,0% des hommes).

Le viol c'est la testostérone : 

On ne connait pas exactement le rôle de  la testostérone dans le comportement agressif. Une étude sur 146 pédocriminels violents a montré qu'ils avaient un taux de testostérone sensiblement plus important à ceux n'ayant pas été violent (viol sans blessures corporelles). Néanmoins, on constatera qu'il y a eu viol dans les deux cas, que le taux de testostérone a été calculé après les crimes ; il est donc difficile de savoir si le crime a pu faire monter le taux (ou le fait d'être en prison par exemple) ou si le taux a participé au crime. Comme le souligne Fausto-Sterling il est ridicule d'évaluer le comportement d'une hormone isolément des autres ; ainsi l'adrénaline, la progestérone ou la prolactine ont déjà été elles aussi associées à l'agressivité.
Dans l'immense majorité des cas, les violeurs et autres criminels ont un taux de testostérone tout à fait conforme à la norme.
Il n'est guère de discipline scientifique qui continue à strictement séparer nature et culture. L'humain est un animal trop complexe pour supposer qu'un seul de ses comportements serait mu par la nature. Les mâles des autres espèces animales, possèdent pour un certain nombre d'entre eux, de la testostérone, et le viol n'st pas un comportement animal très commun.
Si le viol est du à la testostérone, alors autant convenir que nous ne pouvons rien faire contre et qu'il faut faire avec. Comprenons donc que le viol est éminemment culturel.

Le viol est bien puni : 

Seulement 10% des femmes victimes de viol portent plainte et seulement 10% de ces plaintes aboutiront à une condamnation. Le chiffre est sans aucun doute encore inférieur pour les hommes victimes. Une partie des plaintes pour viol est requalifiée ; c'est à dire qu'on requalifie un viol (un crime) en agression ou atteinte sexuelle qui ne sont plus que des délits  avec, evidemment une peine de prison inférieure.

Source 2...........

 http://www.marievictoirelouis.net/document.php?id=890&themeid=331

 

Les violences des hommes

« Les femmes, mais qu’est - ce qu’elles veulent ? »
Sous la direction d'Henry Lelièvre 
Colloque organisé par Le Monde Diplomatique au Mans. Octobre 2000 
Éditions Complexe. 2001. 
p. 129 à 154

Depuis près de vingt ans, avec beaucoup d’autres femmes et très peu d’hommes, j’ai participé à des nombreuses initiatives pour dénoncer les violences des hommes sur les femmes : lettres ouvertes, appels solennels, campagnes de presse, pétitions, émissions, colloques, séminaires, publication de revues, d’articles, de livres…. 
Au terme de ce bilan, si nous avons pu obtenir de notables succès, le résultat est cependant globalement négatif quant à la simple reconnaissance de la réalité de ces violences. 
J’ai donc pensé que, peut être, simplement, faudrait-il décrire ces violences telles qu’elles se manifestent.
Pour ce faire, j’ai décidé, en utilisant mes archives de presse, de citer les moyens utilisés par ces hommes pour frapper, violer, prostituer, torturer, contraindre au suicide, assassiner
Dans un deuxième temps, j’ai décidé, en utilisant les archives du Collectif féministe contre le viol, de transmettre - pour celles qui ne sont pas décédées - la parole des victimes. 
Je précise que dans le deux cas de figure, je n’ai utilisé qu’une infime de mes archives comme de celles des associations, lesquelles, elles-mêmes, ne recouvrent qu’une infime partie de la réalité et de la gravité de ces violences.

***

Je voudrais à cet égard auparavant faire une comparaison avec le racisme.

I. En France, la question des violences masculines…

En France, chacun-e sait qu’un crime commis par un blanc sur une personne d’une autre couleur de peau ou d’une autre origine n’est pas toujours raciste. Mais, à tout le moins, la question est posée. Et la réponse - dont il est parfois tenu compte - souvent confirmée. En tout état de cause, le racisme est une donne politique. Et est présentée, à juste titre, comme une avancée progressiste, pour la défense de laquelle quelle on doit toujours se battre.

Il en est tout autrement concernant les violences des hommes sur les femmes. Surtout en France qui ne se proclame pas impunément : " la patrie des droits de l’homme ".

* En France, on peut sans problème publier des livres, écrire des articles, chanter des chansons qui provoquent, justifient, légitiment, glorifient cette violence, exacerbent la haine des femmes, ouvertement anti-féministes. C’est même souvent un moyen privilégié de promotion individuelle. 
Quant à " la liberté d’expression ", telle qu’elle est actuellement mise en œuvre, elle garantit aux propriétaires de presse le droit d’occulter, de censurer, de travestir, de caricaturer, de faire violence aux femmes et aux féministes, tout en leur [nous] interdisant de les dénoncer. Ainsi, nous n’avons pas de recours juridique pour dénoncer les apologies de la violence que propage, par millions d’exemplaires, chaque semaine, la presse pornographique. 
Et alors que les femmes et les féministes n’ont globalement pas d’accès aux médias — et lorsque c’est le cas, si tard, si peu et si mal — ce sont elles qui sont, par certain-es, sans crainte du ridicule, accusées d’être les actrices de la " censure ".

*En France, on peut actuellement être ministre et avoir battu sa femme.

*En France, on peut proposer une vison totalement tronquée de l’histoire, de l’histoire des sciences, de l’art, de la littérature, de la politique, du droit qui occulte l’apport des femmes et les féministes, évacue la question de leur silence, fait l’impasse sur la domination masculine sans que ce mensonge - fondateur de toute société - ne dérange la communauté scientifique, le monde politique, la presse, les intellectuel- les.

*En France, on peut publier des centaines d’articles et de livres sur Sade en évacuant la question de la justification des violences à l’encontre des femmes.

* En France, on peut publier des tonnes de livres sur le socialisme, sans même évoquer les écrits du" père du socialisme français ", Proudhon, qui avait ainsi formellement cru bon préciser les six circonstances qui justifiaient le meurtre des femmes : " Cas où le mari peut tuer sa femme, selon la rigueur de la justice paternelle : 1° adultère ; 2° impudicité ; 3° trahison ; 4° ivrognerie et débauche ; 5° dilapidation et vol ; 6° insubordination obstinée, impérieuse, méprisante  ".

*En France, on peut intituler un groupe musical " Nique Ta Mère " sans que la question de la justification des violences à l’encontre les femmes - ici, des mères - ne soient, à quelques rares exceptions près, là encore, dénoncées par l’establishment politique et intellectuel.

Chacun-e peut continuer ce simple constat que je dois arrêter, faute de place.

Ce qui est sûr, c’est que l’injonction de " rire de tout " et de " ne pas avoir le sens de l’humour " qui est faite aux femmes et aux féministes, que la critique que l’on nous oppose de ne pas comprendre à quel niveau serait située " la pensée " de ceux qui nous humilient nous ridiculisent , nous injurient et nous violentent [le fameux " second, troisième degré "] relèvent de l’intimidation, ont pour fonction de nous empêcher de penser par nous mêmes et de nous faire taire. Et ainsi de perpétuer le bon droit des hommes à nous humilier, nous ridiculiser, nous injurier, nous violenter. Bref à maintenir la domination masculine et tous les privilèges politiques, économiques, sexuels, symboliques, qui lui sont attachés. Et dont chaque homme bénéficie.

En tout état de cause, ce qui est sûr, aussi, c’est que si on ne riait pas, on entendrait beaucoup de hurlements.

II. Les moyens, les outils de la violence des hommes

Parmi les moyens employés pour violer, agresser, prostituer, frapper, torturer, tuer, j’ai relevé dans la presse - lorsqu’elles étaient explicitement évoquées — les armes, les moyens, les outils pour violenter, pour tuer ces femmes.  
- " À coups de fusil de chasse ", " de deux décharges de chevrotine ", " de trois coups de fusil de chasse ", " de quatre coups de revolver ", " par des tirs d'arme à feu en pleine tête ", " d'un coup de fusil à pompe calibre 12 ", " par une arme de petit calibre " , " d'une balle de 22 magnums ", " avec un pistolet à grenades ", " d’un coup de revolver posé sous menton ", " un pistolet braqué sur la tempe "
- " Poignardée avec un couteau de cuisine ", " d'un coup de couteau planté dans le sein gauche ", "poignardée à l’abdomen ", " un couteau enfoncé dans le rein sur 15 à 18 centimètres ", " à coups de hachette ", de " onze coups de couteau ", " de seize coups de couteau", " de dix-neuf coups portés par une arme blanche ", " d’une vingtaine de coups de couteau ", " de cinquante coups de couteau ", " le visage profondément lacéré au cutter ", " un couteau planté dans le dos ", " à coups de ciseaux ", " éventrée au sabre ", " de vingt coups d'épée", " de six coups de poignards ",
 " à coups de hachoir"  " décapitée à la hache ", " poignardée ", " frappée de huit coups de machettes derrière le crâne puis tuée d’une balle dans la tête ", " égorgée ", " seins (proprement) découpés au scalpel, ainsi que l’utérus, tête et mains tranchées "
- " Le crâne fracassé par une hache et un marteau ", " frappée avec des objets contondants ", " avec une barre de fer ", " à coups de marteau " , " à coups de manche de pioche ", " avec un fer à repasser ", " de plusieurs coups de râteau ", "  avec une ponceuse et au chalumeau ", " les deux jambes brisées à coups de jambes de base-ball "
- " Ébouillantée ", " brûlée, après avoir été arrosé d'eau de Cologne ", " transformée en torche vivante après avoir été aspergée d’essence ", "  brûlée avec de l’essence après avoir été blessée à coups de machette "
- " Etranglée après 48 heures de martyre ", " étranglée avec un lacet, puis frappée à coups d’haltères ", "  étranglée avec une ceinture "
- " Etouffée ", " violée et étouffée sous le poids de son agresseur ", " ligotée, baillonnée et assassinée "
- " Jetée par la fenêtre du 6e étage "
- " Noyée dans un bidon d’eau "
- " Blessée à coups de pierres ",
 " rouée de coups " 
- " Violée et torturée "
- " Jetée d’une voiture " 
- " Assassinée puis dépecée ".

III. Les manifestations cliniques de la violence des hommes

J’ai relevé dans les archives des associations, et dans la presse, quelques manifestations de ces violences : 
" Mâchoires décrochées ", morsure ", " fracture du crâne ", " fractures du nez, hématomes sur tout le corps, éclats de verre dans les seins ", " la tête claquée contre les murs ", " le col du fémur cassé", "le tympan déchiré ", " hémorragie cérébrale ", " taillade faciale ", " déchirure de la rétine" ; "pied écrasé ", " les phalanges de trois doigts arrachés ", " lèvres fendues " ; " cuir chevelu éclaté ", " jambe cassée ", " vertèbres dorsales et muscles abîmés ", " amputée des doigts, orteils et du nez après avoir été brûlée, par brûlure au troisième degré par aspersion d’essence ", " le corps retrouvé atrocement mutilé ".
Un diagnostic décrit : "une  découpe en pointillé, partant de la région entre l’urètre et la clitoris, d’une profondeur allant de trois à six centimètres, entre la muqueuse et la peau, faite comme pour enlever le vagin et vraisemblablement à l’arme blanche ".

Une petite fille de 4 ans a " une perforation et des cicatrices vaginales "…

***

Je poursuis, en reproduisant, cette fois, les propres termes de ces femmes, quelquefois des mères qui parlent des violences faites à leurs enfants.

IV. Le contexte, les circonstances, les manifestations de la violence des hommes

Une petite une fille âgée de 5 ans et demi est contrainte " pendant une semaine de  sucer le sexe du fils de sa nourrice ", une autre a dû, de l’âge de 5 ans à 10 ans, " lécher le sexe de son oncle ".

Une mère raconte : " En octobre dernier, ma fille de 6 ans m’avait déjà dit des choses, je n’y avais pas fait attention. Elle ne voulait plus aller à la cantine. Il y a trois semaines, elle m’a redit qu’un garçon [de sa classe] avait mis un bâton dans son zizi et elle a redit que c’était à la cantine et quelle en voulait plus y aller. Elle a décrit des choses qu’un enfant de son âge ne peut inventer. Je suis allée voir la directrice qui ne veut rien entendre. Je l’ai emmenée chez une psychologue. La première fois, elle a refusé de parler. La deuxième fois, elle a fait un dessin représentant des fesses avec un bâton dedans ".

Une jeune fille de 20 ans, dépressive, raconte : " J’avais 10 ans et j’allais jouer au vélo, avec d’autres enfin, chez un voisin, directeur de société (55 ans) qui avait un grand garage. Un jour, j’y suis allée seule. Il a essayé de me sodomiser, j’ai pu m’échapper, mais il m’a rattrapée, a fermé la porte et m’a obligée à le tripoter ".

Une jeune femme de 26 ans violée par son père de 13 à 18 ans raconte que son " père [qui] mettait des préservatifs " lui disait : " Je vais t’apprendre à être une femme ". Une jeune fille raconte : " Mon père a commencé par des attouchements ; c’était tous les jours. La première fois qu’il m’a violé, je me suis laissé faire. Je me disais que quand il l’aura fait, il me laisserait tranquille. Hélas, non, quand il a recommencé, comme je me débattais, il m’a rouée de coups et a réussi à me violer ". Une jeune femme de 32 ans, violée vers quatre ans par son père dit : " J’ai des éclairs de souvenirs que je ne situe pas. Je me rappelle juste qu’une fois lorsque mon père m’avait violée, j’ai eu si mal que j’ai hurlé dans la nuit. Le lendemain, mon oncle a demandé à son père ‘pourquoi la petite avait hurlé’. Il a répondu 'qu’elle avait des cauchemars’ ".

Une jeune fille de 13 ans est violée par son père qui " la pénètre avec sa langue ", un autre père, lui aussi violeur, lui faisait " lui-même des piqûres pour faire revenir ses règles ".

Une jeune fille de 14 ans raconte : " L’ami de [mon] père est gynéco. Je lui avais parlé une première fois de douleurs au ventre. Depuis quelques semaines, il me demande de me déshabiller pour m’examiner. Je n’ose pas en parler à ma mère ".

Une mère se remémore ce dont ses filles lui ont fait état : " Mes filles de 16 ans et 18 ans sont allées en Bretagne en week-end chez des cousins. Le soir, le cousin, âgé de 50 ans, a voulu réchauffer les filles qui avaient froid. Il leur a massé les pieds, leur a dit de le masser et s’est mis tout nu sur le lit. Elles ont été très effrayées. La plus jeune n’avait jamais vu d’homme nu et tremblait. Il aurait réussi à enlever la culotte de la plus jeune. Il avait eu une opération pour occlusion intestinale et avait des coutures et des tuyaux partout. Elles ont pu se sauver et se sont enfermées dans une chambre. La plus âgée a dit que si elle n’avait pas été là, la plus jeune aurait été violée. Depuis ce week-end, elle est devenue insupportable et agressive ".

Une jeune fille de 15 ans dit que " son prof d’histoire-géo lui a proposé des cours particuliers pour rattraper son retard ". Au premier cours, il l’a violée et " menacée de la tuer " si elle parlait.

Une jeune fille a été violée " par une bande ". Un seul l’a pénétré. Ils ont tabassé son copain et l’ont entraînée dans les sous-sols. " Quinze personnes regardaient ".

Une jeune fille de 18 ans et demi est restée coucher après une fête chez des copains. Elle trouvait un garçon sympa. " Je n’avais pas l’intention de faire l’amour. On jouait à se faire des caresses. Il s’est foutu de ma gueule, ma dit que j’étais une oie blanche, qu’à 18 ans, toutes les filles ont des rapports sexuels et que si on accepte des caresses, on couche. Il m’a forcée et ça a été horrible. Ce n’était pas comme ça que je voulais faire l’amour la première fois. Je n’étais pas prête ".

Une jeune Algérienne, majeure, veut épouser un Français. Sa famille veut la reconduire au pays pour la marier. Elle est décidée à se défendre. " Pour la punir ", son frère de 23 ans l’a battue et violée. Une autre est violée , la veille de son mariage par son frère policier " qui n’acceptait pas qu’un autre homme[la] touche ".

L’une, en instance de divorce et dont le mari est " très violent " raconte : " J’ai a été violée par deux hommes qui sont rentrés chez moi avec une clé ". Elle pense que " ce sont les copains de son mari ".Une autre constate : " J’avais un copain, j’en ai rencontré un autre. Pour se venger, il m’a violée ". Une dernière dit enfin : " J’ai été violée, sodomisée avec brutalité, sous la menace d’un couteau, un chiffon dans la bouche ", par un homme qui a sonné chez elle, après que son ami a été appelé au téléphone et ait quitté le domicile.

L’uneraconte  : " Il est rentré chez moi, malgré moi. Je ne le connaissais pas. Il a voulu m’embrasser et je ne voulais pas. Il m’a sodomisé et est rentré dans le vagin et puis il est allé se laver les mains. Il m’a volé de l’argent et il est parti ".

L’une est agressée " tous les jours depuis son mariage et régulièrement violée sous la menace d’un couteau" .Une autre est violée " systématiquement " par son mari : " Je veux qu’il respecte mon consentement. J’ai voulu le préserver, lui et la famille. Mais aujourd’hui, je craque ". Une troisième, enseignante de 30 ans dont le mari est ingénieur informaticien décrit : " Mon mari m’écartèle sur le lit, même quand je suis en larmes, il a ce qu’il veut. Je refuse de me faire blesser. Il me viole. Ma mère m’a dit que c’était à la femme de faire des concessions ".

Une jeune femme de 45 ans raconte. " Je voulais aider une jeune fille de 19 ans que j’aimais bien. Celle-ci m’a demandé de coucher chez elle. Son père est rentré tard dans la nuit. Il a sauté sur sa fille et sur moi et nous a obligées à faire l’amour ensemble, puis il nous a violées toutes les deux après nous avoir battues ".

Une femme " qui pratique l’échangisme avec son mari " se souvient : " On est arrivé au rendez-vous, il y avait trois personnes, trois hommes et non pas un homme et une femme. J’ai été obligée par la violence à toutes les pratiques sexuelles, y compris ’anormales’ par [son] compagnon avec les deux autres hommes ".

Une femme mariée fait état d'une soirée où elle avait été invitée : " J’ai été invitée à dîner par un homme.  Ils sont venus à deux ". Au moment où je suis partie rejoindre sa voiture, ils lui " font des menaces de mort, sur elle, sur son mari, sur son chien et tentent d’arracher sa portière ". Ils la" poursuivent en camionnette, la rattrape au feu rouge, l’emmènent dans une chambre d’hôtel, la ligotent et la violent ". À six heures du matin, elle parlemente pour avoir les mains libres et réussit à s’échapper.

Une femme raconte qu’elle attendait le P.C à minuit, porte de Charenton : " Trois hommes l’aveuglent avec une bombe lacrymogène ". Ils l’emmènent Bois de Vincennes où elle est violée dans une voiture. Une autre rentre vers une heure du matin de chez une amie. Sa voiture accidente un fourgon. Trois hommes en sortent pour faire un constat, puis ils " ont demandé des dédommagements en nature ". Ils l’ont tous les trois violés.

Une jeune fille de 21 ans, vierge, a été agressée par un inconnu, " un sadique ". Elle a subi " des trucs qu’elle n’aurait jamais imaginés de sa vie ".

Une aide-soignante à domicile " pour handicapés " dit qu’elle travaillaitchez un homme de 55 ans, handicapé moteur, père de deux fils de 25 et 20 ans, handicapés cérébraux. Elle s’occupe de la toilette du père " qui était en érection ". Les fils rentrent dans la pièce. L’un s’approche d’elle, lui " arrache sa blouse puis son slip pendant que l’autre la maintient ". Ils " la forcent à se mettre à genoux, pour qu’elle fasse une fellation au père ". Pendant ce temps, l’un " se déshabille et la sodomise ".

L’une qui " a toujours fait l’amour dans le noir " a [surtout] été " traumatisée ", parce que le violeur " l’a déshabillée et a vu son corps ". Il l’a aussi " obligée à faire des choses qu’elle ne connaissait pas ".

L’une est " en sang ", l’autre, violée avec une arme sur la gorge, est " sodomisée et contrainte à une fellation parce qu’elle avait ses règles ", la troisième a été " déshabillée, attachée à un arbre, mordue sur les mamelons et rasée ".

L’une a été violée dans un train par trois homme, " chacun deux fois ", " devant et derrière ". Une autre dit que " lors d’un bizutage, [on lui a] enfoncée une carotte dans l’anus ". Une troisième dit que son patron lui " enfonçait des courgettes dans l’anus ". Une dernière dit que l’homme qui (l’a) violée, " m’a pissée dessus et m’a obligée à avaler l’urine ". L’une dit que l’homme qui l’a violée lui a imposé de lui "lécher les couilles et (d’) avaler le sperme ", l’autre que " deux hommes (lui) ont enfoncé une canule et de l’eau dans l’anus et (l’) ont ensuite sodomisée ", tandis qu’une troisième dit que l’homme qui l’a violée lui a" enfoncé (son) son soutien gorge dans le vagin ".

L’une se souvient : " Entre les sévices et les tortures, le maquereau (me) faisait embrasser une très grande croix qu’il portait au cou en (me) disant :embrasse la mort'" . La seconde décrit le viol : " Ils m’ont suivi, attachée, mis un collier étrangleur autour du cou et traitée de ‘chienne’, tout en (lui) disant : " Si tu parles, on fera la même chose à ta mère ". La troisième dit : " Il était cagoulé, en treillis. Il m’a fait enlever ma chemise de nuit, m’a mis un godemiché entre les cuisses et m’a fait faire une fellation ".

Une femme enceinte de 3 mois et demi est " séropositive à la suite du viol ".

L’une dit : " J’ai vu la mort de près ", l’autre : " aucune femme n’a vécu ce que j’ai vécu ".

V. Le vécu des violences

L’une dit " Ca fait mal. C’était la première fois ". L’autre, violée par son parrain qui, depuis l’âge de 9 ans, lui introduisait son doigt dans le vagin dit : " Ca [me] faisait très mal ". L’une a été " pétrifiée de peur ". L’autre dit : " J’ai beaucoup souffert ". Nombreuses sont celles qui se sont senties " souillée ", " traumatisée  ", " bafouée ", " disséquée comme un animal ", " humiliée , "meurtrie ",  " anéantie", " détruite ". 
L’une enceinte de 3 mois et demi est "séropositive à la suite du viol ".
L’une dit : " tout le monde voit que je suis salie ".
L’une " peut à peine parler ". Une autre " n’est pas capable de soutenir une conversation ". Une troisième a " besoin de parler, d’être rassurée ". Une dernière enfin a " envie de se faire materner ".
L’une décrit : " Ma tête, c’est pire que les images à la télé. Ça défile. Je revois toutes ces horreurs ".L’autre dit : " Je traîne encore des traces. Mais parfois les souvenirs remontent trop douloureux ". Une autre est "perturbée par des flashs du visage du père ". 
L’une rêve de " scènes violentes où elle est toujours visée ". Une autre " qu’elle vomit des parties sexuelles d’hommes ". Et une troisième, qui découvre qu’il y a prescription, " est révoltée de penser qu’il court toujours, qu’il a une belle vie, tandis qu’elle, elle reste avec ses cauchemars ".
L’une avait un ami, des amis, avant le viol. Elle n’a voulu en parler à personne, alors tout le monde l’a quittée : " Le non-dit a coupé les relations ".
L’autre " n’a pas la force d’aller en cours, ne veut pas faire de projets ". La troisième " ne travaille pas, n’a aucun désir, aucun projet ".L’une " a des difficultés scolaires ". L’autre qui a été violée par le veilleur de nuit de l’établissement " est mauvaise élève et perturbatrice dans l’établissement solaire ". La troisième " ne veut plus aller au cours où elle risque de rencontrer le violeur ". La dernière a fait quatre fugues en deux ans.

L’une " ne sort plus, ne mange plus, ne dort plus ". L’autre est " bloquée , murée ". La troisième est " dans un état lamentable ". La quatrième , dans " un état de confusion psychologique ", " s’est mise à boire ". Une dernière qui"  a été dans le brouillard pendant quatre ans " est " malade depuis deux ans ".Beaucoup " ne font que pleurer ".
L’une " hurle quand elle entend prononcer le mot viol ", tandis qu’il"  donne envie de vomir " à une autre. Une troisième a " les doigts crispés dès qu’elle repense au viol, surtout à la pénétration ".
L’une a " des évanouissements (et) est très fatiguée ". L’autre a des " insomnies ". La troisième des" vertiges ". Laquatrième violée à 14 ans par son père"  fait de l’anorexie depuis cet âge et a des aménorrhées ". La cinquième " vomit sans arrêt et a envie de se suicider ". La sixième " qui n’en a jamais parlé à personne " a des " crises de boulimie depuis l’âge de 12 ans ".L’une violée et sodomisée " a des hémorragies, tandis que ses hémorroïdes - qu’il a fallu ligaturer - sont ressorties ". Depuis (le viol) " elle ne va plus à la selle et a trois lavements par semaine ". 

L’une " enfle de partout ", l’autre a " rapetissé ".
L’une " voit du sang partout ", l’autre n’a " plus de règles depuis un an ". 
L’une est " en état de vigilance continuelle qui lui prend toute son énergie ". L’autre se " sent agressée par tous les contacts, tactiles ou verbaux et se sent entourée de dangers ".
L’une dit : " C’est comme si je n’avais que mon corps et que je n’avais pas de tête". 

L’une " se lave tout le temps et déteste son corps ". L’autre " ne peut se regarder dans une glace ". 
L’une " dort tout habillée pour se protéger ". L’autre a " a mis de barreaux aux fenêtres ". 

L’une ne " ne veut plus sortir le soir, même en taxi ". L’autre " ne peut plus prendre les transports en commun" . La troisième a " mis sept mois à se réinstaller chez elle, une heure puis deux heures par jour ". 
L’une " voudrait mourir ", l’autre " se suicider ", la troisième " a envie de se foutre en l’air à cause de cette saloperie ", la quatrième dit que " si le procès se passe mal, elle se jette par la fenêtre ".
L’unea été traitée " d’allumeuse" , la seconde de " garce ", la troisième de " salope ", la quatrième de " pute ", la cinquième de " conne" , la sixième de " folle " (pour avoir dénoncé les violences sexuelles sur sa petite fille de 3 ans par un voisin de 12 ans), la septième de " chienne " par celui qui l’a violée. 

Une autre a été immédiatement mise à la porte pas ses parents " parce qu’elle a déshonoré la famille ".Une dernière en a simplement" marre des ragots ".

Une jeune fille parle à sa mère des violences sexuelles du grand-père. Elle a simplement dit : " Oh le salaud, le cochon ! " . " Et c’est tout " constate-elle. 
L’une dit : " J’ai été  violée à 16 ans par son employeur, plusieurs fois. Ma mère était pauvre, je n’osais rien dire. À la suite de ces viols, j’ai été hospitalisée et violée par un infirmier. Je me suis mariée, mais je n’ai jamais oublié ces viols ". 
L’autre dit : " J’ai été violentée longtemps et je suis meurtrie. J’ai été victime d’attouchements par un employé de mon père. Ça n’a jamais été reconnu. Delà un comportement de victime. J’ai eu deux maris violents. J’ai divorcé deux fois ".

VI. Les relations avec les autres hommes

L’une violée depuis trois ans par son père avait " un petit flirt ", mais " a dû rompre pour éviter qu’il pose trop de questions" . Une autre, violée depuis l’âge de 13 ans et demi entendu son copain dire qu’il " aurait pu tomber sur une fille propre ".L’une a dû " annuler son mariage ", l’autre, qui était vierge, a été violée par son beau-frère lors d’un pique-nique est " surtout ennuyée pour son copain et pour les histoires de famille que la révélation provoquera ". 
L’une n’a plus revu son ami " tout à fait désemparé " après qu’elle lui ait parlé du viol : " Il est reparti en province et n’a pas donné de nouvelles depuis deux mois ". La seconde " a été larguée par son petit ami de l’époque. J’ai retrouvé un autre copain qui, lui, aussi n’a pas supporté ". Un autre " copain " a dit être" dégoûté ". 
L’une violée par un collègue de travail qui l’a enfermée dans sa chambre, est traitée de " conne " par son mari pour avoir " accepté d’écouter une cassette ".L’une violée par son père et son oncle de 7 à 16 ans est " considérée comme une putain par son ami quand il a appris ce qui s’était passé ".
L’une dit : " Avec mon mari, il n’y a plus rien. Il a eu une aventure après mon viol…une sorte de vengeance ". 

L’une constate que " son compagnon actuel semble très compréhensif et l’aide vraiment ", une autre dit que son mari " ne voit pas pourquoi elle n’arrive pas à être heureuse ", une troisième " a un ami très gentil pour elle ; elle culpabilise parce qu’elle lui gâche la vie, car elle a du mal à accepter qu’il la touche ". Un mari dit enfin : " Tu n’as qu’à mettre ça dans un tiroir dans un coin de ton cerveau ".
L’une qui s’est " accrochée à son mari comme à une bouée " dit qu’elle est " au bord du divorce ". Elle ne " supporte plus les relations sexuelles avec lui ". Elle a eu " un blocage depuis le début en plus de douleurs physiques et des nausées. [Son] mari perd patience. Au début, elle " faisant semblant ". Elle ne peut plus. Il s’en aperçoit. Il ne peut se contenter d’un rapport par mois et il parle de divorce ".
L’une souhaite des relations sexuelles avec son mari, mais ne supporte pas d’être sodomisé, car ça lui rappelle le viol. Celui-ci, " au contraire, considère que puis qu’elle a fait ça avec les violeurs, elle peut la faire avec lui ". Un mari dit qu’elle " l’a cherché ", un autre :"  tout le monde t’a eu, sauf moi ". Il ira cependant au procès. 

L’une " ne supporte pas qu’un homme la touche ", l’autre " ne peut avoir de relations sexuelles avec personne, elle voit toujours la tête de son violeur ", une dernière, qui se décrit comme " elle même assez colorée " a été violée par son beau-père Martiniquais. [Depuis] " elle a une phobie des Noirs ".
L’une exprime " sa tendance à se dévaloriser, à s’autodétruire, en couchant avec n’importe qui, sans en gagner d’affection ".  
L’une, victime de violences sexuelles dans son enfance, " ne supporte aucune pénétration ". Une seconde dit quelle est " frigide ", se considère comme " homosexuelle " et affirme : " Je suis détruite ", une troisième constate que " ses relations avec les hommes n’aboutissent jamais ", une autre, enfin " a eu des problèmes sexuels au début, mais a régi très vite pour ne pas donner raison au violeur ". Une dernière qui se décrit elle aussi comme " frigide " vit seule et constate : " Je voyage beaucoup. C’est ma façon de m’évader ".
Beaucoup constatent qu’elles ne peuvent plus avoir de relations sexuelles. 

L’une se " sent mal quand les copines parlent des garçons ", une autre " a des frissons dans le dos chaque fois qu’elle croise un homme ", une troisième " ne supporte plus les hommes ", une quatrième les" méprise ", une cinquième " les hait ". Elle dit qu’elle " va mal parce qu’elle a été punie et pas eux ". Une sixième " souhaite la mort de son père et ne veut pas porter son nom ". Une dernière, enfin, dit qu ’" elle n’a pas de haine, mais pense de temps en temps au suicide ".

VII. Les conséquences des violences sur la maternité, sur les enfants

L’une, violée alors qu’elle était très jeune, dit qu’elle " n’a jamais eu de désir d’enfant " et a décidé de deux IVG, une autre " ne veut plus d’enfant ", une troisième " n’arrive pas à avoir un enfant ". 
L’une a été violée à 5 ans par son père. Elle a un copain, ils décident d’avoir un enfant :" la grossesse lui est insupportable ". L’une, lors de son premier accouchement, s’est remémoré une " pénétration digitale que lui avait imposée un voisin ". Elle avait eu " une très mauvaise adolescence ", tandis que " des troubles psychologiques graves (sont apparus) après l’accouchement ".
L’une, 19 ans, violée à 16 ans, enceinte, a " tué son bébé ".L’une qui se présente comme " bonne à tout faire " violée par un ami de son patron dit : " J’ai eu une enfant du viol. C’est une fille. Elle a 35 ans maintenant, elle est mariée et a deux enfants. Ma fille sait quelle est issue du viol. Elle va bien. Moi, je n’ai jamais oublié ". L’autre se sent coupable car " elle n’a pas pu aimer son fils " (qui est l’enfant du viol et qui se drogue) " comme elle l’aurait dû ". " Je l’ai rejeté " dit-elle. La troisième, alors qu’elle venait d’accoucher de son premier enfant, a " été violée par (son) meilleur ami", envers lequel, elle dit avoir" une haine permanente ". Elle est enceinte suite à ce viol. Son mari lui a dit : " C’est bizarre, on n’a eu(ce mois-ci) qu’un seul rapport’. Elle dit : " Je n’ai pas été capable d’avorter. Ma fille ressemble au violeur. J’ai peur de mes réactions ".
Une jeune fille enfin (17 ans) enceinte, ne sait pas qui est le père de l’enfant : " L’enfant peut être du violeur ou de son ami ". 
Une femme âgée, violée à 14 ans par son père, accouche à 15 ans d’une fille. Elle a ensuite six enfants et elle dit : " Les violeurs sortent de prison. Moi, ça fait 36 ans que je suis en prison. Je traîne un boulet tous les jours et ça dure ". Elle poursuit :"  Ma fille ne m’aime pas, elle fait des bêtises, maintenant. Elle a une fille. On lui a retiré la garde pour la donner au père ".

VIII. Les désirs

L’une violée par son père a l’âge de " six, sept ans ", "voudrait se souvenir ". 
L’ une dit de l’homme qui l’a violée : " Je lui en veux, je veux le faire payer, je veux porter plainte. Je voudrais que quelqu’un lui dise que c’est dégueulasse ce qu’il a fait ", l’autre dit : " Je veux qu’il me demande pardon. Je veux lui dire ", la troisième, violée par son père "voudrait que [sa] mère s’en aperçoive " [et]"  que ça s’arrête ", la quatrième dit " Je veux que ça cesse. Mais comment ?". La dernière enfin affirme qu’elle " a envie de faire sa vengeance elle même ".
L’une dit : " Je ne suis pas prête à porter plainte. J’ai surtout besoin de parler ", l’autre veut rencontrer des " gens qui la comprennent ; elle ne veut pas voir des gens qui lui donnent des conseils ". 
L’une dit : " Je voudrais rencontrer d’autres femmes qui ont subi les mêmes choses ", l’autre aussi, pour savoir " comment elles réagissent " [et si elles vivent] mieux après trois ans ". 
L’une dit : " J’aimerais pouvoir revivre. Refaire l’amour ". 
L’une dit : " Je voudrais que tout s’arrange, être bien dans ma peau, ne pas perdre mon ami, ne pas vivre dans l’angoisse actuelle ".

IX. Les peurs, les craintes

L’une, âgée de 12 ans, a été violée par trois " copains " de 16 ans. Elle " n’a pas encore eu ses règles ".Elle " n’ose pas en parler à ses parents qui sont très sévères ". L’autre, âgée de 14 ans est violée par son père depuis l’âge de 11 ans : " Ma mère sait, elle est alcoolique. Mon père me bat. J’ai des traces de violences sur tout le corps. Je n’ai rien dit depuis 3 ans, alors, si je parle aujourd’hui, personne ne me croira ". 
L’une a été violée, alors quelle était enceinte de 2 mois, tandis que le viol a eu lieu devant sa petite fille de 7 mois. Le père dit qu’elle dort mal. La mère demande : " Qu’est-ce que ça va faire " (à la petite fille) et demande s’il y a " un risque " pour le fœtus. 

Une femme de 40 ans violée dans un sauna par deux inconnus. Ils lui " ont enfoncé une canule et de l’eau dans l’anus, puis l’ont ensuite sodomisée ". Elle " a peur que ses intestins éclatent ". 
Nombreuses sont celles qui ont peur de ne plus pouvoir avoir de relations sexuelles. 

L’une a peur que " cela dégoûte son compagnon ", l’autre " a peur que son mari la quitte parce qu’ils n’ont plus de relations complètes, (tandis que) ses  collègues lui conseillent d’aller 'voir ailleurs’ ".La troisième craint la réaction de son mari : " Il va le tuer si je lui dis ". 
L’une a peur de " rester seule ou de voyager la nuit ". L’autre, violée trois fois, " a peur de mettre des jupes ". 
L’une est " surtout inquiète parce qu’un autre gars a pris des photos. S’il les montrait, elle n’aurait plus qu’à quitter le pays ". 
L’une " a peur pour (sa) petite sœur ", l’autre " a peur de tout le monde, surtout des jeunes hommes ". 

L’une, violée, est rappelée chez elle au téléphone ; le violeur " a peur quelle porte plainte et essaie de transformer le viol en rencontre et relations sexuelles ". Il cherche à la revoir. Elle a peur. Et si elle change de téléphone, elle craint qu’il connaisse son adresse.
L’une dit que si elle ne dépose pas plainte, " ce n’est pas parce qu’elle a honte ", mais parce qu’elle a" vraiment peur des menaces de mort ". L’autre craint que le violeur à la sortie de prison " vienne la tuer " car il lui a dit qu’" il se vengerait " et il connaît son adresse. La troisième doit aller à une" reconstitution ". Cela " la terrifie parce qu’elle pense que ce sera sous les yeux du violeur qui, à son avis, habite dans le quartier ". La dernière, violée par son cousin dit : " A chaque réunion de famille, il est présent et m’humilie. C’est un adepte des arts martiaux. Il tente souvent de la mettre K.O ". Elle a très peur de lui.

X. Les questions posées

L’une âgée de 13 ans violée par son père depuis l’âge de 7 ans " a peur d’être enceinte ", car " la dernière fois, elle n’a pas senti le liquide ". L’autre " se demande si les viols peuvent être à l’origine de ses fausses couches ". 
Une mère demande : " Ma fille a subi une sorte de viol par un enfant de 6 ans. Est-ce possible ?".
Une jeune fille de 13 ans était chez des amis. Pour dormir, on l’avait mise dans un studio à l’étage supérieur. Elle était dans un lit, son cousin sur un matelas. Le lendemain, elle s’est réveillée, elle avait mal au sexe, son cousin était sur elle. Elle ne sait pas ce qu’il lui a fait. Elle " voudrait savoir si elle a été violée ".
L’une"  est très troublée car elle n’était pas du tout consentante et le viol lui a procuré du plaisir et elle ne sait plus où elle en est ". Une autre, violée par trois hommes, " se sent très mal car elle a eu un orgasme " et se demande"  si elle est normale ".
L’une demande : " quand on est saoule, qu’on sort de boîte, qu’on est agressée, est-ce que c’est une agression ? ",une autre à qui l’on a reproché de porter des minijupes," ne sait plus comment s’habiller ".
Plusieurs posent la question :"  Est-ce qu’il y a des femmes qui s’en sortent ? ". 

L’une, âgée de 16 ansdemande " Pourquoi ils font ça ? ". Une autre enfin " ne comprend pas qu’on puisse faire des choses comme ça ".

XI. Les difficultés de parole, de la plainte

L’une harcelée par l’ami de sa mère " n’ose pas lui en parler ", car celle-ci " est très amoureuse de son ami " et qu’elle " ne veut pas lui faire de peine" . L’autre a peur que si elle parle à sa mère (de la violence du père), celle-ci " se retourne contre elle ". Son père lui avait dit en outre que " sa mère ne la croirait pas ".Une troisième, prostituée, avait parlé à sa mère des violences que lui imposait son père : elle " l’a placée à l’Institut du Bon Pasteur ". 
Une jeune fille violée il y a quatre mois n’a porté plainte que depuis trois mois, parce que " ses parents avaient des problèmes de santé" . Une seconde, âgée de 15 ans violée par son beau-père " chaque fois que sa mère n’est pas là " dite :"  Je ne veux pas partir. Je veux rester avec ma petite sœur de 6 ans ".Une jeune fille de 16 ans, violée par son père depuis l’âge de 13 ans " hésite à détruire la famille ".Une association locale lui suggère " de prendre une contraception ", mais " elle hésite parce que cela voudrait dire que  [elle] accepte cette relation ". 
L’une a été violée par le père de son petit ami, elle a essayé d’en parler avec lui : " Il ne veut rien entendre ". L’autre a été violée par son employeur : " Il m’a dit que si j’en parlais, personne ne me croirait, qu’il avait des relations. Je vivais avec un copain et mes deux filles. Il est allé voir mon copain en lui disant que j’étais une salope et que j’avais eu du plaisir. J’ai retrouvé un emploi dans une autre ville, mais mon nouvel employeur est en relation avec l’ancien. Ils se téléphonent souvent ". 
Une jeune fille de 13 ans a subi trois tentatives de viol depuis un an " par un ami de la famille ". Sa mère a porté plainte. " Au village, l’agresseur se balade la tête haute et c’est la petite fille qui a honte et accuse sa mère. Les gens font des réflexions du genre : ‘Si c était ma fille, je lui aurais fichu une fessée et bouclée à la maison, au lieu de parler de tout cela en public’ ".
Une jeune fille de 23 ans a été violée, comme sa sœur, par le fils de la nourrice. La nourrice lui a dit de" se taire ". Sa sœur a retiré sa plainte. Elle est seule. Tout le village est contre elle. Il y a une pétition du maire " pour faire sortir le type de prison ". 
Une jeune femme de 39 ans été violée par deux hommes qui " l’ont saoulée ". Le lendemain la voisine lui a dit : " Quand on fait des bêtises, il faut assumer ".
Une femme de 41 ans violée par son voisin, par ailleurs, drogué, âgée de 25 ans raconte : " J’ai toute la famille sur le dos. Les gens disent que j’allais avec tout le monde. J’ai eu des menaces de mort. La mère du violeur a fait passer une pétition qui dit que je suis une traînée. Mon médecin traitant a refusé de la signer. Il a dit que c’était de la diffamation ". Le père d’une autre jeune femme qui a pourtant " reconnu ses torts devant le tribunal " a " toute [sa] famille contre elle ".
Une jeune fille de 13 ans a été violée par son cousin de 15 ans. Les grands parents s’occupent d’elle. Mis au courant, ils disent que c’est " normal entre cousins ". Alors elle leur a expliqué qu ’ " elle ne voulait pas ". Ils ont répliqué que " c’était de sa faute parce qu’elle portait des minijupes ".
Trois jeunes filles ont été l’objet de harcèlement sexuel par le surveillant de l’école. " Il a coincée [l’une d’entre elles] dans un coin et a tenté de l’embrasser sur la bouche ". Son père a peur que le directeur en veuille à sa fille d’une " histoire qui va déconsidérer l’école ". 

Une jeune femme est violée dans l’hôpital où elle travaille. Le maire de la ville lui demande de ne pas déposer plainte " pour ne pas nuire à la réputation de l’établissement. Le généraliste et le psychiatre sont d’un avis contraire ". 
Une jeune fille s’est confiée à une amie " qui se sert de la confidence pour l’humilier ". Une autre à des" copines " [qui] " maintenant elles se moquent d’elle ".
L’une dit : " C’est difficile pour moi. J’ai été élevée dans un milieu où seul le milieu familial compte et où l’extérieur est considéré comme un ennemi" . L’autre dit que " personne dans son entourage ne reconnaît la gravité du crime subi et que ses frères et sœurs pensent que ce n’est pas important ". La troisième dit que " si la police ne fait rien, son mari dit qu’il ira tuer (le violeur)" .

XII. Les réponses de la police, de la gendarmerie 9

Une jeune fille de 17 ans a déposé une plainte. Le policier lui a dit : " ça passera ", mais " elle a toujours des cauchemars deux mois après ". 
La première dit : " La gendarmerie m’incite à porter plainte et la police me dit que j’ai de la chance d’être vivante ". La seconde dit : " Les gendarmes ont gardé mon slip et mes collants. Ils m’ennuient car ça fait plusieurs fois qu’ils reviennent me demander comment il était. Je ne sais plus. C’est normal, quand on a peur, on oublie ". La troisième dit : " J’ai été bien reçue par la police, mais deux heures d’interrogatoire sur les faits, c’est difficile à supporter ". La quatrième, agressée deux fois est allée porter plainte pour la première agression et quand elle a parlé de la seconde [au cours de laquelle elle a été dévalisée, frappée] dit que " l’adjudant qui l’a reçue lui a demandé de se taire, car la première agression était suffisante pour les Assises ". La cinquième, une jeune fille violée par 3 hommes inconnus d’elle dit que " la gendarmerie où elle est allée à 3 heures du matin a refusé de prendre sa plainte en lui posant des questions odieuses sur son habillement, sur l’heure qu’il était… ". La sixième, une femme de 43 ans agressée la nuit pendant deux heures a été très mal reçue par la police : "  Il ne faut pas se promener à cette heure " lui a-t-il été dit. Une septième, une jeune fille violée par un inconnu est " très mal reçue par la police ". Au moment où elle allait signer la déposition, les policiers lui ont dit: " Si vous ne voulez pas signer, vous n’êtes pas obligée, vous seriez libre ". Une huitième,violée sur une route de campagne dit que : " depuis quelle a porté plainte, c’est encore pire. L’interrogatoire des policiers a été odieux. Ils riaient, lui ont demandé si elle avait eu du plaisir et quel goût avait le sperme ". Une neuvième a été violée par un homme qu’elle connaissait est allée porter plainte. Elle a été reçue par " trois flics odieux qui ont fait des insinuations. Ils veulent aller chez elle. Elle ne sait pas pourquoi. Elle a peur ". 

Trois jeunes filles violées par leur père déposent plainte . L’une d’entre elle " ne veut plus parler, car elle en a marre d’être interrogée ". 
Une femme est violée. Elle et son mari soupçonnent un ouvrier. " Nous avons parlé aux policiers de nos soupçons. Le policier a dit que j’avais fait déguiser mon amant". Une étudiante est violée par un ami de son copain : " Les policiers ont mis en doute ma version. Ils disaient qu’il n’y avait pas de traces de violences et pensent que j’ai inventé l’histoire parce que je ne suis rentrée qu’au matin chez mon ami. Ils disent aussi que j’étais consentante et que j’avais déjà eu un rapport avec lui il y a un an ".
Une jeune fille est menacée de mort par l’homme qui l’a violée, si elle dépose plainte. La police lui a dit qu’" elle ne pouvait assurer sa sécurité ". 
Une jeune femme a été " photographiée, nue et filmée par un système de caméra cachée ". " Les photos sont vendues ". La police ne veut pas prendre sa plainte, car elle dit qu ‘elle " n’a pas de preuves ". 
L’inspecteur de police qui avait reçu une femme violée lors de sa plainte a été entendu comme témoin :" Il a été très sympa. Il est resté tout le temps. Pendant les pauses, il me remontait le moral ".
Dans un village, un homme tente de violer une petite fille de 13 ans. Sa mère raconte: " Elle a été gardée à la gendarmerie de 8 heures à 13 heures, seule. J’ai attendu dans le couloir. [La mère et la petite fille rentrent alors à la maison.] " La gendarmerie a appelé à 21 heures et la petite fille, qui était en pleurs, a été gardée jusqu’à 23 heures ". Là, la mère est restée avec elle :" Elle ne comprenait pas les mots que les gendarmes disaient, comme :Il a éjaculé sur ton ventre’. Elle ne savait pas ce que cela voulait dire ".La plainte a été déposée le 17 décembre. Le 6 février, il n’y avait aucune nouvelles de la gendarmerie, qui dit " ne rien savoir ". La mère veut que l’agresseur cesse d’abuser de sa fille, mais elle est inquiète parce que l’enfant " ne veut retourner ni chez les gendarmes, ni à la justice ". 

Une jeune femme de 20 ans a été agressée sexuellement par un inconnu dans la rue. " Trois cars de policiers sont arrivés au domicile. Un hélicoptère a survolé le village ". Sa mère qui n’était pas témoin a été convoquée et interrogée pendant trois heures. " Toute la vie sexuelle de ses parents a été questionnée ". Les policiers ont dit qu’ " elle mentait ". Elle a été " traumatisée " par tous ces interrogatoires. Elle doit se rendre à la gendarmerie. Elle refuse de s’y rendre seule. " Elle pleure ".

XIII. Les " leçons "

Une femme dit : " Ma vie a été bouleversée ". 
Une seconde constate : "Ces viols ont gâché mon existence"; une troisième qu'elle "ne veux plus faire confiance à personne ", une quatrième affirme : " C’est fini, les hommes maintenant ".
Une femme analyse : " Comme une poupée cassée, il faut recoller les morceaux ". 
À la question posée à une jeune fille violée par son père :" A-t-il utilisé de la violence ?", elle répond : "  Il a utilisé son autorité ". 
Une femme,violée depuis l’âge de 10 ans, croyait que quand on lui disait " Je t’aime, elle était " obligée de faire ça ". 
Une dernière enfin constate : " On ne m’avait pas appris que mon corps m’appartenait ".
Un homme dit : " Je suis un homme. Je ne comprends pas bien "….

***

Voilà j’arrête là. Je pourrais continuer. J’espère le faire.

Mais tout le monde peut et, me semble-t-il, devrait continuer cette dénonciation de ce qui se passe quotidiennement en France, dans l’indifférence quasi générale. 
Pour rependre le titre de cette rencontre : " Mais qu’est-ce qu’elles veulent ? "

Nous voulons que ces violences cessent.

Nous voulons ne plus être que des femmes à nous battre contrer cette barbarie.

Nous voulons que les hommes, individuellement et politiquement, dénoncent ces hommes et les institutions qui, si souvent, les protègent.

Nous voulons que sur des positions claires contre ces violences, les hommes nous rejoignent.

Nous voulons que le principe selon lequel ces violences doivent disparaître soit affirmé par le gouvernement et le chef de l'Etat.

Nous voulons que les analyses, les propositions, les critiques des victimes, des associations, des féministes soient entendues, prises en compte et mises en œuvre.

Nous voulons que des politiques fondées sur ce que concrètement dénoncent les victimes — qui sont les meilleures expertes — soient mises en œuvre.

Nous voulons que les luttes, les dénonciations, les avancées qui concernent les " droits des enfants "rejoignent celles pour les droits des femmes.

Nous voulons qu’aucun homme ayant exercé une violence à l’égard d’une femme n’exerce de fonction politique.
Sinon l’Etat pourra être légitimement accusé de " non-assistance à personnes en danger ", de" complice " de ces violences.

Mais nous les femmes, nous les féministes - est-il besoin de rappeler que cette dénomination inclue les hommes ? - devons d’abord et avant tout, pour que nos demandes soient crédibles, nous autoriser à faire ces critiques.

Car si la force, le pouvoir, le droit des hommes est incontestable — infiniment plus que nous ne sommes à même, actuellement, de les penser — cette force, ce pouvoir, ces droits des hommes sur nous - sont aussi fondés sur notre faiblesse. 
Et sur nos peurs, si légitimes, pourtant.

Mais celles-ci ne doivent plus être la justification du silence complice des victimes. 
Nous devons parler haut et fort. 
Seules et ensemble. 
Moins seules, parce que toutes solidaires. 
La honte est dorénavant — ce qu’elle aurait toujours du être - dans le camp des hommes. 
Collectivement et individuellement responsables des crimes commis en leur nom. 
Et tous coupables de leur silence.
 

5 mars 2001

 petit rappel;

http://sammael.canalblog.com/archives/2013/04/24/27000943.html

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27 septembre 2013

la folie de l'inquisition.....

 

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Inquisition médiévale

L’Inquisition médiévale est un tribunal ecclésiastique d'exception chargé de lutter contre les hérésies au Moyen Âge. Elle est introduite devant les tribunaux ecclésiastiques par le pape Innocent III en 11991 et atteint son apogée lors de la répression du catharisme, à la suite de quoi son activité décline, concurrencée par les juridictions nationales. En 1542, le pape Paul III remplace l'Inquisition médiévale par la Sacrée congrégation de l'Inquisition romaine et universelle.

 

Contexte

L'Inquisition est inintelligible à des esprits contemporains. Il faut se replacer dans le contexte médiéval pour la comprendre. Au Moyen Âge et surtout dans la période qui va du xe à la fin du xiiie siècle, la société est chrétienne. Il est impensable de ne pas l'être. Le concept de liberté religieuse est incompréhensible, autant que le relativisme moral. On est chrétien parce qu'on est convaincu de la vérité du Christianisme. Or, la Vérité est une et indivisible. Donc, par définition, il n'y a pas de place pour d'autres religions ou opinions. C'est dans ce contexte que se développe la lutte contre les hérésies, notamment le catharisme.

Historique

  • En 1198Innocent III devient pape.
  • Dès 1199, il prend conscience des problèmes posés par le catharisme.
  • Pendant 10 ans, il organise des missions et des débats contradictoires dans le midi de la France (Narbonne/Carcassonne) pour lutter contre l'hérésie . Ces missions sont d'abord confiées aux Cisterciens, ordre monastique chrétien.
  • En 1205, devant les piètres résultats obtenus par les Cisterciens, Diego, évêque d'Osma, et Dominique de Guzman (futur saint Dominique) partent en mission à leur tour et multiplient les débats contradictoires (Montréal, Fanjeaux, Toulouse).
  • En 1208Pierre de Castelnau, chargé par le pape de lutter contre les Cathares, est assassiné. Les soupçons se portent sur le Comte de Toulouse, Raymond VI, connu pour être conciliant avec les Cathares .
  • En 1209, constatant l'impuissance des méthodes pacifiques, le pape prêche la croisade contre les Albigeois. L'intervention militaire commence la même année. L'effort missionnaire n'est pas interrompu.
  • En 1213, Innocent III affirme la nécessité de traquer l'hérésie non sur la base de rumeurs, mais d'une enquête, en latin inquisitio . L'Inquisition se caractérise avant tout par la procédure à laquelle elle recourt : l’inquisitio, par laquelle le juge peut entamer une action d'office, par opposition à l’accusatio, dans laquelle le juge n'instruit un dossier qu'à la suite d'une accusation. Pour autant, l’inquisitio n'est pas réservée à l'hérésie : par exemple, les procès concluant à la nullité des mariages d'Henri VIII d'Angleterre relèvent tous de cette procédure. Pour l'Église, le but premier reste la conversion des égarés. Notons que l'Inquisition n'est pas compétente pour juger les fidèles des autres religions, notamment les Juifs. Elle ne s'adresse qu'aux hérétiques chrétiens.
  • En 1216, l'ordre des Dominicains est fondé. Il prend en main la lutte contre l'hérésie cathare .
  • En 1229 se termine la croisade contre les Albigeois. Raymond VI est battu et cède le Bas-Languedoc à la couronne de France. Mais le problème cathare n'est pas résolu .
  • En 1231, Grégoire IX publie Excommunicamus, acte fondateur de l'Inquisition. Les inquisiteurs seront essentiellement les Dominicains et les Franciscains car ce sont eux qui ont l'expérience des hérésies .
  • Dès 1240, l'Inquisition se répand dans toute l'Europe sauf l'Angleterre .

L'Inquisition est une institution religieuse parallèle et indépendante de la justice civile. Les inquisiteurs sont des théologiens qui ne dépendent que du pape. Leur mission est ponctuelle. La procédure n'a pas été fixée par Excommunicamus. Elle est variable selon les régions. Cependant, les procès se déroulent selon les grandes lignes suivantes .

La Procédure

Déroulement d'un procès

  • L'inquisiteur commence par une prédication générale .
  • L'inquisiteur publie l'édit de foi, qui oblige les fidèles à dénoncer les hérétiques de leur connaissance. Le nom des dénonciateurs est tenu secret pour éviter les représailles. Mais certains inquisiteurs préfèrent procéder à une confrontation contradictoire entre accusé et dénonciateur afin que l'accusé puisse démasquer un dénonciateur qui aurait intérêt à lui nuire. Rappelons qu'en cas de faux témoignage, le dénonciateur risque la peine encourue par l'accusé .
  • L’inquisiteur publie l’édit de grâce, qui accorde un délai de 15 à 30 jours aux hérétiques pour se rétracter. Passé ce délai, l’hérétique présumé est justiciable du tribunal inquisitorial.
  • Le procès n’est pas le règne de l’arbitraire. C’est tout le contraire. L’Inquisition est méthodique, formaliste, paperassière et…plus tempérée que la justice civile.
  • L’accusé est en détention préventive ou libre. Il a le droit de produire des témoins à décharge, de récuser ses juges et même de récuser l’Inquisiteur lui-même. Il bénéficie d’un défenseur.
  • Le premier interrogatoire a lieu en présence de prud'hommes, jury local composé de clercs et de laïcs dont l’avis est entendu avant la sentence.
  • Les assesseurs du procès doivent contrôler la véracité des accusations, notamment auprès des dénonciateurs.
  • Si l’accusé est reconnu coupable et maintient ses dénégations, il subit un interrogatoire complet dont le but est de recueillir ses aveux. La condamnation doit être prononcée après un aveu formel ou au vu de preuves irréfutables. En cas de doute, le mot d’ordre de l’Inquisition est qu’il vaut mieux relâcher un coupable que condamner un innocent.
  • On célèbre une messe et on prononce un sermon.
  • Après consultation du jury, la sentence est prononcée. Les acquittés sont libérés et on prononce la peine des coupables. Notons ici que le verdict relève de la délibération d’un jury et non de l’arbitraire d’un seul juge. C’est révolutionnaire à l’époque et c’est bel et bien une création de l’Inquisition .

Les Inquisiteurs

Conrad de Marbourg, le premier inquisiteur connu, détail d'un vitrail de l'église Sainte-Élisabeth, à Marbourg

L'établissement d'une institution judiciaire est officialisée par la bulle Ille humani generis (20 avril 1233), qui retire aux tribunaux ecclésiastiques la compétence contre les hérétiques lorsqu’un tribunal d'inquisition existe.

D'un point de vue canonique, les inquisiteurs sont des commissaires pontificaux, spécialement chargés de lutter contre l'hérésie et censés collaborer avec les évêques. La délégation pontificale rend théoriquement impossible le traditionnel appel au pape, prohibé par Excommunicamus. — au reste, cet appel est traditionnellement dénié dans les cas d'hérésie. Le mandat est d'abord limité au pontificat du pape ayant nommé l'inquisiteur. En 1267, Clément IV le rend perpétuel (mais toujours révocable). Parallèlement, il existe des commissions temporaires.

Cependant, les évêques n'ont pas été dessaisis de leurs prérogatives en matière d'hérésie, non plus que les légats : sur un même territoire, ces différents dispositifs peuvent coexister et donc se recouvrir, entraînant ainsi des querelles de juridiction. Autre conséquence, l'Inquisition se définit par la présence d'un inquisiteur, il est vain de vouloir définir des juridictions bien délimitées géographiquement. On peut seulement relever l'existence de centres inquisitoriaux importants comme dans le sud de la France, Toulouse et Carcassonne. Enfin, il n'existe pas une seule Inquisition, au sens d'une administration cohérente, mais de nombreux tribunaux inquisitoires, distincts et ne coopérant pas les uns avec les autres.

En 1232, la nouvelle institution s'étend en Aragon et à partir de 1235, en Italie centrale, puis en Lombardie. En France, elle s'introduit d'abord par le Nord, en avril 1233, avant de pénétrer en Languedoc en 1233-1234 avec l'établissement de deux tribunaux fixes d'Inquisition : l'Inquisition n'a donc pas eu pour but premier la lutte contre les cathares.

L'Inquisition se heurte initialement à la volonté des princes de mener eux-mêmes la lutte contre les hérétiques. Dès le départ, certains avaient tout bonnement refusé son intervention : en Espagne, seul l'Aragon l'avait accepté. En Scandinavie, l'Inquisition est quasiment absente. En Angleterre, la répression contre les Lollards — disciples de John Wyclif — reste l'affaire du roi et du clergé anglais. La République de Venise préfère également régler elle-même le sort de ses hérétiques. En France, en Aragon, dans certaines parties de l'Italie et du Saint-Empire, ainsi que dans les Pays-Bas, au contraire, les princes appuient l'Inquisition dès le début, lui permettant ainsi de travailler efficacement. Au fil du temps, la collaboration entre les deux acteurs se renforce.

La plupart du temps, les inquisiteurs sont choisis dans les nouveaux ordres religieux, dominicain et franciscain. Ceux-ci sont précisément fondés à l'époque, et leur expansion géographique est encore restreinte autour de leur aire d'origine. En Italie, l'Inquisition revient plutôt aux franciscains — François, le fondateur, est d'Assise ; dans le Midi, la répression est confiée au tout nouvel ordre des dominicains : la naissance de l'ordre en terre cathare et l'action de Dominique de Guzmán contre les hérétiques expliquent ce choix. Dominique lui-même, contrairement à une légende que les dominicains eux-mêmes ont contribué à entretenir, n'est pas « le premier inquisiteur » : d'abord, il quitte le Languedoc dès 1216 pour se consacrer à l'institution de son ordre ; ensuite, il meurt dix ans avant l'institution de la fonction. Contrairement aux bénédictins traditionnels de l'époque, ces ordres sont spécialisés dans une fonction — la prédication —, ils ne sont pas soumis au vœu de stabilité locale — pas de clôture — et n'ont pas charge d'âme, c’est-à-dire de responsabilité territoriale. Les dominicains en particulier ont pour vocation de prêcher et bénéficient d'une solide formation intellectuelle : ce sont des théologiens. Les deux ordres sont des « ordres mendiants », qui vivent des quêtes faites aux sermons et non du revenu de leur terre, ce qui leur attire la sympathie populaire : vivant pauvrement, ils sont mieux vus de la population que les riches bénédictins ou chanoines.

Compte tenu de leur compétence théologique, de leur vocation à être près du peuple, et de leur bonne image dans la société médiévale, le pape choisit préférentiellement dans leurs rangs ses représentants pour en faire des juges de l'Inquisition. Pour pouvoir se consacrer pleinement à leur tâche, ils sont fréquemment relevés de certaines des obligations que leur règle leur impose, comme celle de vie conventuelle.

Cependant, des chanoines réguliers sont également employés à l'office d'inquisiteur : ainsi, Conrad de Marbourg est un prémontré. En outre, de 1249 à 1255, ce sont des membres du clergé séculier qui dirigent le tribunal de Toulouse. L'expression « Inquisition monastique » est donc un abus de langage.

L'obtention de l'aveu

Pour obtenir l’aveu, la contrainte peut être utilisée, soit par la prolongation de l’emprisonnement, soit par la privation de nourriture, soit par la torture. Longtemps, l’Église a été hostile à cette 3e solution. La torture a été condamnée dès la fondation de l’Inquisition par le décret de Gratien (12e siècle). Mais, au 13e siècle, la redécouverte du droit romain entraine le rétablissement de la torture dans la justice civile. En 1252, Innocent IV autorise de même son usage par les tribunaux ecclésiastiques, à condition que la victime ne risque ni la mutilation ni la mort, que l’évêque du lieu ait donné son accord et que les aveux soient renouvelés librement. Elle reste cependant peu pratiquée: moins de 10% des cas  alors qu’elle est très utilisée par les tribunaux séculiers. L’Inquisition espagnole l’utilise aussi très peu  : avant 1500, sur 300 procès devant le tribunal inquisitorial de Tolède, on relève 6 cas de torture. De 1480 à 1530, sur 2000 procédures du tribunal inquisitorial de Valence, on dénombre 12 cas de torture.

Le manuel d’inquisition de Nicolas Eymerich (inquisiteur général d’Aragon) dit explicitement qu’il faut réserver la torture aux cas extrêmes et met en doute son utilité : « La question est trompeuse et inefficace ». L’historien américain du 19e siècle Henri-Charles Lea, hostile à l’Inquisition, reconnaît que « dans les fragments de procédure inquisitoriale qui nous sont parvenus, les allusions à la torture sont rares »’.

Les peines prononcées

En réalité, la plupart des condamnations prononcées par l’Inquisition sont…purement religieuses ! Réciter des prières, assister à certains offices, jeûner, effectuer des dons aux églises, faire un pèlerinage dans un sanctuaire voisin ou, dans les cas graves, à Rome, St Jacques de Compostelle ou Jérusalem. La peine prononcée peut aller jusqu’à l’emmurement. L’emmuré, ce n’est pas un emmuré vif au sens où on l’entend aujourd’hui. C’est un prisonnier, tout simplement. Il existe le ‘’mur étroit’’, la prison proprement dite, et le ‘’mur large’’, peine comparable à notre résidence surveillée. En cas de deuil, de maladie ou de fête religieuse, les prisonniers obtiennent des permissions qu’ils passent chez eux. Jean Guiraud souligne que « le pouvoir d’atténuer les peines étaient fréquemment exercé ». Dans tous les cas, les peines de prison les plus lourdes n’excèdent pas 3 ans. Il existe plusieurs cas d’inquisiteurs qui ont été révoqués et punis par Rome parce qu’ils appliquent des sentences trop sévères. L’exemple le plus connu est celui de Robert le Bougre. Ce dominicain prononce des peines telles que trois évêques se plaignent de lui au Pape. Suspendu temporairement une première fois en 1233, il récidive et est condamné à la prison à vie en 1241.

Quant aux condamnations capitales, elles sont rares . Les cas les plus graves de sorcellerie, sodomie ou hérésie (notamment les relaps comme le fut Jeanne d’Arc) sont déférés à la justice temporelle qui se charge alors des peines et de leur exécution car l’Inquisition ne peut pas faire couler le sang. Oui, la justice civile pratique le bûcher. Ce supplice entraîne le plus souvent la mort par asphyxie et non par brûlure vive car le condamné est attaché bien au-dessus du bûcher et meurt à cause des fumées toxiques avant d’être atteint par les flammes (on sait que Jeanne d’Arc fut attachée 3 m au-dessus de son bûcher et qu’elle mourut de manière sûre par asphyxie) La mort par pendaison, écartèlement ou par le supplice de la roue, qui furent largement pratiquées par la justice civile de l’Ancien Régime, sont-elles plus douces ?

Les condamnations à mort

La recherche historique ne cesse de revoir le nombre de condamnés à mort par l’Inquisition à la baisse .

  • À Albi, sur 8000 habitants et une population cathare estimée à 250 croyants, sur la période 1286-1329, 58 personnes seulement subissent des peines afflictives, ce qui ne veut pas dire la mort.
  • À Turin, on répertorie 200 condamnations en un peu plus de 80 ans (de 1312 à 1395), parmi lesquelles : 22 peines capitales, 41 ports de croix et 22 peines médicinales (amende, pèlerinage, etc.)
  • L'analyse des archives de Bernard Gui a montré qu'en seize ans (1307-1323) d'exercice à Toulouse, il a prononcé 501 peines et 243 remises de peine, la plupart du temps pour mettre fin à une détention. Plus précisément, il ordonne 29 sentences capitales, 80 condamnations au bûcher concernant des cadavres exhumés, 13 peines de mur étroit(prison ferme), 231 peines de mur large (assignation à résidence) et 107 peines infamantes. Le plus important bûcher, ordonné le 5 avril 1310, fait 17 victimes. Les condamnations à mort sont au nombre de 42, soit 3 par an sur 15 ans à une période où l’Inquisition est très active 

L'historien Yves Dossat qualifie la peine du feu d'exceptionnelle, et souligne que « les exécutions massives ne sont guère compatibles avec un tel système de répression. »

L'Inquisition et le catharisme

Le difficile travail des Inquisiteurs

En France, l'Inquisition mit fin à l'hérésie cathare. La population et la noblesse sont globalement favorables à l'Inquisition qui combat l'hérésie jugée de fléau par la société du Moyen Âge. Les assassinats d'inquisiteurs qui eurent lieu çà et là sont le fait des minorités cathares qui existaient dans le peuple comme dans l'aristocratie. Le massacre le plus célèbre est celui d'Avignonet, aboutissement d'une longue période de contestation de l'Inquisition dans le Midi. Une première crise a lieu à la fin de 1235, quand la population expulse l'inquisiteur dominicain Guillaume Arnaud, puis l'ensemble des dominicains. De retour en 1236, ceux-ci se retrouvent impuissants face au mutisme de la population, à l'inertie des autorités municipales et au manque de soutien du pape occupé par ailleurs. En 1241, les inquisiteurs partent en tournée ; en mai 1242, ils s'installent dans le château d'Avignonet. Le 28 mai 1242, ils y sont assassinés par des chevaliers cathares menés par Pierre-Roger de Mirepoix. Épouvanté par le massacre, le concile de Béziers, tenu en 1243, décide de faire tomber la place forte cathare de Montségur. Lorsque la forteresse se rend en 1244 aux croisés, la volonté de représailles explique la rigueur exceptionnelle de la répression : près de deux cents cathares sont brûlés.

La violence n'est pas l'apanage d'un seul camp. Emmanuel Le Roy Ladurie a montré qu'afin de s'imposer, les Cathares ne reculaient pas devant la terreur : "Pierre Clergue faisait couper la langue d'une ex-camarade. Les Junac, eux, étranglent de leurs blanches mains, ou peu s'en faut, le père de Bernard Marty, suspect de trahison possible à leur égard" . Spécialiste des Cathares, Michel Roquebert convient que l'Église médiévale n'aurait pas pu combattre les Cathares avec d'autres moyens que ceux progressivement mis en œuvre, de la persuasion à l'emploi de la force par le bras séculier .

De 1250 à 1257, l'Inquisition parachève son travail dans la région et met fin à l'hérésie cathare: elle remet 21 personnes à la justice civile et en condamne 239 au « mur étroit ». Le dernier éclat de violence a lieu dans la cité-État de Sirmione, en Lombardie, accusée en 1273 de cacher un évêque cathare : deux cents de ses habitants sont envoyés au bûcher par les autorités civiles. Un des derniers bûchers pour hérésie est celui de Pierre Autier, brûlé en 1310. Les derniers croyants, comme le berger Peire Maury de Montaillou, seront mis au « mur étroit » en 1318 par l'évêque inquisiteur cistercien Jacques Fournier, futur pape Benoît XII. À Villerouge-TermenèsBélibaste, qui se revendique comme un des derniers dignitaires des Églises cathares, est brûlé en 1321. Les derniers bûchers sont attestés en 1328 à Carcassonne.

Beaucoup d'évêques n'apprécient guère son irruption dans un champ qui leur était auparavant réservé : les papes émettent à plusieurs reprises des rappels à l'ordre. Ainsi, en 1279,Nicolas III condamne l'évêque de Padoue, coupable de manque de zèle dans sa coopération avec les inquisiteurs. L'attitude de la papauté elle-même est rien moins que constante : dès 1248, par exemple, Innocent IV tente de rétablir une tutelle sur eux, plaçant ceux de la région d'Agen sous le contrôle de l'évêque du diocèse, en 1248. Outrés de cette atteinte à leur liberté d'action, les juges dominicains se démettent. En outre, des rivalités entre les deux ordres mendiants se font jour : en 1266, à Marseille, les dominicains accusent les inquisiteurs franciscains et produisent des témoins qui s'avèrent être parjures. Le pape doit intervenir pour rétablir l'ordre. Au sein des ordres eux-mêmes, enfin, la vie particulière menée par les religieux inquisiteurs ne satisfait pas toujours les hiérarchies : ainsi, les chapitres provinciaux dominicains tentent de faire respecter à leurs inquisiteurs leur vœu de pauvreté, en leur imposant de se déplacer simplement, à pied.

L'Inquisition se heurte également à des oppositions ponctuelles dans la population. Outre les assassinats d'inquisiteurs en terre cathare, il faut mentionner celui de Conrad de Marbourg dès juillet 1233. En Italie, Pierre de Vérone, inquisiteur à Milan, est assassiné le 6 avril 1252. Surnommé « saint Pierre Martyr », il fera l'objet d'une dévotion importante à partir de la Renaissance et deviendra le modèle des inquisiteurs, bien qu'il n'ait occupé ce poste que quelques mois, ce qui témoigne bien de l'appui de la société de l'époque à l'institution de l'Inquisition. Sa canonisation très rapide (en moins d'un an) témoigne du soutien apporté alors par Innocent IV et par la société dans son ensemble à ses inquisiteurs. De même, celui-ci déploie des efforts importants pour traquer tous les coupables et adresse au chapitre général de l'ordre une lettre encourageant les dominicains à poursuivre leur tâche et à ne pas craindre le martyre. Ces massacres, ponctuels mais saisissants pour l'opinion publique, témoignent du climat difficile dans lequel l'Inquisition est amenée à travailler . Ils expliquent également la rigueur des premières procédures. Cependant, l'Inquisition n'aurait pu fonctionner sans le consentement global des populations concernées qui souvent, se réjouissent de la punition des hérétiques. Ainsi, les grands bûchers du Midi de la France ne sont pas l'œuvre de l'Inquisition, mais celle des croisés et autres « pèlerins ».

La petite phrase

"Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens" est une phrase apocryphe attribuée au légat Arnaud Amaury qui l'aurait prononcée en 1209 lors du sac de Béziers. Cette phrase a été trouvée dans le Livre des Miracles écrit plus de cinquante ans après les faits par Césaire de Heisterbach, moine allemand dont Régine Pernoud précise qu'il est "un auteur peu soucieux d'authenticité" .

L'Inquisition et la Papauté

La papauté est déterminée à donner à l'Inquisition les moyens d'agir efficacement : pour ce faire, elle la libère des tutelles traditionnelles. Elle est conçue comme une institution rattachée directement au pape, et non à la Curie romaine ou aux évêques. Alexandre IV (1254-1261) la soustrait également à la tutelle des légats pontificaux — le privilège sera étendu à tous les inquisiteurs en 1265. Mieux encore, Alexandre IV autorise les juges toulousains à se relever mutuellement de l'excommunication qui pèse sur les clercs répandant le sang, sans besoin de dispense pontificale ; l'autorisation est étendue à tous les inquisiteurs en 1262 par Urbain V.

Parallèlement, les prérogatives de l'Inquisition s'élargissent. Outre les cathares et les vaudois, elle est appelée à combattre des éléments de plus en plus divers : l'apostasie de juifset musulmans convertis ou encore la sorcellerie, laquelle leur est assignée formellement en 1261 par Jean XXII18. Mais on appelle aussi hérétiques les schismatiques à l'occasion de la lutte contre Frédéric II ou, au xive siècle, du Grand Schisme d'Occident — ou encore ceux qui refusent de payer les dîmes. La frontière se brouille également entre indiscipline et hérésie : Jean XXII appelle l'Inquisition contre les Spirituels, dissidents de l'ordre des franciscains, puis les béguins.

La papauté intervient aussi ponctuellement pour assurer un meilleur contrôle de l'activité des inquisiteurs : 12 ans après avoir nommé les premiers inquisiteurs, dès 1248, par exemple, Innocent IV tente de rétablir une tutelle sur eux, plaçant ceux de la région d'Agen sous le contrôle de l'évêque du diocèse, en 1248. Cependant, les inquisiteurs considèrent qu'un tel contrôle va à l'encontre de l'efficacité de leur action. Outrés de cette entrave mise à leur mission, les juges dominicains se démettent.

Après l'apogée de la seconde moitié du xiiie siècle, l'accumulation des requêtes dénonçant des abus persuade la papauté d'entreprendre une réforme d'ensemble. Clément V confie en 1306 une enquête concernant les inquisiteurs de Carcassonne à deux cardinaux, Béranger Frédol et Pierre Taillefer de La Chapelle. En 1311-1312, à la suite du concile de Vienne, il promulgue les constitutions Multorum querela et Nolentes, qui prescrivent la collaboration avec l'ordinaire pour les actes les plus importants de la procédure : recours à la torture (déjà autorisée depuis 1252, bulle Ad Extirpenda), sentence, contrôle des prisons, etc. Ici encore, l'Inquisition proteste contre ces nouvelles règles, le célèbre inquisiteurBernard Gui dénonçant leur caractère selon lui contre-productif. En 1321, Jean XXII doit réitérer les règles dans sa constitution Cum Mathaeus.

Par la suite, l'évolution ira toujours vers plus de contrôle de l'inquisiteur, et une intégration croissante au fonctionnement judiciaire local. Progressivement, l'Inquisition devient une annexe du tribunal ecclésiastique, dont l'inquisiteur devient progressivement le procureur général avant la lettre.

L'Inquisition et les Juifs

Comme on l’a dit plus haut, l’Inquisition ne peut juger que des hérétiques chrétiens. Elle n’est pas compétente pour juger des Juifs. L’imagerie populaire représentant des Juifs rôtissant sur des bûchers est, encore une fois, dénuée de fondement.

Dès 1190Clément III déclare prendre les Juifs sous sa protection. Il défend à tout chrétien de baptiser un Juif contre son gré, de gêner les célébrations judaïques ou de profaner les cimetières juifs. Ceux qui violeraient ces prescriptions risquent l’excommunication, ni plus ni moins, ce qui, à l’époque, est extrêmement grave .

En 1244, Grégoire IX reprend cet acte pontifical et lui donne force de loi . À l’époque de la lutte de l’Inquisition contre le catharisme, les Juifs sont présents à Toulouse, à Carcassonne, à Narbonne, à Agde, à Béziers, à Lunel, à Montpellier. Il existe des synagogues et des écoles rabbiniques. Certains biens juifs sont placés sous la garantie légale de l’Église. Si le xxe siècle a pu avoir l’impression que les Juifs étaient maltraités par la société chrétienne du Moyen Âge, cela est dû à deux causes : 1-certains Juifs convertis au christianisme et revenus au judaïsme furent poursuivis comme renégats, ce qui choque notre conscience moderne, mais est tout à fait logique dans l’esprit de la société médiévale. Ces cas furent rares en France. Ils concernent surtout l’Inquisition espagnole. Quoiqu’il en soit, on ne peut pas parler d’antisémitisme de l’Inquisition puisqu’il ne s’agit pas d’éliminer les Juifs comme race. Ce qui est visé, c’est la conversion théologique volontaire. Cela est plus à assimiler à de l’antijudaïsme . 2-seuls les Juifs et les Lombards peuvent prêter de l’argent au Moyen Âge. Lorsque la conjoncture économique est défavorable et que les endettés commencent à se livrer à des actes de violence sur leurs prêteurs, les rois capétiens décident d’une expulsion générale des usuriers. Le calme revenu, ces usuriers ne tardent pas à reprendre leurs anciennes affaires. L’histoire des Juifs en France est donc une suite d’allers et retours entre la France et l’étranger, ce qui n’a rien à voir avec des persécutions organisées comme on a pu le voir pendant la Seconde Guerre mondiale et ce qui n’a rien de racial ni de religieux non plus. C’est l’usurier seul qui est visé. En outre, l’Église n’a rien à voir avec cela .

En ce qui concerne l’Inquisition espagnole, fondée beaucoup plus tardivement que l’Inquisition médiévale, en 1478, elle ne s’adresse également qu’aux chrétiens. Cependant, en Espagne, les choses sont plus complexes. Trois communautés cohabitent, qui se détestent cordialement : les Juifs, les conversos (Juifs convertis au christianisme) et les « vieux chrétiens » (par opposition aux conversos). Les « vieux Chrétiens » reprochent aux conversos des conversions de façade. Les Juifs, quant à eux, reprochent aux conversos d’avoir trahi leur religion d’origine. Les conversos reprochent aux deux autres camps de les mépriser (de les discriminer comme on dirait aujourd’hui). C’est dans ce contexte explosif que les conversos font pression sur les souverains espagnols Isabelle et Ferdinand pour qu’ils demandent au pape de mettre en place une Inquisition, afin de prouver l’authenticité de leur foi ! Le plus actif de ces conversos est Pablo de Santa Maria, un ancien rabbin devenu évêque de Burgos. Les masses populaires de « vieux chrétiens » veulent aussi que lesconversos fassent leurs preuves. Ainsi, si de nombreux « Juifs » sont passés devant l’Inquisition espagnole, ce sont en fait des conversos, donc des chrétiens à part entière, abusivement nommés « Juifs » par des « vieux chrétiens » méfiants. Notons au passage que le fameux Torquemada ainsi que Sainte Thérèse d’Avila sont issus de familles deconversos.

L'Inquisition dévoyée

Avec l’extinction de l'hérésie cathare, l’Inquisition perd peu à peu sa raison d’être. A la fin du xiiie siècle, la monarchie et la puissance publique s’affirment. Forts du développement de la centralisation et des administrations, les princes entendent contrôler eux-mêmes l'Inquisition. L’État reprend en main l’ensemble du système judiciaire. Les tribunaux royaux montent en puissance. L’Inquisition existe toujours mais elle est de plus en plus contrôlée par le pouvoir séculier comme on le voit au moment du procès des Templiers en 1310. Le procès suit bien la procédure inquisitoriale, mais c’est Philippe IV le Bel qui en a l’initiative et qui le dirige en sous main pour des raisons politiques et non religieuses . De même, En 1302 et 1304, Philippe le Bel se pose comme arbitre dans le conflit qui oppose la population du Languedoc et l'Inquisition de Carcassonne. Et aussi, en 1403, le Parlement de Paris se saisit d'un conflit entre l'Inquisiteur de Cambrai et l'archevêque de Reims, et tranche en faveur de ce dernier. En 1412, le roi fait arrêter l'inquisiteur de Toulouse, jugé trop inféodé à la papauté.

Le schisme catholique et la multiplication des papes entre 1378 et 1417 retirent encore plus de crédibilité et de pouvoir à l’Inquisition. L’Inquisition médiévale tardive n’est plus indépendante. Les inquisiteurs sont des instruments au service d’autres institutions, notamment des universités ou à la botte des milieux d’influence. C’est le cas en 1431, lors duprocès de Jeanne d’Arc, où l’Inquisition est manipulée par le parti bourguignon et les Anglais qui y voient un moyen de gagner la guerre de Cent Ans45.

Dans le même ordre d’idée, on retrouve les traces des premiers procès en sorcellerie… au xive siècle seulement, dans la région toulousaine, donc assez tardivement. Ils deviendront habituels au xvie siècle avec l’intérêt grandissant pour la sorcellerie. La réponse d’une Église « libre » aurait été l’évangélisation. Mais au xvie siècle, l’Église d’État française ne s’appartient plus, elle est un instrument et la répression seule lui est dictée. Il faut dire qu’il est bien tentant, pour se débarrasser d’un ennemi, de lui faire un « bon » procès en sorcellerie. Les gens d’influence, qui ne s’y tromperont pas, useront et abuseront de ce stratagème. Là encore, c’est le pouvoir temporel qui a le sang des sorcières sur les mains.

Instrumentalisée, appelée sur le devant de la scène en cas de besoin et reléguée en arrière-plan le reste du temps, l'Inquisition perd peu à peu sa substance, alors que ses prérogatives passent aux États. Même si des tribunaux subsistent à Toulouse et Carcassonne jusqu'au xviie siècle, elle disparaît en pratique au xve siècle. Lors de la Réforme protestante, ce sont les Parlements français qui connaîtront des cas d'hérésie.

L'Inquisition et les Templiers

Entre les années 1307 et 1311 l’Inquisition, aidée par le roi de France Philippe IV le Bel et le pape Clément V, a participé au procès contre les Templiers qui étaient accusés des actes d’hérésie.

Le rôle du roi

L’étendue de l’influence de Philippe IV le Bel sur les actions de l’Inquisition n’est pas claire, mais on sait qu’il eut beaucoup de « raisons » politiques et matérielles pour vouloir faire disparaître les Templiers. Les Templiers étaient riches, privilégiés et puissants. Ils répondaient seulement au pape et n’étaient pas sous le contrôle du roi. Le roi leur devait beaucoup car dans l’année 1299 ils lui avaient prêté 500 000 livres pour la dot de sa sœur. Aussi, ils l’ont protégé d’une foule après qu’il avait dévalué la monnaie. Il pourrait avoir cru que les Templiers étaient coupables parce que dans l’année 1305, il entendit d’Esquieu de Floyran (qui n’avait pas réussi à vendre ces rumeurs à Jacques II d'Aragon)  que les Templiers pratiquaient des rites scandaleux. Cependant, Philippe IV le Bel avait désespérément besoin d’argent Comme il avait déjà pillé les Juifs et les Lombards, il croyait pouvoir faire la même chose aux Templiers. Ce roi est aussi connu comme « le roi des procès ».

Les arrestations

Le 14 septembre 1307 Philippe IV le Bel a donné des ordres secrets pour l’arrestation simultanée des Templiers à ses baillis et à ses sénéchaux partout en France, qui auraient lieu le 13 octobre 1307 Frère Guillaume de Nogaret, l’inquisiteur de France, confesseur et conseiller du roi et aumônier papal, fut responsable des arrestations. LesTempliers, qui se sentaient en sécurité dans leur innocence se sont laissés prendre sans résistance Le pape Clément V n’aimait pas que le roi soit intervenu parce que lesTempliers étaient sujets immédiats de l’Église. Clément V avait écrit à Philippe IV le Bel avant les arrestations, disant que les accusations semblaient être impossibles et que l’Ordre du Temple voulait une enquête pour prouver son innocence. Les actions suivantes du pape sont les résultats de la pression de l’influence dominatrice de Philippe IV de France et du scandale public.

Les accusations

Les Templiers furent inculpés par l’Inquisition de 127 accusations d’hérésie, du blasphème, de pratiques religieuses indécentes et d’autres défauts religieux. Quelques exemples d’accusation sont :

  • d’avoir renoncé au Christ ;
  • d’avoir craché sur la croix ;
  • des baisers indécents ;
  • d’actions homosexuelles ;
  • de blasphème ;
  • d’avoir cessé de célébrer la messe.

L’Inquisition se concentrait sur les péchés sexuels, alors ils pensaient avoir raison de faire une enquête mais ils employèrent des méthodes inappropriées.

La torture et les confessions

Dès le 15 mai 1252, la bulle Ad extirpanda a autorisé les inquisiteurs à utiliser la torture et l’effusion de sang. Les Templiers avouèrent les accusations pour arrêter la torture et pour se sauver de la mort En effet, il y eut de nombreuses morts et des suicides à cause de la torture. La majorité était détenue dans des prisons dans des conditions déplorables. Leur seule forme de nutrition était des vieux pains rassis et un peu d’eau. Les cellules étaient bâties en pierre et les prisonniers étaient enchaînés aux murs. La dislocation des articulations, la brûlure des extrémités et la mutilation, pour nommer juste quelques-unes des formes de torture étaient fréquemment employées à l’époque. Même la menace de torture a tiré des confessions. Les archives montrent une corrélation distincte entre l’utilisation de la torture et les confessions; le baiser indécent fut souvent avoué par la torture en France et en Italie, mais pas du tout en Angleterre où la torture était interdite. Il n’y eut de confessions qu’après que l’Inquisition papale fut venue prendre contrôle, introduisant la torture. Le fait qu’une confession devait être spontanée ne posait pas de problème; l’Inquisition forçait les confessions des Templiers qui seraient amenés au pape où ils avoueraient les accusations « librement ».

La défense et la fin[

Dès que la menace de torture fut « enlevée » en 1310, presque 600 Templiers, dont beaucoup avaient déjà avoué les accusations, sont venus défendre l’Ordre du Temple. Le 7 avril, neuf députés menés par Peter de Bologna et Reginald de Provins ont donné la défense de l’Ordre. Cet effort de défense se délita après une démonstration par Philippe IV le Bel. Selon le droit canon, si quelqu’un rétracte sa confession, il peut être torturé encore ou brûlé comme hérétique relaps. 54 de ces 600 défendeurs avaient rétracté leur confession et ont été condamnés sans procès et puis brûlés (Barber). Le grand maître Jacques de Molay et Geoffroy de Charnay furent brûlés en mars 1314 pour le même crime; étant des hérétiques relapsi ou pour la rétraction de leur confession.

Comment est vue l'Inquisition par le peuple du xiiie siècle

On l’a déjà dit, les hommes du Moyen Âge sont profondément croyants. La Vérité du Christ n’est pas négociable. Les autres religions et les hérésies sont donc fausses. Elles indignent et scandalisent les gens de l’époque. Dans ce contexte, l’Inquisition ne révolte personne. Au contraire, elle est vue comme un bien qui délivre la société des hérésies .

De plus, la méthode judiciaire employée par l’Inquisition est progressiste par rapport à une justice civile plus expéditive et plus sévère et par rapport aux réactions incontrôlées que suscitaient les hérésies (émeutes populaires, lynchages). L’Inquisition a rationalisé la justice en s’appuyant sur l’enquête, sur le contrôle de la véracité des faits, sur la recherche de preuves et sur la délibération d’un jury qui résiste aux passions de l’opinion .

Conclusion[

La légende noire de l’Inquisition a été lancée au xviiie siècle par les philosophes et les savants des Lumières, soucieux de décrédibiliser le christianisme qui était à l’époque fortement associé au concept de monarchie. Elle continua à être forgée au xixe siècle par une IIIe république anticléricale et volontiers amnésique en créant la caricature d'unTorquemada fanatique .

En histoire, le péché majeur est l’anachronisme. Juger l’Inquisition sur des critères contemporains est toujours une faute. La foi médiévale n’est pas une croyance individuelle, mais un pilier de la société auquel on ne peut porter de coup sans risquer de nuire gravement à toute la communauté . L’Inquisition fut donc acceptée par ses contemporains non seulement comme gardienne de l’orthodoxie catholique et donc comme assurance de la cohésion de la communauté, mais aussi comme tribunal progressiste aux méthodes novatrices.

LA RENAISSANCE : L'HUMANISME CONTRE LES SUPERSTITIONS


LA RENAISSANCE :

L’HUMANISME CONTRE LES SUPERSTITIONS

 

 

 

Délivrée de la guerre de Cent ans, la France connaît un essor économique marqué par la croissance urbaine, le développement du commerce, de l’industrie et de la presse d’imprimerie.

Le déclin de la féodalité et du clergé font de la Renaissance une période de transition, de remise en question.

Un esprit de recherche tente, peu à peu, d’échapper au poids des lourdes institutions et des idées médiévales erronées.

Les astronomes dénoncent les anciennes conceptions de l’univers, les anatomistes, s’engageant dans la découverte du corps humain, contestent les théories galéniques.

 

La science et la pensée veulent faire confiance à l’expérience et aux sensations, sans se référer à une autorité.

Les premiers humanistes, tels que Brant, Erasme, Rabelais, Machiavel ou Montaigne, suscitent un mouvement qui s’écarte des doctrines rigides de l’époque pour retrouver la philosophie de l’Antiquité. L’étude des classiques redevient à la mode et permet aux humanistes de combattre les superstitions et l’obscurantisme médiéval.

Mais si cet esprit nouveau essaye de décrire la réalité de façon plus objective, il ne réussit pas à chasser complètement les explications démoniaques de la folie.

La Renaissance reste cette période la plus marquée par l’Inquisition et nombreux sont les fous, les hérétiques et les sorcières qui brûlent encore sur les bûchers.

 

 

PRATIQUES MAGIQUES ET SUPERSTITIONS

 

 

 

Les médecins, pour la plupart, restent très attachés aux superstitions. Ils sont convaincus que les trois affections de la tête alors reconnues : frénésie, manie et mélancolie - s’expliquent par une perturbation des humeurs ou un changement de la bile dés à des influences démoniaques.

Et la thérapeutique applique jusqu’à l’absurde, le principe galénique du traitement par les contraires :

La frénésie est un échauffement des méninges, il faut donc refroidir.

La mélancolie correspond à une surcharge d’atrabile qu’il est nécessaire d’évacuer par des purges, des saignées, des vésicatoires, etc .

L’épilepsie provient d’un engorgement dé à la pituite, ce venin fabriqué par les diables et les démons, et il faut dessécher .

 

Les maladies de l’esprit sont toujours considérées comme la conséquence du péché et de l’immoralité.

Félix Plater, professeur de médecine, auteur de « praxis medica », explique que les fantasmes sexuels, qui souvent conduisent à la folie, résultent d’une possession par le diable ou d’un châtiment divin.

On s’en tient donc à la bile noire, aux anges déchus attirés dans le corps, aux forces surnaturelles et aux envoûtements pour trouver la cause des troubles mentaux.

La magie et la superstition continuent d’exercer leur influence, même si la Renaissance connaît de réels progrès scientifiques. Alors que l’astronomie révèle des vérités concernant le mouvement des planètes, parallèlement se développe l’astrologie, science de la prédiction .

Même Kepler, qui devient célèbre à partir de 1609 pour ses fameuses Lois d’astrophysique, établit volontiers des horoscopes .

Rabelais, pourtant farouche adversaire du charlatanisme, s’adonne aussi à cette pratique et se fait appeler : professeur d’astrologie.

L’Eglise, qui condamne cette science divinatoire, ne peut empêcher ses papes, d’aller en cachette, consulter des astrologues. Aujourd’hui, nos chefs d’état ont tous, et c’est connu, des consultations de ce type .

Toute civilisation utilise des pratiques magiques. Les découvertes rationnelles suscitent toujours des forces opposées irrationnelles, parce que la science ne suffit pas, à elle seule, à satisfaire le rêve. C’est comme si le « trop savoir » mettait en péril l’âme et son besoin perpétuel d’inexpliqué La Renaissance n’échappe pas à cette règle. Pourtant enthousiasmée par les découvertes scientifiques, elle est attirée aussi par toutes les mancies : géomancie, aleuromancie, cléromancie, chiromancie, etc...

Et l’énorme succès de ces sciences divinatoires favorise l’apparition d’une méthode particulière d’examen du corps humain, que l’on doit à Jérome Cardan :

La métoposcopie :

Anatomiste et chiromancien passionné, auteur d’une autobiographie intitulée
« de propria vita » (1575), Cardan établit que d’après les traits et l’expression du visage, on peut déduire le caractère d’une personne .

La recherche d’une corrélation entre la constitution physique et la personnalité se poursuivra pendant toute la Renaissance.

Cette thèse sera reprise par Gall, médecin au XVIII e siècle, avec la phrénologie. Lombroso, célèbre criminaliste italien du XIX e siècle, tentera à son tour de prouver qu’il existe un lien entre la criminalité et la configuration du visage. De nos jours encore on chercher à reconnaître les indices anatomiques ou comportementaux sensés trahir une pathologie mentale ou une déviance sociale . Cardan est aussi à l’origine d’une autre méthode, beaucoup plus inspirée de la psychologie, et qui, plus tard, sera réellement reconnue pour ses vertus thérapeutiques : la « méthode Coué » .

Il en parle en ces termes: « Seule une conscience coupable rend l’homme malheureux, la fermeté d’esprit est d’un grand secours pour supporter nos maux et pour faire tourner la chance. Pour éviter d’être malheureux, il faut croire que l’on ne l’est pas ».

« Si tu es malade, il faut croire que tu ne l’es pas, te le répéter, le dire aux autres et recommencer » .

 

En dépit de sa croyance aux démons et à certaines pratiques divinatoires, Cardan a le mérite de reconnaître le pouvoir thérapeutique de la suggestion. Il conseille aux médecins, pour s’assurer de la réussite d’un traitement, de gagner le plus possible la confiance des malades :

« Pour qu’ils guérissent, il faut qu’ils aient confiance en lui, qu’il les persuade de leur prochaine guérison » .

 

Durant les siècles suivants, on verra se développer l’influence de la suggestion, d’une façon qui ne sera pas complètement éloignée de la magie, avec le mesmérisme et l’hypnose .

La Renaissance prête beaucoup d’intérêt à ces personnes qui sont présumées capables de soigner sans effectuer de traitement réel et sans utiliser de médication. Ce ne sont donc plus les Saints quiguérissent, mais des individus bien vivants, ayant reçus de Dieu le pouvoir d’agir sur les maladies.

C’est ainsi que les rois, anglais ou français, ont acquis la réputation de guérir les scrofules et les écrouelles, par simple attouchement. Ce sont les rois thaumaturges .

A la même époque, Greatrakes, un irlandais, rassemble des milliers de souffrants. Il est considéré comme un « élu de Dieu » capable d’accomplir des miracles. En fait, par une habile suggestion, il pratique surtout une forme de psychothérapie.

Aujourd’hui encore, la foule de guérisseurs, de chiropracteurs, de mages ou de gourous, bien supérieurs en nombre à nos médecins, attestent de l’efficacité des procédés surnaturels persuasifs.

L’attouchement, la chiromancie, l’astrologie et la suggestion ne sont donc pas des pratiques réservées à une époque précise de l’histoire. C’est une réaction humaine que de faire appel au surnaturel pour surmonter ses peurs, ses angoisses ou ses maladies .

 

LES PROGRES DE LA MEDECINE

 

 

Dans une époque encore entourée de superstitions et de crainte de possession, la médecine parvient malgré tout à avoir une attitude un peu plus scientifique.

Avec la possibilité de disséquer des cadavres - ce qui, auparavant, était interdit par crainte de laisser s’échapper l’âme - l’approche de l’anatomie devient plus réaliste. Léonard de Vinci réussit à faire des coupes du cerveau. Ses carnets de dessins seront très utilisés après sa mort.

 

André Vésale, médecin et chirurgien, pratique beaucoup de dissections de corps humains. C’est une véritable passion, chez lui, qui le pousse à voler les cadavres la nuit dans les cimetières.

Il publie une oeuvre énorme en 1543 : « Sept livres sur la structure du corps humain » .

Vésale corrige ainsi les erreurs de Galien, telles que la « côte manquante » de l’homme, les « lobes du foie », les « cavités du cœur » ou la « courbure du fémur » . Il différencie le cerveau humain de celui de l’animal et y distingue la substance blanche et la substance grise. Avec Vésale, l’anatomie devient une science à part entière.

 

Ambroise Paré, alors chirurgien dans les armées de François I er met au point une technique de ligature des artères après amputation, qui remplace la douloureuse cautérisation au fer rouge.

Il rédige un « Traité de la peste, de la petite vérole et de la rougeole » , dans lequel il considère ces fléaux comme des maladies et non pas comme des punitions divines. Il définit aussi plus précisément la notion de contagion.

 

 

L’HUMANISME, UNE APPROCHE DEMYSTIFIEE DE LA FOLIE

 

 

La soif de savoir, associée à un désir de liberté intellectuelle, fait naître de grands espoirs dans le progrès.

La science et la raison s’opposent aux pratiques magiques et aux explications démoniaques, pour aller dans le sens d’une meilleure connaissance du corps humain, du caractère, du comportement et des maladies.

La recherche de vérité ne passe plus par Dieu.

Un véritable esprit critique humaniste se développe et impose forcément un changement de la société, des coutumes et des modes de pensée, qui touche au problème de la folie et le remet au goût du jour. C’est ainsi qu’apparaît l’antithème du fou.

Brandt et Erasme vont se servir de la folie, non pas pour décrire l’insensé, le dément ou le malade qui souffre, mais pour réaliser une satire, une caricature des défauts et des paradoxes de la société.

 

 

-La Nef des Fous de SÉbastien Brandt (1494) :

 

C’est la Nef des pauvres, des errants, des « sans boussole »

(ou des déboussolés), « espèce de sans papiers d’autrefois », qui sont rejetés, exclus et accusés de transporter les fléaux comme la peste et la lèpre.

C’est une fiction littéraire écrite en vers:

 

« Les rues grouillent de fous

Qui battent la campagne

C’est pourquoi en ce jour

Je cherche à équiper

Toute une armée navale

Pour les embarquer tous ».

 

Brandt utilise l’image négative de la folie.

La déraison ne porte plus à rire comme au Moyen âge. Elle représente maintenant le désordre et la mort, puisque c’est l’humanité toute entière qui, symbolisée par cette Nef des fous, s’en va, insouciante, vers un naufrage inévitable.

-L’Eloge de la Folie d’Erasme (1509) :

 

C’est une réponse à la Nef des Fous.

Erasme réhabilite la folie en lui accordant une image positive :

« Si tous les hommes sont fous, un seul homme sensé ne pourrait être qu’un Fou véritable » .

La folie ne conduit plus l’humanité à un naufrage inévitable. Au contraire, elle délivre l’homme d’une sagesse trop excessive et du respect des lois trop rigides..

La déraison devient salutaire et équilibrante. Elle est le contre poids d’un conformisme qui s’avère de plus en plus pesant :

« Un sage sans passion, sourd à la voix de la nature, ne serait plus un homme... C’est une grande sagesse que de savoir être fou à propos » .

 

Erasme décrit le monde vu à travers les yeux de la folie : C’est un monde aussi cohérent que celui vu à travers les yeux de la raison.

La folie est une sagesse et celui qui la possède ne peut que mieux voir... Riche d’enseignement sur la vérité profonde de la nature humaine, elle adoucit les peines et les misères de l’existence en les rendant plus compréhensibles.

On prend conscience que la folie reste relative, puisque c’est toujours la société qui en fixe les limites.

 

Près d’un demi millénaire plus tard, le mouvement anti-psychiatrique parlera le même langage que celui d’Erasme, comme si, finalement, les considérations sociales portant sur la maladie mentale n’avaient pas évolué. Pourtant, à la suite d’Erasme, les philosophes et les écrivains humanistes s’orientent vers une révision du jugement porté sur les fous. La folie n’est pas qu’une simple déraison, elle apporte une meilleure connaissance de l’être humain. On se rend compte, par exemple, que l’espace séparant le fou du non fou est bien réduit ; le premier étant un peu le reflet du second.

 

 

En littérature, la façon de penser et de s’exprimer change.
Elle est animée d’un désir de liberté qui combat l’idée théologique de la vérité révélée du Moyen âge .

La religion et le sacré n’ont plus le pouvoir de tout expliquer. C’est avec les sentiments, la volition, l’expérience et le doute que l’on peut parler de l’être humain.

Et la philosophie, qui commence à faire des infidélités à l’Eglise, enseigne que l’homme, avant d’être intelligent, érudit et bon chrétien, est d’abord un organisme vivant qui doit apprendre à mettre toutes ses facultés, et surtout celles psychologiques, au service de sa vie.

 

Rabelais décrit les passions charnelles, ces pulsions fondamentales, que l’on passait sous silence depuis des siècles. Il y a cette vérité sur la nature humaine que l’on ne peut découvrir que par l’observation et l’expérience vécue.

Montaigne, en psychologue réaliste, décrit les sentiments, les caractères, les comportements. Il analyse les actions humaines comme dirigées par une force intérieure, une conscience organisatrice qui met tout au service de la vie.

Ses réflexions l’amènent à considérer que la folie n’est pas très éloignée de la normalité :

« Il n’y a qu’un demi-tour de cheville pour passer des plus excellentes manies aux plus détraquées » ( les Essais 1580).

Machiavel, comme Montaigne, délaisse l’abstraction. Les conseils qu’il donne au « Prince » (1513) se fondent sur une connaissance objective des interactions humaines. Les comportements sont décrits comme des phénomènes naturels, sans faire l’objet d’un jugement moral.

 

D’autres écrivains vont reconnaître cette part de folie inhérente à une nature humaine qui, jusqu’à présent, se voulait bien trop raisonnable :

Pascal : « Les hommes sont si nécessairement fous que ce serait être fou par un autre tour de folie que de ne pas être fou ». ( Les pensées 1658)

La Fontaine : « On voit courir après l’ombre tant de fous qu’on n’en sait la plupart du temps le nombre » .

Fénelon : « Pour moi, je suis content de rire des fous, tous les hommes ne le sont-ils pas » ?

 

 

LES MEDECINS DEFENSEURS DES SORCIERES

 

 

Sans renier leur foi en Dieu et leur croyance au diable, quelques médecins n’approuvent pas les exécutions. Influencés par le courant humaniste littéraire, ils pensent que la science doit s’opposer à ces pratiques dignes d’une époque révolue.

Paracelse, alchimiste, astronome et médecin, célèbre pour les soins qu’il prodigue à Erasme, s’insurge contre l’autorité des anciens en matière médicale.

Selon lui, les maladies mentales, comme toutes les autres pathologies, résultent non pas de l’influence des astres ou des démons, mais de perturbations de la substance intérieure du corps, que l’on peut guérir avec des médicaments.

Il invente l’éther et fabrique beaucoup de remèdes dont il refuse de dévoiler le secret.

Il reconnaît à l’aimant des propriétés thérapeutiques et déclare obtenir des guérisons par le magnétisme.

Il constate aussi que la relation médecin malade joue un rôle important dans l’évolution des maladies.

 

Weyer, un autre médecin, s’occupe du Duc de Clèves qui souffre d’une dépression chronique.

En s’intéressant à de nombreux cas de sorcellerie et de possession, il tente de démontrer la fausseté des accusations. Il prouve que les sorcières sont bien souvent des malades mentales qui nécessitent des soins donnés par un médecin au lieu d’être interrogées et persécutées par des ecclésiastiques.

Il publie en 1563 un ouvrage intitulé « De l’imposture des démons » qui réfute point par point le Malleus malleficarum.

Comme Hippocrate, il soutient que ce sont les médecins eux-mêmes qui, quand ils sont incapables de guérir certaines maladies, font appel au démon pour les expliquer.

 

Et pendant longtemps encore, devant l’échec thérapeutique, on se contentera d’affirmer que cela tient au fait que le malade est « nerveux » ou « dérangé ».

 

 

-Classification des maladies mentales :

 

Dans le domaine clinique proprement dit, c’est encore la pensée galénique qui conserve tout son prestige

Jean Fernel, médecin de Henri II, classe ainsi les maladies mentales :

 

- Maladies avec fièvre :

 

Frénésie : par atteinte directe du cerveau.

Parafrénésie : par atteinte du nerf sympathique.

 

- Maladies sans fièvre :

 

Mélancolie : soit triste (états dépressifs)

soit avec lycanthropie

soit avec excitation (manie, délires de persécution )

 

- Affaiblissement mental :

Perte de l’intelligence due à une commotion, à une intempériefroide ou de naissance .

Etats stuporeux dus à une abondance de pituite.

Catalepsie.

L’hystérie et l’épilepsie sont classées à part.

 

Au cours de la Renaissance, même si l’Inquisition brûle énormément de sorcières, d’hérétiques et d’insensés, les progrès des sciences, la raison des philosophes démontrent que Satan n’y est pour rien dans les esprits dérangés et la folie.

 

La maladie mentale tente donc de s’arracher de ses anciennes parentés avec la sorcellerie et la démonologie pour être reconnue comme une pathologie naturelle dont on essaye de déterminer les causes et les effets.

Quelques hospices s’orientent déjà vers une indispensable prise en charge de la folie :

Bethleem en Angleterre, qui devient Bedlam en 1547, est un établissement réservé aux insensés.

L’ordre de St Jean de Dieu donne naissance aux hospices de la Charité, à Charenton, Senlis, Lyon, Lille, Dinan, etc...

L’ordre de la première Croix Rouge ouvre aussi des institutions.

Mais la bataille contre la superstition est encore loin d’être gagnée.

 

Citations :   Inquisition




"Vous [les catholiques de France] avez été, pendant plusieurs siècles, la partie la plus visible du christianisme ; ainsi, c'est par vous qu'on a pu juger de tout. Or quel jugement peut-on faire du christianisme, si on se règle sur votre conduite ? Ne doit-on pas croire, que c'est une religion qui aime le sang, et le carnage ; qui veut violenter le corps et l'âme ; qui, pour établir sa tyrannie sur les consciences, et faire des fourbes et des hypocrites, en cas qu'elle n'ait pas l'adresse de persuader ce qu'elle veut, met tout en usage, mensonges, faux serments, dragons, juges iniques, chicaneurs et solliciteurs de méchants procès, faux témoins, bourreaux, inquisitions ; et tout cela, ou en faisant semblant de croire qu'il est permis et légitime, parce qu'il est utile à la propagation de la foi, ou en le croyant effectivement ; qui sont deux dispositions honteuses au nom chrétien ?"
(Pierre Bayle / 1647-1706 / La France toute catholique sous le règne de Louis-Le-Grand, 1685)

"Il me semble que les religions manifestent déjà une forme de totalitarisme lorsque, au-delà d'un individu, elles veulent débusquer le démon qui agit en lui, et ce, au nom d'une doctrine qui s'intéresse au "tout" et non pas aux éléments qui le composent. Les Inquisiteurs n'étaient-ils pas totalitaires lorsqu'ils torturaient un pauvre diable dans l'idée de lutter contre ce Tout partout présent et agissant qu'est le Diable ?"
(Albert Jacquard / né en 1925 / Petite philosophie à l'usage des non-philosophes / 1997)

"Toute révolution prétend travailler pour le bien universel et veut propager sa doctrine dans le monde entier. En 1792, toute l'Europe était contre la Révolution française. Aujourd'hui, toute l'Europe est contre la Révolution russe. Il n'y a pas à s'échauffer. Il faut seulement se méfier des gens qui veulent le bonheur de l'humanité, d'où qu'ils soient. Les juges de l'Inquisition eux aussi, voulaient faire le bonheur de leurs victimes."
(Paul Léautaud / 1872-1956 / Journal littéraire, 4 novembre 1932)

"Des millions de morts, des millions de morts sur tous les continents, pendant des siècles, au nom de Dieu, la bible dans une main , le glaive dans l'autre : l'Inquisition, la torture, la question; les croisades, les massacres, les pillages, les viols, les pendaisons, les exterminations, les bûchers; la traite des noirs, l'humiliation, l'exploitation, le servage, le commerce des hommes, des femmes et des enfants; les génocides , les ethnocides des conquistadores très chrétiens, certes, mais aussi, récemment, du clergé rwandais aux côtés des exterminateurs hutus; le compagnonnage de route avec tous les fascismes du XXième siècle, Mussolini, Pétain, Hitler, Pinochet, Salazar, les colonels de la Grèce, les dictateurs d'Amérique du Sud; etc... Des millions de morts pour l'amour du prochain."
(Michel Onfray / né en 1959 / Traité d'athéologie / 2005)

"Toutes les fois qu'on vous [l'Eglise] retire le droit de persécuter, vous criez à la persécution. On abolit l'Inquisition, on vous persécute ; on affranchit la conscience, on vous persécute ; on décrète le mariage civil, on vous persécute."
(Eugène Pelletan, journaliste littéraire et homme politique français / 1813 - 1883 / Dieu est-il mort ?)

"Les fruits du christianisme ? Guerres de religion, boucheries, croisades, inquisition, extermination des indigènes d'Amérique et introduction des esclaves africains pour les remplacer."
(Arthur Schopenhauer / 1788-1860)

"L'Eglise catholique, représentante dégénérée du christianisme primitif, s'est développée surtout par le mensonge, la crainte, la violence et la fortune.
- Par le mensonge en promettant aux naïfs une éternité de bonheur dans un lieu imaginaire;
- Par la crainte en menaçant tous ceux qui refusaient de lui obéir de tortures infinies dans un monde problématique;
- Par la violence avec les croisades, les guerres de religion, l'Inquisition, la saint Barthélemy, les Dragonnades, la Terreur blanche et les guerres qu'elle a fomentées entre les peuples, comme celles de 1871 et de 1914.
- Par la fortune, en accaparant par les moyens les plus odieux la richesse publique et privée."

(Charles Vaudet / Le Procès du Christianisme / 1933)

Il faudrait étudier l'histoire de l'Inquisition dans chacun des pays où elle s'est implantée France, Italie, Slavie du Sud, Allemagne, Bohème, Espagne. On se bornera ici à des renseignements très sommaires.

Languedoc 
Dans cette province travaillée par l'hérésie (Les Albigeois), les deux premiers inquisiteurs commissionnés par le pape furent deux dominicains, à Toulouse, en 1233. De concert avec les dignitaires de leur Ordre et les évêques, ils commencèrent aussitôt la lutte avec une violence extrême. Le comte Raymond obtint, il est vrai, deGrégoire IX qu'il suspendit leur activité, qui causait partout des troubles effroyables (13 mai 1238), et la suspension dura jusqu'en 1241. Mais, à cette date, elle recommença, à cause, dit-on, de l'insolente croissante des hérétiques, et, sans doute, de la rébellion de Trencavel, vicomte de Béziers. Au printemps de 1242, les inquisiteurs de Languedoc, en tournée à Avignonet, furent assassinés par les hérétiques deMontségur : ils ont été béatifiés, comme martyrs, six cents ans après, par Pie IX. Cet incident coïncida avec une dernière révolte du comte Raymond contre l'autorité royale. L'horreur qu'il inspira et la défaite définitive de Raymond eurent pour effet un redoublement de la persécution inquisitoriale. C'est alors qu'entra en fonctions le célèbre frère Bernard de Caux, surnommé « le marteau des hérétiques » . Pendant les dix années qui suivirent, l'organisation se perfectionna : les dominicains eurent des tribunaux réguliers d'inquisition à Toulouse, NarbonneCarcassonne; les franciscains, à Marseille. Vers la fin du siècle, les hérétiques avaient presque complètement disparu, soit qu'ils eussent fui en Lombardie, soit qu'ils eussent été domptés ou exterminés. 

Mais les catholiques eux-mêmes, en proie à une intolérable police, commençaient à murmurer. Ils s'adressèrent d'abord au roi. Philippe le Bel écrivit au sénéchal de Carcassonne de veiller à ce qu'aucun abus ne se produisit au préjudice des sujets, par le fait des inquisiteurs. Cependant l'inquisiteur de Carcassonne, Nicolas d'Abbeville, et Foulques de Saint-Georges, prieur des dominicains d'Albi, avaient suscité contre eux des haines très vives. Lorsque éclata le différend entre Philippe IV et le Saint-Siège, le moment parut favorable aux Méridionaux pour mener contre ces « tyrans » une campagne énergique. Leur leader fut, en cette occasion, un lecteur du couvent des franciscains de Carcassonne, Bernard Délicieux, dont nous n'avons pas à raconter ici la carrière romanesque. Qu'il suffise de rappeler que Bernard réussit à persuader de la justice de la cause dont il était le tribun les commissaires envoyés par le roi, mais qu'il échoua finalement. Aussi bien Clément V, auquel les excès des inquisiteurs dominicains furent aussi dénoncés dès son avènement, prit à son tour en main la réforme de l'institution : en avril 1306, une commission de cardinaux fit enquête, à Carcassonne, sur les griefs des populations; mais cette enquête n'aboutit qu'à la réforme dite clémentine, adoptée par le concile de Vienne réforme anodine, comme on l'a vu plus haut, et qui resta lettre morte, Jean XXII, successeur de Clément V, fut, au contraire, quoiqu'il ait publié les Clémentines, un protecteur zélé des inquisiteurs : il sacrifia Bernard Délicieux; l'Inquisition reprit triomphalement le cours de ses travaux ;Bernard Gui, inquisiteur de Toulouse depuis 1306, dit qu'en quatorze ans, de 1301 à 1315, on découvrit plus de mille cas. C'est lui qui procura la capture et l'exécution du dernier ministre cathare, Pierre Autier, et de ses derniers fidèles : il n'y eut plus de patarins, après 1315, dans le midi de la France. Le rôle de l'Inquisition lanquedocienne était terminé, ou à peu près : elle avait très réellement extirpé l'hérésie et contribué, pour une large part, par les confiscations immenses que ses condamnations entraînèrent, à déposséder de ses terres l'ancienne aristocratie autochtone, au profit de la couronne capétienne.

France du Nord. 
C'est aussi en 1233 qu'apparaît dans la France du Nord le premier inquisiteur pontifical, le dominicain Robert le Bougre, un fanatique de la pire espèce. Avec la protection de Louis IX, Robert le Bougre parcourut pendant plusieurs années la Flandre, la Champagne et la Bourgogne, multipliant les holocaustes; à la fin, Grégoire IXfut obligé de lui retirer sa commission, car sa folie meurtrière était devenue manifeste, et il disparut. Il eut des successeurs dont ni les noms ni l'activité ne sont connus, mais dont on sait que les dépenses étaient défrayées par le roi. En 1253, Innocent IVnomma le provincial des dominicains à Paris comme chef des inquisiteurs de France; ceux-ci, en 1273, étaient au nombre de six (y compris ceux du Languedoc); en 1290, Nicolas IV rattacha la Lorraine, la Suisse française et la Franche-Comté à l'Inquisition de France. Le plus ancien autodafé, célébré à Paris, qui soit connu, est celui d'une certaine Marguerite Porete, qui professait des doctrines quiétistes (31 mai 1310). 

Comme tous les documents inquisitoriaux du XIVe siècle sont perdus, on ne sait rien de ce que les inquisiteurs de France firent à cette époque; l'oubli a recouvert totalement la mémoire des bourreaux et des victimes. Nul doute, cependant, qu'il y ait eu des victimes. En 1372, une sainte femme de la secte des « turlupins » fut brûlée au marché aux pourceaux de la porte Saint-Honoré; cinq autres turlupins furent bridés à Douai en mai 1421; le cas de Hugues Aubriot et l'histoire.des Vaudois fourniraient aussi, s'il en était besoin, la preuve que l'Inquisition ne chôma pas. Il n'en est pas moins certain que l'institution était en complète décadence au commencement du XVe siècle. Déjà, sous Philippe de Valois, la juridiction inquisitoriale était considérée comme une juridiction « royale » et soumise, à ce titre, à la surveillance du Parlement. Le Parlement, l'Université de Paris se substituèrent peu à peu à l'Inquisition et la suppléèrent. Elle se survécut néanmoins, quoique déconsidérée: il y eut en France des inquisiteurs en titre d'office jusqu'à la fin du Moyen âge.

Italie 
Pour beaucoup de raisons, l'hérésie n'était nulle part plus répandue qu'en Italie au commencement du XIIIe siècle. Les rudes travaux, couronnés de succès, desdominicains de Florence contre les hérétiques de cette ville persuadèrent Grégoire IX, nous l'avons vu, d'utiliser désormais, pour les opérations de ce genre, les milices desordres mendiants. Dès 1232, fra Alberico exerça les fonctions d'inquisiteur en Lombardie; en 1233, fra Rolando de Crémone (le célèbre professeur de Paris et deToulouse) à Plaisance, Pierre de Vérone (saint Pierre Martyr) à Florence, à Crémone, à Milan, etc. Pierre Martyr fut assassiné le 7 avril 1252 : cet événement (comme celui d'Avignonet) fut très bien exploité par Rome, pour sanctifier aux yeux du peuple la cause de tous les inquisiteurs en général : il n'y a pas de personnage qui ait été canonisé plus vite ni dont le culte ait été plus chaudement recommandé par le Saint-Siège que celui de Pierre de Vérone, qui fut bientôt égalé à saint Dominique lui-même et qui devint dans toute l'Italie le patron des associations piétistes de Crocesignati, espions, familiers et gardes du corps de l'Inquisition romaine. D'ailleurs, l'Inquisition se transforma promptement, en Italie, en un instrument de règne pour le Saint-Siège, en une arme au service du parti guelfe, les princes gibelins étant les protecteurs d'hérétiques avérés. Une confusion s'établit ainsi entre la foi et la politique. Les destinées de l'Inquisition furent, dès lors, liées à celles du parti guelfe et oscillèrent en même temps. La conquête de royaume de Naples par Charles d'Anjou, champion du pape, et l'écrasement des gibelins, qui en fut la conséquence, la fit fleurir dans presque toute la péninsule, en particulier à Naples et en Sicile, où elle était auparavant inconnue. A Venise seulement, l'Inquisition pontificale n'eut jamais les coudées franches, et resta soumise à la surveillance des autorités laïques. Ajoutons que, comme en France, l'histoire de l'Inquisition en Italie, à partir du XIVe siècle, est celle d'une décadence (sauf en Savoie et dans la Haute-Italie, à cause des Vaudois), qui s'accentua continuellement jusqu'à ce que la Réforme obligeât l'Église à restaurer, là comme ailleurs, sa machine à persécutions.

 

Slavie du Sud.  
La redoutable hérésie des Cathares avait eu son berceau chez les Slaves de l'Adriatique, et l'attention du Saint-Siège avait été attirée de bonne heure du côté de ce foyer brûlant d'hétérodoxie, qui s'étendait de la Bulgarie et de la Bosnie à Spalato. Les Cumans et les Bosniaques martyrisèrent de nombreux dominicains au temps de Grégoire IX. En 1298, Boniface VIII fit de la Slavonie (du Danube à la Macédoine), une province franciscaine de l'Inquisition. L'invasion des Turcs mit fin, au XVe siècle, à l'activité inquisitoriale de ce côté.

Allemagne 
Au commencement du XIIIe siècle, les nombreux hérétiques d'Allemagne avaient trouvé un adversaire impitoyable en la personne d'un prêtre séculier, à moitié fou, Conrad de Marburg, le directeur de sainte Elisabeth de Thuringe. C'est à lui que Grégoire lX s'adressa dès 1227 : il fut armé par le pape de pouvoirs quasi-illimités comme inquisiteur et réformateur général des églises d'Allemagne. Des dominicains (Conrad Tors, etc.) lui furent adjoints en 1231-1232. La persécution, d'une brutalité incroyable, fit rage, jusqu'à ce que, comme elle atteignait des personnages considérables, Conrad de Marhurg fût tué (31 juillet 1233), les archevêques et les évêques de l'Empire protestassent et une réaction se déclarât contre les persécuteurs en général. L'horreur excitée par Conrad et ses acolytes aida beaucoup l'épiscopat allemand à maintenir ses droits et à repousser l'Inquisition pontificale. Après 1233, on n'entendit plus parler d'inquisiteurs en Allemagne pendant long temps; une tentative d'Innocent IV pour en installer dans la Franche-Comté (qui dépendait de l'Empire) échoua; les seules régions de l'Empire où il y ait eu des « inquisiteurs » proprement dits, au commencement du XVe siècle, sont celles où prédominait l'influence du royaume voisin de France; partout ailleurs, l'inquisition diocésaine suffit. Mais, Innocent VI (1352) et Urbain V (1357) reprirent avec énergie la pensée de Grégoire IX. En 1367, Urbain V nomma deux inquisiteurs dominicains en Allemagne pour détruire les beghards, les flagellants, les frères et les soeurs du Libre Esprit, etc. : l'un d'eux, frère Walter Kerlinger, était chapelain de l'empereur Charles IV. Charles, en excellents termes avec Rome, prit de tout son pouvoir des mesures pour acclimater dans l'Empire l'institution inquisitoriale, sous sa forme italienne. Elle prospéra, en effet, jusqu'à la mort de Charles IV et le commencement du grand schisme; mais, privée par ces deux événements de ses puissants protecteurs, elle ne put se maintenir contre l'hostilité des évêques et la réprobation des peuples : elle ne disparut pas, mais resta, comme ailleurs à la même époque, sans importance ni efficacité. Elle se montra tout à fait impuissante à lutter contre les précurseurs de Luther.

Bohème 
Le roi de Bohème, Ottokar II, pria le pape Alexandre IV, en 1257, de l'aider à supprimer l'hérésie dans ses Etats; deux inquisiteurs franciscains lui furent envoyés. Mais c'est en 1318 seulement que l'on voit des inquisiteurs pontificaux, commissionnés par Jean XXII, agir énergiquement en Bohème et en Pologne. Puis le silence se fait de nouveau. Les précurseurs de Jean Huss à l'Université de Prague ne furent pas molestés. Huss  lui-même fut livré, comme on sait, par le concile de Constance à la justice inquisitoriale. Le procès de Jean Huss est un des plus célèbres exemples des procédés de cette justice, non pas, comme on le crut en Allemagne, où elle était peu connue, dans ce qu'elle avait de plus rigoureux, mais sous une forme atténuée et relativement bénigne.

Espagne. 
Avant les Rois catholiques, l'Inquisition des Grégoire IX, des Innocent IV, des Alexandre lV et des Urbain IV resta complètement inconnue dans le royaume de Castille et de Léon. Dans cet Etat, très indépendant de Rome, la répression de l'hérésie fut, au Moyen âge, affaire d'Etat et procurée directement par la couronne, sur l'avis de l'Eglise séculière. La situation était différente dans le royaume d'Aragon, dont la population était assez analogue à celle du Languedoc, a reçu de Grégoire IX l'Inquisition dominicaine  en 1237-1238. Les inquisiteurs éprouvèrent d'abord, dans ce pays, de grandes difficultés : l'un d'eux, fray Pons de Espira, fut tué. En 1262, Urbain IV rédigea des instructions détaillées pour l'Inquisition d'Espagne, mais l'institution continua de végéter jusqu'à la fin du XIIIe siècle. En 1327, les Cortès, avec l'assentiment du roi Jaime II, prohibèrent l'usage de la procédure inquisitoriale (notamment de la torture) comme contraire aux fueros; mais cette prohibition ne fut pas respectée. L'homme le plus connu de l'Inquisition aragonaise, pendant la seconde moitié du XIVsiècle, est sans contredit Nicolas Eymerich, l'auteur du Directorium Inquisitorium, base de toutes les compilations postérieures du même genre; mais il vivait dans un royaume où le Saint-Office n'avait jamais été fort prospère et dans un temps où, n'ayant affaire qu'à des hérétiques très pauvres, fraticelles et vaudois, il mourait, pour ainsi dire, d'inanition.

La renaissance, qui fut éclatante, se fit attendre encore un siècle après Eymerich : elle s'opéra par les soins de Ferdinand le Catholique, roi de Castille (1474) et d'Aragon(1479). L'introduction de l'Inquisition en Espagne à partir de la fin du XVe siècle s'explique par l'inefficacité des vieilles inquisitions épiscopales de Castille, qui devint manifeste lorsque, au temps de Ferdinand le Catholique, les conquêtes sous lesMaures et les conversions forcées de musulmans et de juifs, eurent multiplié dans les Etats de la couronne d'Espagne les « nouveaux chrétiens » de foi douteuse et de doctrines suspectes. Sixte IV sanctionna, le 1er novembre 1478, l'organisation de la nouvelle Inquisition d'Espagne, avec des traits caractéristiques, qui, depuis, n'ont pas été altérés. C'est une institution royale le roi est autorisé à en choisir les fonctionnaires et il pourvoit à son entretien; c'est au profit de son trésor que les biens des condamnés sont confisqués. A la direction de la machine, un chef à vie (inquisiteur général), président d'un tribunal supérieur, où siègent quelques laïques et qui soumet les évêques eux-mêmes à sa juridiction de fer; des tribunaux inférieurs dans toutes les grandes villes (notamment à Séville et à Valladolid); la procédure de toutes ces cours fut déterminé par la célèbre instruction du 29 septembre 1484. Le premier inquisiteur général, désigné par la couronne de Castille, fut Thomas de Torquemada, prieur des dominicains de Ségovie; en cinq ans, il présida à la condamnation à diverses peines de 100 000 personnes, et dont plusieurs milliers (jusqu'à 10 000?) périrent par le feu. La maison de Castille essaya d'acclimater des établissements analogues dans tous les pays que la guerre ou des alliances lui valurent successivement en Aragon (1482), dans les Baléares (1490), en Sardaigne (1492); en Sicile (1508). Philippe II a porté aussi l'Inquisition à l'espagnole en Lombardie, à Naples, dans les Pays-Bas, pour combattre à la fois l'hérésie et les rebellions politiques, les doctrines évangéliques et les franchises municipales, bref l'esprit de liberté et la liberté de l'esprit sous toutes les formes. Mais, partout, à Milan et à Naples comme en Brabant et en Hollande, des insurrections éclatèrent contre l'abominable tyrannie. La politique inquisitoriale du duc d'Albe coûta les Pays-Bas à l'Espagne. 

En Espagne même, l'institution ne s'était pas implantée sans efforts : les Cortès d'Aragon avaient longtemps protesté; mais enfin le silence s'était fait : le « succès avait dépassé les espérances » ; à la fin du XVIIe siècle, l'Inquisition nationale était encore considérée comme le palladium de la monarchie, quoiqu'on ne l'employât plus guère (car il n'y avait plus d'hérétiques) que contre les bigames, les blasphémateurs, voire les contrebandiers. La première atteinte aux privilèges exorbitants de l'Inquisition espagnole date de 1770, époque où le ministre Aranda prit quelques mesures pour garantir contre son arbitraire les officiers de la couronne et les nobles. La suppression totale de l'Inquisition en Espagne, décrétée par l'usurpateur Joseph Bonaparte en 1808, fut confirmée par les Cortès de Cadix en décembre 1813; Ferdinand VII la rétablit (21 ,juillet 1814); mais en l'énervant, car il eut la faiblesse de faire aux idées du siècle la concession d'abandonner l'usage traditionnel de la torture proprement dite : toutes les personnes désagréables au parti ultra-réactionnaire firent connaissance, pendant les premières années de la restauration bourbonnienne, avec les cachots du Saint-Office. Les prisons du Saint-Office de Madrid furent, il est vrai, saccagées en 1820 par les libéraux exaspérés; mais l'armée française ayant rendu le pouvoir à Ferdinand, I' « institution nationale » fut sauvée encore une fois (sous réserve de quelques modifications). C'est en 1834 seulement que l'Inquisition d'Espagne fut abolie; ses biens furent attribués au trésor public deux ans après. Il y eut des retours offensifs et des tentatives de résurrection jusqu'en 1868.

Le Portugal. 
Au PortugalAlphonse II avait refusé nettement d'admettre l'inquisition pontificale, lorsque l'Ordre dominicain s'était introduit dans ses Etats : la prohibition dura cent cinquante ans. Le premier inquisiteur au Portugal fut un franciscain, appointé, en 1376, par l'évêque de Lisbonne. Mais l'Inquisition portugaise resta sans importance jusqu'en 1531, date où Jean III la réorganisa sur le modèle de la nouvelle Inquisition d'Espagne. Le pays était devenu un refuge pour les juifs après l'expulsion générale de 1492 en Andalousie. Il réagit alors en imitant l'institution de Ferdinand le Catholique. Jean III, comme Ferdinand, fit du Saint-Office une administration de l'Etat et se réserva d'en nommer le chef, le grand inquisiteur en résidence à Lisbonne. Lorsque le Portugal fut annexé aux domaines de la maison de Castille (de 1581 à 1640), le pur régime castillan y fonctionna naturellement. La fin du XVIIe et le XVIIIsiècle furent marqués par des luttes acharnées entre le Saint-Office devenu trop puissant, - au point de gêner l'autorité monarchique elle-même, et de se soustraire fréquemment à la surveillance du Saint-Siège, - et tout ce qui n'était pas dominicain ou jésuite. Le marquis de Pombal remporta en 1767 une victoire décisive sur le Saint-Office portugais (Le Portugal au XVIIIe siècle) ; mais cette victoire ne fut complétée, par la destruction définitive de l'établissement tout entier, que sous Jean VI, en 1820. C'est en vain que les partisans de don Miguel, comme ceux de don Carlos, firent de sa restauration un article de leur programme.

L'Amérique latine. 
Par les atrocités commises en Espagne et en Portugal au nom de l'Inquisition, il est facile de deviner ce qui se passa dans les colonies espagnoles et portugaises en Amérique, au Mexique, au Pérou, en Colombie, au Brésil. Dans tous les  pays de l'Amérique du Sud, l'abolition de l'Inquisition a coïncidé avec le succès des guerres de l'Indépendance.  

 

Jadis La machinerie de la torture disposait déjà d'une variété de méthodes étonnantes qui confirme la thèse que rien ne rend aussi inventif que l'envie de cruauté.

 

La torture par l'eau

 

Le corps de l'accusé était lié sur une planche inclinée ou pendu en l'air à des cordes fortement serrées et le corps soutenu par un tabouret. La victime devait alors avaler une énorme quantité de liquide: 6 litres pour la petite torture et 12 litres pour la grande. Celui qui serrait les dents se faisait déchiqueté la bouche par le bourreau à l’aide d’une pince en fer. Celui-ci continuait alors, à l’aide d’une carafe, à faire ingurgiter l’eau dans la bouche du torturé. Beaucoup de ces victimes étouffaient ou éclataient littéralement, du fait que leurs anus et l’urètre furent consciemment bouchés ou noués.  

 

Mutilation physique

 

Une autre torture consistait à visser et à griller la langue, ou encore à écraser les mains sur une enclume ou à sectionner les mains et les pieds à l’aide d’une hache. «Les sorcières» ou les femmes jugées immorales eurent le nez et les oreilles coupés; les juifs accusés de vol, étaient pendus par les pieds entre deux chiens ou deux loups affamés. Une cruauté bien particulière consistait à étriper la victime. Leur ventre était ouvert au couteau, une partie de l'intestin était extirpée puis attachée et enroulée à une poulie.

 

«La vierge de fer» *

 

La vierge de fer représente «un chef-d’œuvre» de la ferronnerie qui devait servir à préserver la pureté de la foi: il s’agissait d’une cape allant jusqu'à terre, cependant non faite d’étoffe mais de fer. La partie supérieure de la cape représentait une tête au visage de femme. En réalité la cape était un caisson de fer équipé de portes. A l'intérieur des portes ainsi que sur le dos du caisson étaient fixés des pointes de fer. La victime, prisonnière de l'inquisition, était placée à l'intérieur du caisson. Puis les portes se refermaient lentement, de sorte que «les pointes de fer perforaient ses bras, de même que certains endroits de ses jambes, de son ventre, de sa poitrine, sa vessie, les parties de son corps se trouvant à la racine de son membre viril, ses yeux, ses épaules et son postérieur, sans toutefois la tuer», tout au moins pas immédiatement. La mort ne survenait généralement qu’après quelques jours d’atroces douleurs et de cris effroyables.

 

«Le berceau de judas»

 

«Le berceau de judas» est une méthode qui n’a pas son pareil. La victime de l’inquisition était tirée vers le haut à l'aide d'un treuil et placée sur la pointe d’une pyramide en bois. Son poids entier ne reposait plus que sur le vagin ou l'anus, le scrotum ou le coccyx. Le supplice était encore amplifié du fait que le bourreau tirait la victime vers le haut, la relâchait, la balançait ou la laissait sans cesse retomber sur la pointe.

 

«La fourche d'hérétique»

 

«La fourche de l’hérétique» avait également un sens «religieux» puisqu’elle représentait un moyen visant à défendre la vraie foi. Quatre pointes de fer perforaient la victime sous le menton et perçaient le sternum, de sorte qu'elle ne pouvait plus bouger la tête et à peine parler distinctement. Mais pour l’inquisiteur, cela suffisait, car la victime n'avait qu'à balbutier le mot «abiuro» («j’abjure») gravé dans «la fourche de l’hérétique» qu'il lui suffisait de lire.

 

«Il faut entendre les cris de ces malheureux! Il faut lire ce qui fut écrit des cachots, les femmes à leurs maris, les pères et mères à leurs enfants, les protestations de leur innocence, les adieux pour toujours.»
(L'historien Karlheinz Deschner, Eglise du malheur, Munich 1979, p. 28 de la version allemande)

 

Scie et pieu

 

Egalement de simples outils, comme «la scie» et «le pieu», pouvaient tout à fait convenir au but des inquisiteurs. Les luthériens, par exemple, après leur victoire sur les agriculteurs insurgés, ont mis à nouveau la scie à l’honneur contre quelques meneurs. Ceux-ci étaient suspendus la tête en bas et la scie, placée entre les jambes, pouvait alors commencer «son travail», en «avançant progressivement» du nombril à la poitrine. Presque encore plus cruel – si cela est encore possible: l’empalement de la victime. Celle-ci était empalée, martelée – enfoncée sur un pieu de bois ou de fer au niveau de l'anus préalablement huilé, jusqu'à ce que le pieu pénètre enfin et ressorte par l'estomac, la poitrine ou l'épaule …

 

D'autres outils de torture

 

La simple énumération des outils de torture – l’étau à genoux ou l’étau destiné aux pouces, le serre-bouche en fer, les outils pour marquer au fer rouge, les colliers de chaines, «le chapelet» à accrocher autour du cou (d’une longueur d’un mètre, d’un poids d’environ huit kilos), les anneaux de fer verrouillés au cou de l'hérétique, les cages en fer, les étaux destinés à la tête et les vis à crâne, les fouets de chaines, les collerettes épinées, la ceinture de force, le «clitoris espagnol», pourvu de pointes tranchantes, les tenailles et cisailles, la roue de torture et ainsi de suite – tout cela témoigne de la passion inventive et perverse des inquisiteurs et de leurs complices, et démontre la monstrueuse «passion pour la cruauté», caractérisant le christianisme d’Eglise qui ne sera égalé par aucune autre religion.

 

Invention de nouveaux supplices

 

On emmurait les victimes ou alors, en signe de grâce de la part des tyrans (!), on les laissait lentement mourir de faim – on les noyait lentement dans des tonneaux remplis d'urine ou de purin, on leur coupait ou sciait la langue, on les grillait, on rôtissait les hérétiques sur des fers chauffés à blanc ou encore on les étouffait en brûlant de la paille humidifiée. Après l'invention de la poudre explosive, on laissait celle-ci exploser à proximité de la pauvre victime, afin de lui déchiqueter la poitrine. L'esprit de cruauté trouvait toujours de nouveaux moyens pour augmenter les supplices des victimes de l’inquisition.

 

Les congrégations pour la doctrine de la foi

 

Le pape Paul III (1468-1549, pape à partir de 1534) organisa également en 1542 l'inquisition en tant que cardinal chargé de la commission qui, comme instance centrale pour tous les pays, devait veiller sur la pureté de la foi. Le pape Sixtus V (1521-1590, pape à partir de 1585) a fixé en 1588 son statut définitif de Congregatio Romanae et universalis Inquisitionis (Congrégation de l'inquisition romaine et universelle). Beaucoup plus tard, à savoir en 1908, cette autorité d'inquisition centrale reçut le nom d’ Offizium saint. Aujourd'hui, elle se nomme d’une façon inoffensive et anodine Congrégation pour la doctrine de la foi. Mais l'esprit inquisitorial est resté le même

 

 

Pape Paul III (1468-1549), connu pour avoir convoqué le concile de Trente (1545-1563), appelé Tridentinum, qui conduira à l’inquisition, va jusqu’à dire un jour:

«Si mon père était un hérétique, j’apporterais moi-même le bois pour le brûler.»

 (extrait d’une émission de radio du 21/07/2002 sur «Deutschland-Radio Berlin»

 

Cardinal Joseph Ratzinger, l’ancien pape Benoît XVI 

«La mission nécessaire» de l'inquisition

‘[Dieu …] «donne à chacun de la compréhension pour les hommes d'eglise qui, dans leur mission nécessaire pour la sauvegarde de la vérité, au nom de la foi et la morale, ont recouru eux aussi de temps à autre à des méthodes ne correspondant pas à l'évangile.» 

C'est un passage de ce qui a été lu publiquement le 12/03/2000 à Rome par le pape Jean-Paul II, en alternance avec d’autres représentants de haut rang du Vatican, un «Mea Culpa» pour les crimes de l'Eglise 
(réf.: http://www.theology.de/religionen/oekumene/evangelischerkatholischerdialog/meaculpa.php). 
Le texte avait été rédigé par Joseph Ratzinger, alors cardinal, et c'est d'ailleurs lui qui avait lu l'extrait cité ci-dessus 
(réf.:http://www.br-online.de/wissen-bildung/collegeradio/medien/geschichte/ inquisition/manuskript/)
Le pape et les cardinaux, avec leurs paroles doucereuses et bien tournées, n'ont, malgré tout, pas demandé pardon à leurs victimes – ce qui aurait été évident et nécessaire pour un véritable repentir. Au lieu de cela on s'adressa à Dieu dans un discours neutre, sans implication.

«L’expression «Grand inquisiteur» représente une classification historique. Quelque part nous sommes dans cette continuité. Nous essayons cependant de faire aujourd’hui à partir de notre conscience de la justice ce qui a été fait dans le passé avec des méthodes en partie critiquables. Il faut cependant dire que l’inquisition a été un progrès, car plus personne ne pouvait être jugé sans un inquisitio, c’est-à-dire sans qu’il y ait eu un examen, une enquête.» 
(Déclaration du cardinal Joseph Ratzinger, dans l’émission Contrastes du 03/03/2005 sur la chaîne de télévision allemande ARD, à propos de son titre inofficiel de «Grand Inquisiteur moderne». Quelques semaines plus tard il fut élu pape.)

PS: En complément, à voir (en allemand): la lettre bouleversante du maire de Bamberg Johannes Junius du 24/07/1628 à sa fille Veronika. Junius a été torturé et exécuté par les inquisiteurs de l'église dans la «Maison du maléfice» à Bamberg. Sa lettre à été mise en animation audiovisuelle, comme si Junius parlait à partir de l'au-delà en tant qu’âme: http://www.youtube.com/watch?v=qfRKfimBGpw 
Pour de plus amples informations sur l'inquisition à Bamberg, voir aussi (en allemand): http://www.theologe.de/erzbistum_bamberg.htm 

 

 


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L'inquisition et les femmes

 

«La poire vaginale», «les griffes à poitrine», «Les araignées espagnoles», 
la ceinture de chasteté, le masque de la honte

Dans l’église dont la structure est patriarcale et profondément masculine, les femmes devaient inévitablement être punies, souvent de manière bien pire encore que les hérétiques de sexe masculin. A l’encontre de celles-ci l'agressivité et la perversion sexuelle des inquisiteurs se déchaînèrent véritablement. Il y avait des instruments de torture spécifiques, conçus tout spécialement pour les femmes, par exemple «la poire vaginale» qui, par l’action rotative d’une vis, élargissait et déchirait l’utérus et les viscères. Il y avait des «griffes à poitrine» qui déchiquetaient les seins; «d'autres griffes» qui, chauffées au rouge, causaient «seulement» une «morsure» à la poitrine des mères célibataires, dont les enfants se tenaient à leurs pieds, arrosés de leur sang. Il y avait ce qu'on appelait les «araignées espagnoles», c.-à-d. des griffes à cinq doigts en ciseaux qui soulevaient la victime par le postérieur, la poitrine, le ventre ou la tête, mais aussi par les yeux et les oreilles à l’aide de deux griffes. «La ceinture de chasteté» contrairement à la mystification qu’il en a été faite, était en réalité également un outil de torture. Naturellement, il y avait aussi «les masques de la honte» pour les femmes, ainsi que les «poires buccales» confectionnées spécialement contre leur prétendu verbiage. Il s'agissait en fait de bâillons en fer, dont l’extrémité aiguisée en pointe avait pour effet de leur trancher la gorge. Mais au besoin des pierres suffisaient aussi pour mener à bien cette œuvre de destruction. Les femmes ayant commis l’adultère, étaient lapidées ou jetées dans une fosse aux serpents …
Jamais il n’y eut une religion qui prêcha autant l'altruisme et l’amour pour le prochain et qui, en même temps, pratiqua autant «la haine du prochain» et la haine des femmes en particulier! C'est en cela que le christianisme catholique et protestant se distingue de toutes les autres religions, à savoir de manière négative. Il ne s'est jamais distingué de manière positive en ce qui concerne l'humanité et la protection des droits de l'homme. Au contraire, il a fallu lutter pour chacun des droits de l'homme à cause de la résistance acharnée de l'église, aussi bien catholique que protestante.

Le pape dans un «souci brulant» lance la chasse aux sorcièreses

Le fait de reconnaître la femme en tant que personne humaine ayant les mêmes droits que l'homme fût de tout temps une chose impossible pour l’église. En fait, les femmes n’avaient nié que rarement les dogmes de la foi en comparaison aux hommes. Celles-ci auraient donc dû être bien moins persécutées que les hommes. Mais en les accusant de sorcellerie, on pouvait ainsi les accuser d'hérésie. La sorcellerie était une hérésie, telle était l’équation. Et ainsi, l'inquisition s'ouvrit elle-même un nouveau champs d'action justifiant son existence, se confirmant elle-même. Les envoyés du pape Grégoire IX (1167-1241, pape à partir de 1227), désignés inquisiteurs par ce dernier, ont annoncé au Pontifex Maximus une explosion du nombre de sorcières ainsi que de pactes terribles avec le diable faits par des femmes de toutes les couches de la société. Grégoire fut le premier pape qui, dans «un souci brûlant», ordonna la chasse aux sorcières. Celle-ci se perpétra jusqu’au 18ème siècle, faisant rage sous toutes ses formes et excès les plus variés.

Les victimes des persécutions

Le pape Innocent VIII (1432-1492, pape à partir de 1484) avait menacé de sentences terribles tous ceux qui s'opposeraient à son décret d’extermination des sorcières. C'est donc sous la menace de la plus haute sanction papale que commença l'extermination quasiment orgiaque des sorcières. Pendant la deuxième moitié du 17ème siècle, au cours duquel un million de personnes, bien souvent des femmes, furent victimes de ce processus d’extermination, l'évêque de Bamberg fit encore brûler 600 femmes, l'évêque de Salzburg 97, l'évêque Philippe Adolf von Ehrenberg de Würzburg fit brûler 219 sorcières et sorciers, dont 18 jeunes garçons en âge d'aller à l'école, une fille aveugle, une enfant de neuf ans et sa petite sœur. Dans la deuxième moitié du 16ème siècle, l'archevêque Jean de Trèves fit brûlé tant de sorcières que dans deux villages il ne resta plus que deux femmes. Un décan de Mayence fit brûler plus de 300 personnes dans deux villages, dans le seul but de s'accaparer leurs biens. L'esprit orgiaque de l’extermination «des sorcières» fut encore plus excité dans la mesure où les inquisiteurs, mais également les juges et les confesseurs qui, faisant fi sans vergogne du secret de confession, recevaient des primes pour chaque «sorcière exécutée». Un dicton de l’époque disait que le moyen le plus rapide et le plus facile de s'enrichir était de brûler des sorcières.
La brutalité et la cruauté sadique de cette guerre d’extermination menée par les papes avec leurs inquisiteurs contre «les sorcières» dépassent tout ce que l'on peut imaginer. On estime à environ trois millions les victimes, surtout des femmes, qui furent ainsi bestialement assassinées …

Les deux églises, catholique et évangélique, portent une dette énorme et indélébile envers les femmes, à cause de leur diabolisation, diffamation, persécution et exécution en masse. Pensons en cela aussi aux inventions perverses dont le seul et unique but était de punir «les mauvaises femmes» avec les méthodes les plus diverses …

Le supplice des femmes soupçonnées de «sorcellerie»

… Souvent, elles agonisaient pendant des années dans des cachots souterrains froids et humides, sombres et fourmillants de rats, de souris et autre vermines. Les plus jeunes femmes étaient en outre exposées aux viols par les ecclésiastiques et les gardiens de prison. On attachait de nombreuses «sorcières» sur des croix de bois ou on les fixait à un mur, on les laissait pendre en l'air à des chaînes par leurs membres déjà torturés, accrochées dans la tour à sorcière, où elles mourraient à petit feu de faim et de soif. Les supplices infligés aux sorcières par «la religion de l’amour» étaient inimaginables.

«Le marteau des sorcières» de l'église

Un livre ayant joué un rôle particulièrement effrayant dans la persécution des femmes est Le Marteau des sorcières (Malleus Maleficarum) qui a fait l'objet de 29 éditions entre 1486 et le 17ème siècle. Il a servi de manuel de référence pour déterminer les caractéristiques des «sorcières», comment les dépister et quels châtiments leur imposer, et est sans doute l’ouvrage qui a causé le plus de préjudices aux femmes de toute l'histoire. Le Marteau des sorcières traite de manière complète de tout ce qui concerne la persécution des sorcières, que ce soit au niveau théorique ou pratique. Cet ouvrage prouve de manière impressionnante que l'on peut faire de n’importe quelle idiotie une théologie des plus sérieuse, pour autant que l’on soit suffisamment pervers … Le sort des femmes sous l'inquisition, comme nous l'avons décrit ici de façon élémentaire, n'a d'égal que le sort réservé aux juifs par les inquisiteurs 


 

 

12 août 2013

la comtesse sanglante ou les origines du mythe de dracula.....

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La comtesse Sanglante

Il est impossible de s'intéresser au phénomène, réel ou imaginaire, du vampirisme sans se référer à un personnage qui défraya la chronique au XVIIE siècle en Hongrie et Transylvanie, et qui a provoqué, dans la mémoire des peuples, l'apparition d'une image surprenante, ambiguë, terrifiante, qui est loin de laisser indifférent : la comtesse Elizabeth Bathory est en effet une des incarnations les plus caractéristiques de ce que l'on a coutume de classer dans la catégorie des vampires humains, malgré les interférences inévitables qui se sont produites entre ce que l'on sait de sa vie et des zones d'ombre que l'on n'a pas osé dévoiler en plein jour. Ce fut une criminelle, assurément. Mais ce fut aussi une femme mystérieuse qui a emporté dans la tombe de lourds secrets qu'il est bien difficile de cerner en toute objectivité.

Elizabeth Bathory est née en 1560, d'une famille de sang royal, comptant dans ses proches parents le prince de Transylvanie, Sigismond Bathory, un oncle qui devint roi de Pologne, des gouverneurs de province, de hauts magistrats, des évêques et un cardinal. Cette famille remontait très loin dans le temps et comptait un certain nombre d'aventuriers hongrois descendant probablement des Huns et qui s'étaient imposés par le sang et la violence, comme il était de règle à ces époques troublées où la Hongrie allait passer d'un paganisme pur et dur à un catholicisme très inféodé à Rome. Du temps d'Elizabeth, rien n'était d'ailleurs vraiment net dans cette région bouleversée par l'apparition des Réformateurs luthériens et calvinistes et où le catholicisme romain se heurtait au Christianisme orthodoxe et aux innombrables communautés musulmanes disséminées par les Turcs. Sans parler des vestiges virulents d'un paganisme hérité du fonds asiatique :" L'ancienne terre des Daces était païenne encore, et sa civilisation avait deux siècles de retard 1 sur celle de l'Europe occidentale. Là, régnaient, gouvernées par une mystérieuse déesse Mielliki, les innombrables forces des grands bois, tandis qu'à l'Ouest, le vent habitait seul, la montagne de Nadas. Il y avait un dieu unique, Isten, et l'arbre d'Isten, l'herbe d'Isten, l'oiseau d'Isten... Dans les Carpates superstitieuses, il y avait surtout le diable, Ordôg, servi par des sorcières, elles-mêmes assistées de chiens et de chats noirs. Et tout venait encore des esprits de la nature et des fées des éléments ; de Delibab, la fée de midi aimée du vent et mère des mirages 2, des Tünders 3, sœurs de toutes merveilles et de la Vierge de la cascade peignant ses cheveux d'eau 4. Dans les cercles d'arbres sacrés, de chênes et de noyers féconds, se célébraient encore secrètement les anciens cultes du soleil et de la lune, de l'aurore, et du cheval noir de la nuit 5. C'est dans cette atmosphère très particulière, encombrée de sortilèges et de traditions ancestrales venus d'ailleurs, que se déroula l'enfance d'Elizabeth Bathory, et cela explique certainement beaucoup de choses concernant le comportement et le mode de pensée de cette comtesse qu'il faut bien se résoudre à qualifier de ", sanglante ".Il faut aussi prendre en compte la lourde hérédité d'Elizabeth : sa lignée ne comportait pas que des petits saints, bien au contraire. Un certain nombre de ses ancêtres avaient été des brutes sanguinaires, et dans sa parenté immédiate se trouvaient quelques homosexuels mâles notoires. Un de ses frères était un dépravé pour lequel tout était bon, la plus tendre fillette comme la plus ratatinée des femmes âgées. Une de ses tantes grande dame de la cour de Hongrie défrayait la chronique scandaleuse : lesbienne impénitente, on disait, tribade " à l'époque, elle était tenue pour responsable de la dépravation de douzaines de petites filles. Et puis, la propre nourrice d'Elizabeth, joIlona, qui deviendra son âme damnée, personnage trouble et inquiétant, pratiquant la magie noire et les sortilèges les plus pervers, eut une influence déterminante sur l'évolution de son esprit.

Elizabeth Bathory

Les descriptions qu'on possède d'Elizabeth Bathory, ainsi qu'un portrait qu'on en a conservé, nous la montrent d'une grande beauté : " Les démons étaient déjà en elle ; ses yeux larges et noirs les cachaient en leur morne profondeur ; son visage était pâle de leur antique poison. Sa bouche était sinueuse comme un petit serpent qui passe, son front haut, obstiné, sans défaillance. Et le menton, appuyé sur la grande fraise plate, avait cette courbe molle de l'insanité ou du vice particulier. Elle ressemblait à quelque Valois dessiné par Clouet, Henri Ill peut-être, en féminin 1. " Bref, quelque chose de mélancolique, de secret et de cruel. Le blason des Bathory n'était-il pas composé de trois dents de loup, d'un croissant de lune, d'un soleil en forme d'étoile à six pointes, le tout entouré d'un dragon qui se mord la queue ?

On ne sait pas grand-chose sur la jeunesse et l'adolescence d'Elizabeth, sinon qu'elle se réfugiait souvent dans une solitude farouche. Par ailleurs, depuis son plus jeune âge, elle souffrait de maux de tête parfois intolérables qui la faisaient se rouler par terre. Était-ce de l'épilepsie ? Il semble plutôt qu'Elizabeth était en proie à des crises d'hystérie qu'il serait tentant d'assimiler à des crises de possession démoniaque. 

Mais cette hystérie explique en partie sa déviance sexuelle : sa sensualité était exacerbée, mais morbide, et si elle ne refusa pas les contacts masculins, elle évolua toute sa vie dans des retraites peuplées uniquement de femmes ; elle ne sacrifia jamais un seul homme à ses débauches, mais uniquement des femmes, et elle était incontestablement homosexuelle. On prétend même que c'est sa tante Klara Bathory, qu'elle fréquentait assidûment, qui l'avait initiée au culte de Sapho. 
Il faut dire que l'homosexualité était à la mode, en cette fin de XvIe siècle : à Paris, la cour des Valois donnait un exemple que s'empressaient de suivre les autres cours européennes, orientales autant qu'occidentales, celle de Rome ne faisant pas exception. Et le lesbianisme descendait même dans la rue :en Allemagne et dans tout le Saint-Empire, il y avait encore des héritières de cette étrange secte de triba des flagellantes qui parcouraient, au XlVe siècle, les villes et les villages, se mettant nues en public, se fouettant mutuellement, hurlant des chants et pratiquant des attouchements indécents. Vestiges d'un culte de la Déesse des Origines ? Probablement, mais avec des rituels érotiques sanguinaires. On peut toujours se demander si Elizabeth Bathory, si précocement initiée par sa tante Klara, n'a pas consacré sa vie à cette religion instinctuelle et viscérale tout entière vouée à l'adoration de la Grande Déesse des temps obscurs, celle qu'on a prisé trop hâtivement pour la terrible Hécate lunaire, divinité grecque des carrefours (où rôde également le Diable !), et qui n'est en réalité que l'image du Soleil rouge, divinité ô combien féminine, la fameuse et cruelle Artémis des Scythes, celle qui, dans la tragédie d'Euripide, Iphigénie en Tauride, réclame incessamment le sang des mortels pour nourrir son existence surnaturelle ? Il y a là un bel exemple de vampirisme 1. Mais l'homosexualité d'Elizabeth Bathory n'était pas exclusive. On lui prête plusieurs aventures masculines avant son mariage et après son veuvage. Toute jeune, immédiatement après sa puberté, elle aurait eu une petite fille d'un paysan. Elle avait quatorze ans et elle était déjà fiancée à Férencz Nàdasdy, un comte appartenant à la meilleure noblesse hongroise, redoutable guerrier qui devint illustre et mérita, par la suite, le titre de " Héros noir de la Hongrie ". Mais on sait ce que signifiaient les mariages dans la bonne société d'alors. Il semble que, se trouvant enceinte, elle demanda à Ursula Nàdasdy, mère de son fiancé, laquelle était chargée de sa " protection ", la permission d'aller dire adieu à sa propre mère, Anna Bathory, accompagnée d'une seule femme en qui elle avait toute confiance. On ne dit pas si Anna Bathory approuva le comportement de sa fille, mais elle fit contre mauvaise fortune bon cœur. Craignant le scandale et la rupture du mariage de sa fille, elle aurait amené secrètement Elizabeth dans un de ses châteaux les plus éloignés, du côté de la Transylvanie, laissant courir le bruit que sa fille, atteinte d'une maladie contagieuse, avait besoin de repos et d'isolement absolus. Elle l'aurait alors soignée, aidée d'une femme venue du château familial de Csejthe et d'une accoucheuse qui avait fait le serment de ne rien révéler. Une petite fille serait donc née, à laquelle on aurait donné également le prénom d'Elizabeth, et qui aurait été confiée., Moyennant pension, à la femme de Csejthe qui avait accompagné sa fille. Quant à la sage-femme, elle fut renvoyée de Roumanie avec de quoi vivre largement, mais interdiction de jamais revenir en Hongrie. C'est alors qu'Elizabeth Bathory et sa mère seraient parties directement pour Varanno où devaient êtres célébrés les noces de l'héritière des Bathory avec l'héritier des Nàdasdy.
 
Château de Csejthe
Ces noces eurent lieu le 8 mai 1575. Elizabeth avait quinze ans, et son mari en avait vingt et un. L'empereur Maximilien de Habsbourg assista lui-même au mariage. Le roi Matthias de Hongrie et l'archiduc d'Autriche envoyèrent de somptueux cadeaux aux nouveaux époux qui s'en allèrent passer leur lune de miel dans le château de Csejthe, dans le district de Nyitra, région montagneuse du nord-ouest de la Hongrie, encore célèbre aujourd'hui par la qualité de ses vignobles, mais aussi pour ses châteaux forts en ruines, ses histoires de fantômes et ses traditions vivaces de vampires et de loups-garous. Mais le séjour de Férencz Nàdasdy fut de courte durée. Ses devoirs de combattant l'appelaient à la guerre à travers toute la Hongrie et les pays avoisinants. Il laissa donc sa jeune et belle épouse régner sur le château de Csejthe et sur les vastes domaines qui l'entouraient. Que se passa-t-il donc alors ? Il est probable que la sensualité d'Elizabeth, fortement éveillée par son mari - qui lui fit d'ailleurs deux enfants - se sentit quelque peu frustrée. On lui prêta plusieurs intrigues amoureuses, mais sans lendemain, dont une avec un de ses cousins, le comte Gyorgy Thurzo, futur premier ministre de Hongrie et qui fut d'ailleurs, par la suite, son juge le plus sévère.

Cela ne veut pas dire que les époux ne s'entendaient pas bien : au contraire, leurs retrouvailles étaient toujours de nouvelles lunes de miel. Mais le seul tort du mari était d'être trop souvent absent. Et, un jour de 1586 ou 1587, alors que Férencz Nàdasdy était en plein combat contre les Serbes, on raconte qu'arriva au château de Csejthe (un grand jeune homme au teint cadavérique, dont le nom est resté perdu pour l'histoire. Il était habillé de noir, avait de profonds yeux noirs et de longs cheveux noirs tombant jusqu'aux épaules. Lorsque les servantes de la comtesse racontèrent au village de Csejthe qu'il avait aussi des canines qu'elles jugeaient anormalement longues, plus personne ne douta qu'un vampire s'était installé au château, et les villageois n'allèrent plus se coucher sans avoir soigneusement barricadé leurs portes et leurs fenêtres avec des planches 1 ". Cette histoire s'inscrit très bien dans le décor que suscite le personnage hors pair de la comtesse Bathory, mais elle est plus que suspecte. Toujours est-il qu'Elizabeth s'absenta pendant plusieurs semaines. Était-elle partie avec son " vampire " ? Les villageois murmurèrent, paraît-il, que la comtesse avait été littéralement " vampirisée " par le sombre inconnu. Il est plus vraisemblable de croire que cet homme était une sorte de sorcier, ou de prêtre plein, qui initia Elizabeth à certaines pratiques magiques. Car elle ne faisait pas mystère de ses fréquentations auprès des mages, des sorcières et autres personnages, toujours féminins, qui officiaient dans les forêts, à l'abri des regards indiscrets.

Plus intrigante est la relation entretenue réellement par Elizabeth Bathory avec une mystérieuse inconnue, dont personne ne savait le nom, , et qui venait voir Elizabeth, déguisée en garçon. Une servante avait dit à deux hommes, - ils en témoignèrent au procès -, que, sans le vouloir, elle avait surpris la comtesse seule avec cette inconnue, torturant une jeune fille dont les bras étaient attachés très serrés et si couverts de sang qu'on ne les voyait plus ,. Ce n'était pas une paysanne, mais une femme de qualité qui, sans être masquée, éprouvait le besoin de se travestir, sans doute pour éviter de se faire reconnaître. " Cette visiteuse, pour laquelle on emploie le mot " dame ", était-elle une amie descendue de quelque château des environs pour ces fêtes à deux ? Amie ignorée et intermittente, en tout cas, puisqu'à Csejthe on connaissait à peu près tout le monde appartenant à la contrée. Une étrangère ? Alors, quelles étaient exactement les relations entre elle et Elizabeth ? Leurs sadiques plaisirs étaient-ils les seuls " Il est bien difficile de répondre, d'autant plus que si la comtesse Bathory a commis et fait commettre d'innombrables crimes de sang sur des jeunes filles, on a considérablement brodé sur son action. Et ce ne sont pas les minutes de son procès, pourtant fort précises quant aux témoignages recueillis, qui peuvent donner la solution des véritables motivations d'Elizabeth Bathory.

Cependant, Férencz Nàdasdy mourut soudainement en 1604. Devenue veuve, la comtesse semble n'avoir rien changé à son mode de vie. Les tortures qu'elle infligeait à ses servantes, elle les pratiquait depuis longtemps et son mari le savait parfaitement, considérant celles-ci comme de simples amusements de la part de sa femme. D'ailleurs, dans toutes les maisons nobles de ce temps, il était courant de fouetter les servantes pour un oui ou pour un non. L'état de servage n'existait plus en Hongrie, mais les vieilles habitudes ont du mal à disparaître, surtout quand elles sont acceptées, bon gré, mal gré, par celles qui en sont les victimes. L'un des témoignages du procès est catégorique : à la question de savoir depuis combien de temps la comtesse maltraitait les jeunes filles, un témoin répond : , Elle commença quand son mari était encore en vie, mais alors ne les tuait pas. Le comte le savait et ne s'en souciait guère. " On raconte une curieuse anecdote à ce sujet, non pas sur le début des sévices opérés par Elizabeth, mais sur la naissance de sa fascination pour le sang qui coule. " Un jour qu'elle avait frappé une servante assez violemment pour la faire saigner du nez, parce qu'elle lui avait tiré les cheveux en la peignant, un peu du sang de la jeune fille tomba sur le poignet d'Elizabeth. Un peu plus tard, la comtesse crut remarquer que la peau de l'endroit où était tombé le sang était devenue plus blanche et plus douce que la peau environnante. Intriguée, elle se baigna le visage avec le sang d'une des victimes de ses orgies sadiques. Son visage lui sembla rajeuni et revivifié par le traitement 1. "

Le souci primordial d'Elizabeth Bathory, depuis son plus jeune âge, avait été sa beauté: elle avait une peur atroce de vieillir et de s'enlaidir. Il n'en fallait pas plus pour s'imaginer qu'elle pouvait indéfiniment préserver sa beauté grâce à du sang frais de jeunes filles, de préférence vierges, donc revêtues de cette aura magique que confère la virginité. " Le sang, c'est la vie ! " répétait Renfield au docteur Seward. Mais pour Elizabeth Bathory, la vie, c'était la beauté et la jeunesse. Si l'anecdote est vraie, on comprend mieux ce goût du sang chez elle. Et cela nous ramène inévitablement au vampirisme.

Elizabeth Bathory passait son temps au château de Csejthe, faisant également de fréquents séjours à Presbourg et surtout dans la demeure qu'elle avait acquise à Vienne, non loin de la cathédrale, demeure qui semble avoir été marquée aussi par de sanglantes orgies. A Csejthe comme ailleurs, Elizabeth était toujours accompagnée de sa nourrice jo Ilona et de sa servante Dorottya Szentes, dite Dorko, deux femmes vieilles, vulgaires, sales, d'une totale immoralité ' et probablement sectatrices d'une de ces mystérieuses cohortes de sorcières avorteuses qui pullulaient encore dans les campagnes de l'Europe centrale. Il semble qu'elles aient été les principales pourvoyeuses de " chair freiche " de la comtesse, en même temps que ses "agents d'exécution " quand il s'agissait de frapper, de saigner, puis d'enterrer les malheureuses victimes. Autour de ce duo infernal, il y avait un homme à tout faire, Ujvari johanes, dit Ficzko, une sorte de nabot disgracieux, et une lavandière, Katalin Beniezky. Elizabeth vivait au milieu de cette troupe entièrement vouée à son service et à la satisfaction de ses instincts les plus bas. Cela constituait pour elle le personnel permanent et indispensable. Mais il y avait aussi le personnel " volant ", de belles jeunes filles dont elle faisait ses servantes, et parfois ses concubines, du moins tant qu'elle y trouvait une certaine nouveauté. Car ces " servantes " disparaissaient les unes après les autres, et il fallait bien que le " personnel permanent " se chargeât de renouveler un cheptel qui devait être toujours jeune et beau. Certes, il y en avait toujours en réserve. On prétend même que la comtesse veillait à ce que ces jeunes filles retenues prisonnières fussent bien nourries et engraissées, car elle croyait que plus elles étaient dodues, plus elles avaient de sang dans les veines, et que plus elles étaient bien portantes, plus la vertu de ce sang était efficace. Plus que jamais, le sang était la vie: Elizabeth Bathory croyait-elle pouvoir échapper au vieillissement et à la mort, et gagner ainsi une éternelle jeunesse ? Il semble qu'il faille prendre très au sérieux cette conviction.

Un autre personnage vint bientôt compléter la sinistre troupe, une certaine Darvulia Anna. On a largement brodé sur cette femme sous prétexte que son nom évoque celui de Dracula. Il n'est pas nécessaire d'en venir là, car il apparaît que Darvulia était une sorcière de la meilleure tradition, une magicienne noire qui connaissait des formules et des incantations sataniques et qui n'hésitait pas, comme le fera plus tard la Voisin, en France, au moment de l'affaire des Poisons, à procéder à des sacrifices humains pour obtenir l'aide des puissances démoniaques. Sans doute Darvulia Anna sut-elle convaincre Elizabeth Bathory, déjà quadragénaire mais toujours très belle, qu'elle connaissait les recettes infaillibles pour prolonger indéfiniment cette beauté. La comtesse ne put plus se passer de Darvulia, et il est établi que la présence de cette ( sorcière" ne fit qu'augmenter la fréquence des (, sacrifices " qu'Elizabeth offrait à la mystérieuse divinité assoiffée de sang qu'elle n'avait jamais cessé d'adorer depuis sa plus tendre enfance. Les plus belles filles de Transylvanie et de Hongrie, lorsqu'elles étaient repérées par les émissaires de la comtesse, prenaient le chemin du château de Csejthe. Tous les moyens étaient bons : menaces, intimidation, promesses d'argent, achat pur et simple dans certaines familles pauvres. Mais la plupart d'entre elles ne ressortaient jamais plus de la sinistre forteresse.

On a probablement fort exagéré les récits concernant les supplices infligés à ces innocentes jeunes filles par la comtesse Bathory et ses âmes damnées. Mais il en est de suffisamment établis pour se faire une idée de l'atmosphère malsaine et macabre qui régnait dans les souterrains du château de Csejthe. Les filles étaient frappées avec violence. Certaines avaient le cou percé selon la plus pure tradition vampirique. D'autres étaient liées avec des cordes qu'on tordait ensuite afin qu'elles puissent s'enfoncer dans les chairs, ce qui permettait de leur ouvrir les veines et de faire jaillir le sang sur la comtesse. On prétend même' qu'on remplissait parfois des baignoires de sang et qu'Elizabeth s'y baignait avec ravissement. Mais comme sa peau délicate ne supportait pas d'être essuyée avec des serviettes, ce sont d'autres filles qui devaient la débarrasser du sang en lui léchant tout le corps avec leurs langues. Celles qui, ne supportant pas une telle horreur, s'évanouissaient, étaient ensuite sévèrement châtiées avant de servir de victimes à leur tour. On imagine aisément le contexte érotique de ces rituels. Selon certaines sources, toujours quelque peu discutables, certaines de ces jeunes filles finissaient leur vie dans le lit même de la comtesse. Elizabeth faisait venir les filles qui lui plaisaient le mieux et s'abîmait avec elles des nuits entières dans des embrassements - et des embrasements - homosexuels, avant de les mordre cruellement, parfois jusqu'à la mort. On comprend que de telles relations aient pu intéresser au plus haut point un spécialiste de l'érotisme dans la souffrance comme l'a été Georges Bataille, et aussi inspirer un certain nombre de films plus ou moins érotiques, mais parfaitement sadiques.

Il y a aussi la fameuse "Vierge de Fer". Est-ce une légende ? Actuellement, cet automate monstrueux peut encore être vu au château de Riegersburg, en Styrie. Est-ce celui dont, paraît-il, se servait la comtesse Bathory? Il s'agissait d'une statue de bois articulée, avec des mécanismes de fer, en forme de femme. Image de la déesse cruelle qu'adorait Elizabeth ? Peut-être. Ce qu'il y avait de terrible dans cet automate, c'était les pointes acérées qui pouvaient transpercer les corps qu'on soumettait à l'étreinte de la " Vierge ,. Car il est possible que des filles aient été ainsi livrées à la Vierge de Fer: les bras de celle-ci se refermaient sur le jeune corps et le pressaient de plus en plus contre les pointes acérées, permettant au sang de couler en abondance, sous les yeux d'Elizabeth et de celles qui partageaient obligatoirement ses infernales jouissances. La comtesse Bathory eût certainement été très à l'aise dans l'élaboration d'un Musée des Tortures. Et même si cette histoire de Vierge de Fer est une légende racontée après coup, l'anecdote reste néanmoins significative: toute la vie d'Elizabeth était imprégnée de sang, parce que le sang, c'est la vie.

Cependant, même si l'on est un personnage considérable, même si l'on est apparenté aux plus nobles familles de Hongrie, de Roumanie et du Saint-Empire, même si l'on prend des précautions pour éviter que les langues se délient, de telles manoeuvres ne passent pas inaperçues. On n'empêche pas certaines personnes de murmurer. On n'empêche pas les allusions, et ces allusions se colportent de village en village. Trop, c'est trop... Des rumeurs incroyables parvinrent jusqu'à la cour de Vienne, et les autorités ecclésiastiques, sentant qu'il y avait sans doute des pratiques relevant de l'hérésie ou du paganisme, commencèrent à se livrer à de discrètes enquêtes. Mais comment faire pour savoir la vérité, alors qu'en principe, la belle comtesse Bathory était insoupçonnable et " intouchable " ?

Évidemment, personne n'osait porter officiellement plainte, pas même les parents des jeunes filles disparues qui craignaient trop les représailles, y compris celles de forces diaboliques qu'on disait être au service de la comtesse. Les Bathory et les Nàdasdy étaient bien trop puissants... Mais cela n'empêcha nullement le roi Matthias de Hongrie de prendre l'affaire en main. Convaincu, par certains témoignages, que l'héritière des Bathory était coupable de crimes de sang, il ordonna une enquête qu'il confia au gouverneur de la province, lui-même cousin d'Elizabeth. Le gouverneur se rendit secrètement à Csejthe et s'informa auprès de certaines personnes de confiance, en particulier le curé qui, sans avoir l'intention de le publier de son vivant, avait rédigé un long mémoire dans lequel il signalait quantités de faits pour le moins troublants. L'envoyé du roi Matthias fut très vite édifié, et, lorsqu'il eut fait son rapport, la décision du roi fut implacable: arrêter la comtesse Bathory et tous ses complices. Et cette tâche, il la confia à un autre cousin d'Elizabeth, et qui avait été un temps son amant, son premier ministre, le comte Gyorgy Thurzo.

Le 29 décembre 1610, à la tête d'une troupe armée et accompagné du curé de Csejthe - à qui il arriva d'ailleurs une curieuse aventure à cause d'un groupe de chats ! - et en présence des deux gendres d'Elizabeth Bathory, le comte Thurzo pénétra dans le grand château. La garnison n'opposa aucune résistance et les grandes portes étaient même entrouvertes. Tous purent donc pénétrer à l'intérieur sans aucune difficulté : " Ils allèrent à travers le château, et, accompagnés de gens munis de torches connaissant les entrées des escaliers les plus secrets, descendirent au souterrain des crimes, d'où montait une odeur de cadavre, et pénétrèrent dans la salle de tortures aux murs éclaboussés de sang. Là se trouvaient encore les rouages de la , Vierge de Fer ", des cages et des instruments, auprès des brasiers éteints. Ils trouvèrent du sang desséché au fond de grands pots et d'une sorte de cuve ; ils virent les cellules où l'on emprisonnait les filles, de basses et étroites chambres de pierre; un trou profond par où l'on faisait disparaître les gens; les deux branches du souterrain, l'une conduisant vers le village et débouchant dans les caves du petit château, l'autre allant se perdre dans les collines... Enfin, un escalier montant dans les salles supérieures. Et c'est là, étendue près de la porte, que Thurzo vit une grande fille nue, morte; celle qui avait été une si belle créature n'était plus qu'une immense plaie. A la lumière de la torche, on pouvait voir les traces laissées par les instruments de torture: la chair déchiquetée, les seins tailladés, les cheveux arrachés par poignées; aux jambes et aux bras, par endroits, il ne restait plus de chair sur les os 1. " Plus loin, toujours dans le souterrain, Thurzo et ses hommes découvrirent plusieurs douzaines de jeunes filles, d'adolescentes et de jeunes femmes. Certaines étaient affaiblies, presque complètement vidées de leur sang; d'autres, dans un état d'hébétude totale, étaient encore intactes : c'était le bétail réservé aux prochaines orgies. Par la suite, on exhuma une cinquantaine de cadavres de jeunes filles dans les cours et les dépendances du château.

Elizabeth Bathory ne se trouvait pas dans le château. Il est vraisemblable de penser qu'après une nuit d'orgie rituelle, elle s'était retranchée dans son repaire constitué par le petit château, son domaine réservé où peu de gens avaient le droit de s'introduire. Lorsque le comte Thurzo se présenta devant elle, elle ne songea pas un seul instant à nier l'évidence. Aux accusations que lui porta légalement son cousin et ex-amant, elle répondit que tout cela relevait de son droit de femme noble, et qu'elle n'avait de comptes à rendre à personne. Sans se laisser impressionner, Thurzo la fit mettre sous surveillance, et la comtesse s'enferma dans un mutisme hautain dont elle ne se départit jamais plus.

Mais la procédure de la justice était en marche et plus rien ne pouvait l'arrêter désormais. Le roi Matthias était décidé à aller jusqu'au bout, Gyorgy Thurzo et les membres des familles Bathory et Nàdasdy également, même s'ils craignaient de supporter les conséquences d'un étalage public des turpitudes de la comtesse. En fait, chacun se trouvait embarrassé, car tout cela éclaboussait la plus haute société austro-hongroise de l'époque. Matthias de Hongrie était le plus acharné à vouloir justice, le comte Thurzo le plus réservé, et aussi le plus calme. Il devait y avoir procès : il aurait lieu, mais on prendrait soin de n'y point faire paraître la principale inculpée, ce qui était une façon élégante de ne pas mouiller certains membres de l'aristocratie qui avaient, sans nul doute, d'une façon ou d'une autre, été complices de la meurtrière. Il fallait des accusés pour en faire des coupables. On se rabattit sur l'entourage immédiat d'Elizabeth. On savait que ceux-là, qui appartenaient aux classes les plus obscures de la société, n'étaient pas dangereux et que leur condamnation servirait d'exutoire.

On a retrouvé le procès-verbal des interrogatoires qui furent menés pendant l'instruction. On est en droit de se demander si ces dépositions ont été acquises au moyen de la torture, méthode pratiquée couramment à l'époque, et c'est pourquoi il convient de les prendre avec toutes les réserves qui s'imposent. Mais ces dépositions ne sont nullement en contradiction avec d'autres témoignages, et avec les bruits qui circulaient depuis fort longtemps sur les atrocités qui se commettaient aussi bien à Vienne qu'à Csejthe à la demande formelle de la comtesse Bathory. Et même s'il faut faire la part de l'exagération et du lavage de cerveau qu'ont subi les témoins, les récits sont hallucinants. Il y a là un accent de vérité qui ne trompe pas: ces témoins, participants actifs des turpitudes d'Elizabeth, donc motivés par une foi énigmatique d'origine païenne et ancestrale, sont parfaitement conscients de ce qu'ils racontent, et d'ailleurs, ils ne manifestent jamais le moindre remords, le moindre sentiment de culpabilité quant à ce qui leur est reproché. A les entendre, tout ce qui s'est passé au château de Csejthe est parfaitement naturel et ne souffre pas d'être discuté. Qu'on en juge sur pièces .

Ainsi, le premier témoin, Ficzko, après avoir avoue avoir tué trente-sept jeunes filles et participé à leur inhumation, est amené à parler de l'origine des victimes et du sort qui leur était réservé : (, Dorko et une autre allèrent en chercher. Elles leur dirent de les suivre dans une bonne place de service. Pour une de ces dernières, venant d'un village, il fallut un mois pour la faire arriver et on la tua tout de suite. Surtout des femmes de différents villages s'entendaient pour fournir des jeunes filles 2. Même une fille de l'une d'elles fut tuée; alors la mère refusa d'en amener d'autres. Moi-même, je suis allé six fois en chercher avec Dorko. Il y avait une femme spéciale qui ne tuait pas, mais qui enterrait... Une femme, Szabo, a amené des filles, et aussi sa propre fille, quoique sachant qu'elle serait tuée. jo Ilona aussi en a fait venir beaucoup. Kata n'a rien amené, mais elle a enterré toutes les filles que Dorko assassinait. " On voit ainsi que la comtesse sanglante avait constitué une véritable meute pour rabattre, par tous les moyens, les filles dont elle avait besoin pour assouvir ses passions, ou plutôt pour procéder à ces étranges sacrifices.

Où cela devient presque insupportable, c'est lorsque les témoins donnent des détails sur les supplices. C'est toujours Ficzko qui parle: " Elles (les complices d'Elizabeth) attachaient les mains et les bras très serrés avec du fil de Vienne, et les battaient à mort, jusqu'à ce que tout leur corps fût noir comme du charbon et que leur peau se déchirât. L'une supporta plus de deux cents coups avant de mourir. Dorko leur coupait les doigts un à un avec des cisailles, et ensuite leur piquait les veines avec des ciseaux... jo Ilona apportait le feu, faisait rougir les tisonniers, les appliquait sur la bouche et mettait le fer dedans. Quand les couturières faisaient mal leur travail, elles étaient menées pour cela dans la salle de torture. Un jour, la maîtresse elle-même a mis ses doigts dans la bouche de l'une et a tiré jusqu'à ce que les coins se fendent. Il y avait aussi une autre femme qui s'appelait Ilona Kochiska, et qui a aussi torturé des filles. La maîtresse les piquait d'épingles un peu partout; elle a assassiné la fille de Sitkey parce qu'elle avait volé une poire... La maîtresse a toujours récompensé les vieilles quand elles avaient bien torturé les filles. Elle-même arrachait la chair avec des pinces, et coupait entre les doigts. Elle les a fait mener sur la neige, nues, et arroser d'eau glacée; elle les a arrosées elle-même et elles en moururent... Dans le coche, quand la maîtresse voyageait, elles étaient pincées et piquées d'épingles. "

Le témoignage de la nourrice, jo Ilona, n'est pas moins édifiant: ", Elle battait les filles cruellement et Darvulia mettait les jeunes servantes dans l'eau froide et les laissait toute la nuit. La comtesse elle-même déposait dans leur main une clef ou une pièce d'argent rougie au feu. A Sravar, Elizabeth a, devant son mari Férencz Nàdasdy, dévêtu une petite parente de son mari, l'a enduite de miel et laissée un jour et une nuit dans le jardin pour que les insectes et les fourmis la piquent. Elle, jo Ilona, était chargée de mettre entre les jambes des jeunes filles du papier huilé et de l'allumer... Dorko coupait avec des ciseaux les veines des bras ; il y avait tant de sang qu'il fallait jeter de la cendre autour du lit de la comtesse, et celle-ci devait changer de robe et de manches. Dorko incisait aussi les plaies boursouflées et Elizabeth arrachait avec des pinces la chair du corps des filles... C'est de Darvulia qu'Elizabeth apprit les plus graves cruautés ; elles étaient très intimes. jo Ilona savait, et avait même vu, qu'Elizabeth a brûlé le sexe de certaines filles avec la flamme d'un cierge. " Tout cela est corroboré par Dorko : (, La comtesse torturait les filles avec des cuillères rougies au feu, et leur repassait la plante des pieds avec un fer rouge. Leur arrachait la chair aux endroits les plus sensibles des seins et d'ailleurs avec de petites pinces d'argent. Les mordait en les faisant amener au bord de son lit quand elle était malade. En une seule semaine, cinq filles étaient mortes. "

Le reste est à l'avenant et nous prouve que le marquis de Sade, dans son délire somme toute parfaitement inoffensif, n'a rien inventé. Car ces témoignages, quelles que soient les réserves qu'on peut émettre à leur propos, sont terriblement accablants. Et, sans trop risquer de se tromper, il faut bien se résoudre à accepter comme un minimum absolu le chiffre ahurissant de six cents jeunes filles sacrifiées par la comtesse Elizabeth Bathory et ses complices. La comtesse fut évidemment reconnue coupable par les juges qui se penchaient sur son cas. Mais la question se posait quant à la peine qu'elle devait encourir. On sait que le roi Matthias était résolu à condamner la comtesse à mort, quels que fussent ses liens avec l'illustre famille des Bathory. Mais la famille Bathory, et le comte Gyorgy Thurzo le premier, n'avaient aucune envie de salir leur nom en faisant procéder à l'exécution publique d'une des plus grandes dames de l'Empire. Il y eut des négociations, des compromis. On se dit qu'il valait mieux faire passer Elizabeth pour folle que pour une criminelle. Le verdict tomba: les principaux complices, Jo Ilona, Ficzko, Dorko et Katalin Beniezky furent condamnés à la décapitation et rapidement exécutés. Quant à la comtesse de sang royal Elizabeth Bathory, elle fut condamnée à être murée vive dans ses appartements privés du petit château de Csejthe. Sous la surveillance des juges et du comte Thurzo, des maçons murèrent donc les fenêtres et les portes de ses appartements, ne laissant qu'une petite ouverture par laquelle on passerait tous les jours de l'eau et de la nourriture. Elizabeth Bathory se laissa enfermer sans prononcer une parole. Elle vécut quatre ans dans la solitude et l'obscurité. Aux dires de ceux qui la virent dans son dernier sommeil, en dépit de son âge - très avancé pour l'époque - de cinquante-quatre ans, sa beauté était inaltérée. Et l'on retrouva, dans ses appartements, de nombreux grimoires, et surtout des invocations sataniques dans lesquelles elle conjurait le Diable de faire mourir ses ennemis, le comte Thurzo en tête, et de leur envoyer des démons sous forme de chats noirs. C'est ce qui était arrivé au curé de Csejthe Igrsqu'il avait accompagné les justiciers dans les souterrains du château. Coïncidence? Il est bien certain que la magie, et une magie des plus noires et des plus sinistres, est la seule explication plausible de l'invraisemblable comportement de la comtesse Elizabeth Bathory.

En fait., bien des questions se posent. Dans son invocation, faite la veille de son arrestation, Elizabeth Bathory implorait l'aide des puissances maléfiques, demandant particulièrement à Satan, qu'elle appelle le Suprême Commandeur des Chats, de lui envoyer quatre-vingt-dix-neuf chats contre ses ennemis. Or, le curé de Csejthe, auteur du mémoire qu'il espérait bien transmettre un jour, était l'un de ses plus ardents ennemis, bien qu'il fût réduit au silence par peur des représailles. D'après le témoignage du prêtre, lors de la perquisition dans le château, il fut assailli par six chats qui le griffèrent et le mordirent avant d'être chassés par les hommes d'armes et de dispar ECitre comme des fantômes. Hallucination ? Superstition ? Rien n'est bien clair dans cette histoire pourtant réelle de la comtesse Bathory.

Était-elle sorcière ? Incontestablement, ou du moins magicienne, prêtresse d'une religion noire et rouge héritée de la nuit des temps. Il serait vain de prétendre qu'elle était folle. Il serait stupide de ne voir en elle qu'une dépravée sexuelle assouvissant ses désirs pervers sous le couvert de ce qu'elle croyait être son impunité. Certes, la composante sexuelle, sadique et lesbienne, ne fait aucun doute dans son comportement. Mais ce n'est pas suffisant pour expliquer de telles horreurs. Et pourquoi n'a-t-elle sacrifié, ou fait sacrifier, à son culte sanguinaire que des femmes, des filles vierges ? Le sang des vierges a donc tant de vertu qu'il puisse procurer à ceux qui savent en profiter l'immortalité dans la beauté et le printemps éternel ?

Ici, la relation entre le personnage d'Elizabeth Bathory, personnage réel, rappelons-le, et le sinistre comte Dracula, personnage romanesque mais surgi d'une longue tradition et intégré dans un ouvrage de fiction initiatique, est absolument nette. Oui, la comtesse Bathory est une femme vampire se régénérant dans le sang des jeunes vierges qu'elle sacrifie en l'honneur d'une mystérieuse et cruelle déesse des anciens jours. Elle mordait ses victimes, nous dit-on. On n'ajoute pas qu'elle buvait leur sang, mais elle s'en inondait, ce qui revient au même. Aurait-elle pu survivre autant d'années, dans toute sa beauté, sans cette thérapeutique " quelque peu spéciale ? 


Elizabeth Bathory a emporté son secret dans la tombe, si tant est qu'elle ait réellement une tombe. Car les vampires, c'est bien connu, ne meurent jamais vraiment. 

Arrestation

Enquête

Entre 1602 et 1604, le pasteur luthérien István Magyari vient se plaindre à la fois publiquement et à la cour de Vienne suite à certaines rumeurs concernant des atrocités commises par Élisabeth Báthory.

Les autorités mettent un certain temps avant de répondre aux plaintes de Magyari. Finalement, en 1610, l'empereur Matthias Ier du Saint-Empire charge György Thurzó, palatin de Hongrie, de l'enquête. En mars 1610, Thurzó demande à deux notaires de rassembler des preuves.

Avant même d’avoir obtenu des résultats, Thurzó commence à négocier avec le fils d’Élisabeth et ses deux beaux-fils. Un procès et une exécution auraient causé un scandale public et jeté la disgrâce sur une famille noble et influente qui, à l’époque, règne sur la Transylvanie ; la fortune d’Élisabeth – considérable – aurait été saisie par la couronne. Thurzó se résout à assigner la comtesse à résidence.

Accusations

On dénombre plus de 300 témoignages collectés en 1610 et 1611. Les rapports du procès comprennent les témoignages des quatre accusés, ainsi que ceux de treize autres témoins, notamment le « castellan », et le reste du personnel du château de Sárvár.

Ses premières victimes seraient de jeunes paysannes de la région, attirées à Čachtice par des offres de travail bien payé pour être servantes au château. Plus tard, elle aurait commencé à tuer des filles de la petite noblesse, envoyées chez elle par leurs parents pour y apprendre l’étiquette. Des rapts semblent aussi avoir été pratiqués.

Les descriptions de tortures mises en évidence durant le procès sont souvent basées sur l'ouï-dire. Parmi les atrocités décrites (et probables), on cite notamment :

  • de longs passages à tabac, entraînant souvent la mort ;
  • des brûlures et autres mutilations des mains, parfois aussi sur le visage et les parties génitales ;
  • des morsures atteignant des parties de peau du visage, des bras et du corps ;
  • une exposition au froid entraînant la mort ;
  • une mise à mort par dénutrition.

L’utilisation d’aiguilles sera aussi mentionnée au procès par les collaborateurs. Certains témoins mentionnent des proches qui seraient morts au château. D’autres rapportent des traces de torture sur des cadavres ; certains étaient enterrés au cimetière, d’autres dans des lieux divers.

Selon les confessions des accusés, Élisabeth Báthory aurait torturé et tué ses victimes non seulement à Čachtice, mais également dans ses propriétés à Bécko, Sárvár,DeutschkreutzBratislavaVienne et, même, sur le chemin entre ces différents lieux.

En plus des accusés, plusieurs personnes sont mentionnées comme ayant fourni des jeunes filles à Élisabeth Báthory. Le nom d'Anna Darvulia – dont on ne sait presque rien – est ainsi cité : c'était sans doute une femme des environs, dont on dit qu’elle aurait joué un rôle important dans le déclenchement des agissements sadiques d'Élisabeth Báthory. Elle serait cependant morte avant cette dernière.

Le nombre total de jeunes filles torturées et tuées par Báthory reste inconnu, bien qu’on en mentionne une centaine entre les années 1585 et 1610. Les estimations diffèrent grandement. Szentes et Fickó en rapportent respectivement 36 et 37 au cours de leur période de service. Les accusés estiment le nombre à une cinquantaine ou plus. Le personnel du château de Sárvár évalue le nombre de corps retirés du château à 100, peut-être même 200. Un témoin au tribunal évoquera un carnet, dans lequel un total de 650 victimes aurait été consigné par Báthory elle-même. Ce carnet n’a été mentionné nulle part ailleurs et n’a jamais été découvert ; cependant, ce nombre fait partie de la légende entourant Báthory.

Mais les chefs d'accusation sont parfois pris avec prudence par les historiens Comme le souligne la BBC, « la nature du procès rend toutes les preuves fournies suspectes, car elles ont été extirpées sous la torture ou des menaces de torture. ». Point que souligne également l'historien Miklós Molnàr, spécialiste de la Hongrie. Il n'est donc pas exclu que les témoins aient inventé ou exagéré des faits dans le seul but de mettre fin à leur supplice. Par ailleurs, Molnar souligne aussi que la comtesse n'a pas eu la possibilité de se défendre contre ces accusations. Mais il précise toutefois : « Il est possible qu'elle ait commis ces crimes, rien n'est exclu, mais rien n'est prouvé. »

Certaines légendes populaires véhiculent aussi l'idée selon laquelle la comtesse se serait baignée dans le sang de ses victimes pensant que cela lui permettrait de conserver sa jeunesse. Mais comme le notent les historiens comme Radu Florescu, Raymond Mcnally et Molnàr, « cette accusation est absente des procès-verbaux et des correspondances » et n'est soutenue par aucune preuve, ni aucun témoin.

En 1984, l'historien hongrois László Nagy avanca une théorie selon laquelle Élisabeth Báthory n'aurait pas commis ces crimes et aurait été victime d’une conspiration. Cette théorie a été cependant rejetée par György Pollák en 1986. Néanmoins, en 1997, le Mourre, dictionnaire encyclopédique de référence en histoire, mentionne la thèse de László Nagy et la considère comme possible :

« Il est possible que les horrifiques chefs d'accusations aient été inventés par certains membres de la famille pour soustraire Erzsébet à l'accusation suprême de haute trahison, car elle voulait contribuer avec ses gens d'armes et avec sa fortune personnelle à la lutte de son cousin Gabriel Báthory, prince de Transylvanie, contre les Habsbourg. Pour dissimuler l'action politique de la comtesse et pour éviter ainsi que la famille ne fut compromise, son mari a préféré qu'elle fut accusée de crimes de droit commun. »

Procès

Thurzó se rend à Čachtice le 29 septembre 1610, et fait arrêter Élisabeth Báthory, ainsi que quatre de ses serviteurs, accusés d’être ses complices. On dit que les hommes de Thurzó auraient trouvé le corps d’une fille morte et celui d'une mourante. Une autre femme est trouvée blessée, d’autres enfermées.

Tandis que la comtesse est assignée à résidence – et elle le restera jusqu'à sa mort –, ses complices sont poursuivis. Un procès, préparé à la hâte, se tient le 7 janvier 1611 à Bytča, présidé par le juge de la Cour royale suprême, Theodosious Syrmiensis de Szuló, et vingt juges associés. Élisabeth elle-même ne comparaît pas au procès.

Les accusés au procès sont :

  • Dorottya Szentes, désignée aussi sous le nom de Dorkó,
  • Ilona Jó,
  • Katalin Benická,
  • Le nain János Újváry, Ibis ou Ficzkó.

Dorkó, Ilona et Ficzkó sont reconnus coupables et exécutés. Dorkó et Ilona ont les doigts arrachés, avant d’être jetées au feu, tandis que Ficzkó, dont la culpabilité est jugée moindre en raison de son jeune âge, est décapité avant d’être jeté aux flammes. Un échafaud public est érigé près du château pour montrer que justice a été rendue. Katalin Benická est condamnée à une sentence de prison à vie, car elle a agi uniquement sous la contrainte et l’intimidation des autres, comme en attestent les témoignages.

Dernières années et mort

Élisabeth, jamais poursuivie au tribunal, reste assignée à résidence dans une seule pièce de son château et ce, jusqu’à sa mort.

Le roi Matthias Ier du Saint-Empire incite Thurzó à la traîner en justice. Deux notaires sont envoyés pour collecter de nouveaux témoignages20. Cependant, les lettres échangées entre l’Empereur et le Palatin, entre 1611 et 1613, laissent penser que Thurzó n’était pas enclin à attaquer la comtesse.

Le 21 août 1614, Élisabeth Báthory meurt dans son château. Elle est enterrée à l’église de Čachtice.

Elle avait rédigé un testament quelque temps auparavant, léguant deux de ses châteaux à sa fille Katharina, mais Pal étant l'unique héritier mâle, c'est à lui que reviendront tous les biens d'Élisabeth.

Ascendance

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
16. Étienne Báthory de Ecsed
 
 
 
 
 
 
 
 
8. André Báthory de Ecsed
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
17. Barbara Buthkay
 
 
 
 
 
 
 
 
4. André Báthory de Ecsed
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
18. Nicolas Drágfy de Béltek
 
 
 
 
 
 
 
 
9. Juliana Drágfy de Béltek
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
19. Eufémia Jakcs de Kusaly
 
 
 
 
 
 
 
 
2. Georges Báthory de Ecsed
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
20. Jean Rozgonyi de Rozgony
 
 
 
 
 
 
 
 
10. Étienne Rozgonyi de Rozgony
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
21. Marguerite Modrár
 
 
 
 
 
 
 
 
5. Catherine Rozgonyi de Rozgony
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
22. Nicolas Héderváry de Hédervár
 
 
 
 
 
 
 
 
11. Catherine Héderváry de Hédervár
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
23. Ursula Henning
 
 
 
 
 
 
 
 
1. Élisabeth Báthory de Ecsed
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
24. Étienne Báthory de Somlyó
 
 
 
 
 
 
 
 
12. Nicolas Báthory de Somlyó
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
25. Dorothée Várday de Kisvárda
 
 
 
 
 
 
 
 
6. Étienne Báthory de Somlyó
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
26. Jean Bánffy de Losonc
 
 
 
 
 
 
 
 
13. Sophie Bánffy de Losonc
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
27. Marguerite Malacz
 
 
 
 
 
 
 
 
3. Anne Báthory de Somlyó
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
28. Jean Telegdy de Kincstartó
 
 
 
 
 
 
 
 
14. Étienne Telegdy de Kincstartó
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
29. Isabelle Báthory de Ecsed
 
 
 
 
 
 
 
 
7. Catherine Telegdy de Kincstartó
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
30. Georges Bebek de Pelsőcz
 
 
 
 
 
 
 
 
15. Marguerite Bebek de Pelsőcz
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
31. Françoise Héderváry de Hédervár
 
 
 
 
 
 
 

Folklore et culture populaire

Élisabeth Báthory inspirera de nombreuses légendes au cours des xviiie et xixe siècles. Comme on l'a dit, le motif le plus récurrent dans les récits la concernant est celui qui la représente se baignant dans le sang de ses victimes, afin de garder beauté et jeunesse. Cette légende est apparue pour la première fois en 1729 sous la plume de László Turóczi, un jésuite érudit, dans le livre Tragica historia, le premier écrit consacré à Báthory. Des historiens modernes comme Radu Florescu et Raymond T. McNally en ont conclu que les théories présentant la vanité comme motif des meurtres d’Élisabeth provenaient essentiellement de stéréotypes liés au rôle social des femmes à l’époque. On ne pouvait pas envisager que les femmes soient capables de violence gratuite.

Au début du xixe siècle, la thèse de la vanité fut remise en question et le plaisir sadique fut considéré comme un motif plus plausible de ses crimes. En 1817, les rapports de témoignages, retrouvés en 1765, sont publiés pour la première fois prouvant que les histoires de bain de sang n’étaient que légende. Néanmoins, la légende a persisté dans l’imaginaire populaire, au point que certains motifs sont souvent pris pour des faits historiques. Certaines versions de l’histoire visaient clairement à véhiculer une morale dénonçant la vanité féminine, tandis que d’autres visaient à distraire et faire frissonner par le caractère sensationnaliste et macabre. Les croyances autour de la comtesse constituent, de nos jours, des sources d'inspirations importantes dans la culture populaire en musique, dans les films, les livres, les jeux et les jouets. Elle inspirera également de nombreux personnages fictifs d'après l'image macabre façonnée par les légendes.

 

9 août 2013

les bourreaux.......

mengele

 

Josef Mengele

Description de cette image, également commentée ci-après

Josef Mengele, photographié en 1956 en Argentine.

Nom de naissance Josef Mengele
Surnom L'ange de la mort
Naissance 16 mars 1911
Guntzbourg (BavièreEmpire allemand)
Décès 7 février 1979 (à 67 ans)
Bertioga (Brésil)
Nationalité Allemand
Profession Médecin
Famille Karl Mengele, son père
Walburga, sa mère
Karl et Alois, ses frères
Irène, sa première femme
Martha, sa seconde femme
Rolf, son fils

Compléments

Josef Rudolf Mengele (16 mars 1911 à Günzburg enAllemagne – 7 février 1979 à Bertioga au Brésil) est unmédecin nazi allemand et un criminel de guerre

Il a été actif notamment au camp de concentration d'Auschwitz, participant à la sélection des déportés voués à un gazage immédiat et s'est livré sur de nombreux prisonniers à des expériences pseudo-scientifiques constituant des crimes de guerre.

Après la guerre, il ne fut jamais capturé et vécut 35 ans enAmérique latine sous divers pseudonymes, dont celui de Wolfgang Gerhard sous lequel il fut inhumé en 1979 auBrésil. Il est connu sous le surnom d'« ange de la mort »

Jeunesse

Josef Mengele naît à Günzburg, cité médiévale située au bord du Danube. Il est le deuxième enfant et l'aîné des trois fils de Karl Mengele (1881-1959) et de sa femme Walburga (née Hupfauer, † 1946), de riches industriels bavarois. Ses frères se nomment Karl (1912-1949) et Alois (1914-1974). Enjanvier 1930, il quitte sa ville natale pour rejoindre Munich. C’est dans cette ville qu’il va adopter l’idéologie nationale socialiste, par conviction, et ambition. Enmars 1931, il entre dans la Stahlhelm, Bund der Frontsoldaten (Ligue des Soldats du Front, Casque d’Acier), qui le rapprocha du NSDAP. En octobre 1933, il s’enrôle dans la Sturmabteilung.

Il part ensuite pour Francfort-sur-le-Main, où il étudie la médecine. En 1935, il soutient brillamment sa thèse surL’Examen morphologique de la partie antérieure de la mâchoire inférieure dans quatre groupes raciauxqui soutient grandement ses théories eugénistes et ses visions de la race supérieure. L’année suivante, il passe avec succès l’Examen d’État, et commence à pratiquer à Leipzig. Il obtient son doctorat en 1938alors qu’il exerçait auprès de l’Institut National Socialiste de Recherche pour la Pureté de la Race. La même année, il devient également membre du NSDAP (n°5.574.974); il entre ensuite dans la SS (n°317.885) et enfin, il épouse Irène Schönbein le 28 juillet. Peu de temps après, il est nommé à l'Institut de Biologie Héréditaire et d'Hygiène Raciale de Francfort, où il travaille comme assistant d'Otmar von Verschuer, selon lequel « le meilleur moyen de repérer les influences héréditaires était d'étudier les jumeaux ».

Du 24 octobre 1938 au 21 janvier 1939, il effectue son service militaire au sein de la Kompanie des Gebirgsjägerregiments 137, puis s’engagea comme membre de la Waffen-SS, en 1940. Il sert comme médecin militaire sur le front de l'est dans la 5e Panzerdivision SS Wiking. Fin 1942, il est blessé au front à la jambe et est jugé inapte à retourner au combatPour son engagement héroïque au cours des batailles, il est promu au grade de SS Hauptsturmführer ; et est décoré de la croix de fer, puis il est transféré, en mai 1943, au Bureau Central SS de l'Administration et de l'Économie, qui supervise les camps de concentration nazis, puis, le 24 mai, il est affecté au camp de concentration d'Auschwitz.

Auschwitz

Bloc 10 à Auschwitz

Mengele est notamment chargé, comme d'autres médecins SS du camp, de la sélection des déportés qui arrivent au camp : ceux qui peuvent travailler sont temporairement gardés en vie ; les autres, dont les femmes, les enfants et les vieillards, sont immédiatement dirigés vers les chambres à gaz et exterminés. Toujours vêtu d'un uniforme bien coupé et de bottes parfaitement cirées, il fait souvent impression sur les détenus par sa politesse et son élégance. Lorsqu'il rencontre une résistance, il« abandonne sa pose élégante » pour fouetter de sa cravache ceux qui refusent d'être séparés de leur famille ; lorsqu'une mère attaque un SS qui veut la séparer de sa fille, il l'abat d'un coup de revolver, puis assassine également la fille avant d'envoyer la totalité des déportés du convoi vers les chambres à gaz.

Faisant partie des médecins du camp, Mengele visite régulièrement les salles de l'hôpital de celui-ci, « avec le manteau blanc immaculé qu'il portait par-dessus son uniforme SS, fleurant l'eau de Cologne et sifflant des airs deWagner » : au cours de ces inspections, il désigne, en levant ou en baissant le pouce, les malades voués aux chambres à gaz, parfois simplement « sur des bases purement esthétiques », une vilaine cicatrice ou une éruption cutanée équivalant à une condamnation à mort. Lors d'une de ses visites, il fait tracer une ligne horizontale sur un des murs du bloc des enfants et fait gazer ceux dont la taille est inférieure à la limite qu'il a fixée. Dans certains cas, il procède lui-même et immédiatement à une injection mortelle de phénol, en « prenant un plaisir évident à son travail ».

Mengele utilise également sa nomination à Auschwitz comme une occasion de reprendre sa carrière de chercheur scientifique, entamée à l'université de Francfort mais interrompue par la Seconde Guerre mondiale ; l'un de ses projets porte sur l'étude du noma, maladie qui provoque de graves mutilations faciales et dont il pense qu'elle a un caractère héréditaire, particulièrement fréquent chez les Tziganes. Dans la ligne de son mentor, Otmar von Verschuer, il met également en place des programmes de recherche pseudo-scientifiques, portant sur les jumeaux, mais aussi sur les nains, les bossus, les homosexuels… Dans ce cadre, il se considère comme un « scientifique normal » et tient un séminaire de recherche régulier avec ses assistants, auxquels il intègre des déportés ayant une formation médicale.

Pour ses recherches sur le noma, Mengele traite un grand nombre d'enfants souffrant de cette maladie, en leur administrant des vitamines et des sulfamides ; mais dès que les progrès sont suffisants pour attester de l'efficacité du traitement, il interrompt celui-ci et laisse les enfants rechuter.

Même quand il n'est pas de service, Mengele inspecte les nouveaux arrivants à la recherche de jumeaux ou supposés tels : il les préserve de l'extermination immédiate, les installe dans des baraques séparées du reste du camp, en conservant leurs effets personnels et, lorsqu'ils sont très jeunes, sauve leur mère de la chambre à gaz pour s'occuper d'eux. Si Mengele ne permet pas que les jumeaux soient battus ou maltraités, il les traite comme des rats de laboratoire, en leur injectant divers produits chimiques ou en leur en appliquant sur la peau, afin de mettre au jour d'éventuelles différences de réaction ; si des jumeaux tombent malades et que le diagnostic est incertain, il leur fait une injection mortelle pour les autopsier afin de déterminer les causes exactes de la maladie.

Fuite, disparition et décès

Sa maison à Hohenau (Paraguay).

En janvier 1945, peu avant la libération de Cracovie par l'Armée rouge, Mengele quitte le camp et rejoint sa Bavière natale. Sa famille l'y accueille en soldat qui a fait son devoir. Peu sont ceux qui lui réclament des détails sur ses années de services et pendant près de cinq ans, il vit confortablement.

Cependant, les témoins aux procès des criminels de guerre commencent à citer son nom. Ses anciens collègues, son chauffeur SS, révèlent des détails toujours plus accablants. Les Américains, qui contrôlent la zone de Günsburg et qui jusque-là avaient ignoré le personnage, commencent à s'y intéresser. Mengele estime qu'il est temps de disparaître. Au début de l'année 1951, Mengele franchit clandestinement le col de Reschen et gagne Merano. De multiples détours le conduisent en Espagne d'où il s'embarque pour l'Amérique latine. Il arrive à Buenos Aires en 1952 où il ouvre quelques mois plus tard un cabinet médical dans un quartier résidentiel. Mengele n'a pas de permis de travail mais ce n'est pas un problème : il a d'excellentes relations avec la police du président Juan Perón et compte de nombreux amis dans l'influente colonie nazie.

En 1954, sûr de sa retraite, il expédie une demande de divorce à Fribourg-en-Brisgau, son dernier lieu de résidence avec sa femme. Une erreur qui permettra à Simon Wiesenthal de retrouver sa trace en 1959. Insouciant, Mengele fréquente allègrement les cercles mondains de Buenos Aires et épouse en seconde noces la femme de son frère Karl, mort pendant la guerre. Mais le 16 septembre 1955, le régime de Peron s'effondre. Leur protecteur disparu, la plupart des nazis réfugiés en Argentine émigrent alors au Paraguay voisin. Mengele en fait partie mais la situation se stabilisant en Argentine, il revient s'y installer. Aucune poursuite n'étant entreprise contre lui dix ans après la capitulation nazie, il prend la direction de la succursale argentine de l'entreprise familiale sous sa véritable identité.

Au début de l'année 1959, le père de Mengele meurt. Mengele n'hésite pas à rentrer à Günsburg pour assister aux obsèques. Personne ne songe alors à le dénoncer. Mais depuis quelques mois a commencé en Allemagne le grand procès d'Auschwitz et bientôt son nom est cité parmi les principaux accusés. Le 5 juillet 1959, le procureur de Fribourg-en-Brisgau lance un mandat d'arrêt contre lui. Une demande d'extradition est formulée mais les Argentins prétendent ne pas connaître son adresse. Simon Wiesenthal prend alors l'affaire en main et demande à un de ses informateurs à Buenos Aires de découvrir l'adresse exacte de Mengele, ce qui est fait le 30 décembre 1959. Deux demandes d'extraditions se heurteront à un refus poli : le passé de Mengele est jugé comme relevant du délit politique, ce qui sur un continent où les coups d'État se succèdent, ne constitue pas un motif légitime pour une extradition.

Mengele a de toute manière pris les devants. Alerté dès le début des procédures engagées contre lui, il s'est rendu au Paraguay dont il a acquis la nationalité le 27 novembre 1959. Le témoignage de deux de ses amis, le baron Alexandre von Eckstein et l'homme d'affaire Werner Jung, lui ont permis de prouver qu'il réside dans le pays depuis plus de cinq ans, condition préalable à l'obtention de la nationalité. Muni de ce sauf-conduit rassurant, Mengele rentre à Buenos Aires et attend la suite des événements. Mais la passivité des Argentins pousse les agents israéliens, qui ont récemment retrouvé et enlevé Adolf Eichmann, à agir. Ils resserrent la surveillance autour de sa villa et se préparent à l'enlever aussi. Mais Mengele leur échappe.

Il est brièvement aperçu à San Carlos de Bariloche, station de villégiature à proximité de la frontière chilienne, avant de disparaître de nouveau. Entre-temps, l'Argentine s'est décidée à lancer un mandat d'arrêt contre lui, et la piste de Mengele se perd dans la forêt brésilienne. Pendant plus d'un an, il restera introuvable. En avril 1961, un informateur, ancien membre des SS dont il s'est vite désolidarisé, alerte Wiesenthal : Mengele a été repéré en Égypte où il se prépare à gagner la Crète ou une des îles voisines. Les services israéliens s'activent mais Mengele parvient à nouveau à s'échapper.

Convaincu que l'Amérique latine est le seul endroit où il sera en sécurité, Mengele est de retour au Paraguay en1962. Sa femme et son fils sont restés en Europe, où ce dernier poursuit ses études. Simon Wiesenthal les localise sans peine mais l'enquête révèle que Mengele n'est pas sur place, même de façon épisodique. Mengele est en effet àAsunción, la capitale du Paraguay, véritable refuge pour anciens nazis. En juillet 1962, le Paraguay reçoit à son tour une demande d'extradition. Craignant que sa nouvelle nationalité ne le protège pas suffisamment, Mengele se retire dans une province reculée près de la frontière.

La veille de Noël 1963, Rolf Mengele (né en 1944), le fils du Dr Mengele, prévient ses camarades qu'il doit se rendre en Italie pour rencontrer un proche parent qui vit depuis de nombreuses années en Amérique du Sud. Lorsque Simon Wiesenthal, prévenu trop tard, arrive à l'hôtel milanais où le jeune homme est descendu, il apprend que la note a été réglée par le Dr Gregor Gregory, une des nombreuses identités dont use Mengele.

En août 1966, à Hohenau, petite station de villégiature prisée des Paraguayens, six hommes font irruption dans l'hôtel Tirol à la recherche du Dr Fritz Fischer. Lorsqu'ils arrivent dans la chambre de celui-ci, elle est vide, l'homme s'est échappé par les toits et ses poursuivants israéliens ont encore raté leur cible.

Mengele finit sa vie dans un deux-pièces cuisine de la banlieue de São Paulo, complètement reclus, sans aucune relation sociale de peur d'être reconnu, vivant chichement des subsides envoyés par sa famille ou d'anciens nazis.

Malgré tous les efforts internationaux pour le trouver, Mengele ne fut jamais pris et après 34 ans de fuite, il meurt noyé au Brésil en 1979, foudroyé par une attaque cardiaque durant une baignade à Bertioga. Sa tombe fut localisée en 1985 par un effort combiné des autorités américaines, allemandes et sud-américaines. Après exhumation, il fut identifié en 1992 par des tests génétiques sur ses os (mâchoire) réalisés par les légistes de l'UNICAMP (Université d'État de Campinas) ; l’anthropologue Clyde Snow a confirmé l'identité de Mengele.

Postérité

Selon les services israéliens, Mengele ne constitue pas le pire des criminels nazis. D'autres médecins, tels Carl Clauberg ou Horst Schumann, lui sont bien supérieurs en ce domaine. De la même manière, son rang dans la SS était modeste et ses recherches n'ont jamais attiré l'attention d'Himmler, le chef suprême de la SS peu réticent à ce genre d'expériences. Cependant il a des centaines de victimes à son actif ; rien que pour ses expériences sur les jumeaux, il fait 111 victimes. D'avoir échappé si longtemps aux polices les plus expérimentées a certes contribué à faire de Mengele un personnage médiatique, mais il restera avant tout dans les mémoires et dans l'histoire du xxe siècle ( au même titre que le Japonais Shirō Ishii qui dirigeait l'Unité 731 en Chine occupée) comme l'un des pires symboles de la médecine dévoyée et criminelle à l'œuvre sous le Troisième Reich.

 

 en 1935, Mengele a soutenu sa thèse d'anthropologie qui porte sur 1' « examen radiomorphologique de la partie antérieure de la mâchoire inférieure dans quatre groupes raciaux ». Ses conclusions, absurdes d'un point de vue scientifique, veulent prouver la "supériorité" de l'Européen de type nordique, incarnation parfaite de la race aryenne.

Entre 1940 et 1943, Joseph Mengele sert notamment dans la Waffen SS. A la suite d'une blessure sur le front de l'Est qui le rend médicalement inapte au combat, il rentre en Allemagne Il est promu au grade de Hauptsturmfiirhrer, de capitaine, et reçoit quatre décorations.

Il arrive à Auschwitz le 30 mai 1943, avec la fonction de médecin-chef de Birkenau.

Que fait-il à Auschwitz ? 

    • Il participe aux sélections des déportés « valides au travail » à l'arrivée des convois. Il déploie ici une énergie et un zèle peu communs afin de remplir les chambres à gaz. Des témoins l'ont vu abattre lui même une mère qui refusait d'être séparée de ses enfants.
    • Il utilise les déportés pour ses expériences médicales. Il fait mettre les jumeaux dans des blocks à part (des baraques). Il les examine, les mesure, les tue pour disséquer leur cadavres. Ces expériences n'apportent rien, ne débouchent sur rien, mais il les continue, dans une sorte de délire, d'obsession. Son objectif est de faciliter la reproduction des soi-disant "êtres supérieurs que seraient les "aryens", les Allemands. Il fait une sorte de catalogue des traits physiques mais n'est aucunement un précurseur de la génétique. C'est plutôt une sorte de collectionneur d'anomalies physiques.
Photo représentant deux jumelles naines, souriantes, chez elles, après la guerre. Elisabeth et Perla Moshkowitz, deux jumelles naines, ont survécu parce que Mengele s'intéressait à elles.

Après la guerre, le "docteur" Mengele réussit à fuir et serait mort en 1979 au Brésil.

Le témoignage d'une infirmière sur le délire raciste des expériences inutiles du Docteur Mengele :

 

« Je me rappelle la petite Dagmar. Elle était née à Auschwitz en 1944 de mère autrichienne et j'avais aidé à la mettre au monde. Elle est morte après que Mengele lui eut fait des injections dans les yeux pour essayer d'en changer la couleur. La petite Dagmar devait avoir des yeux bleus !... » 

Témoignage d'Ella Lingens, infirmière polonaise déportée à Auschwitz,cité par H. Langbein, Hommes et femmes à Auschwitz, Paris, Fayard, 1975

Après la guerre, une commission d'enquête sur les Crimes allemands en Pologne rapporte qu'il y eut d'autres expériences, tout aussi inutiles, menées par d'autres médecins nazis :

 

« Il y a des preuves irréfutables qui démontrent que certaines expériences ont été faites sur des hommes vivants. Ce sont les dépositions de plusieurs témoins et le compte rendu de la séance de la Section de chirurgie du 16 décembre 1943 qui cite notamment: 90 castrations, 10 ablations d'ovaires et une ablation de l'oviducte. Les expériences avaient lieu dans le Block 10 du camp principal. On peut les classer comme suit : expériences visant à l'examen du cancer, expériences de stérilisation, expériences hématologiques et sérologiques. Le plus souvent, des juives étaient employées à cet effet. Beaucoup d'entre elles furent à plusieurs reprises l'objet d'expériences. On constata, après quelques essais, qu'une fois opérées, les femmes n'étaient plus bonnes pour les expériences et dès lors on les expédiait directement aux chambres à gaz.

Les expériences de stérilisation au moyen de rayons étaient l'oeuvre du professeur Schumann de Berlin, lieutenant d'aviation de la Wehrmacht. Beaucoup de femmes vomissaient violemment après de telles expériences, beaucoup moururent peu après. Au bout de trois mois, chaque opérée subissait encore deux opérations de contrôle, pendant lesquelles une partie de leurs organes était incisée afin d'en vérifier l'état. C'est probablement à la suite de transformations hormonales provoquées par ces opérations que les jeunes filles vieillissaient précocement et faisaient l'impression de femmes âgées.

Quant aux hommes, un testicule seulement était soumis à l'insolation. Après cette opération, ils retournaient aux Blocks généraux et, après un repos d'une journée seulement, ils étaient remis au travail, sans qu'on tienne compte de leur état de santé. Beaucoup d'entre eux succombaient à la première expérience. Ceux qui y avaient survécu étaient au bout d'un mois castrés par le même Schumann, qui collectionnait les testicules coupés et les expédiait à Berlin. On choisissait pour ces expériences des hommes et des femmes jeunes et robustes, le plus souvent des juifs de Grèce. Au cours d'une séance, trente femmes environ étaient soumises à l'insolation. De telles séances étaient organisées par Schumann deux ou trois fois par semaine. Mais c'est le professeur

Clauberg, gynécologue allemand, qui fut le principal expérimentateur sur des êtres humains vivants. »

Les Crimes allemands en Pologne, Varsovie, 1948,rapport de la commission générale d'enquête sur les crimes allemands en Pologne
Expérience « médicale » pratiquée sur un cobaye humain dans la camp de Dachau : 
Il s'agissait de tester la résistance du corps humain à la pression atmosphérique. 
(Archives du CDJC)

Tableau des expériences "pseudo-médicales" réalisées dans les camps

 

Auschwitz

  • Expériences de stérilisation sur des femmes par injections intra utérines
  • Expériences de stérilisation sur des hommes et des femmes au moyen de rayons X (150 expériences)
  • Etude de l'évolution du cancer de la matrice (au moins 50 victimes)
  • Expériences sur les phlegmons (au moins 30)
  • Examens de l'atrophie du foie
  • Modification dans l'organisme sous l'influence de la faim
  • Expériences sur les jumeaux (111 victimes)
  • Expériences avec de la mescaline : obtention des aveux
  • Expériences à l'aide de brûlures (16 victimes)
  • Expériences par électrochocs, sur des aliénés
  • Expériences avec le sérum sanguin, afin d'obtenir un titre d'agglutination plus élevé, mélange de sang des groupes A II et B III
  • Expériences sur la malaria
  • Fabrication de moulages en plâtre d'organes génitaux féminins prélevés sur les déportées

Buchenwald

  • Expériences de "traitement" au phénol
  • Essais de vaccins de typhus exanthématique
  • Controle du vaccin de la fièvre jaune (485 cobayes humains)
  • Immunisation avec des vaccins de Frankel (gangrène gazeuse) (15 victimes)
  • Expériences sur des hormones
  • Expériences sur la pervitine
  • Expérience sur des bombes incendiaires au caoutchouc phosphoreux (5 victimes)
  • Expériences en graznd nombre sur des vaccins ou pseudo-vaccins contre la dysenterie, l'hépatite épidémique, la tuberculose...

Dachau

  • Expériences de ponction du foie (175 victimes environ)
  • Expériences sur la malaria (1.100 cobayes humains)
  • Expériences d'absorption d'eau de mer (40 victimes)
  • Expériences de basses pressions (plus de 200 victimes)
  • Expériences sur le froid (250 victimes)
  • Expériences sur la tuberculose (114 victimes)
  • Opérations chirurgicales expérimentales inutiles
  • Essais d'alimentation
  • Emploi de la mescaline
  • Cristalisation du sang par solution

Mauthausen

  • Mêmes expériences sur les vaccins (2.000 victimes)
  • Expériences avec des poux contaminants

Natzweiler

Schirmeck

  • Expériences sur le typhus
  • Expériences sur l'ypérite et le phosgène (300 victimes)
  • Expérience avec l'urotropine
Expériences menées par les professeurs Hirt, Bickenbach et Letz, de l'Université allemande de Starsbourg, dans une section spéciale appelée "Héritage des ancêtres"

Neuengamme

  • Expériences de désintoxication de l'eau potable polluée par des substances toxiques (plus de 150 victimes)

Ravensbrück

  • Expériences sur la gangrène gazeuse (75 victimes)
  • Expériences sur la régénération des muscles, des nerfs et des os (nombre inconnu de victimes)
  • Expériences de stérilisation de femmes
  • Expériences de greffes de peau
  • Expériences mystérieuses avec une poudre blanche non identifiée
A Ravensbrück, les déportées soumises à ces expériences étaient appelées les "lapins".

Sachsenhausen

  • Expériences avec des balles de nitrate d'acotinine (6 victimes)
  • Expériences pour ralentir le rythme cardiaque
  • Expériences avec l'ypérite (gaz moutarde)
  • Expériences sur les différences sérologiques des "races" (47 victimes tziganes)
  • Expérience avec du cyanure de potassium (1 victime avérée au crématorium)
  • Expériences de vessies artificielles
  • Expériences sur les intoxications saturnines insensibles dues à l'absorption d'eau provenant des conduites de plomb
  • Expériences avec des sulfamides
  • Essais d'alimentation
  • Expériences sur la résistance au froid
  • Essais pour déterminer le degré de solidité des chaussures de la Wehrmacht

 

L'Ahnenerbe, une société criminelle qui organisait les «expériences médicales »

« La passion de Himmler pour les expériences scientifiques, ou plutôt « pseudo-scientifiques », spécialement dans le domaine des recherches raciales, l'avait amené à créer en 1933 la société Ahnenerbe — ou Héritage des Ancêtres —  dont le siège était installé 16, Pûcklerstrasse à Berlin-Dahlem et qui était chargée à partir de 1935 d'étudier tout ce qui avait trait à l'esprit, aux actes, aux traditions, aux caractéristiques et à l'héritage de la soi-disant race « nordique indo-germanique ». Le 1er janvier 1939, elle reçut un statut nouveau qui la chargea de recherches scientifiques, lesquelles aboutirent aux expériences dans les camps.

Le 1er janvier 1942, la société fut rattachée à l'état-major personnel de Himmler et devint un organisme S. S. Le Comité directeur comprenait Himmler, président, le Dr Wuest, recteur de l'Université de Munich, et Sievers, ancien libraire devenu colonel S. S., secrétaire de la société, qui joua un rôle très important.

C'est l'Ahnenerbe qui, sur les instructions de Himmler, provoqua, organisa et finança la plupart des expériences. L'Ahnenerbe prit un développement énorme et disposa finalement de cinquante Instituts scientifiques spécialisés. Le point de départ des expériences paraît être une demande adressée à Himmler par le Dr Sigmund Rascher »

d'après Jacques Delarue, Histoire de la Gestapo, Fayard, 1962

A la Libération, la découverte des traces des expériences, à Strasbourg

Compte-rendu du Commandant RAPHAËL, du Service Cinématographique des Armées.

« Le vendredi 1er décembre 1944, au cours d'une visite à l'Hôpital Civil de Strasbourg pour rechercher du matériel photographique provenant de l'Institut allemand, le Commandant Raphaël, du Service Cinématographique de l'Armée, a constaté la présence dans le sous-sols du bâtiment de l'Institut d'Anatomie de cadavres entassés, dans des cuves peines d'alcool.

Ces cadavres étaient destinés aux expériences du Professeur Hirth, Directeur de l'Institut.

D'après les déclarations des employés alsaciens : Peter, Wagner et Gabel, ces corps auraient été livrés à l'Institut, sur la demande du Professeur Hirth, par un camp d'internés politiques (Schirmeck ou Struthof).

Sur 120 cadavres commandés, 86 ont été livrés (dans la même journée, en plusieurs fois) à 5h du matin.

Les corps étaient transportés nus, à raison de 50 par camion.

Lors de leur déchargement, les témoins ont pu constater que les cadavres présentaient les caractéristiques suivantes : Ils étaient encore tièdes et ne présentaient pas la raideur cadavérique. Leurs yeux étaient congestionnés et rouges. Ils portaient un matricule tatoué sur le bras. Ils comprenaient 30 femmes de tous âges.

D'autre part, il est à signaler qu'il a été trouvé dans le laboratoire du Professeur une bombe puissante à oxygène liquide (10kgs) destinée à provoquer la destruction de toute l'installation, et à faire disparaître ainsi toute trace compromettante. L'Avance rapide de l'armée Leclerc a empêché la réalisation de ce projet. Toutefois, le Professeur Hirth a réussi à s'enfuir, mais une partie de ses assistants sont restés sur place.

Les personnes dont les noms suivent sont à même de fournir tous détails complémentaires sur cette affaire et de servir de témoins :

1- Eléments alsaciens ayant dénoncé les agissements du Professeur et continuant leur service à l'Hôpital Civil : Pater, Wagner, Gabel.

2 - Eléments allemands (internés ou surveillés) : Mlle Seepe, secrétaire du Professeur Hirth ; M. et Mme Bong, assistants du Professeur.

Mr Bong devait être fusillé, et n'a pas été exécuté, afin de servir de témoin. Il est interné.

En résumé : Le nombre de cadavres, la manière anormale dont ces corps ont été amenés à l'hôpital, les précautions prises pour pouvoir faire disparaître toutes traces de ces installations, enfin, les déclarations des employés attachés à ce service, prouvent que le Professeur Hirth était un triste personnage dont l'activité est à mettre en lumière.

Il semble qu'on se trouve en face d'une manifestation de la barbarie allemande.

Fait à Paris, le 10 décembre 1944.

 

Shirō Ishii

Ishii en 1932.

Shirō Ishii (石井 四郎Ishii Shirō1892-1959) était le lieutenant-général de l’unité 731, chargée de la recherche sur les armes bactériologiques pendant la Seconde Guerre sino-japonaise. Il poussa le Japon à adopter une stratégie de guerre bactériologique alors que le pays était signataire de la Convention de Genève de 1925 interdisant le recours aux armes chimiques. Il fut la clé de voûte de l'organisation de programmes massifs d'expérimentations biomédicales, sur des cobayes humains notamment. Il fut à ce titre suspecté de crimes de guerre.

Jeunesse et années d'études : 1892-1920

Shiro Ishii naît le 25 juin 1892 dans l’ancien village de Chiyoda dans la préfecture de Chiba au Japon (à deux heures de voiture du centre actuel de Tokyo) dans une famille de riches propriétaires terriens. Il entre au département de médecine de l’université impériale de Kyōto en 1916 et en sort diplômé en 1920.

Débuts dans l'armée : 1922-1932

Il rejoint l'armée en tant que Chirurgien Lieutenant peu après avoir obtenu son diplôme, obtenant son transfert durant l'été 1922 à l'hôpital de la Première Armée de Tokyo.

À cette époque, il apparaît brillant, charismatique, parfois instable, versatile, extravagant et ambitieux. Il est aussi ultra-nationaliste, cherchant avec ferveur à faire du Japon un leader en Asie. Son travail le distingue aux yeux de ses supérieurs, qui le renvoient en 1924 à l'Université de Kyoto, préparer un doctorat. L'année suivante, Shiro Ishii et sa femme, la fille du directeur de l'Université impériale de Tokyo, donnent naissance à leur fille aînée Harumi Ishii. Un an plus tard, Shiro Ishii obtient son doctorat en microbiologie.

Au cours de ses travaux scientifiques, Shiro Ishii tombe sur un rapport qui va changer sa vie : écrit par le Premier Lieutenant de Seconde Classe Harada, ce rapport se concentre sur les armes bactériologiques, au cœur de la Conférence de Genève de 1925 à laquelle Harada, en tant que membre du Bureau de la Guerre, a assisté. Ishii y voit un potentiel énorme pour l'armée japonaise et décide de s'y intéresser.

Membre de plusieurs sociétés secrètes influentes dans les milieux militaires, son charisme et ses talents de persuasion le font vite remarquer auprès des personnalités influentes de l'armée, notamment l'ex-général Chirurgien de l'armée et ex-ministre de la santé, Koizumi Chikahiko, qui lui obtient le poste de Professeur d'Immunologie à l'Université médicale militaire de Tokyo, l'école médicale militaire la plus prestigieuse du Japon.

Au début de l’année 1928, il fait un voyage de 2 ans en Europe et en Amérique où il se lance dans des recherches intensives sur les effets des armes bactériologiques et des armes chimiques. Il y étudie notamment les armes chimiques utilisées pendant la Grande Guerre, visitant plusieurs instituts médicaux européens, canadiens et américains.

En 1930, de retour d'Europe, Ishii est promu commandant. Ses recherches sur les armes bactériologiques suscitent l'intérêt des hautes sphères militaires. Devant l'infériorité du Japon par rapport aux États-Unis et à l'URSS en termes de population et de capacité de production de guerre, les armes bactériologiques apparaissent en effet comme une solution pour inverser le rapport de force. Dans ce contexte, Shiro Ishii reçoit le soutien du Ministre de la Guerre Araki Sadao, du chef du bureau militaire des Affaires Nagata Tetsuzan et de colonels de factions ultra-nationalistes. Grâce à ses contacts, Shiro Ishii monte régulièrement en grade (tous les trois ans jusqu'à obtenir le grade de Lieutenant Général en 1930).

Il intègre en 1930 le service de la prévention des épidémies de l’école de médecine de l’armée. Il s'intéresse alors autant à la prévention des maladies qu'à la mise au point des armes bactériologiques. Il commence à cette date à conduire secrètement des expériences sur des cobayes humains non consentants dans son laboratoire à Tokyo.

En 1931, il invente un filtre à eau capable de nettoyer l’eau des bactéries, dispositif utilisé dans la Marine impériale japonaise.

Les expérimentations : 1932-1945

Article détaillé : Unité 731.

Dès 1930, réalisant que Tokyo n'est pas l'endroit approprié pour conduire des expérimentations à grande échelle, Shiro Ishii voit dans le Mandchoukouo l'endroit adapté à ses projets et commence les opérations en 193213.

Après le stade de Harbin, le village de Beiyinhe de 1932 à 1936

En 1932, il reçoit la permission du ministre de l'Armée, Sadao Araki, de développer un programme de recherche bactériologique et de mener des expériences sur les humains. Il dirige donc de 1932 à 1934 le “laboratoire de recherches sur la prévention des épidémies” chargé en réalité d'étudier les armes bactériologiques, qu'il installe d'abord en 1932 à Harbin, ville cosmopolite du Nord de la Mandchourie, non loin de la frontière sino-russe. Il achète de nombreux bâtiments, dispose d'un personnel (300 hommes) et d'un équipement importants, et un budget lui est confié (200 000 yens). Les recherches sur les armes bactériologiques restent secrètes et la structure est désignée sous le nom d'Unité Togo (東郷部隊, Tōgō Butai). Il devient vite manifeste cependant qu'Harbin est encore trop ouverte pour préserver le secret des expériences. Le choix se porte alors, fin 1932, sur Beiyinhe, petite ville isolée à 60 kilomètres au sud de Harbin. Shiro Ishii y fait construire un bunker-laboratoire gigantesque surnommé “La Forteresse Zhongma”. Il mène des expériences sur des prisonniers politiques et lorsque ces derniers viennent à manquer, sur d'autres prisonniers. Il doit cependant interrompre les expériences qui s'y déroulent fin 1934 à cause d'une révolte des cobayes humains et de l'explosion d'un dépôt de munition voisin qui endommage les installations. Certains prisonniers-cobayes s'étant échappés, le secret de l'opération est menacé. Shiro Ishii obtient alors la construction d'un nouvel ensemble de 70 bâtiments à Pingfang (à 24 kilomètres au sud de Harbin).

Le camp de Pingfang : 1938-1945.

Shiro Ishii bénéficie du soutien, dont le caractère volontaire ou involontaire reste inconnu, de l'Empereur Hirohito qui, le 1er octobre 1936, passe un décret impérial établissant une nouvelle unité de l'armée, la Boeki Kyusui Bu ou « Administration de fourniture d’eau et de prophylaxie de l’armée du Guandong ». Ishii est promu colonel lors de l'ouverture du nouveau centre en 1938.

Si l'Unité effectue effectivement un travail de purification des eaux, l'essentiel de sa tâche est secret. Chef de Bureau, Shiro Ishii peut organiser le projet avec une ample marge de manœuvre. Il ajoute à l'Unité Togo des médecins civils et des soldats venus de son village d'origine qui lui sont loyaux. Cette nouvelle unité prend le nom d'Unité Ishii et sera renommée en 1941 la fameuse Unité 731 (731 部隊, Nana-san-ichi butai). Il se retrouve alors à la tête d'une organisation plus importante, qui emploie près d'un millier de chercheurs (médecins, biologistes, vétérinaires et chimistes). Ses deux frères participent activement au projet : son frère Takeo supervise les systèmes de sécurité des prisonniers humains afin d'éviter les évasions pendant que Mitsuo supervise les espèces animales et la reproduction des divers cobayes animaux (rats, bacilles, puces).

Une fois l'installation de PingFang complétée, d'autres unités plus réduites sont créées d'abord en Mandchourie, àAnda, 140 kilomètres au Nord de Harbin et Dalian, un port du sud de Mandchourie. L'influence de Shiro Ishii s'étend aux parties occupées de la Chine, à la Mongolie intérieure, puis aux autres territoires occupés par le Japon au début de la Seconde Guerre mondiale : Singapour, etc. Au sommet de son pouvoir, Shiro Ishii contrôle une flotte aérienne, un personnel scientifique et médical composé de plusieurs milliers d’individus et une armée de soldats. Plus important, il gère à lui seul des sommes énormes. Il est également en étroite relation avec les hôpitaux japonais : les médecins de l’unité sont des médecins civils et les conclusions des expériences sont communiquées régulièrement au monde médical japonais. Enfin il bénéficie également du concours de la kempeitai, la police militaire de l'armée de terre, qui lui fournit ses cobayes humains.

La taille du complexe lui permet d'organiser dès 1938 des tests à l'air libre sur des soldats et des civils chinois, mandchous, coréens et russes blancs. L’affirmation selon laquelle des prisonniers de guerre britanniques et américains auraient été « utilisés » lors de ces tests prête à débat. Selon Sheldon Harris cette affirmation est infondée, mais le journal personnel de Robert Peaty, major du Royal Army Ordnance Corps (RAOC) et prisonnier de guerre au camp de Mukden, mentionne en janvier et février 1943 l'inoculation de maladies infectieuses aux prisonniers de guerre américains par des médecins de l'unité 731 sous prétexte de faire des vaccins.

L'application de ses expériences

Dans le cadre des recherches de l'Unité 731, Shiro Ishii est amené à donner des conférences et à faire des démonstrations de vivisections devant des personnalités médicales, militaires et politiques japonaises. Viennent notamment y assister les princes Chichibu, et Mikasa, jeunes frères de l'Empereur Hirohito, ainsi qu'Higashikuni Naruhiko, l'oncle de l'Empereur .

Il organise dans son centre des essais de toutes sortes visant à étudier les effets sur les « marutas » (surnom donné aux cobayes signifiant « bûches » ou « billes de bois ») de nouvelles armes, des températures extrêmes, de l'inoculation de souches bactériologiques. Ces expériences conduisent à l'utilisation d'armes bactériologiques utilisant principalement l'anthrax, le tétanos et la peste. Les méthodes imaginées pour répandre les bactéries sont diverses : distribution de nourriture ou de vêtements infectés, bombes, largage de puces, infestation des sols et de l'eau...

Entre 1937 et 1945, des dizaines de milliers de Chinois décèdent de la peste bubonique, du choléra, de l’anthrax, de la tuberculose, de la typhoïde et d’autres virus. Le nombre total de morts chinois qui résulte des armes bactériologiques utilisées par l'armée japonaise est estimé à 208 000, dont 187 000 civils par R.J Rummel . Sheldon Harris fixe quant à lui le nombre de morts aux alentours des 250 000. Quant à Shiro Ishii et l'unité 731, ils sont responsables de la mort d'entre 3 000 et 12 000 « cobayes » selon Sheldon Harris .

Défaite japonaise et démantèlement : 1945

Deux jours après l'explosion de la bombe nucléaire à Hiroshima, le 8 août, l'Union Soviétique entre en guerre et ses troupes avancent rapidement en Mandchourie. Les prisonniers du complexe de PingFang sont tués par injections d’acide prussique et incinérés en 3 jours. La centrale thermique, la prison le 11 août puis tout le reste sont détruits, sauf les bâtiments de l'entrée. Le groupe des aviateurs est chargé de dynamiter les bâtiments. Les trains se succèdent pour acheminer les nombreux membres du personnel de l'unité 731 jusqu'en Corée. Le dernier train part le 14 août au soir. Le 15 août, l'Empereur Hirohito déclare à la radio la fin de la guerre  .

5 jours plus tard, le dernier convoi d'évacuation du complexe de Pingfang arrive à Busan (ou Pusan, sur le littoral coréen). Shiro Ishii y attend les membres de l'Unité 731. L'unité est définitivement dissoute, mais les membres de l'Unité sont contraints au silence, avec ordre de dire qu'ils veillaient à empêcher la propagation d'épidémies et de purification des eaux. Shiro Ishii commande une équipe qui rejoint secrètement Tokyo en s'arrêtant chaque soir dans des temples amis. Il atteint Tokyo à la fin du mois d'août et découvre une ville dévastée, en attente des décisions américaines.

Le pacte avec les États-Unis : 1945

Douglas MacArthur arrive à la fin du mois de septembre 1945 au Japon accompagné d'un personnel nombreux comprenant des avocats, des détectives et des forces de police pour traquer les criminels de guerre japonais. De nombreux propos sont rapportés aux forces de police américaines quant aux agissements de l'Unité 731 et à la personne de Shiro Ishii, souvent anonymes, et quand déclarés souvent envoyés par les Partis Communistes Chinoisou Japonais. La précision et l'exhaustivité de certains renseignements laissent à penser que l'Unité avait peut-être été infiltrée par une cellule des Partis Communistes chinois ou soviétique. En conséquence, le 12 janvier 1946, l'ordre est donné par l'agence de contre-espionnage américaine d'arrêter Shiro Ishii pour lui faire subir un interrogatoire. Contrairement aux principaux criminels de guerre japonais, il n'est alors pas emprisonné mais assigné à résidence dans sa demeure de Tokyo. Ce dernier s'est jusque-là caché dans la montagne. Shiro Ishii et d'autres individus ayant joué un rôle important dans l'Unité 731, tels que Ryoichi Naito, sont alors interrogés. Des délégations de scientifiques envoyées de Fort Detrick, dans le Maryland, à Tokyo à l'automne 1945 (conduites par le Lieutenant Colonel Murray Sanders), en 1946 (Lieutenant Colonel Arvo Thompson), en 1947 (Dr Norbert H. Fell) et en 1948 (Dr Edwin V. Hill) rencontrent également Ishii et les autres dirigeants de l'Unité 731. Ces délégations, intéressées par les résultats scientifiques des expériences menées par l'Unité, jouent un rôle important dans la gestion de l'affaire. Alors qu’en Europe en 1947, le procès de Nuremberg met en évidence les responsabilités des nazis, un pacte secret est conclu entre Douglas MacArthur et Shiro Ishii. Ce pacte lui garantit l’immunité et le secret sur les atrocités commises en échange des résultats qu’il a obtenus. Une entente est conclue et tous les membres de l’unité sont exonérés de poursuites devant le Tribunal de Tōkyō. Ils reçoivent en plus une allocation à vie, sans doute de l’armée américaine.

Certains médecins capturés par les Soviétiques sont toutefois jugés en 1949 lors du procès de Khabarovsk mais cela ne représente que 12 membres de l’Unité 731. Shiro Ishii n’est pas inquiété. Richard Drayton, maître de conférence en histoire à l'Université de Cambridge, écrit que Shiro Ishii a donné plus tard une conférence dans le Maryland à propos des armes bactériologiques. D'autres sources disent qu'il est resté au Japon et a dirigé une pension. Il meurt d'un cancer de la gorge le 9 octobre 1959 .

Shirō Ishii en 1939.

Mémoire

Bien que les milieux médicaux, militaires et aristocratiques (la famille impériale notamment) connaissent l'histoire de l'Unité 731, longtemps les Japonais ignorent son existence. Sur les 9 éditeurs de livres d'histoire de secondaire, un seul consacre quelques lignes à l'Unité 731 et ses crimes. Ceux qui veulent briser le silence ou critiquer les agissements criminels japonais sont sujets à des pressions et menaces. La première étude japonaise sérieuse sur l’unité 731 est faite en 1976 . En 1981, la parution du livre-enquête de Seiji Morimura Unité 731 (éditions du Rocher) porte pour la première fois les activités de l'unité 731 à la connaissance du grand public. Dans la foulée, la publication d’articles de John Powell dans le Bulletin of Concerned Asian Scholars et dans le Bulletin of Atomic Scientists confirment également l'existence de l'Unité 731. Un an plus tard, le Ministère de la Santé japonais reconnaît officiellement l'existence de l'Unité 731 mais pas les expérimentations, sous prétexte d'insuffisance de preuves. Cette même année, la fille de Shiro Ishii, Harumi Ishii, donne une interview à Masanori Tabata, journaliste du Japan Times. Elle y explique qu'elle a travaillé comme secrétaire particulière de son père au quartier-général de Pingfang (près de Harbin) en 1945 et après la reddition, au domicile des Ishii à Tokyo, sténographiant une grande partie des entrevues livrées par celui-ci aux enquêteurs américains. L’article publie une photo la montrant assise à une table de banquet entre deux de ces enquêteurs.

En 1982 également le site de Pingfang est classé au patrimoine mondial et devient un lieu de mémoire. Les bâtiments administratifs sont aménagés en musée. Ce dernier présente une maquette du complexe de l'Unité 731, composé de laboratoires, d'une prison et de logements de fonctions pour le personnel japonais. Il contient aussi des scènes de vivisections avec mannequins, des photographies de prisonniers hagards, des répliques des bombes porteuses de maladies infectieuses lâchées dans des régions isolées où des prisonniers cobayes étaient placés.

En juin 1989 une grande quantité d'ossements sont découverts sur le site de l'ancienne école de Médecine de l'armée à Tokyo. Aucune enquête n'est menée pour savoir d'où ils proviennent. Entre 1993 et 1994, une exposition itinérante sur l'Unité 731 attire plus de 200 000 visiteurs. Cette même dernière année une liste officielle de 2000 ex-membres de l'Unité 731 est publiée. En 1995, un mouvement d'opinion demande que lumière soit faite sur les agissements de Shiro Ishii et des autres membres de l'Unité 731.

Tokyo s'est engagé à débarrasser la Chine de stocks d'armes chimiques produites pendant la guerre sur l'île d'Okonoshima. Plus de la moitié se trouve dans l'ancien Mandchoukouo.

En dépit des recherches d'historiens japonais et américains, des preuves apportées par les Chinois et de témoignages des certains ex-membres de l'Unité, le Japon refuse de faire véritablement la lumière sur les agissements de Shiro Ishii et l'unité 731. En 2002 cependant, une Cour de justice japonaise reconnaît officiellement le rôle de l'Unité 731 dans la guerre bactériologique qui s'est déroulée en Chine pendant la Seconde Guerre mondiale, mais elle dédouane le gouvernement japonais de toute réparation envers les plaignants chinois et russes.

Similitudes avec Mengele

Shiro Ishii compte parmi les symboles de la médecine dévoyée qui ont marqué le XXème siècle, à l'instar de Josef Mengele, médecin nazi connu notamment pour ses expérimentations médicales sur des cobayes juifs au sein du camp d'Auschwitz lors de la seconde Guerre Mondiale. Si le but des expérimentations différaient – les expérimentations de Shiro Ishii avaient une finalité surtout militaire, puis médicale, tandis que celles de Josef Mengele visaient à étayer scientifiquement la théorie raciale nazie – , Shiro Ishii et Josef Mengele se retrouvent quant aux méthodes utilisées – l'utilisation de cobayes humains forcés dans le cadre d'expériences médicales – et à l'impunité dont ils ont bénéficié.

 

17 juillet 2013

anti 14 juillet.......

gao-1471

 

En ce jour de propagande militariste, où médias et politiques s’extasient tels des enfants fous devant chars d’assaut, avions de chasse et autres jouets pour décérébrés, tournons-nous plutôt vers Thiéfaine, Brassens, Brel, Vigneault et surtout Léo Ferré à l’occasion des vingt ans de sa disparition

Regardez-les – Léo Ferré

Regardez-les défiler
Ils ne savent ce qu’ils font
Et pourtant, ils s’en vont
Ils s’en vont sans savoir où ils vont
Regardez-les défiler
Ils n’ont pas su dire non
À la voix du canon
Ils s’en vont pour le droit, pour la loi
On ne sait jamais pourquoi
Et voilà, on remet ça !

On leur a dit que c’était la dernière guerre
Ils sont partis sans un mot mais ils n’y croient guère
Regardez-les s’en aller
Dans quelques jours, ils auront
Des tambours, des clairons
Ils tueront sans savoir ce qu’ils font
Regardez-les s’en aller
Dans quelques jours, ils auront
Des fusils, des canons
Ils tueront, croix d’honneur, croix de bois
On ne sait jamais pourquoi
Et voilà, on remet ça !

La vie, l’amour, les chansons n’ont pas de frontières
Nous sommes tous les enfants de la même Terre
Prends ton fusil
Mon ami
C’est pour la dernière fois
On dit ça
Et voilà
Pour le droit, pour la loi
On remet ça !

Prends ton fusil
Mon ami
Si tu savais t’en servir
Tu pourrais t’affranchir
Pour le droit, pour la loi
Mais voilà, on ne sait jamais pourquoi
Ces choses-là
N’ se font pas

Critique du chapitre 3 – Hubert-Félix Thiéfaine

Et les roses de l’été
Sont souvent aussi noires
Que les charmes exhalés
Dans nos trous de mémoire
Les vaccins de la vie
Sur les bleus de nos coeurs
Ont la mélancolie
Des sols bémols mineurs
Pour un temps d’amour
Tant de haine en retour

Quelques froides statues
Aux pieds des sycomores
Rappellent un jamais plus
Avec le nom des morts
Un oiseau de chagrin
Dans le ciel assombri
Chante un nouveau matin
Sur des ruines en Bosnie
Pour un temps d’amour
Tant de haine en retour

Je visionne les miroirs
De ces vies déchirées
Maintenant que le soir
Ne cesse de tomber
Et ma colère qui monte
Et ma haine accrochée
Au-dessus de ces tombes
Où je n’ose pas cracher
Pour un temps d’amour
Tant de haine en retour

D’autres salauds cosmiques
S’enivrent à Bételgeuse
Dans les chants magnétiques
Des putains nébuleuses
L’humain peut disparaître
Et son monde avec lui
Qu’est-ce que la planète Terre
Dans l’oeil d’un rat maudit
Pour un temps d’amour
Tant de haine en retour

Les patriotes – George Brassens

Les invalid’s chez nous, l’revers de leur médaille
C’est pas d’être hors d’état de suivr’ les fill’s, cré nom de nom,
Mais de ne plus pouvoir retourner au champ de bataille.
Le rameau d’olivier n’est pas notre symbole, non!

Ce que, par-dessus tout, nos aveugles déplorent,
C’est pas d’être hors d’état d’se rincer l’œil, cré nom de nom,
Mais de ne plus pouvoir lorgner le drapeau tricolore.
La ligne bleue des Vosges sera toujours notre horizon.

Et les sourds de chez nous, s’ils sont mélancoliques,
C’est pas d’être hors d’état d’ouïr les sirènes, cré de nom de nom,
Mais de ne plus pouvoir entendre au défilé d’la clique,
Les échos du tambour, de la trompette et du clairon.

Et les muets d’chez nous, c’qui les met mal à l’aise
C’est pas d’être hors d’état d’conter fleurette, cré nom de nom,
Mais de ne plus pouvoir reprendre en chœur la Marseillaise.
Les chansons martiales sont les seules que nous entonnons.

Ce qui de nos manchots aigrit le caractère,
C’est pas d’être hors d’état d’pincer les fess’s, cré nom de nom,
Mais de ne plus pouvoir faire le salut militaire.
jamais un bras d’honneur ne sera notre geste, non!

Les estropiés d’chez nous, ce qui les rend patraques,
C’est pas d’être hors d’état d’courir la gueus’, cré nom de nom,
Mais de ne plus pouvoir participer à une attaque.
On rêve de Rosalie, la baïonnette, pas de Ninon.

C’qui manque aux amputés de leurs bijoux d’famille,
C’est pas d’être hors d’état d’aimer leur femm’, cré nom de nom,
Mais de ne plus pouvoir sabrer les belles ennemies.
La colomb’ de la paix, on l’apprête aux petits oignons.

Quant à nos trépassés, s’ils ont tous l’âme en peine,
C’est pas d’être hors d’état d’mourir d’amour, cré nom de nom,
Mais de ne plus pouvoir se faire occire à la prochaine.
Au monument aux morts, chacun rêve d’avoir son nom.

Le caporal casse-pompon – Jacques Brel

Mon ami est un type énorme
Il aime la trompette et le clairon
Tout en préférant le clairon
Qu’est une trompette en uniforme
Mon ami est une valeur sûre
Qui dit souvent sans prétention
Qu’à la minceur des épluchures
On voit la grandeur des nations

Subséquemment subséquemment
Subséquemment que je ne comprends pas
Pourquoi souvent ses compagnons
L’appellent
L’appellent
Caporal casse-pompon

Mon ami est un vrai poète
Dans son jardin, quand vient l’été
Faut le voir planter ses mitraillettes
Ou bien creuser ses petites tranchées
Mon ami est homme plein d’humour
C’est lui qu’a trouvé ce bon mot
Que je vous raconte à mon tour
Ich slaffen at si auuz wihr prellen zie

Subséquemment subséquemment
Subséquemment que je ne comprends pas
Pourquoi souvent ses compagnons
L’appellent
L’appellent
Caporal casse-pompon

Mon ami est un doux rêveur
Pour lui Paris c’est une caserne
Et Berlin un petit champ de fleurs
Qui va de Moscou à l’Auvergne
Son rêve revoir Paris au printemps
Redéfiler en tête de son groupe
En chantant comme tous les vingt-cinq ans
Baisse ta gaine Gretchen que je baise ta croupe (ein zwei)

Subséquemment subséquemment
Subséquemment que nous ne comprenons
Comment nos amis les Franzosen
Ils osent ils osent l’appeler
Caporal casse-pompon (ein zwei) !

113e cigarette sans dormir – Hubert-Félix Thiéfaine

Les enfants de Napoléon
Dans leurs mains tiennent leurs roustons
S’ils ont compris tous les clichés
Ça fera de la bidoche pour l’armée…
Les partouzeurs de miss métro
Patrouillent au fond des souterrains
Mais ils rêvent d’être en hélico
À se faire de nège et du youpin…
Les vopos gravent leurs initiales
Dans le brouillard des no man’s lands
Et les démasqueurs de scandales
Prennent le goulag pour Disneyland…
Les gringos sortent un vieux crooner
Pour le western du silence
Demain, au Burgenbräukeller
Je léguerai mon âme à la science…
Car moi je n’irai pas plus loin
Je tiens ma tête entre mes mains
Guignol connaît pas de sots métiers
Je ris à m’en faire crever!
Le petites filles de Mahomet
Mouillent aux anticoagulants
Depuis qu’un méchant gros minet
Joue au flipp avec le Coran
Les dieux changent le beurre en vaseline
Et les prophètes jouent Dracula
S’il vous reste un fond de margarine
J’en aurai besoin pour ma coda
Car moi je n’irai pas plus loin
Je tiens ma tête entre mes mains
Guignol connaît pas de sots métiers
Je ris à m’en faire crever!

Tu traîne ta queue dans la chaux vive
Et t’hésites à choisir ton camp
T’as des aminches à Tel-Aviv
Et des amours à Téhéran…
Si tu veux jouer les maquisards
Va jouer plus loin, j’ai ma blenno
Tu trouveras toujours d’autres fêtards
C’est si facile d’être un héros…
Mais moi je n’irai pas plus loin
Je tiens ma tête ente mes mains
Guignol connaît pas de sots métiers
Je ris à m’en faire crever
Retour aux joints et à la bière
Désertion du rayon képis!
J’ai rien contre vos partenaires
Mais rien contre vos petites soeurs ennemies
Manipulez-vous dans la haine
Et dépecez-vous dans la joie
Le crapaud qui gueulait: je t’aime
A fini planté sur une croix!
Et moi je n’irai pas plus loin
Je tiens ma tête entre mes mains
Guignol connaît pas de sots métiers…
Non moi je n’irai pas plus loin
Je tiens ma tête entre mes mains
Guignol connaît pas de sots métiers
Je ris à m’en faire crever
Arsenic is good for you
À m’en faire crever
Arsenic is good for you

Les beaux métiers -Gilles Vigneault

Le charpentier dit volontiers
Rien de niveau sur la planète
Mais ça reste un métier honnête
Tu pourrais faire un charpentier

Mais ne fais pas un militaire
Car ce n’est pas un beau métier
D’aller tuer des charpentiers
De l’autre côté de la terre

Il vaut mieux perdre la guerre
Que d’aller au pas du pauvre soldat

Le jardinier dit volontiers
Il a fait beau d’un jour de pluie
Ça c’est un métier pour la vie
Tu pourrais faire un jardinier

Mais ne fais pas un militaire
Car ce n’est pas un beau métier
D’aller tuer des jardiniers
De l’autre côté de la terre

Il vaut mieux perdre la guerre
Que d’aller au pas du pauvre soldat

Le savant dit si vous saviez
Si vous saviez mon ignorance
Le métier de la connaissance
Est mal connu et journalier

Mais ne fais pas un militaire
Car ce n’est pas un beau métier
D’aller tuer des journaliers
De l’autre côté de la terre

Il vaut mieux perdre la guerre
Que d’aller au pas du pauvre soldat

Le prisonnier dit volontiers
Faire du temps parlant de l’ombre
Mais en voulant sortir du nombre
Tu pourrais faire un prisonnier

Mais ne fais pas un militaire
Car ce n’est pas un beau métier
D’aller tuer des prisonniers
De l’autre côté de la terre

Il vaut mieux perdre la guerre
Que d’aller au pas du pauvre soldat

Le chansonnier dit volontiers
J’aurais aimé être poète
Or pour si peu qu’il le souhaite
Chacun peut faire un chansonnier

Mais ne fais pas un militaire
Car ce n’est pas un beau métier
D’aller tuer des romanciers
De l’autre côté de la terre

Il vaut mieux perdre la guerre
Que d’aller au pas du pauvre soldat

Le brigadier dit volontiers
Il faut être prêt pour la guerre
Il faut des armes pour la faire
Reprend en choeur le financier

Mais ne fais pas un militaire
Car ce n’est pas un beau métier
D’aller casser des sabliers
De l’autre côté de la terre

Il vaut mieux perdre la guerre
Que d’aller au pas du pauvre soldat

Du dernier robot à deux pieds
Jusqu’aux distinctions les plus hautes
Du brancardier au cosmonaute
La mort se prend pour un métier

Car le destin d’un militaire
C’est de devenir son fusil
De devenir son propre outil
C’est le plus triste sur la terre
Le destin des militaires
Qui s’en vont au pas
Tuer des soldats

Le déserteur – Boris Vian 

Messieurs qu’on nomme Grands
Je vous fais une lettre
Que vous lirez peut-être
Si vous avez le temps
Je viens de recevoir
Mes papiers militaires
Pour partir à la guerre
Avant mercredi soir
Messieurs qu’on nomme Grands
Je ne veux pas la faire
Je ne suis pas sur terre
Pour tuer des pauvres gens
C’est pas pour vous fâcher
Il faut que je vous dise
Les guerres sont des bétises
Le monde en a assez

Depuis que je suis né
J’ai vu mourir des pères
J’ai vu partir des frères
Et pleurer des enfants
Des mères ont tant souffert
Et d’autres se gambergent
Et vivent à leur aise
Malgré la boue de sang
Il y a des prisonniers
On a vole leur âme
On a vole leur femme
Et tout leur cher passé
Demain de bon matin
Je fermerai ma porte
Au nez des années mortes
J’irai par les chemins

Je vagabonderai
Sur la terre et sur l’onde
Du Vieux au Nouveau Monde
Et je dirai aux gens:
Profitez de la vie
Eloignez la misère
Vous êtes tous des frères
Pauvres de tous les pays
S’il faut verser le sang
Allez verser le vôtre
Messieurs les bon apôtres
Messieurs qu’on nomme Grands
Si vous me poursuivez
Prévenez vos gendarmes
Que je n’aurai pas d’armes
Et qu’ils pourront tirer
Et qu’ils pourront tirer…

 

« Je n’ai jamais voulu avoir d’enfants, de peur de faire un petitsoldat, un militaire, un tueur. On n’est jamais sûrs… »

 Arletty 

« Militaire : variété d'homme amoindri par le procédé de "l'uniforme" qui est une préparation à l'uniformité totale ducercueil. »

de Boris Vian 

« Les traditions ? C'est comme ça qu'on appelle les manies dès qu'il s'agit de fêtes militaires ou religieuses. »

de Michel Audiard

« Il ne faut pas désespérer des imbéciles. Avec un peud'entraînement, on peut arriver à en faire des militaires. »

de Pierre Desproges

« L'existence du soldat est, après la peine de mort, la trace la plusdouloureuse de barbarie qui subsiste parmi les hommes.  »

de Alfred de Vigny

 

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16 juillet 2013

la psychiatrie au service du formatage.....

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DSM : quand la psychiatrie fabrique des individus performants et dociles

PAR LAURA RAIM (23 MAI 2013)

Sommes-nous tous fous ? C’est ce que laisserait supposer la nouvelle version du DSM, la bible des psychiatres recensant troubles mentaux et comportements « anormaux ». Plus on compte de malades, plus le marché de l’industrie pharmaceutique s’élargit. Surtout, le DSM apparaît comme un moyen de faire rentrer dans la norme ceux qui seraient jugés « déviants » – une part de plus en plus grande de la population. Ces « mal ajustés » de notre société orientée vers la rentabilité économique, où l’individu se doit d’être performant et adaptable. Enquête sur un processus de normalisation qui, sous couvert de médicalisation, façonne les individus.

 

Vous êtes timide ? Peut-être souffrez-vous de « phobie sociale ». Votre tristesse passagère, liée à un événement douloureux comme la perte d’un proche, n’est-elle pas plutôt une dépression ? Le territoire du pathologique semble s’étendre sans fin. Ces troubles psychiatriques sont recensées par le « DSM-5 », cinquième version du catalogue des affections mentales, ouvrage de référence des psychiatres, sorti le 19 mai. Avec son lot de « nouveautés ». Rares sont ceux qui ne se reconnaîtront pas dans l’un des 400 troubles répertoriés ! Avec ses critères toujours plus larges et ses seuils toujours plus bas, le DSM fabriquerait des maladies mentales et pousserait à la consommation de psychotropes, estiment ses détracteurs.

Alors que la première version du « Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux » (Diagnostic and statistical manual of mental disorders - DSM), publié en 1952, ne recensait qu’une centaine d’affections, son contenu n’a cessé d’enfler au fil des révisions, tous les vingt ans. Ses détracteurs pointent le risque de « médicaliser » à outrance des comportements finalement normaux. Selon la version antérieure, le DSM-4 (sorti en 1994), la moitié de la population des États-Unis pouvait être considérée comme souffrant de troubles mentaux, estime l’historien Christopher Lane. 38 % des Européens souffrirait de désordre mental [1] ! Pourquoi une telle inflation ? Sommes-nous en train de tous devenir fous ?

Les critiques du DSM mettent en avant la responsabilité des laboratoires pharmaceutiques. Ces firmes chercheraient à étendre le « marché des troubles ». Et ont noué à partir des années 80 des liens étroits avec les psychiatres influents, à commencer par les rédacteurs du DSM : 70% des auteurs ont ainsi déclaré avoir des rapports financiers avec les labos [2]. Les ventes d’antidépresseurs et de neuroleptiques aux États-Unis représentent 24 milliards de dollars. En France, elles ont été multipliées par sept en deux décennies, et représentaient plus d’un demi milliard d’euros au début des années 2000. Au-delà des conflits d’intérêts, cette « pathologisation du normal » révèle bien d’autres choses. Avant d’être un outil de diagnostic de maladies mentales, le DSM ne serait-il pas plutôt un dispositif de normalisation des conduites, dans une société orientée vers la rentabilité économique ?

Rentrer dans la norme

Dans ce répertoire des affections mentales, il est davantage question de comportement que de souffrance. Un choix revendiqué par les auteurs : « Pour être le plus objectif possible et s’assurer qu’un même patient aurait le même diagnostic qu’il soit à Paris, New York ou Tokyo, l’Association des psychiatres américains (APA) a décidé d’écarter toute théorie explicative, source de dissensus parmi les différents courants de la pensée psychiatrique, et de rester au niveau de l’observable, sur lequel tout le monde peut-être d’accord. Or l’observable, c’est le comportement », explique le psychiatre Patrick Landman [3]. Président du collectif Stop DSM, il s’oppose depuis trois ans à la « pensée unique DSM ». Se contenter d’observer les comportements pour établir un diagnostic permet d’échapper aux biais culturels, moraux ou théoriques des différents cliniciens. Mais cette standardisation se fait au prix d’une grande simplification de la complexité des problèmes rencontrés en psychiatrie.

 

L’abondance des troubles du comportement et de la personnalité dans le DSM« est emblématique d’une psychiatrie qui se préoccupe moins de la vie psychique des gens que de leur comportement », ajoute le psychiatre Olivier Labouret [4]. Un comportement qui doit avant tout être conforme à la norme. « Il n’est pas anodin que le DSM n’emploie pas le mot "maladie", qui renvoie à la souffrance ou à la plainte émanant du patient, mais le mot "trouble", qui est la mesure extérieure d’une déviation de la norme, souligne le psychiatre. Le trouble, c’est ce qui gêne, ce qui dérange ».

Quand l’homosexualité était une « affection mentale »

Ces normes développées par la psychiatrie n’ont pas attendu les versions successives du DSM pour se manifester. Dans son cours au Collège de France sur les « anormaux », le philosophe Michel Foucault expliquait comment à partir du milieu du XIXe siècle, la psychiatrie commence à faire l’impasse sur le pathologique, la maladie, pour se concentrer sur « l’anormal » : la psychiatrie a« lâché à la fois le délire, l’aliénation mentale, la référence à la vérité, et puis la maladie, explique le philosophe. Ce qu’elle prend en compte maintenant, c’est le comportement, ce sont ses déviations, ses anomalies ». Sa référence devient la norme sociale. Avec ce paradoxe : la psychiatrie exerce son pouvoir médical non plus sur la maladie, mais sur l’anormal.

Une analyse qui rejoint celle de l’antipsychiatrie américaine. Pour le professeur de psychiatrie Thomas Szasz, les « maladies mentales » ne sont que des « mythes » servant à médicaliser les comportements jugés indésirables ou immoraux au sein de la société [5]« Le sort de l’homosexualité, inclus puis exclu du DSM au gré de l’évolution des mentalités aux États-Unis, illustre à quel point le manuel reflète moins l’état d’une recherche scientifique sur les maladies que les normes de "l’acceptable" d’une époque », rappelle le philosophe Steeves Demazeux, auteur de Qu’est-ce que le DSM ?.

Traquer les « déviants » ?

Tous les comportements ne subissent pas le même traitement. « Si vous parlez à Dieu, vous êtes en train de prier, si Dieu vous parle, vous êtes schizophrène », écrivait ainsi Thomas Szasz. Et des « paraphilies » (pour ne pas dire « perversions »), telles que le masochisme et le fétichisme, demeurent dans la catégorie des « troubles sexuels », témoignant de la culture puritaine américaine dans laquelle baignent les auteurs, et à laquelle la population est invitée à se conformer. La psychiatrie, qui détecte et désigne les déviants à l’époque moderne, ne ferait selon Szasz que remplacer l’Inquisition qui traquait les sorcières au Moyen-Age. Les inquisiteurs avaient pour guide le Malleus Maleficarum, les psychiatres… le DSM.

 

Sans doute les normes d’une époque ont-elles toujours influencé le partage des eaux entre le normal et le pathologique. Mais cette influence a longtemps été cantonnée en arrière-plan. Le DSM-3 franchit un cap dans les années 80 en faisant de ces normes les critères directs et explicites de chaque trouble. Un exemple : « Avec le DSM-5, il faut avoir moins de trois accès de colère par semaine pour être un enfant "normal", explique Patrick Landman. Les autres – ceux qui dévient de cette norme – seront désormais étiquetés « trouble de dérégulation d’humeur explosive » ! Et pourront être « normalisés » par des médicaments. En prenant par exemple de la ritaline, cette molécule à base d’amphétamines consommée à haute dose aux États-Unis, pour améliorer la concentration des écoliers. Près de huit millions d’enfants et d’adolescents américains de 3 à 20 ans prennent des antidépresseurs ou des calmants. Le DSM non seulement reflète les normes sociales du moment, mais les renforce en les transformant en normes médicales.

Le « bon fonctionnement de l’individu », un enjeu économique

Un des critères d’une grande partie des troubles – que ce soit la schizophrénie, l’hyperactivité ou le trouble des conduites – est l’« altération significative du fonctionnement social ou professionnel ». Le choix des termes n’est pas innocent : la « fonction » d’un organe, d’un appareil ou d’un outil se rapporte toujours à une totalité subordonnante. On parle ainsi du bon ou du mauvais fonctionnement du foie ou du rein relativement à l’organisme. Parler de la « fonction » ou du « bon fonctionnement » de l’individu trahit le fait que celui-ci n’est pas une fin en soi. L’individu doit « fonctionner » correctement dans l’entité qui le subordonne : l’entreprise, l‘école, la société. C’est cela que l’Échelle d’évaluation globale du fonctionnement (EGF) du DSM-4 (datant de 1994) se propose de mesurer. Êtes-vous au « top » de votre « fonctionnement social, professionnel ou scolaire ». Ou celui-ci subit-il une « altération importante » ou « légère » ? Si vous êtes « intéressé et impliqué dans une grande variété d’activités, socialement efficace, en général satisfait de la vie », vous avez des chances d’obtenir une note de 90 sur une échelle allant de 0 à 100...

Et votre « fonctionnement social » intéresse au plus haut point votre pays. Car pour les États, c’est leur puissance économique qui est en jeu : « L’Union européenne évalue entre 3 et 4 % du PIB les coûts directs et indirects de la mauvaise santé mentale sur l’économie », indique en 2009 le rapport du Conseil d’analyse stratégique sur la santé mentale. Invalidité, accidents du travail, absentéisme, baisse de la productivité... Autant d’impacts de la santé psychologique des travailleurs sur l’économie. Le rapport évoque les « nouveaux impératifs de prévention des formes de détresse psychologique et de promotion de la santé mentale positive ou optimale. ». Concrètement ? Il s’agit d’investir dans « le capital humain » des personnes, en dotant « chaque jeune d’un capital personnel », dès la petite enfance. Objectif : que chacun développe très tôt les« compétences clés en matière de santé mentale ». Des « aptitudes qui se révèlent in fine plus adaptées aux demandes du marché du travail », explique le Conseil d’analyse stratégique...

Le travailleur idéal : performant, invulnérable et sûr de lui

Et pour cause : l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) définit en 1993 ces compétences psychosociales comme « la capacité d’une personne à répondre avec efficacité aux exigences et aux épreuves de la vie quotidienne ». Autrement dit, « être capable de s’adapter aux contraintes sans jamais questionner le bien-fondé ou la justice de la situation, voilà ce qui est attendu de quelqu’un de "normal", résume Olivier Labouret. Le DSM reflète l’idéal transhumaniste de l’homme que l’on peut programmer et améliorer pour qu’il soit compétitif sur le marché du travail ».

Les patients les mieux « notés » sur l’Échelle d’évaluation globale du fonctionnement du DSM ont « un niveau supérieur de fonctionnement dans une grande variété d’activités » et ne sont « jamais débordés par les problèmes rencontrés ». A la plus grande satisfaction de leur employeur ! « L’homme idéal sous-jacent du DSM est performant, invulnérable et sûr de lui », poursuit le psychiatre. En cela, le DSM traduit une conception évolutionniste de la psychologie : seul l’individu "vulnérable" ou "fragile" n’arrive pas à s’adapter à la réalité socio-économique, puisque la majorité semble y arriver. »

La psychiatrie au service de la productivité ?

Ce normativisme social au service de la productivité économique n’est pas nouveau. Mais la « bible des psychiatres » applique et renforce les normes, de manière systématique et globale. Ses effets sont repérables dans toutes les institutions, bien au-delà de l’hôpital. Aux États-Unis et en Australie, les mutuelles, les tribunaux et les écoles s’y réfèrent pour étayer leurs décisions. Et les gouvernements mènent des politiques de santé publique ciblant des « catégories DSM » de la population.

 

En France, si le manuel n’a pas encore force de loi, sa présence s’intensifie.« On utilise en France surtout la classification de l’OMS, la Classification internationale des maladies (CIM). Mais celle-ci est quasiment calquée sur le DSM, que la Haute autorité de Santé reconnaît déjà officiellement d’ailleurs, explique Patrick Landman. Le DSM est enseigné dès les premières années de médecine. Tous les généralistes y sont donc formés. « Quant au champ de la recherche, on ne peut pas publier un article si l’on n’utilise pas les codes du DSM. Et les laboratoires, qui financent les formations post-universitaires, ne jurent que par lui. »

La violence du système néo-libéral occultée

Bon nombre de souffrances, difficultés, émotions, traits de caractère ou préférences sexuelles, se retrouvent inscrits dans le DSM, alors qu’ils ne devraient pas relever du champ médical. La grande majorité des praticiens et des patients ne songent pas à questionner le statut de ces « troubles » ainsi officialisés. Ni à remettre en cause les normes sociales qui ont présidé à la formation de ces catégories. Ce sont toujours les êtres humains qui, « inadaptés », souffriraient de « dysfonctionnements ». Ils sont invités à identifier leurs troubles et recourir à un traitement qui leur permettra de rapidement redevenir « fonctionnels »… Notamment sur le marché du travail. Une violence symbolique du système néolibéral, qui se dénie comme telle, du fait de son déplacement dans le champ psychologique et médical, déplore Olivier Labouret.« La pression normative écrasante qui en résulte, désormais occultée, empêche toute possibilité de comprendre et de réformer l’ordre du monde ».

Nous sommes désormais non plus malades, mais « mal ajustés ». Un mot de la psychologie moderne, utilisé plus que tout autre, estime Martin Luther King en 1963 : « Certainement, nous voulons tous éviter une vie mal ajustée , admet-il.Mais il y a certaines choses dans notre pays et dans le monde auxquelles je suis fier d’être mal ajusté (…). Je n’ai pas l’intention de m’ajuster un jour à la ségrégation et à la discrimination. Je n’ai pas l’intention de m’ajuster à la bigoterie religieuse. Je n’ai pas l’intention de m’ajuster à des conditions économiques qui prennent les produits de première nécessité du plus grand nombre pour donner des produits de luxe au petit nombre ».

Laura Raim

Notes

[1Étude de 2011 publiée dans la revue European Neuropsychopharmacology

[2Lire notamment Jean-Claude St-Onge, Tous fous ?, Ed. Ecosociété, 2013.

[3Auteur de Tristesse business. Le scandale du DSM 5, éd. Max Milo, 2013.

[4Auteur de l’ouvrage Le nouvel ordre psychiatrique, éd. Erès, 2012

[5Son raisonnement est le suivant : pour qu’il y ait maladie, il faut qu’il y ait lésion. De deux choses l’une : soit il y a lésion du cerveau, il s’agit alors d’une maladie du cerveau (même si elle perturbe le comportement, comme l’épilepsie) et non pas de l’esprit. Soit il y a une souffrance mentale mais pas de lésion, alors il ne s’agit pas de maladie.

11 juillet 2013

mort et erotisme....

 

 

 

 

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Rappelez-vous l'objet que nous vîmes, mon âme,
Ce beau matin d'été si doux:
Au détour d'un sentier une charogne infâme
Sur un lit semé de cailloux,

Les jambes en l'air, comme une femme lubrique,
Brûlante et suant les poisons,
Ouvrait d'une façon nonchalante et cynique
Son ventre plein d'exhalaisons.

Le soleil rayonnait sur cette pourriture,
Comme afin de la cuire à point,
Et de rendre au centuple à la grande Nature
Tout ce qu'ensemble elle avait joint;

Et le ciel regardait la carcasse superbe
Comme une fleur s'épanouir.
La puanteur était si forte, que sur l'herbe
Vous crûtes vous évanouir.

Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,
D'où sortaient de noirs bataillons
De larves, qui coulaient comme un épais liquide
Le long de ces vivants haillons.

Tout cela descendait, montait comme une vague
Ou s'élançait en pétillant
On eût dit que le corps, enflé d'un souffle vague,
Vivait en se multipliant.

Et ce monde rendait une étrange musique,
Comme l'eau courante et le vent,
Ou le grain qu'un vanneur d'un mouvement rythmique
Agite et tourne dans son van.

Les formes s'effaçaient et n'étaient plus qu'un rêve,
Une ébauche lente à venir
Sur la toile oubliée, et que l'artiste achève
Seulement par le souvenir.

Derrière les rochers une chienne inquiète
Nous regardait d'un oeil fâché,
Epiant le moment de reprendre au squelette
Le morceau qu'elle avait lâché.

- Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,
A cette horrible infection,
Etoile de mes yeux, soleil de ma nature,
Vous, mon ange et ma passion!

Oui! telle vous serez, ô la reine des grâces,
Apres les derniers sacrements,
Quand vous irez, sous l'herbe et les floraisons grasses,
Moisir parmi les ossements.

Alors, ô ma beauté! dites à la vermine
Qui vous mangera de baisers,
Que j'ai gardé la forme et l'essence divine
De mes amours décomposés!

Les Fleurs du mal, Charles Baudelaire

 

 


J'ai rêvé de toi cette nuit :
Tu te pâmais en mille poses
Et roucoulais des tas de choses…


Et moi, comme on savoure un fruit,
Je te baisais à bouche pleine
Un peu partout, mont, val ou plaine.


J’étais d’une élasticité,
D’un ressort vraiment admirable :
Tudieu, quelle haleine et quel râble !


Et toi, chère, de ton côté,
Quel râble, quelle haleine, quelle
Élasticité de gazelle…


Au réveil ce fut, dans tes bras,
Mais plus aiguë et plus parfaite,
Exactement la même fête !

verlaine

 

Soleil et Chair
 (Credo in Unam)


I

Le Soleil, le foyer de tendresse et de vie,
Verse l'amour brûlant à la terre ravie,
Et, quand on est couché sur la vallée, on sent
Que la terre est nubile et déborde de sang ;
Que son immense sein, soulevé par une âme,
Est d'amour comme Dieu, de chair comme la femme,
Et qu'il renferme, gros de sève et de rayons,
Le grand fourmillement de tous les embryons !

Et tout croît, et tout monte !

- O Vénus, ô Déesse !
Je regrette les temps de l'antique jeunesse,
Des satyres lascifs, des faunes animaux,
Dieux qui mordaient d'amour l'écorce des rameaux
Et dans les nénuphars baisaient la Nymphe blonde !
Je regrette les temps où la sève du monde,
L'eau du fleuve, le sang rose des arbres verts
Dans les veines de Pan mettaient un univers !
Où le sol palpitait, vert, sous ses pieds de chèvre ;
Où, baisant mollement le clair syrinx, sa lèvre
Modulait sous le ciel le grand hymne d'amour ;
Où, debout sur la plaine, il entendait autour
Répondre à son appel la Nature vivante ;
Où les arbres muets, berçant l'oiseau qui chante,
La terre berçant l'homme, et tout l'Océan bleu
Et tous les animaux aimaient, aimaient en Dieu !

Je regrette les temps de la grande Cybèle
Qu'on disait parcourir, gigantesquement belle,
Sur un grand char d'airain, les splendides cités ;
Son double sein versait dans les immensités
Le pur ruissellement de la vie infinie.
L'Homme suçait, heureux, sa mamelle bénie,
Comme un petit enfant, jouant sur ses genoux.
- Parce qu'il était fort, l'Homme était chaste et doux.

Misère ! Maintenant il dit : Je sais les choses,
Et va, les yeux fermés et les oreille closes.
- Et pourtant, plus de dieux ! plus de dieux ! l'Homme est Roi,
L'Homme est Dieu ! Mais l'Amour, voilà la grande Foi !
Oh ! si l'homme puisait encore à ta mamelle,
Grande mère des dieux et des hommes, Cybèle ;
S'il n'avait pas laissé l'immortelle Astarté
Qui jadis, émergeant dans l'immense clarté
Des flots bleus, fleur de chair que la vague parfume,
Montra son nombril rose où vint neiger l'écume,
Et fit chanter, Déesse aux grands yeux noirs vainqueurs,
Le rossignol aux bois et l'amour dans les coeurs !


II

Je crois en toi ! Je crois en toi ! Divine mère,
Aphrodite marine ! - Oh ! la route est amère
Depuis que l'autre Dieu nous attelle à sa croix ;
Chair, Marbre, Fleur, Vénus, c'est en toi que je crois !
- Oui, l'Homme est triste et laid, triste sous le ciel vaste.
Il a des vêtements, parce qu'il n'est plus chaste,
Parce qu'il a sali son fier buste de dieu,
Et qu'il a rabougri, comme une idole au feu,
Son corps Olympien aux servitudes sales !
Oui, même après la mort, dans les squelettes pâles
Il veut vivre, insultant la première beauté !
- Et l'Idole où tu mis tant de virginité,
Où tu divinisas notre argile, la Femme,
Afin que l'Homme pût éclairer sa pauvre âme
Et monter lentement, dans un immense amour,
De la prison terrestre à la beauté du jour,
La Femme ne sait plus même être Courtisane !
- C'est une bonne farce ! et le monde ricane
Au nom doux et sacré de la grande Vénus !

 

III


Si les temps revenaient, les temps qui sont venus !

- Car l'Homme a fini ! l'Homme a joué tous les rôles !
Au grand jour, fatigué de briser des idoles
Il ressuscitera, libre de tous ses Dieux,
Et, comme il est du ciel, il scrutera les cieux !
L'idéal, la pensée invincible, éternelle,
Tout ; le dieu qui vit, sous son argile charnelle,
Montera, montera, brûlera sous son front !
Et quand tu le verras sonder tout l'horizon,
Contempteur des vieux jougs, libre de toute crainte,
Tu viendras lui donner la Rédemption sainte !
- Splendide, radieuse, au sein des grandes mers
Tu surgiras, jetant sur le vaste Univers
L'Amour infini dans un infini sourire !
Le Monde vibrera comme une immense lyre
Dans le frémissement d'un immense baiser !

- Le Monde a soif d'amour : tu viendras l'apaiser.
....................................................

O ! L'Homme a relevé sa tête libre et fière !
Et le rayon soudain de la beauté première
Fait palpiter le dieu dans l'autel de la chair !
Heureux du bien présent, pâle du mal souffert,
L'Homme veut tout sonder, - et savoir ! La Pensée,
La cavale longtemps, si longtemps oppressée
S'élance de son front ! Elle saura Pourquoi !...
Qu'elle bondisse libre, et l'Homme aura la Foi !
- Pourquoi l'azur muet et l'espace insondable ?
Pourquoi les astres d'or fourmillant comme un sable ?
Si l'on montait toujours, que verrait-on là-haut ?
Un Pasteur mène-t-il cet immense troupeau
De mondes cheminant dans l'horreur de l'espace ?
Et tous ces mondes-là, que l'éther vaste embrasse,
Vibrent-ils aux accents d'une éternelle voix ?
- Et l'Homme, peut-il voir ? peut-il dire : Je crois ?
La voix de la pensée est-elle plus qu'un rêve ?
Si l'homme naît si tôt, si la vie est si brève,
D'où vient-il ? Sombre-t-il dans l'Océan profond
Des Germes, des Foetus, des Embryons, au fond
De l'immense Creuset d'où la Mère-Nature
Le ressuscitera, vivante créature,
Pour aimer dans la rose, et croître dans les blés ?...

Nous ne pouvons savoir ! - Nous sommes accablés
D'un manteau d'ignorance et d'étroites chimères !
Singes d'hommes tombés de la vulve des mères,
Notre pâle raison nous cache l'infini !
Nous voulons regarder : - le Doute nous punit !
Le doute, morne oiseau, nous frappe de son aile...
- Et l'horizon s'enfuit d'une fuite éternelle !...
.......................................................

Le grand ciel est ouvert ! les mystères sont morts
Devant l'Homme, debout, qui croise ses bras forts
Dans l'immense splendeur de la riche nature !
Il chante... et le bois chante, et le fleuve murmure
Un chant plein de bonheur qui monte vers le jour !...
- C'est la Rédemption ! c'est l'amour ! c'est l'amour !...
........................................................


IV


O splendeur de la chair ! ô splendeur idéale !
O renouveau d'amour, aurore triomphale
Où, courbant à leurs pieds les Dieux et les Héros,
Kallipyge la blanche et le petit Éros
Effleureront, couverts de la neige des roses,
Les femmes et les fleurs sous leurs beaux pieds écloses !
- O grande Ariadné, qui jette tes sanglots
Sur la rive, en voyant fuir là-bas sur les flots,
Blanche sous le soleil, la voile de Thésée,
O douce vierge enfant qu'une nuit a brisée,
Tais-toi ! Sur son char d'or brodé de noirs raisins,
Lysios, promené dans les champs Phrygiens
Par les tigres lascifs et les panthères rousses,
Le long des fleuves bleus rougit les sombres mousses.
- Zeus, Taureau, sur son cou berce comme une enfant
Le corps nu d'Europé, qui jette son bras blanc
Au cou nerveux du Dieu frissonnant dans la vague.
Il tourne lentement vers elle son oeil vague ;
Elle, laisse traîner sa pâle joue en fleur
Au front de Zeus ; ses yeux sont fermés ; elle meurt
Dans un divin baiser, et le flot qui murmure
De son écume d'or fleurit sa chevelure.
- Entre le laurier-rose et le lotus jaseur
Glisse amoureusement le grand Cygne rêveur
Embrassant la Léda des blancheurs de son aile ;
- Et tandis que Cypris passe, étrangement belle,
Et, cambrant les rondeurs splendides de ses reins,
Étale fièrement l'or de ses larges seins
Et son ventre neigeux brodé de mousse noire,
- Héraclès, le Dompteur, qui, comme d'une gloire
Fort, ceint son vaste corps de la peau du lion,
S'avance, front terrible et doux, à l'horizon !

Par la lune d'été vaguement éclairée,
Debout, nue, et rêvant dans sa pâleur dorée
Que tache le flot lourd de ses longs cheveux bleus,
Dans la clairière sombre, où la mousse s'étoile,
La Dryade regarde au ciel silencieux...
- La blanche Séléné laisse flotter son voile,
Craintive, sur les pieds du bel Endymion,
Et lui jette un baiser dans un pâle rayon...
- La Source pleure au loin dans une longue extase...
C'est la nymphe qui rêve, un coude sur son vase,
Au beau jeune homme blanc que son onde a pressé.
- Une brise d'amour dans la nuit a passé,
Et, dans les bois sacrés, dans l'horreur des grands arbres,
Majestueusement debout, les sombres Marbres,
Les Dieux, au front desquels le Bouvreuil fait son nid,
- Les Dieux écoutent l'homme et le Monde infini !



- 29 avril 1870 -




rimbaud

 

6 juillet 2013

dénuement volontaire.....

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À contre-courant de la société de consommation, certains ont fait le choix de la simplicité. Promouvant un mode de vie frugal, les tenants de la pauvreté volontaire entendent valoriser d’autres richesses: le respect de l’environnement, la solidarité et l’épanouissement sans cesse menacés par l’inflation des besoins.

«Vive la pauvreté!», titrait avec insolence le journal La Décroissance en septembre 2004. Faudrait-il donc se réjouir de ce que certains ne puissent subvenir à leurs besoins, souffrent de la faim et du froid et soient mis au ban de la société? Non. Derrière un mot d’ordre provocateur, c’est un projet de vie révolutionnaire que défendent ici les objecteurs de croissance en promouvant non pas la misère mais une pauvreté choisie. Contre l’hyperconsommation et le culte de la croissance économique qui valorisent l’avoir au détriment de l’être, ils en appellent à la simplicité volontaire pour parvenir à un plus grand épanouissement personnel mais aussi pour mieux respecter l’environnement et les hommes. Bref, sortir de l’inflation des besoins qui nous condamnent à souffrir toujours du manque et à passer à côté de l’essentiel. «Vivre sans télévision, sans automobile, sans téléphone portable ou encore sans prendre l’avion, c’est aujourd’hui faire le choix de la résistance non violente. Abandonner, c’est résister.

 

Comme cultiver son potager, faire de la politique, être capable de s’engager. C’est savoir dire non, être rebelle, insoumis, pour partager une vie intense et profonde, qui ne peut reposer que sur une certaine forme de dénuement matériel  Cette aspiration à un mode de vie plus frugal n’est en rien une bizarrerie hexagonale. Elle s’inscrit dans un mouvement plus vaste que l’on retrouve aux États-Unis, au Canada, en Grande-Bretagne, en Australie, en Nouvelle-Zélande, et dans bien d’autres pays encore, souvent sous l’appellation d’adeptes de la «simplicité volontaire» ou de downshifters(décélérateurs).

 

Qui sont ces partisans de la frugalité? Et, surtout, comment vivent-ils? Beaucoup appartiennent aux classes moyennes et supérieures et ont fait le choix de rompre avec leur mode de vie. Tel Vincent Cheynet, fondateur des Casseurs de pub et du journal La Décroissance, qui avait travaillé pendant une dizaine d’années dans la publicité. Leur engagement se traduit au quotidien par tout un éventail de décisions et de petits gestes: acheter des fruits et des légumes de saison, produits localement, renoncer au maximum à la voiture pour privilégier le vélo et les transports en commun, éviter de prendre l’avion, se débarrasser des appareils électriques qui ne sont pas indispensables, limiter sa consommation d’eau, voire pour les plus intransigeants ne plus avoir de réfrigérateur et adopter des «toilettes sèches»… Aux mirages de la consommation, préférer l’échange et la «récup», réparer plutôt que jeter, faire au maximum les choses soi-même. Ce peut être construire sa maison comme Hervé René Martin, auteur d’Éloge de la simplicité volontaire (Flammarion, 2007), cultiver un potager, ou faire le choix de «travailler moins pour gagner moins». Il ne s’agit donc pas tant de vivre dans la pauvreté que dans la simplicité avec l’idée que, pour changer le monde, il faut aussi apprendre à se changer soi-même.

 

Pauvreté contre misère

Une vision de l’existence que rejoint la réflexion sur la pauvreté de Majid Rahnema. Cet ancien diplomate iranien refuse le discours technique sur une pauvreté réduite bien souvent à des chiffres:«Réduire la vérité d’un “pauvre” à un revenu d’un ou deux dollars est en soi non seulement une aberration mais aussi une insulte à sa condition. Les chiffres qui sont avancés ne peuvent donc rien nous dire, ni sur les milliards de personnes qui, pour des raisons diverses, se trouvent aujourd’hui acculées à la misère, ni sur ce qui pourrait leur permettre de recouvrer leur puissance d’agir. Dans le meilleur des cas, ces chiffres ne peuvent que révéler un aspect particulier de la vie d’une certaine catégorie de “pauvres” de pauvres déracinés vivant de leurs seuls revenus monétairement quantifiables. Ils ne nous apprennent rien sur les autres sources de richesses relationnelles, traditionnelles, culturelles et autres qui, jusqu’à la désintégration de leur mode de subsistance, les avaient empêchés de perdre leurs propres moyens de lutte contre la misère 

Précisément. La pauvreté n’est pas la misère: on peut vivre dans le dénuement, presque entièrement «hors marché» et pourtant surmonter les difficultés grâce à la solidarité et l’entraide. Or la modernité s’est attaquée aux modes de subsistance populaires faisant basculer des millions de personne dans la misère, la vraie, celle où l’on ne parvient pas à assurer sa subsistance. L’économie de croissance, loin de résorber la pauvreté, n’a selon lui créé pour les pauvres que de nouvelles sources de précarisation et de dépendance à des besoins économiques fabriqués de toutes pièces. Ce faisant, elle a éradiqué ce que M. Rahnema nomme à la suite d’Ivan Illich une «pauvreté conviviale», mode de vie frugal caractérisé par la solidarité et le contrôle social de l’envie: «La pauvreté conviviale, loin de se confondre avec la misère, a (…) été l’arme principale dont les pauvres se sont toujours servis pour l’exorciser et la combattre.» M. Rahnema appelle donc à redécouvrir un mode de vie simple pour que chacun puisse retrouver sa puissance d’agir.

 

«Me pousse pas à bout, fiston!»

Assurément dérangeant dans des sociétés modernes qui valorisent l’économie, la consommation et le progrès matériel. «Don’t force me, sonny!» («Me pousse pas à bout fiston») se voit ainsi répondre le philosophe allemand Günther Anders tandis qu’il marche le long d’une nationale de Californie. Le policier désœuvré qui l’interpelle ne comprend pas qu’un homme n’ait pas de voiture et, pire encore, avoue n’en avoir jamais eue. Reprenant cette anecdote, H. René Martin, dans son Éloge de la simplicité volontaire, met bien en évidence les obstacles auxquels se heurtent ceux qui ont fait le choix de vivre autrement, tel ce couple qui n’a pas voulu que leur enfant naisse à l’hôpital et qui a subi de ce fait bien des tracasseries administratives et des contrôles sociaux. Ascétisme malsain, vision réactionnaire de la société, spiritualisme suspect, voire menace pour l’économie donc pour la prospérité… La pauvreté choisie suscite des suspicions et des réactions hostiles. Et pour cause, elle inquiète l’ordre social. Un détour historique apparaît instructif.

Au Moyen Âge, à partir de l’an mil, surgit un important mouvement en faveur de la pauvreté volontaire. Un nombre croissant d’ermites itinérants sillonne les routes et prône le dénuement pour retrouver le message du Christ: saint Romuald, Robert d’Arbrissel, Henri de Lausanne… Jusqu’à saint François d’Assise, fils d’un riche marchand d’étoffes, qui rompt avec une vie insouciante et tournée vers le plaisir et qui fonde l’ordre franciscain où l’on fait vœu de pauvreté. Nombreux sont alors les ordres et les confréries à adopter le même précepte qui jouit d’une grande audience dans la population. Apparaissent ainsi au xiie siècle les béguines, dans les Flandres et en Hollande, puis en France et en Allemagne, qui travaillent et vivent dans le dénuement. L’accueil de ces mouvements par l’Église sera pour le moins contrasté: certains adeptes de la pauvreté volontaire seront jugés hérétiques, d’autres seront canonisés. Ce qu’explique avec beaucoup de clarté l’historien polonais Tadeusz Manteuffel: «L’Église n’a jamais condamné le précepte évangélique de la pauvreté volontaire. Tout au contraire, elle a toujours été bienveillante envers ceux qui en faisaient profession, mais seulement lorsqu’ils l’appliquaient à titre individuel, sans en faire l’objet d’une propagande parmi les masses. La canonisation d’un nombre considérable d’ermites en est la meilleure preuve. Ce problème changeait toutefois d’aspect dès l’instant où ces mêmes principes commençaient à être propagés largement parmi les fidèles. Le précepte de la pauvreté volontaire cessait d’être alors l’affaire personnelle de tel ou tel individu, pour devenir un problème social qui pouvait avoir des implications politiques.» On s’étonnera d’autant moins du rejet suscité par la pauvreté volontaire dans des sociétés modernes sécularisées qui valorisent fortement le progrès matériel et la consommation.

Et pourtant, rien de nouveau sous le soleil. Nul besoin d’attendre les objecteurs de croissance, les adeptes de la simplicité volontaire pour valoriser la frugalité. Dès l’Antiquité, nombreuses sont les écoles philosophiques à prôner la réduction des besoins. Tel Diogène ou les stoïciens ou même les épicuriens souvent assimilés à tort à des jouisseurs forcenés: «Quelqu’un ayant demandé à Épicure comment il fallait s’y prendre pour devenir riche, celui-ci répondit: ce n’est pas en augmentant les biens, mais en diminuant les besoins», rapporte Stobée (Florilège, XVII, 37). Une leçon vieille comme le monde mais peut-être plus que jamais difficile à entendre.

 

6 juillet 2013

liberer l'art du mercantile.....

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Manifeste pour

libérer l'Art 
de la culture mercantile

 

Attaquons le problème au départ ! N’écoutons plus ces gens qui parlent de l'Art ! La Culture, c'est vrai, quelle imposture, de leurs lèvres ne sortent que des vomissures qui façonnent les instruments de torture, emprisonnant l'artiste, dans ce cauchemar.

De l'ignorance, ils brandissent l'étendard, telle l’arrogance hissée sur leur inculte rempart. Ils crient leurs références comme une dictature, gonflant le torse, éclatant leur encolure. « Dans ce cadre, il faut bien cette peinture ! Cette envolée me rappelle Béjart, ou Mozart ?"

"C'est beau, comme un plat d'épinards, mais s'accordera t-il à mon billard ? " Un banquier demande où est la signature ? " Quel dommage d'avoir cette grosse armature ? Pardon, je n'avais pas vu, c'était la sculpture !" Rien ne doit être laissé au hasard.

La vieille dame adore le style "clochard", dit-elle au jeune peintre d 'un ton égrillard, car malgré son manteau de fourrure, fait disparaître des petits fours dans sa doublure et de l'autre main, lui caresse la chevelure, en pensant qu'il ferait bien dans son plumard.

Le galeriste affirme, un rien cabochard : ce jeune talent vaudra un jour des milliards. Il lui prédit un avenir d'une grande envergure; de l'Art Nouveau, il possède déjà la tessiture. Dépêchez vous d'acquérir avant la fermeture, pour un bon placement, c'est en dollars.

" Comment, vous préférez ce Fragonard, authentique? je vous vois goguenard. " L’expert est présent, il vous le jure, avec lui, jamais de demi-mesure, d’homme de foi, il n’est qu’une caricature, ressortant les artistes de leur corbillard.

L'Art est affaire de coeur et de regard, et si, avec moi, il s'autorise le grand écart, c'est qu'il a droit à toutes les démesures, son chemin est parsemé de folles aventures, qui jamais ne lui permet de conclure, condamnant l'artiste à une vie de bagnard.

Un jour, il déambule sur les boulevards, le lendemain, il défend les communards. Au nom du pouvoir, à la mairie, on l'inaugure, octroyant à l’artiste quelques nourritures, c'est la fête ! Fini de se serrer la ceinture. La Culture est sauvée par les politicards.

Pas pour longtemps, car sortant du placard, la commission culturelle lance un traquenard, triturant et malaxant ce projet immature, elle condamne l'auteur, à une proche sépulture, prétextant son jugement au nom de l'inculture, voici un mandat qui se terminera en faire-part.

Vêtu de noir, l’oeil défait et le teint blafard, l’artiste proteste et se lance dans la bagarre, il doit se prostituer sous toutes les coutures du cercle, il recherche l’impossible quadrature. Immaculé comme un cygne, le voilà noir canard, pensant à mourir, avant d’être mis au rancart,

il finira par noyer son désespoir au coin du bar, ne trouvant plus sa route dans ce brouillard, qui ne lui accorde aucune chance d’ouverture. On ne se remet pas aisément de ces blessures, faîtes facilement dans le dos, pour la plupart. Peu d’artistes finiront respectables vieillards!

De la prison où vous m’avez mis à l’écart, je rêve, éveillé d’un Art idéal, sans fard, sortant du néant de la financière pourriture, proclamant en hurlant, ma droiture, un rien agressif, légèrement revenchard, il signalera au monde, comme un phare,

que jamais par votre argent, vous réussirez à baîllonner et enfermer mon imagination. J’offre mon oeuvre aux futures générations donnant la preuve de ma crédible vérité, attestant fort et haut, ma passion de créer, vivante, elle existe, au même titre que l’Art!

N’essayez pas de détourner votre regard de mes dessins, qui vous rendent hagard, mes personnages sont la représentation théâtrale de notre fin de civilisation. Éternellement collés, c’est ma vengeance, sur les murs décrépis de votre indifférence.

Gens d’art, me verriez-vous au Quatar, mes tableaux vendus chers et bien cotés, bientôt enterré ou perdant la raison ? Ma volonté de vivre, libre de vos salons, motive la folle explosion de ma création, traçant une page rouge de l’histoire de l’Art.

Alain Rességuier - Versoix, juillet 2001

 

6 juillet 2013

pensées de flaubert

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Qu’est-ce que le beau, sinon l’impossible.

Faire sa fortune et vivre pour soi, c’est-à-dire rétrécir son cœur entre sa boutique et sa digestion.

Je suis parvenu à avoir la ferme conviction que la vanité est la base de tout, et enfin que ce qu’on appelle conscience n’est que la vanité intérieure.

L’avenir est ce qu’il y a de pire dans le présent. 

En littérature comme en gastronomie, il est certains fruits qu’on mange à pleine bouche, dont on a le gosier plein, et si succulents que le jus pénètre jusqu’au cœur.

Il ne faut pas regarder le gouffre, car il y a au fond un charme inexprimable qui nous attire.

La femme est un animal vulgaire dont l’homme s’est fait un trop bel idéal.

J’aime mieux un livre que le billard, mieux une bibliothèque qu’un café, c’est une gourmandise, qui ne fait jamais vomir.

Un cœur est une richesse qui ne se vend pas, qui ne s’achète pas, mais qui se donne.

L’existence, après tout, n’est-elle pas comme le lièvre quelque chose de cursif qui fait un bond dans la plaine, qui sort d’un bois plein de ténèbres pour se jeter dans une marnière, dans un grand trou creux ?

Il ne faut pas demander des oranges aux pommiers, du soleil à la France, de l’amour à la femme, du bonheur à la vie.

La justice humaine est d’ailleurs pour moi ce qu’il y a de plus bouffon au monde ; un homme en jugeant un autre est un spectacle qui me ferait crever de rire s’il ne me faisait pitié, et si je n’étais forcé d’étudier maintenant la série d’absurdités en vertu de quoi il le juge.

C’est une belle chose qu’un souvenir, c’est presque un désir qu’on regrette.

Pour qu’on se plaise quelque part il faut qu’on y vive depuis longtemps. Ce n’est pas en un jour qu’on échauffe son nid et qu’on s’y trouve bien.

J’ai bien une sérénité profonde, mais tout me trouble à la surface ; il est plus facile de commander à son cœur qu’à son visage. 

Quelle plate bêtise de toujours vanter le mensonge et de dire : la poésie vit d’illusions ; comme si la désillusion n’était pas cent fois plus poétique par elle-même. Ce sont du reste deux mots d’une riche ineptie.

Quand on a quelque valeur, chercher le succès c’est se gâter à plaisir, et chercher la gloire c’est peut-être se perdre complètement.

Tout est là : l’amour de l’Art.

L’Art comme une étoile, voit la terre rouler sans s’en émouvoir, scintillant dans son azur ; le beau ne se détache pas du ciel.

Il faut lire, méditer beaucoup, toujours penser au style et écrire le moins qu’on peut, uniquement pour calmer l’irritation de l’idée qui demande à prendre une forme et qui se retourne en nous jusqu’à ce que nous lui en ayons trouvé une exacte, précise. 

Nous sommes organisés pour le malheur. On s’évanouit dans la volupté, jamais dans la peine ; les larmes sont pour le cœur ce que l’eau est pour les poissons.

Je crois que le dogme d’une vie future a été inventé par la peur de la mort ou l’envie de lui rattraper quelque chose.

La félicité est un manteau de couleur rouge qui a une doublure en lambeaux ; quand on veut s’en recouvrir, tout part au vent, et l’on reste empêtré dans ces guenilles froides que l’on avait jugées si chaudes.

Enfin, je crois avoir compris une chose, une grande chose, c’est que le bonheur pour les gens de notre race est dans l’idée et pas ailleurs.

Le cœur humain ne s’élargit qu’avec un tranchant qui le déchire.

Le bonheur est une monstruosité ! punis sont ceux qui le cherchent. 

Prends garde seulement à la rêverie : c’est un bien vilain monstre qui attire et qui m’a déjà mangé bien des choses. C’est la sirène des âmes ; elle chante, elle appelle ; on y va et l’on n’en revient plus.

Oui, travaille, aime l’Art. De tous les mensonges, c’est encore le moins menteur.

Il n’y a en fait d’infini que le ciel qui le soit à cause de ses étoiles, la mer à cause de ses gouttes d’eau, et le cœur à cause de ses larmes.

Dans notre appétit de la vie, nous remangeons nos sensations d’autrefois, nous rêvons celles de l’avenir.

Qui sait si le coup de vent qui abat un toit ne dilate pas toute une forêt ? Pourquoi le volcan qui bouleverse une ville ne féconderait-il pas une province ? Voilà encore de notre orgueil : nous nous faisons le centre de la nature, le but de la création et sa raison suprême. Tout ce que nous voyons ne pas s’y conformer nous étonne, tout ce qui nous est opposé nous exaspère. 

Je comprends, tout comme un autre, ce qu’on peut éprouver à regarder son enfant dormir. Je n’aurais pas été mauvais père, mais à quoi bon faire sortir du néant ce qui y dort ? Faire venir un être, c’est faire venir un misérable.

Sans cesse l’antithèse se dresse devant mes yeux. Je n’ai jamais vu un enfant sans penser qu’il deviendrait vieillard, un berceau sans songer à une tombe. La contemplation d’une femme nue me fait rêver à son squelette. C’est ce qui fait que les spectacles joyeux me rendent triste et que les spectacles tristes m’affectent peu. Je pleure trop en dedans pour verser des larmes au dehors ; une lecture m’émeut plus qu’un malheur réel.

L’amour est une plante de printemps qui parfume tout de son espoir, même les ruines où il s’accroche.

L’amour, après tout, n’est qu’une curiosité supérieure, un appétit de l’inconnu qui vous pousse dans l’orage, poitrine ouverte et tête en avant. 

L’amour comme le reste n’est qu’une façon de voir et de sentir. C’est un point de vue un peu plus élevé, un peu plus large ; on y découvre des perspectives infinies et des horizons sans bornes.

Les femmes veulent qu’on les trompe, elles vous y forcent, et si vous résistez, elles vous accusent.

Quand on ne regarde la vérité que de profil ou de trois quarts, on la voit toujours mal. Il y a peu de gens qui savent la contempler de face.

Il ne faut pas toujours croire que le sentiment soit tout. Dans les arts, il n’est rien sans la forme.

Enfants, nous désirons vivre dans le pays des perroquets et des dattes confites. Nous nous élevons avec Byron ou Virgile, nous convoitons l’Orient dans nos jours de pluie ou bien nous désirons aller faire fortune aux Indes, ou exploiter la canne à sucre en Amérique. La Patrie, c’est la terre, c’est l’Univers, ce sont les étoiles, c’est l’air, c’est la pensée elle-même, c’est-à-dire l’infini dans notre poitrine, mais les querelles de peuple à peuple, de canton à arrondissement, d’homme à homme, m’intéressent peu et ne m’amusent que lorsque ça fait de grands tableaux avec des fonds rouges.

L’homme est une si triste machine qu’une paille mise dans le rouage suffit pour l’arrêter.

Le bonheur est un mensonge dont la recherche cause toutes les calamités de la vie. Mais il y a des paix sereines qui l’imitent et qui sont supérieures peut-être.

Le cœur de l’homme est encore plus variable que les saisons, tour à tour plus froid que l’hiver et plus brûlant que l’été. Si les fleurs ne renaissent pas, ses neiges reviennent souvent par bourrasques lamentables ; ça tombe ! ça tombe ! ça couvre tout de blancheur et de tristesse, et quand le dégel arrive, c’est encore plus sale. 

Un ami qui meurt, c’est quelque chose de vous qui meurt.

Misérables que nous sommes, nous avons, je crois, beaucoup de goût parce que nous sommes profondément historiques, que nous admettons tout et nous plaçons au point de vue de la chose pour la juger. Mais avons-nous autant d’innéité que de compréhensivité ? une originalité féroce est-elle compatible même avec tant de largeur ? Voilà mon doute sur l’esprit artistique de l’époque, c’est-à-dire du peu d’artistes qu’il y a. Du moins, si nous ne faisons rien de bon, aurons-nous, peut-être, préparé et amené une génération qui aura l’audace (je cherche un autre mot) de nos pères avec notre éclectisme à nous. Ça m’étonnerait : le monde va devenir bougrement bête. D’ici à longtemps ce sera bien ennuyeux.

Autant travailler pour soi seul. On fait comme on veut et d’après ses propres idées. On s’admire, on se fait plaisir à soi-même, n’est-ce pas le principal ? et puis le public est si bête ! et puis qui est-ce qui lit ? et que lit-on ? et qu’admire-t-on ? ah ! bonnes époques tranquilles, bonnes époques à perruques, vous viviez d’aplomb sur vos hauts talons et sur vos cannes ! mais le sol tremble sous nous.

Il y a une chose qui nous perd, une chose stupide qui nous entrave. C’est « le goût », le bon goût. Nous en avons trop, je veux dire que nous nous en inquiétons plus qu’il ne faut.

Pour qui voit les choses avec quelque attention, on retrouve encore bien plus qu’on ne trouve ; mille notions que l’on n’avait en soi qu’à l’état de germe s’agrandissent et se précisent, comme un souvenir renouvelé.

S’il suffisait d’avoir les nerfs sensibles pour être poète, je vaudrais mieux que Shakespeare et qu’Homère, lequel je me figure avoir été un homme peu nerveux, cette confusion est impie… la poésie n’est point une débilité de l’esprit, et ces susceptibilités nerveuses en sont une ; cette faculté de sentir outre mesure est une faiblesse… la passion ne fait pas les vers, et plus vous serez personnel, plus vous serez faible.

La critique est au dernier échelon de la littérature, comme forme presque toujours et, comme valeur morale, incontestablement elle passe après le bout-rimé et l’acrostiche, lesquels demandent au moins un travail d’invention quelconque.

Il faut faire de la critique comme on fait de l’histoire naturelle, avec absence d’idée morale, il ne s’agit pas de déclamer sur telle ou telle forme, mais bien d’exposer en quoi elle consiste, comment elle se rattache à une autre et par quoi elle vit (l’esthétique attend son Geoffroy Saint-Hilaire, ce grand homme qui a montré la légitimité des monstres). Quand on aura pendant quelque temps traité l’âme humaine avec l’impartialité que l’on met dans les sciences physiques à étudier la matière, on aura fait un pas immense ; c’est le seul moyen à l’humanité de se mettre un peu au-dessus d’elle-même. Elle se considérera alors franchement, purement dans le miroir de ses œuvres, elle sera comme Dieu, elle se jugera d’en haut.

Il est de certaines fonctions où l’on est presque forcé de prendre une femme comme il y a certaines fortunes où il serait honteux de ne pas avoir d’équipage.

On apprend aux femmes à mentir d’une façon infâme. L’apprentissage dure toute leur vie depuis la première femme de chambre qu’on leur donne jusqu’au dernier amant qui leur survient, chacun s’ingère à les rendre canailles et après on crie contre elles ; le puritanisme, la bégueulerie, la bigoterie, le système du renfermé, de l’étroit, a dénaturé et perd dans sa fleur les plus charmantes créations du bon Dieu. J’ai peur du corset moral, voilà tout. Les premières impressions ne s’effacent pas… Nous portons en nous notre passé ; pendant toute notre vie, nous nous sentons de la nourrice.

Il est toujours triste de partir d’un lieu où l’on sait que l’on ne reviendra jamais. Voilà de ces mélancolies qui sont peut-être une des choses les plus profitables des voyages.

Le seul moyen de n’être pas malheureux c’est de s’enfermer dans l’art et de compter pour rien tout le reste, l’orgueil remplace tout quand il est assis sur une large base.

Certes, il est beau d’occuper de la place dans les âmes de la foule, mais on y est les trois quarts du temps en si piètre compagnie qu’il y a de quoi dégoûter la délicatesse d’un homme bien né.

Avouons que si aucune belle chose n’est restée ignorée, il n’y a pas de turpitude qui n’ait été applaudie, ni de sot qui n’ait passé pour grand homme, ni de grand homme qu’on n’ait comparé à un crétin. 

La postérité change d’avis quelquefois (mais la tache n’en reste pas moins au front de cette humanité qui a de si nobles instincts) et encore ! Est-ce que jamais la France reconnaîtra que Ronsard vaut bien Racine ! — Il faut donc faire de l’art pour soi, pour soi seul, comme on joue du violon.

On n’arrive au style qu’avec un labeur atroce, avec une opiniâtreté fanatique et dévouée.

Le vice n’est pas plus fécondant que la vertu, il ne faut être ni l’un ni l’autre, ni vicieux, ni vertueux, mais au-dessus de tout cela… N’aimons-nous pas à retrouver sur les gens et même sur les meubles et les vêtements quelque chose de ceux qui les ont approchés, aimés, connus ou usés ?

La première qualité de l’art et son but est l’illusion ; l’émotion, laquelle s’obtient souvent par certains sacrifices de détails poétiques, est une tout autre chose et d’un ordre inférieur. J’ai pleuré à des mélodrames qui ne valaient pas quatre sous et Gœthe ne m’a jamais mouillé l’œil, si ce n’est d’admiration.

La courtisane est un mythe. Jamais une femme n’a inventé une débauche.

Vis-à-vis de l’amour en effet, les femmes n’ont pas d’arrière-boutique, elles ne gardent rien à part pour elles comme nous autres, qui, dans toutes nos générosités de sentiment, réservons néanmoins toujours in petto un petit magot pour notre usage exclusif.

Tu peindras le vin, l’amour, les femmes, la gloire, à condition, mon bonhomme, que tu ne seras ni ivrogne, ni amant, ni mari, ni tourlourou. Mêlé à la vie, on la voit mal, on en souffre ou on en jouit trop. L’artiste, selon moi, est une monstruosité, quelque chose hors nature, tous les malheurs dont la Providence l’accable lui viennent de l’entêtement qu’il a à nier cet axiome — il en souffre et en fait souffrir. Qu’on interroge là-dessus les femmes qui ont aimé des poètes et les hommes qui ont aimé des actrices.

L’homme de l’avenir aura peut-être des joies immenses. Il voyagera dans les étoiles, avec des pilules d’air dans sa poche. Nous sommes venus, nous autres, ou trop tôt ou trop tard. Nous aurons fait ce qu’il y a de plus difficile et de moins glorieux : la transition.

Pour établir quelque chose de durable, il faut une base fixe ; l’avenir nous tourmente et le passé nous retient. Voilà pourquoi le présent nous échappe.

La bêtise est quelque chose d’inébranlable, rien ne l’attaque sans se briser contre elle ; elle est de la nature du granit, dure et résistante.

Celui qui, voyageant, conserve de soi la même estime qu’il avait dans son cabinet en se regardant tous les jours dans sa glace, est un bien grand homme ou un bien robuste imbécile. Je ne sais pourquoi, mais je deviens très humble.

Quel lourd aviron qu’une plume et combien l’idée, quand il la faut creuser avec, est un dur courant !

D’un homme à un autre homme, d’une femme à une autre femme, d’un cœur à un autre cœur, quels abîmes ! La distance d’un continent à l’autre n’est rien à côté.

Il n’y a rien de plus inutile que ces amitiés héroïques qui demandent des circonstances pour se prouver.

Le difficile, c’est de trouver quelqu’un qui ne vous agace pas les nerfs dans toutes les occurrences de la vie.

Je crois, comme le paria de Bernardin de Saint-Pierre, que le bonheur se trouve avec une bonne femme. Le tout est de la rencontrer, et d’être soi-même un bon homme, condition double et effrayante. 

Il n’y a rien de plus vil sur la terre qu’un mauvais artiste, qu’un gredin qui côtoie toute sa vie le beau sans y jamais débarquer et y planter son drapeau.

Faire de l’art pour gagner de l’argent, flatter le public, débiter des bouffonneries joviales ou lugubres en vue du bruit ou des monacos, c’est là la plus ignoble des professions, par la même raison que l’artiste me semble le maître homme des hommes.

J’aimerais mieux avoir peint la chapelle Sixtine que gagné bien des batailles, même celle de Marengo. Ça durera plus longtemps et c’était peut-être plus difficile.

Le dernier franciscain qui court le monde pieds nus, qui a l’esprit borné et qui ne comprend pas les prières qu’il récite est aussi respectable peut-être qu’un Cardinal, s’il prie avec conviction, s’il accomplit son œuvre avec ardeur.

Les serments, les larmes, les désespoirs, tout cela coule comme une poignée de sable dans la main. Attendez, serrez un peu, il n’y aura tout à l’heure plus rien du tout.

Il est beau d’être un grand écrivain, de tenir les hommes dans la poêle à frire de sa phrase et de les y faire sauter comme des marrons. Il doit y avoir de délirants orgueils à sentir qu’on pèse sur l’humanité de tout le poids de son idée, mais il faut pour cela avoir quelque chose à dire.

L’art, au bout du compte, n’est peut-être pas plus sérieux qu’un jeu de quilles ; tout n’est peut-être qu’une immense blague, j’en ai peur, et quand nous serons de l’autre côté de la page, nous serons peut-être fort étonnés d’apprendre que le mot du rébus était si simple.

La bibliothèque d’un écrivain doit se composer de cinq à six livres, sources qu’il faut relire tous les jours. Quant aux autres, il est bon de les connaître et puis c’est tout. Mais c’est qu’il y a tant de manières différentes de lire, et cela demande tant d’esprit que de bien lire ! 

L’esprit sert à peu de choses dans les arts, à empêcher l’enthousiasme et à nier le génie, voilà tout.

Il est bien plus facile de discuter que de comprendre, et de bavarder d’art, idée du beau, idéal, etc., que de faire le moindre sonnet ou la plus petite phrase.

L’idéal de l’État, selon les socialistes, n’est-il pas une espèce de vaste monstre absorbant en lui toute action individuelle, toute personnalité, toute pensée et qui dirigera tout, fera tout ? Une tyrannie sacerdotale est au fond de ces cœurs étroits et il faut tout régler, tout refaire, reconstruire sur d’autres bases, etc.

De tous les gens de lettres décorés, il n’y en a qu’un seul de commandeur, c’est M. Scribe ! Quelle immense ironie que tout cela ! et comme les honneurs foisonnent quand l’honneur manque !

Quand on a son modèle net, devant les yeux, on écrit toujours bien, et où donc le vrai est-il plus clairement visible que dans ces belles expositions de la misère humaine ? Elles ont quelque chose de si cru que cela donne à l’esprit des appétits de cannibales. Il se précipite dessus pour les dévorer et se les assimiler.

Il est bon et il peut même être beau de rire de la vie, pourvu qu’on vive ; il faut se placer au-dessus de tout et placer son esprit au-dessus de soi-même, j’entends la liberté de l’idée, dont je déclare impie toute limite.

Le vrai n’est jamais dans le présent ; s’y l’on s’y attache, on y périt. A l’heure qu’il est je crois même qu’un penseur (et qu’est-ce que l’artiste si ce n’est un triple penseur ?) ne doit avoir ni religion, ni patrie, ni même aucune conviction sociale. Le doute absolu maintenant me paraît être si nettement démontré que vouloir le formuler serait presque une niaiserie.

L’esprit autrefois était un soleil solitaire, tout autour de lui il y avait le cielvide ; son disque maintenant, comme par un soir d’hiver, semble avoir pâli et il illumine toute la brume humaine de sa clarté confuse.

Les chefs-d’œuvre sont bêtes, ils ont la mine tranquille comme les productions mêmes de la nature, comme les grands animaux et les montagnes ; j’aime l’ordure, oui, et quand elle est lyrique comme dans Rabelais qui n’est point du tout un homme à gaudriole, mais la gaudriole est française. Pour plaire au goût français il faut cacher presque la poésie, comme on fait pour les pilules, dans une poudre incolore et la lui faire avaler sans qu’il s’en doute.

Ce qui distingue les grands génies, c’est la généralisation et la création ; ils résument en un type des personnalités éparses et apportent à la conscience du genre humain des personnages nouveaux ; est-ce qu’on ne croit pas à l’existence de Don Quichotte comme à celle de César ? Shakespeare est quelque chose de formidable sous ce rapport ; ce n’était pas un homme, mais un continent ; il y avait des grands hommes en lui, des foules entières, des paysages ; ils n’ont pas besoin de faire du style, ceux-là, ils sont forts en dépit de toutes les fautes et à cause d’elles ; mais nous, les petits, nous ne valons que par l’exécution achevée.

Les très grands hommes écrivent souvent fort mal et tant mieux pour eux. Ce n’est pas là qu’il faut chercher l’art de la forme, mais chez les seconds (Horace, La Bruyère), il faut savoir les maîtres par cœur, les idolâtrer, tâcher de penser comme eux, et puis s’en séparer pour toujours. Comme instruction technique, on trouve plus de profit à tirer des génies savants et habiles.

Moins on sent une chose, plus on est apte à l’exprimer comme elle est(comme elle est toujours en elle-même dans sa généralité et dégagée de tous ses contingents éphémères) mais il faut avoir la faculté de se la faire sentir. Cette faculté n’est autre que le génie : voir, avoir le modèle devant soi, qui pose. C’est pourquoi je déteste la poésie parlée, la poésie en phrases. Pour les choses qui n’ont pas de mots le regard suffit ; les exhalaisons d’âme, le lyrisme, les descriptions, je veux de tout cela en style ; ailleurs c’est une prostitution de l’art et du sentiment même.

Il n’y a rien de plus faible que de mettre en art des sentiments personnels, l’artiste doit s’arranger de façon à faire croire à la postérité qu’il n’a pas vécu ; moins je m’en fais une idée et plus il me semble grand ; je ne peux rien me figurer sur la personne d’Homère, de Rabelais, et quand je pense à Michel-Ange, je vois de dos seulement un vieillard de stature colossale sculptant la nuit aux flambeaux.


Les œuvres les plus belles sont celles où il y a le moins de matière ; plus l’expression se rapproche de la pensée, plus le mot colle dessus et disparaît, plus c’est beau. Je crois que l’avenir de l’art est dans ces voies ; je le vois à mesure qu’il grandit s’éthérisant tant qu’il peut, depuis les pylônes égyptiens jusqu’aux lancettes gothiques, et depuis les poèmes de vingt mille vers des Indiens jusqu’aux jets de Byron, la forme en devenant habile s’atténue ; elle quitte toute liturgie, toute règle, toute mesure ; elle abandonne l’épique pour le roman, le vers pour la prose ; elle ne se connaît plus d’orthodoxie et est libre comme chaque volonté qui la produit. Cet affranchissement de la matérialité se retrouve en tout, et les gouvernements l’ont suivi depuis les despotismes orientaux jusqu’aux socialismes futurs. C’est pour cela qu’il n’y a ni beaux ni vilains sujets et qu’on pourrait presque établir comme axiome, en se posant au point de vue de l’art pur, qu’il n’y en a aucun, le style étant à lui tout seul une manière absolue de voir les choses.

La femme est un produit de l’homme. Dieu a créé la femelle, et l’homme a fait la femme ; elle est le résultat de la civilisation, une œuvre factice. Dans les pays où toute culture intellectuelle est nulle, elle n’existe pas, car c’est une œuvre d’art, au sens humanitaire ; est-ce pour cela que toutes les grandes idées générales se sont symbolisées au féminin ?

Les femmes se défient trop des hommes en général, et pas assez en particulier, elles nous jugent tous comme des monstres, mais au milieu des monstres il y a un ange ; nous ne sommes ni monstres ni anges.

Quel artiste on serait si l’on n’avait jamais lu que du beau, vu que du beau, aimé que du beau. Si quelque ange gardien de la pureté de notre plume avait écarté de nous, dès l’abord, toutes les mauvaises connaissances, qu’on n’ait jamais fréquenté d’imbéciles ni lu de journaux. Les Grecs avaient de tout cela, ils étaient comme plastiqués dans des conditions que rien ne redonnera, mais vouloir se chausser de leurs bottes est démence. Ce ne sont pas des chlamydes qu’il faut au nord, mais des pelisses de fourrures. La forme antique est insuffisante à nos besoins, et notre vie n’est pas faite pour chanter ces airs simples. Soyons aussi artistes qu’eux si nous le pouvons, mais autrement qu’eux. La conscience du genre humain s’est changée depuis Homère. Le ventre de Sancho Pança fait craquer la ceinture de Vénus. Au lieu de nous acharner à reproduire de vieux chics, il faut s’évertuer à en inventer de nouveaux.

Les chevaux et les styles de race ont du sang plein les veines, et on le voit battre sous la peau et courir depuis l’oreille jusqu’aux sabots. La vie ! la vie ! c’est pour cela que j’aime tant le lyrisme. Il me semble la forme la plus naturelle de la poésie, elle est là toute nue et en liberté… Aussi comme les grands maîtres sont excessifs ! Ils vont jusqu’à la dernière limite de l’idée ; les bonshommes de Michel-Ange ont des câbles plutôt que des muscles, dans les bacchanales de Rubens on pisse par terre, voir tout Shakespeare, etc., etc., et le dernier des gens de la famille, le vieux père Hugo, quelle belle chose queNotre- Dame ! J’en ai relu dernièrement trois chapitres, celui des truands entre autres, c’est cela qui est fort.

Amants du beau, nous sommes tous des bannis et quelle joie quand on rencontre un compatriote sur cette terre d’exil.

Les matérialistes et les spiritualistes empêchent également de connaître la matière et l’esprit, parce qu’ils scindent l’un de l’autre.

Le cœur dans ses affections comme l’humanité dans ses idées s’étend sans cesse en cercles plus élargis.

On traite les femmes comme nous traitons le public, avec beaucoup de déférence extérieure et un souverain mépris en dedans. L’amour humilié se fait orgueil libertin.

Je crois que le succès auprès des femmes est généralement une marque de médiocrité et c’est celui-là pourtant que nous envions tous et qui couronne les autres ; mais on n’en veut pas convenir, et comme on considère comme très au-dessous de soi les objets de leur préférence, on arrive à cette conviction qu’elles sont stupides, ce qui n’est pas ; nous jugeons à notre point de vue, elles au leur ; la beauté n’est pas pour la femme ce qu’elle est pour l’homme ; on ne s’entendra jamais là-dessus, ni sur l’esprit ni sur le sentiment.

C’est dans la seconde période de la vie d’artiste que les voyages sont bons, mais dans la première il est mieux de jeter dehors tout ce qu’on a de vraiment intime, d’original, d’individuel.

La prose est née d’hier, voilà ce qu’il faut se dire. Le vers est la forme par excellence des littératures anciennes. Toutes les combinaisons prosodiques ont été faites, mais celles de la prose, tant s’en faut !

Le temps est passé du beau. L’humanité, quitte à y revenir, n’en a que faire pour le quart d’heure. Plus il ira, plus l’art sera scientifique, de même que la science deviendra artistique ; tous deux se rejoindront au sommet après s’être séparés à la base. Aucune pensée humaine ne peut prévoir maintenant à quels brillants soleils psychiques écloront les œuvres de l’avenir.

On n’écrit pas avec son cœur, mais avec sa tête, encore une fois, et si bien doué que l’on soit, il faut toujours cette vieille concentration qui donne vigueur à la pensée et relief au mot.

L’art est une représentation, nous ne devons penser qu’à représenter ; il faut que l’esprit de l’artiste soit comme la mer, assez vaste pour qu’on n’en voie pas les bords, assez pur pour que les étoiles du ciel s’y mirent jusqu’au fond.

Où est la limite de l’inspiration à la folie, de la stupidité à l’extase ? ne faut-il pas pour être artiste voir tout d’une façon différente de celle des autres hommes ? L’art n’est pas un jeu d’esprit, c’est une atmosphère spéciale ; mais qui dit qu’à force de descendre toujours plus avant dans les gouffres pour respirer un air plus chaud, on ne finit pas par rencontrer des miasmes funèbres ?

Le génie, c’est Dieu qui le donne, mais le talent nous regarde ; avec un esprit droit, l’amour de la chose et une patience soutenue on arrive à en avoir. La correction (je l’entends dans le plus haut sens du mot) fait à la pensée ce que l’eau du Styx faisait au corps d’Achille : elle la rend invulnérable et indestructible.

La forme est la chair même de la pensée, comme la pensée est l’âme de la vie ; plus les muscles de votre poitrine seront larges, plus vous respirerez à l’aise.

Vouloir donnera la prose le rythme du vers (en la laissant prose et très prose) et écrire la vie ordinaire comme on écrit l’histoire ou l’épopée (sans dénaturer le sujet) est peut-être une absurdité, voilà ce que je me demande quelquefois ; mais c’est peut-être aussi une grande tentative et très originale !

L’auteur dans son œuvre doit être comme Dieu dans l’univers, présent partout, et visible nulle part ; l’art étant une seconde nature, le créateur de cette nature-là doit agir par des procédés analogues ; que l’on sente dans tous les atomes, à tous les aspects, une impassibilité cachée, infinie ; l’effet pour le spectateur doit être une espèce d’ébahissement. Comment tout cela s’est-il fait ? doit-on dire, et qu’on se sente écrasé sans savoir pourquoi ; l’art grec était dans ce principe-là, et pour y arriver plus vite, il choisissait ses personnages dans des conditions sociales exceptionnelles, rois, dieux, demi-dieux ; on ne vous intéressait pas avec vous-mêmes, le divin était le but.

Il faut une volonté surhumaine pour écrire, et je ne suis qu’un homme.

La célébrité la plus complète ne vous assouvit point, et l’on meurt presquetoujours dans l’incertitude de son propre nom, à moins d’être un sot. Donc l’illustration ne vous classe pas plus à vos propres yeux que l’obscurité.

Quand on se compare à ce qui vous entoure, on s’admire, mais quand on lève les yeux plus haut, vers l’absolu, vers les maîtres, vers le rêve, comme on se méprise !

La poésie est une plante libre ; elle croît partout sans avoir été semée. Le poète n’est pas autre chose que le botaniste patient qui gravit les montagnes pour aller la cueillir.

Je suis un barbare, j’en ai l’apathie musculaire, les langueurs nerveuses, les yeux verts et la haute taille ; mais j’en ai aussi l’élan, l’entêtement, l’irascibilité. Normands, tous tant que nous sommes, nous avons quelque peu de cidre dans les veines, c’est une boisson aigre et fermentée et qui quelquefois fait sauter la bonde.

Chaque chose est un infini ; le plus petit caillou arrête la pensée tout comme l’idée de Dieu. Entre deux cœurs qui battent l’un sur l’autre il y a des abîmes, le néant est entre eux, toute la vie et le reste. L’âme a beau faire, elle ne brise pas sa solitude, elle marche avec elle, on se sent fourmi dans un désert, et perdu… perdu…

Je crois cet axiome vrai, à savoir que l’on aime le mensonge, mensonge pendant la journée et songe pendant la nuit. Voilà l’homme.

Quand on est jeune, on associe la réalisation future de ses rêves aux existences qui vous entourent. À mesure que ces existences disparaissent, les rêves s’en vont.

Je suis loin d’être l’homme de la nature qui se lève avec le soleil, s’endort comme les poules, boit l’eau des torrents, etc. Il me faut une vie factice et des milieux en tout extraordinaires. Ce n’est point un vice d’esprit, mais toute uneconstitution de l’homme ; reste à savoir, après tout, si ce qu’on appelle le factice n’est pas une autre nature.

La mélancolie elle-même n’est qu’un souvenir qui s’ignore.

Je crois à la race plus qu’à l’éducation, on emporte, quoi qu’en ait dit Danton, la patrie à la semelle de ses talons et l’on porte au cœur, sans le savoir, la poussière de ses ancêtres morts.

Ne nous lamentons sur rien ; se plaindre de tout ce qui nous afflige ou nous irrite, c’est se plaindre de la constitution même de l’existence. Nous sommes faits pour la peindre, nous autres, et rien de plus. Soyons religieux ; moi, tout ce qui m’arrive de fâcheux, en grand ou en petit, fait que je me resserre de plus en plus à mon éternel souci. Je m’y cramponne à deux mains et je ferme les deux yeux ; à force d’appeler la Grâce, elle vient. Dieu a pitié des simples et le soleil brille toujours pour les cœurs vigoureux qui se placent au-dessus des montagnes. Je tourne à une espèce de mysticisme esthétique (si les deux mots peuvent aller ensemble) et je voudrais qu’il fût plus fort.

Voilà ce que tous les socialistes du monde n’ont pas voulu voir avec leur éternelle prédication matérialiste, ils ont nié la douleur, ils ont blasphémé les trois quarts de la poésie moderne ; le sang du Christ qui se remue en nous, rien ne l’extirpera, rien ne le tarira, il ne s’agit pas de le dessécher, mais de lui faire des ruisseaux. Si le sentiment de l’insuffisance humaine, du néant de la vie, venait à périr (ce qui serait la conséquence de leur hypothèse) nous serions plus bêtes que les oiseaux qui au moins perchent sur les arbres.

A mesure que l’humanité se perfectionne, l’homme se dégrade ; quand tout ne sera plus qu’une combinaison économique d’intérêts bien contre-balancés, à quoi servira la vertu ? Quand la nature sera tellement esclave qu’elle aura perduses formes originales, où sera la plastique ?

L’incapacité des grandes pensées aux affaires n’est qu’un excès de capacité. Dans les grands vases une goutte d’eau n’est rien et elle emplit les petites bouteilles, mais la durée est là qui nous console ; que reste-t-il de tous les actifs, Alexandre, Louis XIV, etc., et Napoléon même, si voisin de nous ? La pensée est comme l’âme, éternelle, et l’action comme le corps, mortelle.

Le génie comme un fort cheval traîne à son cul l’humanité sur les routes de l’idée ; elle a beau tirer les rênes et par sa bêtise lui faire saigner les dents en hocquesonnant tant qu’elle peut le mors dans sa bouche, l’autre qui a les jarrets robustes continue toujours au grand galop par les précipices et les vertiges.

Il ne faut penser qu’aux triomphes que l’on se décerne, être soi-même son public, son critique. Le seul moyen de vivre en paix, c’est de se placer tout d’un bond au-dessus de l’humanité entière et de n’avoir avec elle rien de commun qu’un rapport d’art.

La fraternité est une des plus belles inventions de l’hypocrisie sociale. On crie contre les jésuites. O candeur ! nous en sommes tous.

J’aime les gens tranchants et énergumènes, on ne fait rien de grand sans le fanatisme. Le fanatisme est la religion, et les philosophes du xviiie siècle, en criant après l’un, renversaient l’autre. Le fanatisme est la foi, la foi même, la foi ardente, celle qui fait des œuvres et agit. La religion est une conception variable, une affaire d’invention humaine, une idée enfin ; l’autre un sentiment.

Il faut, pour bien faire une chose, que cette chose-là rentre dans votre constitution ; un botaniste ne doit avoir ni les mains, ni les yeux, ni la tête faits comme un astronome, et ne voir les astres que par rapport aux herbes. 

Une âme se mesure à la dimension de son désir, comme l’on juge d’avance des cathédrales à la hauteur de leurs clochers, et c’est pour cela que je hais la poésie bourgeoise, l’art domestique, quoique j’en fasse ; mais c’est bien la dernière fois ; au fond cela me dégoûte.

La femme entretenue a envahi la débauche comme le journaliste la poésie, nous nous noyons dans les demi-teintes. La courtisane n’existe pas plus que le saint ; il y a des soupeuses et des lorettes, ce qui même est encore plus fétide que la grisette.

Plus une œuvre est bonne, plus elle attire la critique ; c’est comme les puces qui se précipitent sur le linge blanc.

Il fut un temps où le patriotisme s’étendait à la cité, puis le sentiment peu à peu s’est élargi avec le territoire. Maintenant l’idée de Patrie est, Dieu merci, à peu près morte et on en est au socialisme, à l’humanitarisme (si l’on peuts’exprimer ainsi). Je crois que plus tard on reconnaîtra que l’amour de l’humanité est quelque chose d’aussi piètre que l’amour de Dieu, on aimera le juste en soi, le beau pour le beau ; le comble de la civilisation sera de n’avoir besoin d’aucun bon sentiment. Ce qui s’appelle les sacrifices seront inutiles, mais il faudra pourtant toujours un peu de gendarmes !

Le seul enseignement à tirer du régime actuel (basé sur le joli mot vox populi, vox Dei) est que l’idée du peuple est aussi usée que celle du roi ; que l’on mette donc ensemble la blouse du travailleur avec la pourpre du monarque et qu’on les jette de compagnie toutes deux aux latrines pour y cacher conjointement leur taches de sang et de boue ; elles en sont raides.

Ce qui me semble à moi le plus haut dans l’art (et le plus difficile) ce n’est ni de faire rire, ni de faire pleurer, ni de vous mettre en rut ou en fureur, mais d’agir à la façon de la nature, c’est-à-dire de faire rêver. Aussi les très belles œuvres ont ce caractère, elles sont sereines d’aspect et incompréhensibles quant au procédé, elles sont immobiles comme des falaises, houleuses comme l’océan, pleines de frondaisons, de verdures et de murmures comme les bois, tristes comme le désert, bleues comme le ciel — Homère, Rabelais, Michel-Ange, Shakespeare, Gœthe m’apparaissent impitoyables, cela est sans fond, infini, multiple. Par de petites ouvertures on aperçoit des précipices, il y a du noir en bas, du vertige, et cependant quelque chose de singulièrement doux plane sur l’ensemble ! C’est l’idéal de la lumière, le sourire du soleil, et c’est calme ! C’est calme ! et c’est fort.

Chacun de nous a dans le cœur un calendrier particulier d’après lequel il mesure le temps ; il y a des minutes qui sont des années, des jours qui marquent comme des siècles.

Nos joies comme nos douleurs doivent s’absorber dans notre œuvre ; on ne reconnaît pas dans les nuages les gouttes d’eau de la rosée que le soleil y a fait monter ! Évaporez-vous, pluie terrestre, larmes des jours anciens, et formez dans les cieux de gigantesques voûtes toutes pénétrées de soleil.

On doit être âme le plus possible et c’est par ce détachement que l’immense sympathie des choses et des êtres nous arrivera plus abondante. La France a été constituée du jour que les provinces sont mortes, et le sentiment humanitaire commence à naître sur les ruines des patries. Il arrivera un temps où quelque chose de plus large et de plus haut le remplacera, et l’homme aimera le néant même, tant il se sentira participant.

N’importe, bien ou mal, c’est une délicieuse chose que d’écrire, que de ne plus être soi, mais de circuler dans toute la création dont on parle.

Aujourd’hui, par exemple, homme et femme tout ensemble, amant et maîtresse à la fois, je me suis promené à cheval dans une forêt par une après-midi d’automne sous des feuilles jaunes, et j’étais les chevaux, les feuilles, le vent, les paroles qu’on se disait et le soleil rouge qui faisait s’entre-fermer leurs paupières noyées d’amour. Est-ce orgueil ou pitié, est-ce le débordement niais d’une satisfaction de soi-même exagérée ? ou bien un vague et noble sentiment de religion ? Mais quand je rumine après les avoir senties ces journées-là, je serais tenté de faire une prière de remerciement au bon Dieu si je savais qu’il pût m’entendre. Qu’il soit donc béni pour ne pas m’avoir fait naître marchand de coton, vaudevilliste, homme d’esprit, etc. Chantons Apollon comme aux premiers jours, aspirons à pleins poumons le grand air froid du Parnasse, frappons sur nos guitares et nos cymbales, et tournons comme des derviches dans l’éternel brouhaha des formes et des idées.

En fait d’injures, de sottises, de bêtises, etc., je trouve qu’il ne faut se fâcher que lorsqu’on vous le dit en face. Faites-moi des grimaces dans le dos tant que vous voudrez, mon cul vous contemple ! 

Les vieux époux finissent par se ressembler. Tous les gens de la même profession n’ont-ils pas le même air ?

« Qu’est-ce que ton devoir ? — L’exigence de chaque jour. » Cette pensée est de Gœthe, faisons notre devoir qui est de tâcher d’écrire bien, et quelle société de saints serait celle où seulement chacun ferait son devoir.

L’œuvre de la critique moderne est de remettre l’art sur son piédestal. On ne vulgarise pas le beau, on le dégrade, voilà tout. Qu’a-t-on fait de l’antiquité en voulant la rendre accessible aux enfants ? Quelque chose de profondément stupide ! Mais il est si commode pour tous de se servir d’expurgata, de traductions, d’atténuations, il est si doux pour les nains de contempler les géants raccourcis ! ce qu’il y a de meilleur dans l’art échappera toujours aux natures médiocres, c’est-à-dire aux trois quarts et demi du genre humain. Pourquoi dénaturer la vérité au profit de la bassesse ? 

Le vrai poète pour moi est un prêtre. Dès qu’il passe la soutane il doit quitter sa famille.

Personne n’est original au sens strict du mot, le talent comme la vie se transmet par infusion et il faut vivre dans un milieu noble, prendre l’esprit de société des maîtres ; il n’y a pas de mal à étudier à fond un génie complètement différent de celui qu’on a, parce qu’on ne peut le copier.

Il ne faut jamais craindre d’être exagéré, tous les très grands l’ont été, Michel-Ange, Rabelais, Shakespeare, Molière ; il s’agit de faire prendre un lavement à un homme (dans Pourceaugnac) ; on n’apporte pas une seringue, non, on emplit le théâtre de seringues et d’apothicaires, cela est tout bonnement le génie dans son vrai centre, qui est l’énorme. Mais pour que l’exagération ne paraisse pas, il faut qu’elle soit partout continue, proportionnée, harmonique à elle-même ; si vos bonshommes ont cent pieds il faut que les montagnes en aient vingt mille et qu’est-ce donc que l’idéal si ce n’est ce grossissement-là ?

L’artiste doit tout élever, il est comme une pompe, il a en lui un grand tuyau qui descend aux entrailles des choses, dans les couches profondes, il aspire et fait jaillir au soleil en gerbes géantes ce qui était plat sous terre et ce qu’on ne voyait pas.

On ne se lasse point de ce qui est bien écrit, le style c’est la vie ! c’est le sang même de la pensée !

L’idéal n’est fécond que lorsqu’on y fait tout rentrer. C’est un travail d’amour et non d’exclusion. Voilà deux siècles que la France marche suffisamment dans cette voie de négation ascendante ; on a de plus en plus diminué des livres la nature, la franchise, le caprice, la personnalité, et même l’érudition comme étant grossière, immorale, bizarre, pédantesque, et dans les mœurs on a pourchassé, honni et presque anéanti la gaillardise et l’aménité, les grandes manières, et les genres de vie libres, lesquels sont les féconds. On s’est guindé vers la décence ! Pour cacher des écrouelles on a haussé sa cravate. L’idéal jacobin et l’idéal Marmontellien peuvent se donner la main. Notre délicieuse époque est encore encombrée par cette double poussière. Robespierre et M. de la Harpe nous régentent du fond de leur tombe. Mais je crois qu’il y a quelque chose au-dessus de tout cela, à savoir : l’acceptation ironique de l’existence et sa refonte plastique et complète par l’art. Quant à nous, vivre ne nous regarde pas, ce qu’il faut chercher, c’est ne pas souffrir.

Le lieu commun n’est manié que par les imbéciles ou par les très grands ; les natures médiocres l’évitent, elles recherchent l’ingénieux, l’accidenté.

Nous sommes tous enfoncés au même niveau, dans une médiocrité commune. L’égalité sociale a passé dans l’esprit, on fait des livres pour tout le monde, de l’art pour tout le monde, de la science pour tout le monde, comme on construit des chemins de fer et des chauffoirs publics. L’humanité a la rage de l’abaissement moral, et je lui en veux de ce que je fais partie d’elle.

La générosité à l’encontre des gredins est presque une indélicatesse à l’encontre du bien.

Certaines natures ne souffrent pas. Les gens sans nerfs sont-ils heureux ? Mais de combien de choses ne sont-ils pas privés ? A mesure qu’on s’élève dans l’échelle des êtres, la faculté nerveuse augmente, c’est-à-dire la faculté de souffrir ; souffrir et penser seraient-ils donc même chose ? Le génie après tout n’est peut-être qu’un raffinement de la douleur, c’est-à-dire une méditation de l’objectif à travers notre âme ?

Il y a dans la Poétique de Ronsard un curieux précepte : il recommande au poète de s’instruire dans les arts et métiers, forgerons, orfèvres, serruriers, etc., pour y puiser les métaphores ; c’est là ce qui vous fait, en effet, une langue riche ; il faut que les phrases s’agitent dans un livre comme les feuilles dans une forêt, toutes dissemblables en leur ressemblance.

Je crois que si l’on regardait toujours les cieux, on finirait par avoir des ailes.

L’idéal est comme le soleil, il pompe à lui toutes les crasses de la terre.

Ce n’est pas tout que d’avoir des ailes, il faut qu’elles nous portent.

Il a été donné à l’antiquité de produire des êtres qui ont du fait de leur seule vie dépassé tout rêve possible ; ceux qui les veulent reproduire ne les connaissent pas, voilà ce que ça prouve. Quand on est jeune on se laisse tenter volontiers par ces resplendissantes figures dont l’auréole arrive jusqu’à nous, on tend les bras pour les rejoindre, on court vers elles… et elles reculent, elles reculent ; elles montent dans leurs nuages, elles grandissent, elles s’illuminent et comme le Christ aux apôtres, nous crient de ne pas chercher à les atteindre.

La médiocrité chérit la règle, moi je la hais ; je me sens contre elle et contre toute restriction, corporation, caste, hiérarchie, niveau, troupeau, une exécration qui m’emplit l’âme, et c’est par ce côté-là peut-être que je comprends le martyre.

N’est-il pas de la vie d’artiste, ou plutôt d’une œuvre d’art à accomplir, comme d’une grande montagne à escalader ? Dur voyage et qui demande une volonté acharnée ! D’abord on aperçoit d’en bas une haute cime ; dans les cieux, elle est étincelante de pureté ; elle est effrayante de hauteur ! et elle vous sollicite cependant à cause de cela même. On part, mais à chaque plateau de la route le sommet grandit, l’horizon se recule, on va par les précipices, les vertiges et les découragements, il fait froid ! et l’éternel ouragan des hautes régions vous enlève en passant jusqu’au dernier lambeau de votre vêtement ; la terre est perdue pour toujours, et le but sans doute ne s’atteindra pas. C’est l’heure où l’on compte ses fatigues, où l’on regarde avec épouvante les gerçures de sa peau. L’on n’a rien qu’une indomptable envie de monter plus haut, d’en finir, de mourir. Quelquefois, pourtant, un coup des vents du ciel arrive et dévoile à votre éblouissement des perfections innombrables, infinies, merveilleuses ! A vingt mille pieds sous soi, on aperçoit les hommes, une brise olympienne emplit nos poumons géants et l’on se considère comme un colosse ayant le monde entier pour piédestal. Puis le brouillard retombe et l’on continue à tâtons ! s’écorchant les ongles aux rochers et pleurant de la solitude ! N’importe ! mourons dans la neige, dans la blanche douleur de notre désir, au murmure des torrents de l’Esprit, et la figure tournée vers le soleil !

Au-dessus de la vie, au-dessus du bonheur, il y a quelque chose de bleu, d’ incandescent au grand ciel immuable et subtil dont les rayonnements qui nous arrivent suffisent à animer des mondes. La splendeur du génie n’est que le reflet pâle du verbe caché ; mais si ces manifestations nous sont à nous autres impossibles à cause de la faiblesse de nos natures, l’amour, l’amour, l’aspiration nous y renvoie, elle nous pousse vers lui, nous y confond, nous y mêle. On peut y vivre ; des peuples entiers n’en sont pas sortis, et il y a des siècles qui ont ainsi passé dans l’humanité comme des comètes dans l’espace tout échevelées et sublimes.

Les grandes passions, je ne dis pas les turbulentes, mais les hautes, les larges sont celles à qui rien ne peut nuire, et dans lesquelles plusieurs autres peuvent se mouvoir. Aucun accident ne peut déranger une harmonie qui comprend en soi tous les cas particuliers ; sans un tel amour, d’autres amours même auraient pu venir : il eût été tout le cœur ! 

Je crois que le plus grand caractère du génie est avant tout la force. Donc, ce que je déteste le plus dans les arts, ce qui me crispe, c’est l’ingénieux,l’esprit.

Tout ce qu’on invente est vrai ; la poésie est une chose aussi précise que la géométrie ; l’induction vaut la déduction ; et puis, arrivé à un certain endroit, on ne se trompe plus quant à tout ce qui est de l’âme ; ma pauvre Bovary, sans doute, souffre et pleure dans vingt villages de France à la fois, à cette heure même.

Il n’y a pas besoin de gravir les montagnes ou de descendre au fleuve pour puiser de l’eau ; dans un espace grand comme la main, enfoncez la sonde et frappez dessus, il jaillira des fontaines. Le puits artésien est un symbole, et les Chinois, qui l’ont connu de tout temps, sont un grand peuple.

Oui, je soutiens (et ceci, pour moi, doit être un dogme pratique dans la vie d’artiste) qu’il faut faire dans son existence deux parts : vivre en bourgeois et penser en demi-dieu. Les satisfactions du corps et de la tête n’ont rien de commun ; s’ils se rencontrent mêlés, prenez-les et gardez-les ; mais ne les cherchez pas réunis, car ce serait factice, et cette idée de bonheur, du reste, est la cause presque exclusive de toutes les infortunes humaines.

On s’étonne des mystiques, mais le secret est là : leur amour, à la manière des torrents, n’avait qu’un seul lit, étroit, profond, en pente, et c’est pour cela qu’il emportait tout.

Si vous voulez à la fois chercher le Bonheur et le Beau, vous n’atteindrez ni à l’un ni à l’autre, car le second n’arrive que par le sacrifice ; l’art, comme le Dieu des Juifs, se repaît d’holocaustes.

Au reste, toutes les difficultés que l’on éprouve en écrivant viennent dumanque d’ordre. C’est une conviction que j’ai maintenant. Si vous vous acharnez à une tournure ou à une expression qui n’arrive pas, c’est que vous n’avez pas l’idée. L’image ou le sentiment bien net dans la tête amène le mot sur le papier, l’un coule de l’autre.

La personnalité sentimentale sera ce qui plus tard fera passer pour puérile et un peu niaise une bonne partie de la littérature contemporaine. Que de sentiment, que de sentiment ! que de tendresses, que de larmes ! il n’y aura jamais eu de si braves gens. Il faut avoir avant tout du sang dans les phrases et non de la lymphe ; et quand je dis du sang c’est du cœur ; il faut que cela batte, que cela palpite, que cela émeuve ; il faut faire s’aimer les arbres et tressaillir les granits ; on peut mettre un immense amour dans l’histoire d’un brin d’herbe : la fable des deux pigeons m’a toujours plus ému que tout Lamartine, et ce n’est pas le sujet ; mais si La Fontaine avait dépensé d’abord sa faculté aimante dans l’exposition de ses sentiments personnels, lui en serait-il resté suffisamment pour peindre l’amitié des deux oiseaux ? Prenons garde de dépenser en petite monnaie nos pièces d’or.

Il n’y a que les lieux communs et les pays connus qui soient d’une intarissable beauté.

A Paris, le char d’Apollon, est un fiacre ; la célébrité s’y obtient à force de courses.

C’est donc quelque chose de bien atrocement délicieux que d’écrire, pour qu’on reste à s’acharner ainsi, en des tortures pareilles, et qu’on n’en veuille pas d’autres. Il y a là-dessous un mystère qui m’échappe ! la vocation est peut-être comme l’amour du pays natal (que j’ai peu, du reste), un certain lien fatal des hommes aux choses. Le Sibérien dans ses neiges et le Hottentot dans sa hutte vivent contents, sans rêver soleil ni palais. Quelque chose de plus fort qu’eux les attache à leur misère, et nous nous débattons dans les formes. Poètes, sculpteurs, peintres et musiciens, nous respirons l’existence à travers la phrase, le contour, la couleur ou l’harmonie, et nous trouvons tout cela le plus beau du monde !

Rappelons-nous toujours que l’impersonnalité est le signe de la force ; absorbons l’objectif et qu’il circule en nous, qu’il se reproduise au dehors sans qu’on puisse rien comprendre à cette chimie merveilleuse. Notre cœur ne doit être bon qu’à sentir celui des autres. Soyons des miroirs grossissants de la vérité externe.

Toute correction doit être faite avec sens ; il faut bien ruminer son objectif avant de songer à la forme, car elle n’arrive bonne que si l’illusion du sujet nous obsède.

Nous vivons dans un monde où l’on s’habille de vêtements tout confectionnés. Donc, tant pis pour vous si vous êtes trop grand.

Un livre, cela vous crée une famille éternelle dans l’humanité. Tous ceux qui vivront de vos pensées, ce sont comme des enfants attablés à votre foyer. Aussi quelle reconnaissance j’ai, moi, pour ces pauvres vieux braves dont on se bourre à si large gueule, qu’il semble qu’on a connus, et auxquels on rêve comme à des amis morts.

Quand on ne peut pas entraîner la société derrière soi, on se met à sa remorque comme les chevaux du roulier lorsqu’il s’agit de descendre une côte ; alors la machine en mouvement vous emporte, c’est un moyen d’avancer. On est servi par les passions du jour et par la sympathie des envieux. C’est là le secret des grands succès et des petits aussi.

L’art ne réclame ni complaisance ni politesse, rien que la foi, la foi toujours et la liberté.

Chaque rêve finit par trouver sa forme ; il y a des ondes pour toutes les soifs, de l’amour pour tous les cœurs. Et puis, rien ne fait mieux passer la vieque la préoccupation incessante d’une idée, qu’un idéal, comme disent les grisettes… Folie pour folie, prenons les plus nobles. Puisque nous ne pouvons décrocher le soleil, il faut boucher toutes nos fenêtres et allumer des lustres dans notre chambre.

Qui vous dit que votre jugement humain soit infaillible ? que votre sentiment ne vous abuse pas ? Comment pouvons-nous, avec nos sens bornés et notre intelligence finie, arriver à la connaissance absolue du vrai et du bien ? Saisirons-nous jamais l’absolu ? Il faut, si l’on veut vivre, renoncer à avoir une idée nette de quoi que ce soit. L’humanité est ainsi, il ne s’agit pas de la changer, mais de la connaître. Pensez moins à vous, abandonnez l’espoir d’une solution, elle est au sein du Père, lui seul la possède et ne la communique pas, mais il y a dans l’ardeur de l’étude des joies idéales faites pour les nobles âmes.

Un livre peut être plein d’énormités et de bévues et n’en être pas moins fort beau. Une pareille doctrine, si elle était admise, serait déplorable, je le sais, en France surtout, où l’on a le pédantisme et l’ignorance, mais je vois dans la tendance contraire (qui est la mienne, hélas !) un grand danger ; — l’étude de l’habit nous fait oublier l’âme. — Je donnerais la demi-rame de notes que j’ai écrites depuis cinq mois, et les 98 volumes que j’ai lus, pour être, pendant trois secondes seulement, réellement émotionné par la passion de mes héros. Prenons garde de tomber dans le brimborion, on reviendrait ainsi tout doucement à la Cafetière de l’abbé Delille. Il y a toute une école de peinture maintenant qui, à force d’aimer Pompéi, en est arrivée à faire plus rococo que Girodet. Je crois donc qu’il ne faut rien aimer, c’est-à-dire qu’il faut planer impartialement au-dessus de tous les objectifs.

La vie, la mort, la joie et les larmes, tout cela se vaut, en définitive. Du haut de la planète de Saturne, notre univers est une petite étincelle ; il faut tâcher, je le sais bien, d’être par l’esprit aussi haut placé que les étoiles. Mais cela n’est pas facile continuellement. Avez-vous remarqué comme nous aimons nos douleurs ?… Mais nous ne valons peut-être quelque chose que par nos souffrances, car elles sont toutes des aspirations. Il y a tant de gens dont la joie est si immonde et l’idéal si borné, que nous devons bénir notre malheur, s’il nous fait plus dignes.

Le malheur de la vie se passe à dire : « il est trop tôt », — puis : « il est trop tard ».

C’est parce que je crois à l’évolution perpétuelle de l’humanité et à ses formes incessantes, que je hais tous les cadres où on veut la fourrer de vive force, toutes les formalités dont on la définit, tous les plans que l’on rêve pour elle. La démocratie n’est pas plus son dernier mot que l’esclavage ne l’a été, que la féodalité ne l’a été, que la monarchie ne l’a été. L’horizon perçu par les yeux humains n’est jamais le rivage, parce qu’au delà de cet horizon il y en a un autre, et toujours ! Ainsi chercher la meilleure des religions ou le meilleur des gouvernements, me semble une folie niaise. Le meilleur, pour moi, c’est celui qui agonise, parce qu’il va faire place à un autre.

Les gens légers, bornés, les esprits présomptueux et enthousiastes veulent en toute chose une conclusion ; ils cherchent le but de la vie, et la dimension de l’infini ; ils prennent dans leur pauvre petite main une poignée de sable et ils disent à l’océan : « Je vais compter les grains de tes rivages. » Mais comme les grains leur coulent entre les doigts, et que le calcul est long, ils trépignent et ils pleurent. Savez-vous ce qu’il faut faire sur la grève ? Il faut s’agenouiller ou se promener.

Les mots sublimes (que l’on rapporte dans les histoires) ont été dits souvent par des simples. Ce qui n’est nullement un argument contre l’art, au contraire, car ils avaient ce qui fait l’art même, à savoir la pensée concrétée, un sentiment quelconque, violent, et arrivé à son dernier état d’idéal : « Si vous aviez la foi, vous remueriez des montagnes » est aussi le principe du beau, ce qui se traduit plus prosaïquement : « Si vous saviez précisément ce que vous voulez dire, vous le diriez bien. » Aussi n’est-il pas très difficile de parler de soi, mais des autres !

Notre âme est une bête féroce ; toujours affamée, il faut la gorger jusqu’à la gueule pour qu’elle ne se jette pas sur nous. Rien n’apaise plus qu’un long travail. L’érudition est chose rafraîchissante. Combien je regrette souvent de n’être pas un savant, et comme j’envie ces calmes existences passées à étudier des pattes de mouches, des étoiles ou des fleurs !

Quand une fois on a baisé un cadavre au front, il vous en reste toujours sur les lèvres quelque chose, une amertume infinie, un arrière-goût de néant que rien n’efface.

Comme nous souffrons par nos affections ! Il n’est pas d’amour qui ne soit parfois aussi lourd à porter qu’une haine ! 

Le seul moyen de supporter l’existence, c’est de s’étourdir dans la littérature comme dans une orgie perpétuelle. Le vin de l’art cause une longue ivresse, et il est inépuisable. C’est de penser à soi qui rend malheureux.

Le style est autant sous les mots que dans les mots. C’est autant l’âme que la chair d’une œuvre.

Et d’ailleurs je ne sais (et personne ne sait) ce que veulent dire ces deux mots : âme et corps, où l’une finit, où l’autre commence ; nous sentons desforces, et puis c’est tout. Le matérialisme et le spiritualisme pèsent encore trop sur la conscience de l’homme pour que l’on étudie impartialement tous ces phénomènes. L’anatomie du cœur humain n’est pas encore faite. Comment voulez-vous qu’on le guérisse ? Ce sera l’unique gloire du xixe siècle que d’avoir commencé ces études. Le sens historique est tout nouveau dans ce monde. On va se mettre à étudier les idées comme des faits et à disséquer lescroyances comme des organismes. Il y a toute une école qui travaille dans l’ombre et qui fera quelque chose, j’en suis sûr.

Comme nous nous attachons aux choses ! C’est surtout quand on voyage que l’on sent profondément la mélancolie de la nature, qui n’est que celle de notre âme projetée sur les objets. Il m’est arrivé d’avoir des larmes aux yeux en quittant tel paysage. Pourquoi ?

L’envie du succès, le besoin de réussir quand même, à cause du profit, a tellement démoralisé la littérature, qu’on devient stupide de timidité. L’idée d’une chute ou d’un blâme les fait tous foirer de peur dans leurs culottes : « Cela vous est bien commode à dire, vous, parce que vous avez des rentes », réponse commode et qui relègue la moralité parmi les choses de luxe.

Tout ce qui touche une plume doit avoir trop de reconnaissance à Hugo pour se permettre une critique ; mais je trouve, intérieurement, que les dieux vieillissent.

Un bon sujet de roman est celui qui vient tout d’une pièce, d’un seul jet. C’est une idée mère d’où toutes les autres découlent. On n’est pas du tout libre d’écrire telle ou telle chose. On ne choisit pas son sujet. Voilà ce que le public et les critiques ne comprennent pas. Le secret des chefs-d’œuvre est là, dans la concordance du sujet et du tempérament de l’auteur.

Expliquer le mal par le péché originel, c’est ne rien expliquer du tout. La recherche de la cause est antiphilosophique, antiscientifique et les religions en cela me déplaisent encore plus que les philosophies, puisqu’elles affirment la connaître. Que ce soit un besoin du cœur, d’accord. C’est ce besoin-là qui est respectable, et non des dogmes éphémères.

La rage de vouloir conclure est une des manies les plus funestes et les plus stériles qui appartiennent à l’humanité. Chaque religion et chaque philosophie a prétendu avoir Dieu à elle, toiser l’infini et connaître la recette du bonheur. Quel orgueil et quel néant ! Je vois, au contraire, que les plus grands génies et les plus grandes œuvres n’ont jamais conclu. Homère, Shakespeare, Gœthe, tous les fils aînés de Dieu (comme dit Michelet) se sont bien gardés de faire autre chose que représenter. Nous voulons escalader le ciel ; eh bien, élargissons d’abord notre esprit et notre cœur. Hommes d’aspirations célestes nous sommes tous enfoncés dans les fanges de la terre jusqu’au cou. La barbarie du moyen âge nous étreint encore par mille préjugés, mille coutumes.

Je viens d’avaler Lamennais, Saint-Simon, Fourier et je reprends Proudhon d’un bout à l’autre. Si on veut ne rien connaître de tous ces gens-là, c’est de lire les critiques et les résumés faits sur eux ; car on les a toujours réfutés ou exaltés, mais jamais exposés. Il y a une chose saillante et qui les lie tous : c’est la haine de la liberté, la haine de la Révolution française et de la philosophie. Ce sont tous des bonshommes du moyen âge, esprits enfoncés dans le passé. Et quels cuistres ! quels pions ! Des séminaristes en goguette ou des caissiers en délire. S’ils n’ont pas réussi en 48, c’est qu’ils étaient en dehors du grand courant traditionnel. Le socialisme est une face du passé, comme le jésuitisme de l’autre. Le grand maître de Saint-Simon était M. de Maistre et l’on n’a pas dit tout ce que Proudhon et Louis Blanc ont pris à Lamennais. L’école de Lyon, qui a été la plus active, est toute mystique à la façon des Lollards. Les bourgeois n’ont rien compris à tout cela. On a senti instinctivement ce qui fait le fond de toutes ces utopies sociales : la tyrannie, l’anti-nature, la mort de l’âme.

On fausse toujours la réalité quand on veut l’amener à une conclusion qui n’appartient qu’à Dieu seul.

Quand on a pris un livre, il faut l’avaler d’un seul coup : c’est le seul moyen de voir l’ensemble et d’en tirer profit. Accoutume-toi à poursuivre une idée. Puisque tu es mon élève, je ne veux pas que tu aies ce décousu dans les pensées, ce peu d’esprit de suite, qui est l’apanage des personnes de ton sexe.

La vie doit être une éducation incessante, il faut tout apprendre, depuis parler jusqu’à mourir.

Et, bien que j’aie de grands besoins (dont je ne dis mot), je me ferais plutôt pion dans un collège que d’écrire quatre lignes pour de l’argent. J’aurais pu être riche, j’ai tout envoyé faire f… et je reste comme un Bédouin dans mon désert et dans ma noblesse.

Les plus forts y ont péri. L’art est un luxe ; il veut des mains blanches et calmes. On fait d’abord une petite concession, puis deux, puis vingt. On s’illusionne sur sa moralité pendant longtemps. Puis on s’en f… complètement et puis on devient imbécile, tout à fait, ou approchant. 

L’artiste doit être dans son œuvre comme Dieu dans la création, invisible et tout-puissant, qu’on le sente partout, mais qu’on ne le voie pas. Et puis l’art doit s’élever au-dessus des affections personnelles et des susceptibilités nerveuses ! il est temps de lui donner, par une méthode impitoyable, la précision des sciences physiques !

Les hommes trouveront toujours que la chose la plus sérieuse de leur existence, c’est jouir.

La femme, pour nous tous, est l’ogive de l’infini. Cela n’est pas noble, mais tel est le vrai fond du mâle.

Bien des choses s’expliqueraient si nous pouvions connaître notre généalogie véritable, car les éléments qui font un homme étant bornés, les mêmes combinaisons doivent se reproduire. Ainsi l’hérédité est un principe juste qui a été mal appliqué. 

Les sciences psychologiques resteront où elles gisent, c’est-à-dire dans les ténèbres et la folie, tant qu’elles n’auront pas une nomenclature exacte et qu’il sera permis d’employer la même expression pour signifier les idées les plus diverses.

Les grandes natures, qui sont les bonnes, sont avant tout prodigues et n’y regardent pas de si près à se dépenser. Il faut rire et pleurer, aimer, travailler, jouir et souffrir, enfin vibrer autant que possible dans toute son étendue. Voilà, je crois, le vrai humain.

Bien que je sois dans le troupeau de ses petits-fils, cet homme (J.-J. Rousseau) me déplaît. Je crois qu’il a eu une influence funeste ? C’est le générateur de la démocratie envieuse et tyrannique. Les brumes de sa mélancolie ont obscurci dans les cerveaux français l’idée du droit.

Du jour où je ne serai plus indigné, je tomberai à plat, comme une poupée à qui on retire son bâton. 

Imaginez un homme qui, avec des balances de mille coudées, voudrait peser le sable de la mer. Quand il aurait empli ses deux plateaux, ils déborderaient et son travail ne serait pas plus avancé qu’au commencement. Toutes les philosophies en sont là. Elles ont beau dire : « Il y a un poids cependant, il y a un certain chiffre qu’il faut savoir, essayons » ; on élargit les balances, la corde casse et toujours, ainsi toujours !

Le but ! la cause ! mais nous serions Dieu, si nous tenions la cause, et à mesure que nous irons, elle se reculera indéfiniment, parce que notre horizon s’élargira. Plus les télescopes seront parfaits, et plus les étoiles seront nombreuses. Nous sommes condamnés à rouler dans les ténèbres et dans les larmes.

Tout dépend de la valeur que nous donnons aux choses. C’est nous qui faisons la moralité et la vertu. Le cannibale qui mange son semblable est aussi innocent que l’enfant qui suce son sucre d’orge. 

Le roman, selon moi, doit être scientifique, c’est-à-dire rester dans les généralités probables.

On n’est idéal qu’à la condition d’être réel, et on n’est vrai qu’à force de généraliser.

Tout le progrès qu’on peut espérer, c’est de rendre la brute un peu moins méchante. Mais quant à hausser les idées de la masse, à lui donner une conception de Dieu plus large et partant moins humaine, j’en doute, j’en doute.

Je ne veux avoir ni amour, ni haine, ni pitié, ni colère. Quant à la sympathie, c’est différent : jamais on n’en a assez.

La muse, si revêche qu’elle soit, donne moins de chagrin que la femme. Je ne peux accorder l’une avec l’autre. Il faut opter. Mon choix est fait depuis longtemps.

Les hommes purement intellectuels ont rendu plus de services au genre humain que tous les saint Vincent de Paul du monde. Et la politique sera une éternelle niaiserie tant qu’elle ne sera pas une dépendance de la science.

On se paie de mots dans cette question de l’immortalité, car la question est de savoir si le moi persiste. L’affirmative me paraît une outrecuidance de notre orgueil, une protestation de notre faiblesse contre l’ordre éternel. La mort n’a peut-être pas plus de secrets à nous révéler que la vie ?

Ce ne sont pas en effet les grands malheurs qui sont à craindre dans la vie, mais les petits, j’ai plus peur de piqûres d’épingles que de coups de sabre, de même on n’a pas besoin à toute heure de dévouements et de sacrifices, mais il nous faut toujours de la part d’autrui des semblants d’amitié et d’affection, des attentions et des manières.

Le paysan, qui est plat comme une punaise par amour de son bien, se transforme en bête féroce dès qu’il a perdu sa vache. 

Tout homme (selon moi) si infime qu’il soit, a droit à une voix, la sienne, mais n’est pas l’égal de son voisin, lequel peut le valoir cent fois. Dans une entreprise (société anonyme) chaque actionnaire vote en raison de son apport : il en devrait être ainsi dans le gouvernement d’une nation. Je vaux bien vingt électeurs de Croisset ; l’argent, l’esprit et la race même doivent être comptés, bref toutes les forces, or, jusqu’à présent je n’en vois qu’une : le nombre.

La masse, le nombre est toujours idiot. Je n’ai pas beaucoup de convictions, mais j’ai celle-là fortement. Cependant il faut respecter la masse, si inepte qu’elle soit, parce qu’elle contient des germes d’une fécondité incalculable. Donnez-lui la liberté, mais non le pouvoir.

Nous ne souffrons que d’une chose : la bêtise. Mais elle est formidable et universelle. Quand on parle de l’abrutissement de la plèbe, on dit une chose injuste, incomplète. Conclusion : il faut éclairer les classes éclairées. Commencez par la tête, c’est ce qui est le plus malade, le reste suivra.

Quand tout le monde pourra lire le Petit Journal et le Figaro, on ne lira pas autre chose, puisque le bourgeois, le monsieur riche ne lit rien de plus. La presse est une école d’abrutissement, parce qu’elle dispense de penser. Le premier remède serait d’en finir avec le suffrage universel, la honte de l’esprit humain.

Pour que la France se relève, il faut qu’elle passe de l’inspiration à la Science, qu’elle abandonne toute métaphysique, qu’elle entre dans la critique, c’est-à-dire dans l’examen des choses.

Je crois que la foule, le troupeau sera toujours haïssable ; il n’y a d’important qu’un petit groupe d’esprits, toujours les mêmes, et qui se repassent le flambeau. Tant qu’on ne s’inclinera pas devant les mandarins, tant que l’Académie des sciences ne sera pas le remplaçant du pape, la politique tout entière et la société, jusque dans ses racines, ne sera qu’un ramassis de blagues écœurantes.

Le peuple est un éternel mineur, et il sera toujours (dans la hiérarchie des éléments sociaux) au dernier rang, puisqu’il est le nombre, la masse, l’illimité.

Je hais la démocratie (telle du moins qu’on l’entend en France) c’est-à-dire l’exaltation de la grâce au détriment de la justice, la négation du droit, en un mot l’anti-sociabilité.

Les ouvriers de luxe sont inutiles dans la société où la plèbe domine.

Nous périssons par l’indulgence, par la clémence, par la vacherie et (j’en reviens à mon éternel refrain) par le manque de justice !

La méthode est tout ce qu’il y a de plus haut dans la critique, puisqu’elle donne le moyen de créer. 

Je me suis remis à travailler, car l’existence n’est tolérable que si on oublie sa misérable personne.

Le principal en ce monde est de tenir son âme dans une région haute, loin des fanges bourgeoises et démocratiques. Le culte de l’art donne de l’orgueil ; on n’en a jamais trop, telle est ma morale.

On devrait faire de l’art exclusivement pour soi : on n’en aurait que les jouissances ; mais, dès qu’on veut faire sortir son œuvre du « silence du cabinet », on souffre trop, surtout quand on est, comme moi, un véritable écorché. Le moindre contact me déchire. Je suis plus que jamais irascible, intolérant, insociable, exagéré, Saint-Polycarpien.

La légitimité n’est pas plus viable que la Commune, ce sont deux âneries historiques.

La première qualité pour voir est de posséder de bons yeux. Or, s’ils sont troublés par les passions, c’est-à-dire par un intérêt personnel, les choses vous échappent. Un bon cœur donne tant d’esprit.

Quand on réfléchit un peu sérieusement, on est tenté de se casser la gueule. C’est pourquoi il faut agir. Le livre qu’on lit a beau être bête, il importe de le finir ; celui qu’on entreprend peut être idiot, n’importe ! écrivons-le ! La fin de Candide « cultivons notre jardin » est la plus grande leçon de morale qui existe.

On n’arrange pas sa destinée, on la subit.

Quand on devient vieux, les habitudes sont une tyrannie..... Tout ce qui s’en va, tout ce que l’on quitte a le caractère de l’irrévocable, et on sent la mort marcher sur vous. Si à la ruine intérieure que l’on sent très bien, des ruines du dehors s’ajoutent, on est tout simplement écrasé.

Dans l’idéal que j’ai de l’art, je crois qu’on ne doit rien montrer de sesconvictions et que l’artiste ne doit pas plus apparaître dans son œuvre que Dieu dans la nature. L’homme n’est rien, l’œuvre tout !

Autant que possible, il ne faut jamais rêver qu’à un objet en dehors de nous, autrement on tombe dans l’océan de tristesse.

La table d’hôte, la cloche ! et tout le reste ! cette vie de bestiaux qu’on mène ensemble a quelque chose qui nous ravale. C’est le rêve moderne, démocratie, égalité !

Les morts sont plus agréables que les trois quarts des vivants, les souvenirs de cette nature sont pleins de douceur, quand on a passé par les grandes amertumes.

Quand je découvre une mauvaise assonance ou une répétition dans une de mes phrases, je suis sûr que je patauge dans le faux ; à force de chercher, je trouve l’expression juste qui était la seule et qui est, en même temps, l’harmonieuse. Le mot ne manque jamais quand on possède l’idée.

Si le lecteur ne tire pas d’un livre la moralité qui doit s’y trouver, c’est que le lecteur est un imbécile ou que le livre est faux au point de vue de l’exactitude. Car du moment qu’une chose est vraie, elle est bonne. Les livres obscènes ne sont même immoraux que parce qu’ils manquent de vérité. Ça ne se passe pas comme ça dans la vie.

Le succès est une conséquence et ne doit pas être un but.

S’écarter des journaux ! la haine de ces boutiques-là est le commencement de l’amour du Beau. Elles sont par essence hostiles à toute personnalité un peu au-dessus des autres. L’originalité, sous quelque forme qu’elle se montre, les exaspère. 

Dans la jeunesse on est vert et dur, on s’attendrit plus tard, et enfin l’on arrive à être blette comme une poire d’edouin.

Tous les procès de presse, tous les empêchements à la pensée me stupéfient par leur profonde inutilité ; l’expérience est là pour prouver que jamais ils n’ont servi à rien. N’importe ! on ne s’en lasse pas. La sottise naturelle est au pouvoir. Je hais frénétiquement ces idiots qui veulent écraser la muse sous les talons de leurs bottes ; d’un revers de sa plume, elle leur casse la gueule et remonte au ciel. Mais ce crime-là, qui est la négation du Saint-Esprit, est le plus grand des crimes et peut-être le seul crime.

Voici un verset d’Isaïe que je me répète sans cesse, et qui m’obsède, tant je le trouve sublime : « Qu’ils sont beaux sur les montagnes les pieds du messager qui apporte de bonnes nouvelles ». Creuse-moi ça, songes-y ! quel horizon ! quelle bouffée de vent dans la poitrine ! 

« Tout pour les dames », ça se dit, mais « l’art avant tout », ça se pratique.

L’histoire des arts n’est qu’un martyrologe ; tout ce qui est escarpé est plein de précipices, tant mieux ! moins de gens peuvent y atteindre.

Voilà la vraie immoralité : l’ignorance et la bêtise ; le diable n’est pas autre chose. Il se nomme Légion.

Du moment que vous vous élevez, on (l’éternel et exécrable on) vous rabaisse. C’est pour cela que l’autorité est haïssable essentiellement. Je demande ce qu’elle a jamais fait de bien dans le monde.

Il ne suffit pas d’avoir de l’esprit. Sans le caractère, les œuvres d’art, quoi qu’on fasse, seront toujours médiocres ; l’honnêteté est la première condition de l’esthétique.

Ce qui nous manque, ce sont les principes. On a beau dire, il en faut, reste à savoir lesquels. Pour un artiste, il n’y en a qu’un : tout sacrifier à l’art. La vie doit être considérée par lui comme un moyen, rien de plus, et la première personne dont il doit se f… c’est de lui-même.

Et puis ceux qu’on croit ne plus aimer, on les aime encore. — Rien ne s’éteint complètement. Après le feu la fumée, qui dure plus longtemps que lui.

Le succès matériel ne doit être qu’un résultat, et jamais un but. Autrement, on perd la boule, on n’a même plus le sens pratique. Faisons bien, puis advienne que pourra !

Il ne faut plaindre la mort que des heureux, c’est-à-dire celle de fort peu de gens.

Le mépris de la gloriole et du gain est la première marche pour atteindre au Beau, la morale n’étant qu’une partie de l’esthétique, mais sa condition foncière.

Les honneurs déshonorent ; le titre dégrade ; la fonction abrutit. 

La vraie force est l’exagération de la souplesse. L’artiste doit contenir un saltimbanque.

Il n’y a de bête, en fait d’art, que : 1o le gouvernement, 2o les directeurs de théâtre, 3o les éditeurs, 4o les rédacteurs en chef des journaux, 5o les critiques autorisés ; enfin tout ce qui détient le pouvoir, parce que le pouvoir est essentiellement stupide. Depuis que la terre tourne, le Bien et le Beau ont été en dehors de lui.

Quand on écrit bien, on a contre soi deux ennemis : 1o le public, parce que le style le contraint à penser, l’oblige à un travail ; 2o le gouvernement, parce qu’il sent en nous une force, et que le pouvoir n’aime pas un autre pouvoir. Les gouvernements ont beau changer, monarchie, empire ou république, peu importe ! l’esthétique ne change pas. De par la vertu de leur place, les agents, administrateurs et magistrats, ont le monopole du goût.

La réalité ne se plie point à l’idéal, mais le confirme. 

La somme de félicité départie à chacun de nous est mince et quand nous en avons dépensé quelque peu, nous sommes tout moroses.

La bonne et la mauvaise société doivent être étudiées, la vérité est danstout, comprenons chaque chose et n’en blâmons aucune, c’est le moyen de savoir beaucoup et d’être calme, et c’est quelque chose que d’être calme, c’est presque être heureux.

La contemplation des belles choses rend toujours tristes pour un certain temps. On dirait que nous ne sommes faits que pour supporter une certaine dose de beau, un peu plus nous fatigue. Voilà pourquoi les nations médiocres préfèrent la vue d’un fleuve à celle de l’Océan, et pourquoi il y a tant de gens qui proclament Béranger le premier poète français.

Ne me parlez pas des temps modernes en fait de grandiose. Il n’y a pas de quoi satisfaire l’imagination d’un feuilletoniste de dernier ordre.

Il n’y a pour moi dans le monde que les beaux vers, les phrases bien tournées, harmonieuses, chantantes, les beaux couchers de soleil, les clairs de lune, les tableaux colorés, les marbres antiques et les têtes accentuées. Au delà, rien.

L’obligation où l’on est de vivre sur un coin de terre marqué en rouge ou en bleu sur la carte, et de détester les autres coins en vert ou en noir, m’a paru toujours étroite, bornée, et d’une stupidité finie.

Le cynisme est une merveilleuse chose en cela qu’étant la charge du vice il en est en même temps le correctif et l’annihilation.

Les femmes ne comprennent pas qu’on puisse aimer à des degrés différents ; elles parlent beaucoup de l’âme, mais le corps leur tient fort au cœur, car elles voient tout l’amour mis en jeu dans l’acte du corps ; on peut adorer une femme et aller chaque soir chez les filles.

Il faut que chaque œuvre maintenant ait sa signification morale, son enseignement gradué, il faut donner une portée philosophique à un sonnet, qu’un drame tape sur les doigts aux monarques et qu’une aquarelle adoucisse les mœurs. L’avocasserie se glisse partout, la rage de discourir, de pérorer, de plaider ; la Muse devient le piédestal de mille convoitises.

Les beaux fragments ne font rien ; l’unité, l’unité, tout est là. L’ensemble, voilà ce qui manque à tous ceux d’aujourd’hui, aux grands comme aux petits. Mille beaux endroits, pas une œuvre.

Je me fais fort de soutenir dans une thèse qu’il n’y a pas une critique de bonne depuis qu’on en fait, que ça ne sert à rien qu’à embêter les autres et à abrutir le public ; on fait de la critique quand on ne peut pas faire de l’art, de même qu’on se met mouchard quand on ne peut pas être soldat.

Quand on observe avec un peu d’attention la vie on y voit les cèdres moins hauts et les roseaux plus grands.

Nier l’existence des sentiments tristes parce qu’ils sont tristes, c’est nier le soleil tant qu’il n’est pas midi.

Il faut se méfier de tout ce qui ressemble à de l’inspiration et qui n’est souvent que du parti pris et une exaltation factice que l’on s’est donnée volontairement et qui n’est pas venue d’elle-même ; d’ailleurs on ne vit pas dans l’inspiration : Pégase marche plus souvent qu’il ne galope, tout le talent est de savoir lui faire prendre les allures qu’on veut.

Comme si nous n’avions pas assez de notre passé nous remâchons celui de l’humanité entière et nous nous délectons dans cette amertume voluptueuse. Qu’ importe après tout s’il n’y a que là qu’on puisse vivre ! S’il n’y a qu’à cela qu’on puisse penser sans dédain et sans pitié !

La patrie est peut-être comme la famille, on n’en sent bien le prix que lorsqu’on n’en a plus.

A mesure que je me détache des artistes, je m’enthousiasme davantage pour l’art ; la mer paraît immense vue du rivage, montez sur le sommet des montagnes, la voilà plus grande encore ; embarquez-vous dessus, tout disparaît, des flots, des flots.

Le génie n’est pas rare maintenant, mais ce que personne n’a plus et ce qu’il faut tâcher d’avoir, c’est la conscience.

Ce qui nous manque à tous, ce n’est pas le style ni cette flexibilité de l’archet et des doigts désignée sous le nom de talent. Nous avons un orchestre nombreux, une palette riche, des ressources variées. En fait de ruses et de ficelles, nous en savons beaucoup plus qu’on n’en a peut-être jamais su. Non, ce qui nous manque c’est le principe intrinsèque. C’est l’âme de la chose, l’idée même du sujet. Nous prenons des notes, nous faisons des voyages, misère, misère ! Nous devenons savants, archéologues, historiens, médecins, gnaffes et gens de goût. Qu’est-ce que tout ça y fait ? Mais le cœur ? la verve ; d’où partir et où aller ?

Ce qui nous manque, c’est l’audace. A force de scrupule, nous ressemblons à ces pauvres dévots qui ne vivent pas, de peur de l’enfer, et qui réveillent leur confesseur de grand matin pour s’accuser d’avoir eu la nuit des rêves amoureux. Ne nous inquiétons pas tant du résultat. Aimons, aimons, qu’importe l’enfant dont accouchera la Muse ; le plus pur plaisir n’est-il pas dans ses baisers ?

Exhumer, dans ce qu’on rejetait comme hors d’usage, des trésors nouveaux de plastique et de sentiment, découvrir dans l’univers de l’amour un sentiment nouveau et appeler à son exploitation des milliers d’êtres qui s’en trouvaient rejetés, cela n’est-il pas spirituel et sublime ?

Je porte une haine aiguë et perpétuelle à quiconque taille un arbre pour l’embellir, châtre un cheval pour l’affaiblir, à tous ceux qui coupent les oreilles ou la queue des chiens, à tous ceux qui font des paons avec des ifs, des sphères et des pyramides avec du buis ; à tous ceux qui restaurent, badigeonnent, corrigent, aux éditeurs d’expurgata, aux chastes voileurs de nudités profanes, aux arrangeurs d’abrégés et de raccourcis ; à tous ceux qui rasent quoi que ce soit pour lui mettre une perruque, et qui, féroces dans leur pédantisme, impitoyables dans leur ineptie, s’en vont amputant la nature, ce bel art du bon Dieu, et crachant sur l’art, cette autre nature que l’homme porte en lui comme Jéhovah porte l’autre et qui est la cadette ou peut-être l’aînée.

Ne croyez pas les mains sans gants plus robustes que les autres ; on peut être las de tout sans rien connaître, fatigué de traîner sa casaque sans avoir luWerther ni René, et il n’y a pas besoin d’être reçu bachelier pour se brûler la cervelle.

Oh ! que la forme humaine est belle quand elle apparaît dans sa liberté native, telle qu’elle fut créée au premier jour du monde.

Le cœur, comme l’estomac, veut des nourritures variées.

Ce qu’on demande aujourd’hui, n’est-ce pas plutôt tout le contraire du nu, du simple et du vrai ? Fortune et succès à ceux qui savent revêtir et habiller les choses ! Le tailleur est le roi du siècle, la feuille de vigne en est le symbole ; lois, arts, politique, caleçon partout ! Libertés menteuses, meubles plaqués, peinture à la détrempe, le public aime ça. Donnez-lui-en, fourrez-lui-en, gorgez cet imbécile !

Ce n’est pas de sacrifices que le cœur a faim, mais de confidences. 

Il me semble que Michel-Ange est quelque chose d’inouï, comme serait un Homère shakespearien, un mélange d’antique et de moyen âge, je ne sais quoi.

Dans les confidences les plus intimes, il y a toujours quelque chose que l’on ne dit pas.

Dieu sait le commencement et la fin de l’homme ; le milieu, l’art, comme lui dans l’espace, doit rester suspendu dans l’infini, complet en lui-même, indépendant de son producteur.

Pour avoir du talent il faut être convaincu qu’on en possède, et pour garder sa conscience pure, la mettre au-dessus de celles de tous les autres. Le moyen de vivre avec sérénité et au grand air, c’est de se fixer sur une pyramide quelconque, n’importe laquelle, pourvu qu’elle soit élevée et la base solide. Ah ! ce n’est pas toujours amusant et l’on est tout seul, mais on se console en crachant d’en haut. 

Il n’est pas de sottise ni de vice qui ne trouve son compte et ses rêves. Je trouve que l’homme maintenant est plus fanatique que jamais, mais de lui ; il ne chante autre chose, et dans cette pensée qui saute par-dessus les soleils, dévore l’espace et hêle après l’infini, comme dirait Montaigne, il ne trouve rien de plus grand que cette misère même de la vie dont elle tâche sans cesse de se dégager.

Je défie aucun dramaturge d’avoir l’audace de mettre en scène sur le boulevard un ouvrier voleur. Non : là il faut que l’ouvrier soit honnête homme, tandis que le monsieur est toujours un gredin ; de même qu’aux Français la jeune fille est pure, car les mamans y conduisent leurs demoiselles.

L’orgueil est une bête féroce qui vit dans les cavernes et dans les déserts, la vanité au contraire, comme un perroquet, saute de branche en branche et bavarde en pleine lumière. 

Il y a de par le monde une conjuration géniale et permanente contre deux choses, à savoir, la poésie et la liberté ; les gens de goût se chargent d’exterminer l’une, comme les gens d’ordre de poursuivre l’autre.

Si la littérature moderne était seulement morale, elle deviendrait forte ; avec de la moralité disparaîtraient le plagiat, le pastiche, l’ignorance, les prétentions exorbitantes ; la critique serait utile et l’art naïf, puisque ce serait alors un besoin et non une spéculation.

Je suis sûr d’ailleurs que les hommes ne sont pas plus frères que les feuilles des bois ne sont pareilles, elles se tourmentent ensemble, voilà tout ; ne sommes-nous pas faits avec les émanations de l’Univers ?

Nos passions sont comme les volcans, elles grondent toujours, mais l’éruption n’est qu’intermittente.

L’humanité nous hait, nous ne la servons pas et nous la haïssons ; car elle nous blesse. Aimons-nous donc en l’Art comme les mystiques s’aiment en Dieu et que tout pâlisse devant cet amour. Que toutes les autres chandelles dela vie disparaissent devant ce grand soleil.

La Passion s’arrange mal de cette longue patience que demande le métier. L’art est assez vaste pour occuper tout un homme ; en distraire quelque chose est presque un crime, c’est un vol fait à l’idée, un manque au devoir.

Écrivains que nous sommes et toujours courbés sur l’art, nous n’avons guère avec la nature que des communications imaginatives, il faut quelquefois regarder la lune ou le soleil en face. La sève des arbres nous entre au cœur par les longs regards stupides que l’on tient sur eux. Comme les moutons qui broutent du thym parmi les prés, ont ensuite la chair plus savoureuse, quelque chose des saveurs de la nature doit pénétrer notre esprit s’il s’est bien roulé sur elle. 

Il n’y a qu’un beau, c’est le même partout, mais il a des aspects différents, il est plus ou moins coloré par les reflets qui le dominent.

Les hautes idées poussent à l’ombre et au bord des précipices comme les sapins.

Quand on aura, pendant quelque temps, traité l’âme humaine avec l’impartialité que l’on met dans les sciences physiques à étudier la matière, on aura fait un pas immense ; c’est le seul moyen à l’humanité de se mettre un peu au-dessus d’elle-même. Elle se considérera alors franchement, purement dans le miroir de ses œuvres, elle sera comme Dieu, elle se jugera d’en haut.

L’industrialisme a développé le laid dans des proportions gigantesques ! Combien de braves gens qui, il y a un siècle, eussent parfaitement vécu sans beaux-arts, et à qui il faut maintenant de petites statuettes, de petite musique et de petite littérature ! 

Ce ne sont pas les Napolitains qui entendent la couleur, mais les Hollandais et les Vénitiens : comme ils étaient toujours dans le brouillard, ils ont aimé le soleil.

Le rêve du socialisme, n’est-ce pas de pouvoir faire asseoir l’humanité monstrueuse d’obésité, dans une niche toute peinte de jaune comme dans les gares de chemins de fer, et qu’elle soit là à se dandiner sur son siège, ivre, béate, les yeux clos, digérant son déjeuner, attendant le dîner et faisant sous elle.

Une réaction terrible se fait dans la conscience moderne contre ce qu’on appelle l’Amour. Cela a commencé par des rugissements d’ironie (Byron, etc.), et le siècle tout entier regarde à la loupe et dissèque sur sa table la petite fleur du sentiment qui sentait si bon… jadis !

Il faut toujours espérer quand on désespère, et douter quand on espère. 

Lisez les grands maîtres en tâchant de saisir leur procédé, de vous rapprocher de leur âme, et vous sortirez de cette étude avec des éblouissements qui vous rendront joyeux. Vous serez comme Moïse en descendant du Sinaï. Il avait des rayons autour de la face, pour avoir contemplé Dieu.

Je parie que, dans cinquante ans seulement, les mots : Problème social, moralisation des masses, progrès et démocratie seront passés à l’état de « rengaine » et apparaîtront aussi grotesques que ceux de : sensibilité, nature, préjugés et doux liens du cœur, si fort à la mode vers la fin du dix-huitième siècle.

Il faut, quand on veut faire de l’art, se mettre au-dessus de tous les éloges et de toutes les critiques. Quand on a un idéal net, on tâche d’y monter en droite ligne, sans regarder à ce qui se trouve en route.

Le principal en ce monde est de tenir son âme dans une région haute, loin des fanges bourgeoises et démocratiques. Le culte de l’art donne de l’orgueil ; on n’en a jamais trop.

Il n’y a rien de plus mélancolique que les beaux soirs d’été. Les forces de la nature éternelle nous font mieux sentir le néant de notre pauvre individualité.

Les guerres de races vont peut-être recommencer. On verra, avant un siècle, plusieurs milliers d’hommes s’entretuer en une séance… Peut-être aussi la Prusse va-t-elle recevoir une forte raclée qui entrait dans les desseins de la Providence, pour rétablir l’équilibre européen ? Ce pays-là tendait à s’hypertrophier, comme la France l’a fait sous Louis XIV et Napoléon. Les autres organes s’en trouvent gênés. De là un trouble universel. Des saignées formidables seraient-elles utiles ?

Les armées de Napoléon Ier ont commis des horreurs, sans doute. Mais ce qui les composait, c’était la partie inférieure du peuple français, tandis que, dans l’armée de Guillaume, c’est tout le peuple allemand qui est le coupable.

Quelle barbarie ! quelle reculade… Ces officiers, qui cassent des glaces en gants blancs, qui savent le sanscrit et qui se ruent sur le champagne, qui vous volent votre montre et vous envoient ensuite leur carte de visite, cette guerre pour de l’argent, ces civilisés sauvages me font plus horreur que les cannibales.

Toute gentillesse, comme eût dit Montaigne, est perdue pour longtemps, un monde va commencer ; on élèvera les enfants dans la haine des Prussiens.

 

 

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