Pendant longtemps, il n'y a eu de poêmes que musicaux, jusqu'au XVIe siècle, on n'imaginait pas de réciter des vers sans accompagnement musical. La poésie et la musique allaient de pair. Elles se séparèrent alors pour suivre chacune sa voie propre, sans pour autant renoncer a renouer, au passage et au gré des inspirations, certains liens intimes.
Longtemps, chacune dans leur domaine, elles évoluèrent du même pas.
Soudain, à notre époque, en ce XXe siecle ou tout change, où la rupture avec le passé s'accentue au point de devenir angoissante, la poèsie semble perdre du terrain. Devenue plus difficile, voire hérmétique, beaucoup moins familière, et moins populaire aussi, elle cède la place à la musique, qui défèrle comme marée d'équinoxe. Grâce aux disques, cd, aux radios de toutes sortes, la musique triomphe enfin de sa soeur, devenue sa rivale.
Elle règne à présent sans partage sur nos existences, nos pensées et nos lèvres.
Le rythme l'a emporté sur la rime.
Les livres de poèsie se vendent mal, les émisions et les journaux littéraires ne laissent plus qu'une place modeste aux poêmes, et les poêtes eux mêmes, devenus des chercheurs de laboratoire ou des donneurs de messages, semblent avoir renoncé à plaire à margot.
Et pourtant...qui ne garde, au fond de sa mémoire, quelques bribes de poêmes à demi oubliés, quelques vers perdus, quelque complaintes, qui reviennent à l'esprit au moindre pretexte?
La poesie, c'est beaucoup plus qu'une forme littéraire, c'est la traduction anoblie de nos émotions, de nos rêves, de nos peines, de nos désirs.
A travers le langage magnifié, nous atteignons à le source même de ce qui nous fait agir, penser et croire.
Il est de grands thèmes lyriques qu'on retrouve dans toutes les poèsies du monde, mais on peut également y découvrir d'humbles vérités quotidiennes. dieu, l'amour, la mort, le lait de la tendresse humaine, ou l'horreur, la peur, la misère et la douleur s'y rencontrent sans cesse, mais aussi le pain, la lampe, un chien, l'aiguille,le puits, une larme sur une joue d'enfant, un pommier en fleur ou un crapaud.
Tout est matière à poésie.
Le plus grave est de l'avoir oublié. Ou, du moins, de le croire. En réalité, nous le savons plus ou moins consciemment, car la mémoire collective en est peuplée.
Redonner vie à cet héritage un peu oublié. Tout à coup, sous nos yeux, renaissent les mots ensorceleurs de poêmes, jadis appris, deja lus, ou simplement feuilletés. Leurs accents ravivent des réminiscences endormies et nous projettent de nouveau monde mystèrieux où opère une étrange alchimie, celle des rîmes et de la raison, des mots et des sensations, des accords qui nous bouleversent tout en nous faisant réfléchir.
Contrairement a ce qu'on a pu croire, la poésie n'est pas morte. Elle n'est qu'endormie et demeure indispensable à le pensée humaine, dont elle est une des formes d'expressions les plus anciennes et les plus spontanées.
Nous redécouvrons que nous avons besoin d'elle pour rire rt pour pleurer, pour maudire et pour aimer. Elle est notre amis et notre messagère. Un livre de poêmes n'est rien d'autre qu'un coeur ouvert.
Flaubert disait: " lisez pour vivre."
En ce siècle matérialiste et technique où nous sommes, ne pourrait on ajouter: lisez des poêmes pour sauvegarder vos capacités de rêver, d'enthousiasme, d'imagination, pour conserver les possibilités d'évasion dont vous eprouvez un tel besoin, enfin pour vous réfugier ailleurs, dans le monde enchanté de l'harmonie poètique, là ou tout est possible, là où il nous est donné d'enfourcher pegase, le cheval ailé qui nous emporte, bien loin de la médiocrité de chaque jour, de nos soucis ou de nos angoisses...
JEANNE BOURIN