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sammael world
17 juillet 2013

anti 14 juillet.......

gao-1471

 

En ce jour de propagande militariste, où médias et politiques s’extasient tels des enfants fous devant chars d’assaut, avions de chasse et autres jouets pour décérébrés, tournons-nous plutôt vers Thiéfaine, Brassens, Brel, Vigneault et surtout Léo Ferré à l’occasion des vingt ans de sa disparition

Regardez-les – Léo Ferré

Regardez-les défiler
Ils ne savent ce qu’ils font
Et pourtant, ils s’en vont
Ils s’en vont sans savoir où ils vont
Regardez-les défiler
Ils n’ont pas su dire non
À la voix du canon
Ils s’en vont pour le droit, pour la loi
On ne sait jamais pourquoi
Et voilà, on remet ça !

On leur a dit que c’était la dernière guerre
Ils sont partis sans un mot mais ils n’y croient guère
Regardez-les s’en aller
Dans quelques jours, ils auront
Des tambours, des clairons
Ils tueront sans savoir ce qu’ils font
Regardez-les s’en aller
Dans quelques jours, ils auront
Des fusils, des canons
Ils tueront, croix d’honneur, croix de bois
On ne sait jamais pourquoi
Et voilà, on remet ça !

La vie, l’amour, les chansons n’ont pas de frontières
Nous sommes tous les enfants de la même Terre
Prends ton fusil
Mon ami
C’est pour la dernière fois
On dit ça
Et voilà
Pour le droit, pour la loi
On remet ça !

Prends ton fusil
Mon ami
Si tu savais t’en servir
Tu pourrais t’affranchir
Pour le droit, pour la loi
Mais voilà, on ne sait jamais pourquoi
Ces choses-là
N’ se font pas

Critique du chapitre 3 – Hubert-Félix Thiéfaine

Et les roses de l’été
Sont souvent aussi noires
Que les charmes exhalés
Dans nos trous de mémoire
Les vaccins de la vie
Sur les bleus de nos coeurs
Ont la mélancolie
Des sols bémols mineurs
Pour un temps d’amour
Tant de haine en retour

Quelques froides statues
Aux pieds des sycomores
Rappellent un jamais plus
Avec le nom des morts
Un oiseau de chagrin
Dans le ciel assombri
Chante un nouveau matin
Sur des ruines en Bosnie
Pour un temps d’amour
Tant de haine en retour

Je visionne les miroirs
De ces vies déchirées
Maintenant que le soir
Ne cesse de tomber
Et ma colère qui monte
Et ma haine accrochée
Au-dessus de ces tombes
Où je n’ose pas cracher
Pour un temps d’amour
Tant de haine en retour

D’autres salauds cosmiques
S’enivrent à Bételgeuse
Dans les chants magnétiques
Des putains nébuleuses
L’humain peut disparaître
Et son monde avec lui
Qu’est-ce que la planète Terre
Dans l’oeil d’un rat maudit
Pour un temps d’amour
Tant de haine en retour

Les patriotes – George Brassens

Les invalid’s chez nous, l’revers de leur médaille
C’est pas d’être hors d’état de suivr’ les fill’s, cré nom de nom,
Mais de ne plus pouvoir retourner au champ de bataille.
Le rameau d’olivier n’est pas notre symbole, non!

Ce que, par-dessus tout, nos aveugles déplorent,
C’est pas d’être hors d’état d’se rincer l’œil, cré nom de nom,
Mais de ne plus pouvoir lorgner le drapeau tricolore.
La ligne bleue des Vosges sera toujours notre horizon.

Et les sourds de chez nous, s’ils sont mélancoliques,
C’est pas d’être hors d’état d’ouïr les sirènes, cré de nom de nom,
Mais de ne plus pouvoir entendre au défilé d’la clique,
Les échos du tambour, de la trompette et du clairon.

Et les muets d’chez nous, c’qui les met mal à l’aise
C’est pas d’être hors d’état d’conter fleurette, cré nom de nom,
Mais de ne plus pouvoir reprendre en chœur la Marseillaise.
Les chansons martiales sont les seules que nous entonnons.

Ce qui de nos manchots aigrit le caractère,
C’est pas d’être hors d’état d’pincer les fess’s, cré nom de nom,
Mais de ne plus pouvoir faire le salut militaire.
jamais un bras d’honneur ne sera notre geste, non!

Les estropiés d’chez nous, ce qui les rend patraques,
C’est pas d’être hors d’état d’courir la gueus’, cré nom de nom,
Mais de ne plus pouvoir participer à une attaque.
On rêve de Rosalie, la baïonnette, pas de Ninon.

C’qui manque aux amputés de leurs bijoux d’famille,
C’est pas d’être hors d’état d’aimer leur femm’, cré nom de nom,
Mais de ne plus pouvoir sabrer les belles ennemies.
La colomb’ de la paix, on l’apprête aux petits oignons.

Quant à nos trépassés, s’ils ont tous l’âme en peine,
C’est pas d’être hors d’état d’mourir d’amour, cré nom de nom,
Mais de ne plus pouvoir se faire occire à la prochaine.
Au monument aux morts, chacun rêve d’avoir son nom.

Le caporal casse-pompon – Jacques Brel

Mon ami est un type énorme
Il aime la trompette et le clairon
Tout en préférant le clairon
Qu’est une trompette en uniforme
Mon ami est une valeur sûre
Qui dit souvent sans prétention
Qu’à la minceur des épluchures
On voit la grandeur des nations

Subséquemment subséquemment
Subséquemment que je ne comprends pas
Pourquoi souvent ses compagnons
L’appellent
L’appellent
Caporal casse-pompon

Mon ami est un vrai poète
Dans son jardin, quand vient l’été
Faut le voir planter ses mitraillettes
Ou bien creuser ses petites tranchées
Mon ami est homme plein d’humour
C’est lui qu’a trouvé ce bon mot
Que je vous raconte à mon tour
Ich slaffen at si auuz wihr prellen zie

Subséquemment subséquemment
Subséquemment que je ne comprends pas
Pourquoi souvent ses compagnons
L’appellent
L’appellent
Caporal casse-pompon

Mon ami est un doux rêveur
Pour lui Paris c’est une caserne
Et Berlin un petit champ de fleurs
Qui va de Moscou à l’Auvergne
Son rêve revoir Paris au printemps
Redéfiler en tête de son groupe
En chantant comme tous les vingt-cinq ans
Baisse ta gaine Gretchen que je baise ta croupe (ein zwei)

Subséquemment subséquemment
Subséquemment que nous ne comprenons
Comment nos amis les Franzosen
Ils osent ils osent l’appeler
Caporal casse-pompon (ein zwei) !

113e cigarette sans dormir – Hubert-Félix Thiéfaine

Les enfants de Napoléon
Dans leurs mains tiennent leurs roustons
S’ils ont compris tous les clichés
Ça fera de la bidoche pour l’armée…
Les partouzeurs de miss métro
Patrouillent au fond des souterrains
Mais ils rêvent d’être en hélico
À se faire de nège et du youpin…
Les vopos gravent leurs initiales
Dans le brouillard des no man’s lands
Et les démasqueurs de scandales
Prennent le goulag pour Disneyland…
Les gringos sortent un vieux crooner
Pour le western du silence
Demain, au Burgenbräukeller
Je léguerai mon âme à la science…
Car moi je n’irai pas plus loin
Je tiens ma tête entre mes mains
Guignol connaît pas de sots métiers
Je ris à m’en faire crever!
Le petites filles de Mahomet
Mouillent aux anticoagulants
Depuis qu’un méchant gros minet
Joue au flipp avec le Coran
Les dieux changent le beurre en vaseline
Et les prophètes jouent Dracula
S’il vous reste un fond de margarine
J’en aurai besoin pour ma coda
Car moi je n’irai pas plus loin
Je tiens ma tête entre mes mains
Guignol connaît pas de sots métiers
Je ris à m’en faire crever!

Tu traîne ta queue dans la chaux vive
Et t’hésites à choisir ton camp
T’as des aminches à Tel-Aviv
Et des amours à Téhéran…
Si tu veux jouer les maquisards
Va jouer plus loin, j’ai ma blenno
Tu trouveras toujours d’autres fêtards
C’est si facile d’être un héros…
Mais moi je n’irai pas plus loin
Je tiens ma tête ente mes mains
Guignol connaît pas de sots métiers
Je ris à m’en faire crever
Retour aux joints et à la bière
Désertion du rayon képis!
J’ai rien contre vos partenaires
Mais rien contre vos petites soeurs ennemies
Manipulez-vous dans la haine
Et dépecez-vous dans la joie
Le crapaud qui gueulait: je t’aime
A fini planté sur une croix!
Et moi je n’irai pas plus loin
Je tiens ma tête entre mes mains
Guignol connaît pas de sots métiers…
Non moi je n’irai pas plus loin
Je tiens ma tête entre mes mains
Guignol connaît pas de sots métiers
Je ris à m’en faire crever
Arsenic is good for you
À m’en faire crever
Arsenic is good for you

Les beaux métiers -Gilles Vigneault

Le charpentier dit volontiers
Rien de niveau sur la planète
Mais ça reste un métier honnête
Tu pourrais faire un charpentier

Mais ne fais pas un militaire
Car ce n’est pas un beau métier
D’aller tuer des charpentiers
De l’autre côté de la terre

Il vaut mieux perdre la guerre
Que d’aller au pas du pauvre soldat

Le jardinier dit volontiers
Il a fait beau d’un jour de pluie
Ça c’est un métier pour la vie
Tu pourrais faire un jardinier

Mais ne fais pas un militaire
Car ce n’est pas un beau métier
D’aller tuer des jardiniers
De l’autre côté de la terre

Il vaut mieux perdre la guerre
Que d’aller au pas du pauvre soldat

Le savant dit si vous saviez
Si vous saviez mon ignorance
Le métier de la connaissance
Est mal connu et journalier

Mais ne fais pas un militaire
Car ce n’est pas un beau métier
D’aller tuer des journaliers
De l’autre côté de la terre

Il vaut mieux perdre la guerre
Que d’aller au pas du pauvre soldat

Le prisonnier dit volontiers
Faire du temps parlant de l’ombre
Mais en voulant sortir du nombre
Tu pourrais faire un prisonnier

Mais ne fais pas un militaire
Car ce n’est pas un beau métier
D’aller tuer des prisonniers
De l’autre côté de la terre

Il vaut mieux perdre la guerre
Que d’aller au pas du pauvre soldat

Le chansonnier dit volontiers
J’aurais aimé être poète
Or pour si peu qu’il le souhaite
Chacun peut faire un chansonnier

Mais ne fais pas un militaire
Car ce n’est pas un beau métier
D’aller tuer des romanciers
De l’autre côté de la terre

Il vaut mieux perdre la guerre
Que d’aller au pas du pauvre soldat

Le brigadier dit volontiers
Il faut être prêt pour la guerre
Il faut des armes pour la faire
Reprend en choeur le financier

Mais ne fais pas un militaire
Car ce n’est pas un beau métier
D’aller casser des sabliers
De l’autre côté de la terre

Il vaut mieux perdre la guerre
Que d’aller au pas du pauvre soldat

Du dernier robot à deux pieds
Jusqu’aux distinctions les plus hautes
Du brancardier au cosmonaute
La mort se prend pour un métier

Car le destin d’un militaire
C’est de devenir son fusil
De devenir son propre outil
C’est le plus triste sur la terre
Le destin des militaires
Qui s’en vont au pas
Tuer des soldats

Le déserteur – Boris Vian 

Messieurs qu’on nomme Grands
Je vous fais une lettre
Que vous lirez peut-être
Si vous avez le temps
Je viens de recevoir
Mes papiers militaires
Pour partir à la guerre
Avant mercredi soir
Messieurs qu’on nomme Grands
Je ne veux pas la faire
Je ne suis pas sur terre
Pour tuer des pauvres gens
C’est pas pour vous fâcher
Il faut que je vous dise
Les guerres sont des bétises
Le monde en a assez

Depuis que je suis né
J’ai vu mourir des pères
J’ai vu partir des frères
Et pleurer des enfants
Des mères ont tant souffert
Et d’autres se gambergent
Et vivent à leur aise
Malgré la boue de sang
Il y a des prisonniers
On a vole leur âme
On a vole leur femme
Et tout leur cher passé
Demain de bon matin
Je fermerai ma porte
Au nez des années mortes
J’irai par les chemins

Je vagabonderai
Sur la terre et sur l’onde
Du Vieux au Nouveau Monde
Et je dirai aux gens:
Profitez de la vie
Eloignez la misère
Vous êtes tous des frères
Pauvres de tous les pays
S’il faut verser le sang
Allez verser le vôtre
Messieurs les bon apôtres
Messieurs qu’on nomme Grands
Si vous me poursuivez
Prévenez vos gendarmes
Que je n’aurai pas d’armes
Et qu’ils pourront tirer
Et qu’ils pourront tirer…

 

« Je n’ai jamais voulu avoir d’enfants, de peur de faire un petitsoldat, un militaire, un tueur. On n’est jamais sûrs… »

 Arletty 

« Militaire : variété d'homme amoindri par le procédé de "l'uniforme" qui est une préparation à l'uniformité totale ducercueil. »

de Boris Vian 

« Les traditions ? C'est comme ça qu'on appelle les manies dès qu'il s'agit de fêtes militaires ou religieuses. »

de Michel Audiard

« Il ne faut pas désespérer des imbéciles. Avec un peud'entraînement, on peut arriver à en faire des militaires. »

de Pierre Desproges

« L'existence du soldat est, après la peine de mort, la trace la plusdouloureuse de barbarie qui subsiste parmi les hommes.  »

de Alfred de Vigny

 

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16 juillet 2013

la psychiatrie au service du formatage.....

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DSM : quand la psychiatrie fabrique des individus performants et dociles

PAR LAURA RAIM (23 MAI 2013)

Sommes-nous tous fous ? C’est ce que laisserait supposer la nouvelle version du DSM, la bible des psychiatres recensant troubles mentaux et comportements « anormaux ». Plus on compte de malades, plus le marché de l’industrie pharmaceutique s’élargit. Surtout, le DSM apparaît comme un moyen de faire rentrer dans la norme ceux qui seraient jugés « déviants » – une part de plus en plus grande de la population. Ces « mal ajustés » de notre société orientée vers la rentabilité économique, où l’individu se doit d’être performant et adaptable. Enquête sur un processus de normalisation qui, sous couvert de médicalisation, façonne les individus.

 

Vous êtes timide ? Peut-être souffrez-vous de « phobie sociale ». Votre tristesse passagère, liée à un événement douloureux comme la perte d’un proche, n’est-elle pas plutôt une dépression ? Le territoire du pathologique semble s’étendre sans fin. Ces troubles psychiatriques sont recensées par le « DSM-5 », cinquième version du catalogue des affections mentales, ouvrage de référence des psychiatres, sorti le 19 mai. Avec son lot de « nouveautés ». Rares sont ceux qui ne se reconnaîtront pas dans l’un des 400 troubles répertoriés ! Avec ses critères toujours plus larges et ses seuils toujours plus bas, le DSM fabriquerait des maladies mentales et pousserait à la consommation de psychotropes, estiment ses détracteurs.

Alors que la première version du « Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux » (Diagnostic and statistical manual of mental disorders - DSM), publié en 1952, ne recensait qu’une centaine d’affections, son contenu n’a cessé d’enfler au fil des révisions, tous les vingt ans. Ses détracteurs pointent le risque de « médicaliser » à outrance des comportements finalement normaux. Selon la version antérieure, le DSM-4 (sorti en 1994), la moitié de la population des États-Unis pouvait être considérée comme souffrant de troubles mentaux, estime l’historien Christopher Lane. 38 % des Européens souffrirait de désordre mental [1] ! Pourquoi une telle inflation ? Sommes-nous en train de tous devenir fous ?

Les critiques du DSM mettent en avant la responsabilité des laboratoires pharmaceutiques. Ces firmes chercheraient à étendre le « marché des troubles ». Et ont noué à partir des années 80 des liens étroits avec les psychiatres influents, à commencer par les rédacteurs du DSM : 70% des auteurs ont ainsi déclaré avoir des rapports financiers avec les labos [2]. Les ventes d’antidépresseurs et de neuroleptiques aux États-Unis représentent 24 milliards de dollars. En France, elles ont été multipliées par sept en deux décennies, et représentaient plus d’un demi milliard d’euros au début des années 2000. Au-delà des conflits d’intérêts, cette « pathologisation du normal » révèle bien d’autres choses. Avant d’être un outil de diagnostic de maladies mentales, le DSM ne serait-il pas plutôt un dispositif de normalisation des conduites, dans une société orientée vers la rentabilité économique ?

Rentrer dans la norme

Dans ce répertoire des affections mentales, il est davantage question de comportement que de souffrance. Un choix revendiqué par les auteurs : « Pour être le plus objectif possible et s’assurer qu’un même patient aurait le même diagnostic qu’il soit à Paris, New York ou Tokyo, l’Association des psychiatres américains (APA) a décidé d’écarter toute théorie explicative, source de dissensus parmi les différents courants de la pensée psychiatrique, et de rester au niveau de l’observable, sur lequel tout le monde peut-être d’accord. Or l’observable, c’est le comportement », explique le psychiatre Patrick Landman [3]. Président du collectif Stop DSM, il s’oppose depuis trois ans à la « pensée unique DSM ». Se contenter d’observer les comportements pour établir un diagnostic permet d’échapper aux biais culturels, moraux ou théoriques des différents cliniciens. Mais cette standardisation se fait au prix d’une grande simplification de la complexité des problèmes rencontrés en psychiatrie.

 

L’abondance des troubles du comportement et de la personnalité dans le DSM« est emblématique d’une psychiatrie qui se préoccupe moins de la vie psychique des gens que de leur comportement », ajoute le psychiatre Olivier Labouret [4]. Un comportement qui doit avant tout être conforme à la norme. « Il n’est pas anodin que le DSM n’emploie pas le mot "maladie", qui renvoie à la souffrance ou à la plainte émanant du patient, mais le mot "trouble", qui est la mesure extérieure d’une déviation de la norme, souligne le psychiatre. Le trouble, c’est ce qui gêne, ce qui dérange ».

Quand l’homosexualité était une « affection mentale »

Ces normes développées par la psychiatrie n’ont pas attendu les versions successives du DSM pour se manifester. Dans son cours au Collège de France sur les « anormaux », le philosophe Michel Foucault expliquait comment à partir du milieu du XIXe siècle, la psychiatrie commence à faire l’impasse sur le pathologique, la maladie, pour se concentrer sur « l’anormal » : la psychiatrie a« lâché à la fois le délire, l’aliénation mentale, la référence à la vérité, et puis la maladie, explique le philosophe. Ce qu’elle prend en compte maintenant, c’est le comportement, ce sont ses déviations, ses anomalies ». Sa référence devient la norme sociale. Avec ce paradoxe : la psychiatrie exerce son pouvoir médical non plus sur la maladie, mais sur l’anormal.

Une analyse qui rejoint celle de l’antipsychiatrie américaine. Pour le professeur de psychiatrie Thomas Szasz, les « maladies mentales » ne sont que des « mythes » servant à médicaliser les comportements jugés indésirables ou immoraux au sein de la société [5]« Le sort de l’homosexualité, inclus puis exclu du DSM au gré de l’évolution des mentalités aux États-Unis, illustre à quel point le manuel reflète moins l’état d’une recherche scientifique sur les maladies que les normes de "l’acceptable" d’une époque », rappelle le philosophe Steeves Demazeux, auteur de Qu’est-ce que le DSM ?.

Traquer les « déviants » ?

Tous les comportements ne subissent pas le même traitement. « Si vous parlez à Dieu, vous êtes en train de prier, si Dieu vous parle, vous êtes schizophrène », écrivait ainsi Thomas Szasz. Et des « paraphilies » (pour ne pas dire « perversions »), telles que le masochisme et le fétichisme, demeurent dans la catégorie des « troubles sexuels », témoignant de la culture puritaine américaine dans laquelle baignent les auteurs, et à laquelle la population est invitée à se conformer. La psychiatrie, qui détecte et désigne les déviants à l’époque moderne, ne ferait selon Szasz que remplacer l’Inquisition qui traquait les sorcières au Moyen-Age. Les inquisiteurs avaient pour guide le Malleus Maleficarum, les psychiatres… le DSM.

 

Sans doute les normes d’une époque ont-elles toujours influencé le partage des eaux entre le normal et le pathologique. Mais cette influence a longtemps été cantonnée en arrière-plan. Le DSM-3 franchit un cap dans les années 80 en faisant de ces normes les critères directs et explicites de chaque trouble. Un exemple : « Avec le DSM-5, il faut avoir moins de trois accès de colère par semaine pour être un enfant "normal", explique Patrick Landman. Les autres – ceux qui dévient de cette norme – seront désormais étiquetés « trouble de dérégulation d’humeur explosive » ! Et pourront être « normalisés » par des médicaments. En prenant par exemple de la ritaline, cette molécule à base d’amphétamines consommée à haute dose aux États-Unis, pour améliorer la concentration des écoliers. Près de huit millions d’enfants et d’adolescents américains de 3 à 20 ans prennent des antidépresseurs ou des calmants. Le DSM non seulement reflète les normes sociales du moment, mais les renforce en les transformant en normes médicales.

Le « bon fonctionnement de l’individu », un enjeu économique

Un des critères d’une grande partie des troubles – que ce soit la schizophrénie, l’hyperactivité ou le trouble des conduites – est l’« altération significative du fonctionnement social ou professionnel ». Le choix des termes n’est pas innocent : la « fonction » d’un organe, d’un appareil ou d’un outil se rapporte toujours à une totalité subordonnante. On parle ainsi du bon ou du mauvais fonctionnement du foie ou du rein relativement à l’organisme. Parler de la « fonction » ou du « bon fonctionnement » de l’individu trahit le fait que celui-ci n’est pas une fin en soi. L’individu doit « fonctionner » correctement dans l’entité qui le subordonne : l’entreprise, l‘école, la société. C’est cela que l’Échelle d’évaluation globale du fonctionnement (EGF) du DSM-4 (datant de 1994) se propose de mesurer. Êtes-vous au « top » de votre « fonctionnement social, professionnel ou scolaire ». Ou celui-ci subit-il une « altération importante » ou « légère » ? Si vous êtes « intéressé et impliqué dans une grande variété d’activités, socialement efficace, en général satisfait de la vie », vous avez des chances d’obtenir une note de 90 sur une échelle allant de 0 à 100...

Et votre « fonctionnement social » intéresse au plus haut point votre pays. Car pour les États, c’est leur puissance économique qui est en jeu : « L’Union européenne évalue entre 3 et 4 % du PIB les coûts directs et indirects de la mauvaise santé mentale sur l’économie », indique en 2009 le rapport du Conseil d’analyse stratégique sur la santé mentale. Invalidité, accidents du travail, absentéisme, baisse de la productivité... Autant d’impacts de la santé psychologique des travailleurs sur l’économie. Le rapport évoque les « nouveaux impératifs de prévention des formes de détresse psychologique et de promotion de la santé mentale positive ou optimale. ». Concrètement ? Il s’agit d’investir dans « le capital humain » des personnes, en dotant « chaque jeune d’un capital personnel », dès la petite enfance. Objectif : que chacun développe très tôt les« compétences clés en matière de santé mentale ». Des « aptitudes qui se révèlent in fine plus adaptées aux demandes du marché du travail », explique le Conseil d’analyse stratégique...

Le travailleur idéal : performant, invulnérable et sûr de lui

Et pour cause : l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) définit en 1993 ces compétences psychosociales comme « la capacité d’une personne à répondre avec efficacité aux exigences et aux épreuves de la vie quotidienne ». Autrement dit, « être capable de s’adapter aux contraintes sans jamais questionner le bien-fondé ou la justice de la situation, voilà ce qui est attendu de quelqu’un de "normal", résume Olivier Labouret. Le DSM reflète l’idéal transhumaniste de l’homme que l’on peut programmer et améliorer pour qu’il soit compétitif sur le marché du travail ».

Les patients les mieux « notés » sur l’Échelle d’évaluation globale du fonctionnement du DSM ont « un niveau supérieur de fonctionnement dans une grande variété d’activités » et ne sont « jamais débordés par les problèmes rencontrés ». A la plus grande satisfaction de leur employeur ! « L’homme idéal sous-jacent du DSM est performant, invulnérable et sûr de lui », poursuit le psychiatre. En cela, le DSM traduit une conception évolutionniste de la psychologie : seul l’individu "vulnérable" ou "fragile" n’arrive pas à s’adapter à la réalité socio-économique, puisque la majorité semble y arriver. »

La psychiatrie au service de la productivité ?

Ce normativisme social au service de la productivité économique n’est pas nouveau. Mais la « bible des psychiatres » applique et renforce les normes, de manière systématique et globale. Ses effets sont repérables dans toutes les institutions, bien au-delà de l’hôpital. Aux États-Unis et en Australie, les mutuelles, les tribunaux et les écoles s’y réfèrent pour étayer leurs décisions. Et les gouvernements mènent des politiques de santé publique ciblant des « catégories DSM » de la population.

 

En France, si le manuel n’a pas encore force de loi, sa présence s’intensifie.« On utilise en France surtout la classification de l’OMS, la Classification internationale des maladies (CIM). Mais celle-ci est quasiment calquée sur le DSM, que la Haute autorité de Santé reconnaît déjà officiellement d’ailleurs, explique Patrick Landman. Le DSM est enseigné dès les premières années de médecine. Tous les généralistes y sont donc formés. « Quant au champ de la recherche, on ne peut pas publier un article si l’on n’utilise pas les codes du DSM. Et les laboratoires, qui financent les formations post-universitaires, ne jurent que par lui. »

La violence du système néo-libéral occultée

Bon nombre de souffrances, difficultés, émotions, traits de caractère ou préférences sexuelles, se retrouvent inscrits dans le DSM, alors qu’ils ne devraient pas relever du champ médical. La grande majorité des praticiens et des patients ne songent pas à questionner le statut de ces « troubles » ainsi officialisés. Ni à remettre en cause les normes sociales qui ont présidé à la formation de ces catégories. Ce sont toujours les êtres humains qui, « inadaptés », souffriraient de « dysfonctionnements ». Ils sont invités à identifier leurs troubles et recourir à un traitement qui leur permettra de rapidement redevenir « fonctionnels »… Notamment sur le marché du travail. Une violence symbolique du système néolibéral, qui se dénie comme telle, du fait de son déplacement dans le champ psychologique et médical, déplore Olivier Labouret.« La pression normative écrasante qui en résulte, désormais occultée, empêche toute possibilité de comprendre et de réformer l’ordre du monde ».

Nous sommes désormais non plus malades, mais « mal ajustés ». Un mot de la psychologie moderne, utilisé plus que tout autre, estime Martin Luther King en 1963 : « Certainement, nous voulons tous éviter une vie mal ajustée , admet-il.Mais il y a certaines choses dans notre pays et dans le monde auxquelles je suis fier d’être mal ajusté (…). Je n’ai pas l’intention de m’ajuster un jour à la ségrégation et à la discrimination. Je n’ai pas l’intention de m’ajuster à la bigoterie religieuse. Je n’ai pas l’intention de m’ajuster à des conditions économiques qui prennent les produits de première nécessité du plus grand nombre pour donner des produits de luxe au petit nombre ».

Laura Raim

Notes

[1Étude de 2011 publiée dans la revue European Neuropsychopharmacology

[2Lire notamment Jean-Claude St-Onge, Tous fous ?, Ed. Ecosociété, 2013.

[3Auteur de Tristesse business. Le scandale du DSM 5, éd. Max Milo, 2013.

[4Auteur de l’ouvrage Le nouvel ordre psychiatrique, éd. Erès, 2012

[5Son raisonnement est le suivant : pour qu’il y ait maladie, il faut qu’il y ait lésion. De deux choses l’une : soit il y a lésion du cerveau, il s’agit alors d’une maladie du cerveau (même si elle perturbe le comportement, comme l’épilepsie) et non pas de l’esprit. Soit il y a une souffrance mentale mais pas de lésion, alors il ne s’agit pas de maladie.

11 juillet 2013

mort et erotisme....

 

 

 

 

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Rappelez-vous l'objet que nous vîmes, mon âme,
Ce beau matin d'été si doux:
Au détour d'un sentier une charogne infâme
Sur un lit semé de cailloux,

Les jambes en l'air, comme une femme lubrique,
Brûlante et suant les poisons,
Ouvrait d'une façon nonchalante et cynique
Son ventre plein d'exhalaisons.

Le soleil rayonnait sur cette pourriture,
Comme afin de la cuire à point,
Et de rendre au centuple à la grande Nature
Tout ce qu'ensemble elle avait joint;

Et le ciel regardait la carcasse superbe
Comme une fleur s'épanouir.
La puanteur était si forte, que sur l'herbe
Vous crûtes vous évanouir.

Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,
D'où sortaient de noirs bataillons
De larves, qui coulaient comme un épais liquide
Le long de ces vivants haillons.

Tout cela descendait, montait comme une vague
Ou s'élançait en pétillant
On eût dit que le corps, enflé d'un souffle vague,
Vivait en se multipliant.

Et ce monde rendait une étrange musique,
Comme l'eau courante et le vent,
Ou le grain qu'un vanneur d'un mouvement rythmique
Agite et tourne dans son van.

Les formes s'effaçaient et n'étaient plus qu'un rêve,
Une ébauche lente à venir
Sur la toile oubliée, et que l'artiste achève
Seulement par le souvenir.

Derrière les rochers une chienne inquiète
Nous regardait d'un oeil fâché,
Epiant le moment de reprendre au squelette
Le morceau qu'elle avait lâché.

- Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,
A cette horrible infection,
Etoile de mes yeux, soleil de ma nature,
Vous, mon ange et ma passion!

Oui! telle vous serez, ô la reine des grâces,
Apres les derniers sacrements,
Quand vous irez, sous l'herbe et les floraisons grasses,
Moisir parmi les ossements.

Alors, ô ma beauté! dites à la vermine
Qui vous mangera de baisers,
Que j'ai gardé la forme et l'essence divine
De mes amours décomposés!

Les Fleurs du mal, Charles Baudelaire

 

 


J'ai rêvé de toi cette nuit :
Tu te pâmais en mille poses
Et roucoulais des tas de choses…


Et moi, comme on savoure un fruit,
Je te baisais à bouche pleine
Un peu partout, mont, val ou plaine.


J’étais d’une élasticité,
D’un ressort vraiment admirable :
Tudieu, quelle haleine et quel râble !


Et toi, chère, de ton côté,
Quel râble, quelle haleine, quelle
Élasticité de gazelle…


Au réveil ce fut, dans tes bras,
Mais plus aiguë et plus parfaite,
Exactement la même fête !

verlaine

 

Soleil et Chair
 (Credo in Unam)


I

Le Soleil, le foyer de tendresse et de vie,
Verse l'amour brûlant à la terre ravie,
Et, quand on est couché sur la vallée, on sent
Que la terre est nubile et déborde de sang ;
Que son immense sein, soulevé par une âme,
Est d'amour comme Dieu, de chair comme la femme,
Et qu'il renferme, gros de sève et de rayons,
Le grand fourmillement de tous les embryons !

Et tout croît, et tout monte !

- O Vénus, ô Déesse !
Je regrette les temps de l'antique jeunesse,
Des satyres lascifs, des faunes animaux,
Dieux qui mordaient d'amour l'écorce des rameaux
Et dans les nénuphars baisaient la Nymphe blonde !
Je regrette les temps où la sève du monde,
L'eau du fleuve, le sang rose des arbres verts
Dans les veines de Pan mettaient un univers !
Où le sol palpitait, vert, sous ses pieds de chèvre ;
Où, baisant mollement le clair syrinx, sa lèvre
Modulait sous le ciel le grand hymne d'amour ;
Où, debout sur la plaine, il entendait autour
Répondre à son appel la Nature vivante ;
Où les arbres muets, berçant l'oiseau qui chante,
La terre berçant l'homme, et tout l'Océan bleu
Et tous les animaux aimaient, aimaient en Dieu !

Je regrette les temps de la grande Cybèle
Qu'on disait parcourir, gigantesquement belle,
Sur un grand char d'airain, les splendides cités ;
Son double sein versait dans les immensités
Le pur ruissellement de la vie infinie.
L'Homme suçait, heureux, sa mamelle bénie,
Comme un petit enfant, jouant sur ses genoux.
- Parce qu'il était fort, l'Homme était chaste et doux.

Misère ! Maintenant il dit : Je sais les choses,
Et va, les yeux fermés et les oreille closes.
- Et pourtant, plus de dieux ! plus de dieux ! l'Homme est Roi,
L'Homme est Dieu ! Mais l'Amour, voilà la grande Foi !
Oh ! si l'homme puisait encore à ta mamelle,
Grande mère des dieux et des hommes, Cybèle ;
S'il n'avait pas laissé l'immortelle Astarté
Qui jadis, émergeant dans l'immense clarté
Des flots bleus, fleur de chair que la vague parfume,
Montra son nombril rose où vint neiger l'écume,
Et fit chanter, Déesse aux grands yeux noirs vainqueurs,
Le rossignol aux bois et l'amour dans les coeurs !


II

Je crois en toi ! Je crois en toi ! Divine mère,
Aphrodite marine ! - Oh ! la route est amère
Depuis que l'autre Dieu nous attelle à sa croix ;
Chair, Marbre, Fleur, Vénus, c'est en toi que je crois !
- Oui, l'Homme est triste et laid, triste sous le ciel vaste.
Il a des vêtements, parce qu'il n'est plus chaste,
Parce qu'il a sali son fier buste de dieu,
Et qu'il a rabougri, comme une idole au feu,
Son corps Olympien aux servitudes sales !
Oui, même après la mort, dans les squelettes pâles
Il veut vivre, insultant la première beauté !
- Et l'Idole où tu mis tant de virginité,
Où tu divinisas notre argile, la Femme,
Afin que l'Homme pût éclairer sa pauvre âme
Et monter lentement, dans un immense amour,
De la prison terrestre à la beauté du jour,
La Femme ne sait plus même être Courtisane !
- C'est une bonne farce ! et le monde ricane
Au nom doux et sacré de la grande Vénus !

 

III


Si les temps revenaient, les temps qui sont venus !

- Car l'Homme a fini ! l'Homme a joué tous les rôles !
Au grand jour, fatigué de briser des idoles
Il ressuscitera, libre de tous ses Dieux,
Et, comme il est du ciel, il scrutera les cieux !
L'idéal, la pensée invincible, éternelle,
Tout ; le dieu qui vit, sous son argile charnelle,
Montera, montera, brûlera sous son front !
Et quand tu le verras sonder tout l'horizon,
Contempteur des vieux jougs, libre de toute crainte,
Tu viendras lui donner la Rédemption sainte !
- Splendide, radieuse, au sein des grandes mers
Tu surgiras, jetant sur le vaste Univers
L'Amour infini dans un infini sourire !
Le Monde vibrera comme une immense lyre
Dans le frémissement d'un immense baiser !

- Le Monde a soif d'amour : tu viendras l'apaiser.
....................................................

O ! L'Homme a relevé sa tête libre et fière !
Et le rayon soudain de la beauté première
Fait palpiter le dieu dans l'autel de la chair !
Heureux du bien présent, pâle du mal souffert,
L'Homme veut tout sonder, - et savoir ! La Pensée,
La cavale longtemps, si longtemps oppressée
S'élance de son front ! Elle saura Pourquoi !...
Qu'elle bondisse libre, et l'Homme aura la Foi !
- Pourquoi l'azur muet et l'espace insondable ?
Pourquoi les astres d'or fourmillant comme un sable ?
Si l'on montait toujours, que verrait-on là-haut ?
Un Pasteur mène-t-il cet immense troupeau
De mondes cheminant dans l'horreur de l'espace ?
Et tous ces mondes-là, que l'éther vaste embrasse,
Vibrent-ils aux accents d'une éternelle voix ?
- Et l'Homme, peut-il voir ? peut-il dire : Je crois ?
La voix de la pensée est-elle plus qu'un rêve ?
Si l'homme naît si tôt, si la vie est si brève,
D'où vient-il ? Sombre-t-il dans l'Océan profond
Des Germes, des Foetus, des Embryons, au fond
De l'immense Creuset d'où la Mère-Nature
Le ressuscitera, vivante créature,
Pour aimer dans la rose, et croître dans les blés ?...

Nous ne pouvons savoir ! - Nous sommes accablés
D'un manteau d'ignorance et d'étroites chimères !
Singes d'hommes tombés de la vulve des mères,
Notre pâle raison nous cache l'infini !
Nous voulons regarder : - le Doute nous punit !
Le doute, morne oiseau, nous frappe de son aile...
- Et l'horizon s'enfuit d'une fuite éternelle !...
.......................................................

Le grand ciel est ouvert ! les mystères sont morts
Devant l'Homme, debout, qui croise ses bras forts
Dans l'immense splendeur de la riche nature !
Il chante... et le bois chante, et le fleuve murmure
Un chant plein de bonheur qui monte vers le jour !...
- C'est la Rédemption ! c'est l'amour ! c'est l'amour !...
........................................................


IV


O splendeur de la chair ! ô splendeur idéale !
O renouveau d'amour, aurore triomphale
Où, courbant à leurs pieds les Dieux et les Héros,
Kallipyge la blanche et le petit Éros
Effleureront, couverts de la neige des roses,
Les femmes et les fleurs sous leurs beaux pieds écloses !
- O grande Ariadné, qui jette tes sanglots
Sur la rive, en voyant fuir là-bas sur les flots,
Blanche sous le soleil, la voile de Thésée,
O douce vierge enfant qu'une nuit a brisée,
Tais-toi ! Sur son char d'or brodé de noirs raisins,
Lysios, promené dans les champs Phrygiens
Par les tigres lascifs et les panthères rousses,
Le long des fleuves bleus rougit les sombres mousses.
- Zeus, Taureau, sur son cou berce comme une enfant
Le corps nu d'Europé, qui jette son bras blanc
Au cou nerveux du Dieu frissonnant dans la vague.
Il tourne lentement vers elle son oeil vague ;
Elle, laisse traîner sa pâle joue en fleur
Au front de Zeus ; ses yeux sont fermés ; elle meurt
Dans un divin baiser, et le flot qui murmure
De son écume d'or fleurit sa chevelure.
- Entre le laurier-rose et le lotus jaseur
Glisse amoureusement le grand Cygne rêveur
Embrassant la Léda des blancheurs de son aile ;
- Et tandis que Cypris passe, étrangement belle,
Et, cambrant les rondeurs splendides de ses reins,
Étale fièrement l'or de ses larges seins
Et son ventre neigeux brodé de mousse noire,
- Héraclès, le Dompteur, qui, comme d'une gloire
Fort, ceint son vaste corps de la peau du lion,
S'avance, front terrible et doux, à l'horizon !

Par la lune d'été vaguement éclairée,
Debout, nue, et rêvant dans sa pâleur dorée
Que tache le flot lourd de ses longs cheveux bleus,
Dans la clairière sombre, où la mousse s'étoile,
La Dryade regarde au ciel silencieux...
- La blanche Séléné laisse flotter son voile,
Craintive, sur les pieds du bel Endymion,
Et lui jette un baiser dans un pâle rayon...
- La Source pleure au loin dans une longue extase...
C'est la nymphe qui rêve, un coude sur son vase,
Au beau jeune homme blanc que son onde a pressé.
- Une brise d'amour dans la nuit a passé,
Et, dans les bois sacrés, dans l'horreur des grands arbres,
Majestueusement debout, les sombres Marbres,
Les Dieux, au front desquels le Bouvreuil fait son nid,
- Les Dieux écoutent l'homme et le Monde infini !



- 29 avril 1870 -




rimbaud

 

6 juillet 2013

dénuement volontaire.....

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À contre-courant de la société de consommation, certains ont fait le choix de la simplicité. Promouvant un mode de vie frugal, les tenants de la pauvreté volontaire entendent valoriser d’autres richesses: le respect de l’environnement, la solidarité et l’épanouissement sans cesse menacés par l’inflation des besoins.

«Vive la pauvreté!», titrait avec insolence le journal La Décroissance en septembre 2004. Faudrait-il donc se réjouir de ce que certains ne puissent subvenir à leurs besoins, souffrent de la faim et du froid et soient mis au ban de la société? Non. Derrière un mot d’ordre provocateur, c’est un projet de vie révolutionnaire que défendent ici les objecteurs de croissance en promouvant non pas la misère mais une pauvreté choisie. Contre l’hyperconsommation et le culte de la croissance économique qui valorisent l’avoir au détriment de l’être, ils en appellent à la simplicité volontaire pour parvenir à un plus grand épanouissement personnel mais aussi pour mieux respecter l’environnement et les hommes. Bref, sortir de l’inflation des besoins qui nous condamnent à souffrir toujours du manque et à passer à côté de l’essentiel. «Vivre sans télévision, sans automobile, sans téléphone portable ou encore sans prendre l’avion, c’est aujourd’hui faire le choix de la résistance non violente. Abandonner, c’est résister.

 

Comme cultiver son potager, faire de la politique, être capable de s’engager. C’est savoir dire non, être rebelle, insoumis, pour partager une vie intense et profonde, qui ne peut reposer que sur une certaine forme de dénuement matériel  Cette aspiration à un mode de vie plus frugal n’est en rien une bizarrerie hexagonale. Elle s’inscrit dans un mouvement plus vaste que l’on retrouve aux États-Unis, au Canada, en Grande-Bretagne, en Australie, en Nouvelle-Zélande, et dans bien d’autres pays encore, souvent sous l’appellation d’adeptes de la «simplicité volontaire» ou de downshifters(décélérateurs).

 

Qui sont ces partisans de la frugalité? Et, surtout, comment vivent-ils? Beaucoup appartiennent aux classes moyennes et supérieures et ont fait le choix de rompre avec leur mode de vie. Tel Vincent Cheynet, fondateur des Casseurs de pub et du journal La Décroissance, qui avait travaillé pendant une dizaine d’années dans la publicité. Leur engagement se traduit au quotidien par tout un éventail de décisions et de petits gestes: acheter des fruits et des légumes de saison, produits localement, renoncer au maximum à la voiture pour privilégier le vélo et les transports en commun, éviter de prendre l’avion, se débarrasser des appareils électriques qui ne sont pas indispensables, limiter sa consommation d’eau, voire pour les plus intransigeants ne plus avoir de réfrigérateur et adopter des «toilettes sèches»… Aux mirages de la consommation, préférer l’échange et la «récup», réparer plutôt que jeter, faire au maximum les choses soi-même. Ce peut être construire sa maison comme Hervé René Martin, auteur d’Éloge de la simplicité volontaire (Flammarion, 2007), cultiver un potager, ou faire le choix de «travailler moins pour gagner moins». Il ne s’agit donc pas tant de vivre dans la pauvreté que dans la simplicité avec l’idée que, pour changer le monde, il faut aussi apprendre à se changer soi-même.

 

Pauvreté contre misère

Une vision de l’existence que rejoint la réflexion sur la pauvreté de Majid Rahnema. Cet ancien diplomate iranien refuse le discours technique sur une pauvreté réduite bien souvent à des chiffres:«Réduire la vérité d’un “pauvre” à un revenu d’un ou deux dollars est en soi non seulement une aberration mais aussi une insulte à sa condition. Les chiffres qui sont avancés ne peuvent donc rien nous dire, ni sur les milliards de personnes qui, pour des raisons diverses, se trouvent aujourd’hui acculées à la misère, ni sur ce qui pourrait leur permettre de recouvrer leur puissance d’agir. Dans le meilleur des cas, ces chiffres ne peuvent que révéler un aspect particulier de la vie d’une certaine catégorie de “pauvres” de pauvres déracinés vivant de leurs seuls revenus monétairement quantifiables. Ils ne nous apprennent rien sur les autres sources de richesses relationnelles, traditionnelles, culturelles et autres qui, jusqu’à la désintégration de leur mode de subsistance, les avaient empêchés de perdre leurs propres moyens de lutte contre la misère 

Précisément. La pauvreté n’est pas la misère: on peut vivre dans le dénuement, presque entièrement «hors marché» et pourtant surmonter les difficultés grâce à la solidarité et l’entraide. Or la modernité s’est attaquée aux modes de subsistance populaires faisant basculer des millions de personne dans la misère, la vraie, celle où l’on ne parvient pas à assurer sa subsistance. L’économie de croissance, loin de résorber la pauvreté, n’a selon lui créé pour les pauvres que de nouvelles sources de précarisation et de dépendance à des besoins économiques fabriqués de toutes pièces. Ce faisant, elle a éradiqué ce que M. Rahnema nomme à la suite d’Ivan Illich une «pauvreté conviviale», mode de vie frugal caractérisé par la solidarité et le contrôle social de l’envie: «La pauvreté conviviale, loin de se confondre avec la misère, a (…) été l’arme principale dont les pauvres se sont toujours servis pour l’exorciser et la combattre.» M. Rahnema appelle donc à redécouvrir un mode de vie simple pour que chacun puisse retrouver sa puissance d’agir.

 

«Me pousse pas à bout, fiston!»

Assurément dérangeant dans des sociétés modernes qui valorisent l’économie, la consommation et le progrès matériel. «Don’t force me, sonny!» («Me pousse pas à bout fiston») se voit ainsi répondre le philosophe allemand Günther Anders tandis qu’il marche le long d’une nationale de Californie. Le policier désœuvré qui l’interpelle ne comprend pas qu’un homme n’ait pas de voiture et, pire encore, avoue n’en avoir jamais eue. Reprenant cette anecdote, H. René Martin, dans son Éloge de la simplicité volontaire, met bien en évidence les obstacles auxquels se heurtent ceux qui ont fait le choix de vivre autrement, tel ce couple qui n’a pas voulu que leur enfant naisse à l’hôpital et qui a subi de ce fait bien des tracasseries administratives et des contrôles sociaux. Ascétisme malsain, vision réactionnaire de la société, spiritualisme suspect, voire menace pour l’économie donc pour la prospérité… La pauvreté choisie suscite des suspicions et des réactions hostiles. Et pour cause, elle inquiète l’ordre social. Un détour historique apparaît instructif.

Au Moyen Âge, à partir de l’an mil, surgit un important mouvement en faveur de la pauvreté volontaire. Un nombre croissant d’ermites itinérants sillonne les routes et prône le dénuement pour retrouver le message du Christ: saint Romuald, Robert d’Arbrissel, Henri de Lausanne… Jusqu’à saint François d’Assise, fils d’un riche marchand d’étoffes, qui rompt avec une vie insouciante et tournée vers le plaisir et qui fonde l’ordre franciscain où l’on fait vœu de pauvreté. Nombreux sont alors les ordres et les confréries à adopter le même précepte qui jouit d’une grande audience dans la population. Apparaissent ainsi au xiie siècle les béguines, dans les Flandres et en Hollande, puis en France et en Allemagne, qui travaillent et vivent dans le dénuement. L’accueil de ces mouvements par l’Église sera pour le moins contrasté: certains adeptes de la pauvreté volontaire seront jugés hérétiques, d’autres seront canonisés. Ce qu’explique avec beaucoup de clarté l’historien polonais Tadeusz Manteuffel: «L’Église n’a jamais condamné le précepte évangélique de la pauvreté volontaire. Tout au contraire, elle a toujours été bienveillante envers ceux qui en faisaient profession, mais seulement lorsqu’ils l’appliquaient à titre individuel, sans en faire l’objet d’une propagande parmi les masses. La canonisation d’un nombre considérable d’ermites en est la meilleure preuve. Ce problème changeait toutefois d’aspect dès l’instant où ces mêmes principes commençaient à être propagés largement parmi les fidèles. Le précepte de la pauvreté volontaire cessait d’être alors l’affaire personnelle de tel ou tel individu, pour devenir un problème social qui pouvait avoir des implications politiques.» On s’étonnera d’autant moins du rejet suscité par la pauvreté volontaire dans des sociétés modernes sécularisées qui valorisent fortement le progrès matériel et la consommation.

Et pourtant, rien de nouveau sous le soleil. Nul besoin d’attendre les objecteurs de croissance, les adeptes de la simplicité volontaire pour valoriser la frugalité. Dès l’Antiquité, nombreuses sont les écoles philosophiques à prôner la réduction des besoins. Tel Diogène ou les stoïciens ou même les épicuriens souvent assimilés à tort à des jouisseurs forcenés: «Quelqu’un ayant demandé à Épicure comment il fallait s’y prendre pour devenir riche, celui-ci répondit: ce n’est pas en augmentant les biens, mais en diminuant les besoins», rapporte Stobée (Florilège, XVII, 37). Une leçon vieille comme le monde mais peut-être plus que jamais difficile à entendre.

 

6 juillet 2013

liberer l'art du mercantile.....

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Manifeste pour

libérer l'Art 
de la culture mercantile

 

Attaquons le problème au départ ! N’écoutons plus ces gens qui parlent de l'Art ! La Culture, c'est vrai, quelle imposture, de leurs lèvres ne sortent que des vomissures qui façonnent les instruments de torture, emprisonnant l'artiste, dans ce cauchemar.

De l'ignorance, ils brandissent l'étendard, telle l’arrogance hissée sur leur inculte rempart. Ils crient leurs références comme une dictature, gonflant le torse, éclatant leur encolure. « Dans ce cadre, il faut bien cette peinture ! Cette envolée me rappelle Béjart, ou Mozart ?"

"C'est beau, comme un plat d'épinards, mais s'accordera t-il à mon billard ? " Un banquier demande où est la signature ? " Quel dommage d'avoir cette grosse armature ? Pardon, je n'avais pas vu, c'était la sculpture !" Rien ne doit être laissé au hasard.

La vieille dame adore le style "clochard", dit-elle au jeune peintre d 'un ton égrillard, car malgré son manteau de fourrure, fait disparaître des petits fours dans sa doublure et de l'autre main, lui caresse la chevelure, en pensant qu'il ferait bien dans son plumard.

Le galeriste affirme, un rien cabochard : ce jeune talent vaudra un jour des milliards. Il lui prédit un avenir d'une grande envergure; de l'Art Nouveau, il possède déjà la tessiture. Dépêchez vous d'acquérir avant la fermeture, pour un bon placement, c'est en dollars.

" Comment, vous préférez ce Fragonard, authentique? je vous vois goguenard. " L’expert est présent, il vous le jure, avec lui, jamais de demi-mesure, d’homme de foi, il n’est qu’une caricature, ressortant les artistes de leur corbillard.

L'Art est affaire de coeur et de regard, et si, avec moi, il s'autorise le grand écart, c'est qu'il a droit à toutes les démesures, son chemin est parsemé de folles aventures, qui jamais ne lui permet de conclure, condamnant l'artiste à une vie de bagnard.

Un jour, il déambule sur les boulevards, le lendemain, il défend les communards. Au nom du pouvoir, à la mairie, on l'inaugure, octroyant à l’artiste quelques nourritures, c'est la fête ! Fini de se serrer la ceinture. La Culture est sauvée par les politicards.

Pas pour longtemps, car sortant du placard, la commission culturelle lance un traquenard, triturant et malaxant ce projet immature, elle condamne l'auteur, à une proche sépulture, prétextant son jugement au nom de l'inculture, voici un mandat qui se terminera en faire-part.

Vêtu de noir, l’oeil défait et le teint blafard, l’artiste proteste et se lance dans la bagarre, il doit se prostituer sous toutes les coutures du cercle, il recherche l’impossible quadrature. Immaculé comme un cygne, le voilà noir canard, pensant à mourir, avant d’être mis au rancart,

il finira par noyer son désespoir au coin du bar, ne trouvant plus sa route dans ce brouillard, qui ne lui accorde aucune chance d’ouverture. On ne se remet pas aisément de ces blessures, faîtes facilement dans le dos, pour la plupart. Peu d’artistes finiront respectables vieillards!

De la prison où vous m’avez mis à l’écart, je rêve, éveillé d’un Art idéal, sans fard, sortant du néant de la financière pourriture, proclamant en hurlant, ma droiture, un rien agressif, légèrement revenchard, il signalera au monde, comme un phare,

que jamais par votre argent, vous réussirez à baîllonner et enfermer mon imagination. J’offre mon oeuvre aux futures générations donnant la preuve de ma crédible vérité, attestant fort et haut, ma passion de créer, vivante, elle existe, au même titre que l’Art!

N’essayez pas de détourner votre regard de mes dessins, qui vous rendent hagard, mes personnages sont la représentation théâtrale de notre fin de civilisation. Éternellement collés, c’est ma vengeance, sur les murs décrépis de votre indifférence.

Gens d’art, me verriez-vous au Quatar, mes tableaux vendus chers et bien cotés, bientôt enterré ou perdant la raison ? Ma volonté de vivre, libre de vos salons, motive la folle explosion de ma création, traçant une page rouge de l’histoire de l’Art.

Alain Rességuier - Versoix, juillet 2001

 

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6 juillet 2013

pensées de flaubert

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Qu’est-ce que le beau, sinon l’impossible.

Faire sa fortune et vivre pour soi, c’est-à-dire rétrécir son cœur entre sa boutique et sa digestion.

Je suis parvenu à avoir la ferme conviction que la vanité est la base de tout, et enfin que ce qu’on appelle conscience n’est que la vanité intérieure.

L’avenir est ce qu’il y a de pire dans le présent. 

En littérature comme en gastronomie, il est certains fruits qu’on mange à pleine bouche, dont on a le gosier plein, et si succulents que le jus pénètre jusqu’au cœur.

Il ne faut pas regarder le gouffre, car il y a au fond un charme inexprimable qui nous attire.

La femme est un animal vulgaire dont l’homme s’est fait un trop bel idéal.

J’aime mieux un livre que le billard, mieux une bibliothèque qu’un café, c’est une gourmandise, qui ne fait jamais vomir.

Un cœur est une richesse qui ne se vend pas, qui ne s’achète pas, mais qui se donne.

L’existence, après tout, n’est-elle pas comme le lièvre quelque chose de cursif qui fait un bond dans la plaine, qui sort d’un bois plein de ténèbres pour se jeter dans une marnière, dans un grand trou creux ?

Il ne faut pas demander des oranges aux pommiers, du soleil à la France, de l’amour à la femme, du bonheur à la vie.

La justice humaine est d’ailleurs pour moi ce qu’il y a de plus bouffon au monde ; un homme en jugeant un autre est un spectacle qui me ferait crever de rire s’il ne me faisait pitié, et si je n’étais forcé d’étudier maintenant la série d’absurdités en vertu de quoi il le juge.

C’est une belle chose qu’un souvenir, c’est presque un désir qu’on regrette.

Pour qu’on se plaise quelque part il faut qu’on y vive depuis longtemps. Ce n’est pas en un jour qu’on échauffe son nid et qu’on s’y trouve bien.

J’ai bien une sérénité profonde, mais tout me trouble à la surface ; il est plus facile de commander à son cœur qu’à son visage. 

Quelle plate bêtise de toujours vanter le mensonge et de dire : la poésie vit d’illusions ; comme si la désillusion n’était pas cent fois plus poétique par elle-même. Ce sont du reste deux mots d’une riche ineptie.

Quand on a quelque valeur, chercher le succès c’est se gâter à plaisir, et chercher la gloire c’est peut-être se perdre complètement.

Tout est là : l’amour de l’Art.

L’Art comme une étoile, voit la terre rouler sans s’en émouvoir, scintillant dans son azur ; le beau ne se détache pas du ciel.

Il faut lire, méditer beaucoup, toujours penser au style et écrire le moins qu’on peut, uniquement pour calmer l’irritation de l’idée qui demande à prendre une forme et qui se retourne en nous jusqu’à ce que nous lui en ayons trouvé une exacte, précise. 

Nous sommes organisés pour le malheur. On s’évanouit dans la volupté, jamais dans la peine ; les larmes sont pour le cœur ce que l’eau est pour les poissons.

Je crois que le dogme d’une vie future a été inventé par la peur de la mort ou l’envie de lui rattraper quelque chose.

La félicité est un manteau de couleur rouge qui a une doublure en lambeaux ; quand on veut s’en recouvrir, tout part au vent, et l’on reste empêtré dans ces guenilles froides que l’on avait jugées si chaudes.

Enfin, je crois avoir compris une chose, une grande chose, c’est que le bonheur pour les gens de notre race est dans l’idée et pas ailleurs.

Le cœur humain ne s’élargit qu’avec un tranchant qui le déchire.

Le bonheur est une monstruosité ! punis sont ceux qui le cherchent. 

Prends garde seulement à la rêverie : c’est un bien vilain monstre qui attire et qui m’a déjà mangé bien des choses. C’est la sirène des âmes ; elle chante, elle appelle ; on y va et l’on n’en revient plus.

Oui, travaille, aime l’Art. De tous les mensonges, c’est encore le moins menteur.

Il n’y a en fait d’infini que le ciel qui le soit à cause de ses étoiles, la mer à cause de ses gouttes d’eau, et le cœur à cause de ses larmes.

Dans notre appétit de la vie, nous remangeons nos sensations d’autrefois, nous rêvons celles de l’avenir.

Qui sait si le coup de vent qui abat un toit ne dilate pas toute une forêt ? Pourquoi le volcan qui bouleverse une ville ne féconderait-il pas une province ? Voilà encore de notre orgueil : nous nous faisons le centre de la nature, le but de la création et sa raison suprême. Tout ce que nous voyons ne pas s’y conformer nous étonne, tout ce qui nous est opposé nous exaspère. 

Je comprends, tout comme un autre, ce qu’on peut éprouver à regarder son enfant dormir. Je n’aurais pas été mauvais père, mais à quoi bon faire sortir du néant ce qui y dort ? Faire venir un être, c’est faire venir un misérable.

Sans cesse l’antithèse se dresse devant mes yeux. Je n’ai jamais vu un enfant sans penser qu’il deviendrait vieillard, un berceau sans songer à une tombe. La contemplation d’une femme nue me fait rêver à son squelette. C’est ce qui fait que les spectacles joyeux me rendent triste et que les spectacles tristes m’affectent peu. Je pleure trop en dedans pour verser des larmes au dehors ; une lecture m’émeut plus qu’un malheur réel.

L’amour est une plante de printemps qui parfume tout de son espoir, même les ruines où il s’accroche.

L’amour, après tout, n’est qu’une curiosité supérieure, un appétit de l’inconnu qui vous pousse dans l’orage, poitrine ouverte et tête en avant. 

L’amour comme le reste n’est qu’une façon de voir et de sentir. C’est un point de vue un peu plus élevé, un peu plus large ; on y découvre des perspectives infinies et des horizons sans bornes.

Les femmes veulent qu’on les trompe, elles vous y forcent, et si vous résistez, elles vous accusent.

Quand on ne regarde la vérité que de profil ou de trois quarts, on la voit toujours mal. Il y a peu de gens qui savent la contempler de face.

Il ne faut pas toujours croire que le sentiment soit tout. Dans les arts, il n’est rien sans la forme.

Enfants, nous désirons vivre dans le pays des perroquets et des dattes confites. Nous nous élevons avec Byron ou Virgile, nous convoitons l’Orient dans nos jours de pluie ou bien nous désirons aller faire fortune aux Indes, ou exploiter la canne à sucre en Amérique. La Patrie, c’est la terre, c’est l’Univers, ce sont les étoiles, c’est l’air, c’est la pensée elle-même, c’est-à-dire l’infini dans notre poitrine, mais les querelles de peuple à peuple, de canton à arrondissement, d’homme à homme, m’intéressent peu et ne m’amusent que lorsque ça fait de grands tableaux avec des fonds rouges.

L’homme est une si triste machine qu’une paille mise dans le rouage suffit pour l’arrêter.

Le bonheur est un mensonge dont la recherche cause toutes les calamités de la vie. Mais il y a des paix sereines qui l’imitent et qui sont supérieures peut-être.

Le cœur de l’homme est encore plus variable que les saisons, tour à tour plus froid que l’hiver et plus brûlant que l’été. Si les fleurs ne renaissent pas, ses neiges reviennent souvent par bourrasques lamentables ; ça tombe ! ça tombe ! ça couvre tout de blancheur et de tristesse, et quand le dégel arrive, c’est encore plus sale. 

Un ami qui meurt, c’est quelque chose de vous qui meurt.

Misérables que nous sommes, nous avons, je crois, beaucoup de goût parce que nous sommes profondément historiques, que nous admettons tout et nous plaçons au point de vue de la chose pour la juger. Mais avons-nous autant d’innéité que de compréhensivité ? une originalité féroce est-elle compatible même avec tant de largeur ? Voilà mon doute sur l’esprit artistique de l’époque, c’est-à-dire du peu d’artistes qu’il y a. Du moins, si nous ne faisons rien de bon, aurons-nous, peut-être, préparé et amené une génération qui aura l’audace (je cherche un autre mot) de nos pères avec notre éclectisme à nous. Ça m’étonnerait : le monde va devenir bougrement bête. D’ici à longtemps ce sera bien ennuyeux.

Autant travailler pour soi seul. On fait comme on veut et d’après ses propres idées. On s’admire, on se fait plaisir à soi-même, n’est-ce pas le principal ? et puis le public est si bête ! et puis qui est-ce qui lit ? et que lit-on ? et qu’admire-t-on ? ah ! bonnes époques tranquilles, bonnes époques à perruques, vous viviez d’aplomb sur vos hauts talons et sur vos cannes ! mais le sol tremble sous nous.

Il y a une chose qui nous perd, une chose stupide qui nous entrave. C’est « le goût », le bon goût. Nous en avons trop, je veux dire que nous nous en inquiétons plus qu’il ne faut.

Pour qui voit les choses avec quelque attention, on retrouve encore bien plus qu’on ne trouve ; mille notions que l’on n’avait en soi qu’à l’état de germe s’agrandissent et se précisent, comme un souvenir renouvelé.

S’il suffisait d’avoir les nerfs sensibles pour être poète, je vaudrais mieux que Shakespeare et qu’Homère, lequel je me figure avoir été un homme peu nerveux, cette confusion est impie… la poésie n’est point une débilité de l’esprit, et ces susceptibilités nerveuses en sont une ; cette faculté de sentir outre mesure est une faiblesse… la passion ne fait pas les vers, et plus vous serez personnel, plus vous serez faible.

La critique est au dernier échelon de la littérature, comme forme presque toujours et, comme valeur morale, incontestablement elle passe après le bout-rimé et l’acrostiche, lesquels demandent au moins un travail d’invention quelconque.

Il faut faire de la critique comme on fait de l’histoire naturelle, avec absence d’idée morale, il ne s’agit pas de déclamer sur telle ou telle forme, mais bien d’exposer en quoi elle consiste, comment elle se rattache à une autre et par quoi elle vit (l’esthétique attend son Geoffroy Saint-Hilaire, ce grand homme qui a montré la légitimité des monstres). Quand on aura pendant quelque temps traité l’âme humaine avec l’impartialité que l’on met dans les sciences physiques à étudier la matière, on aura fait un pas immense ; c’est le seul moyen à l’humanité de se mettre un peu au-dessus d’elle-même. Elle se considérera alors franchement, purement dans le miroir de ses œuvres, elle sera comme Dieu, elle se jugera d’en haut.

Il est de certaines fonctions où l’on est presque forcé de prendre une femme comme il y a certaines fortunes où il serait honteux de ne pas avoir d’équipage.

On apprend aux femmes à mentir d’une façon infâme. L’apprentissage dure toute leur vie depuis la première femme de chambre qu’on leur donne jusqu’au dernier amant qui leur survient, chacun s’ingère à les rendre canailles et après on crie contre elles ; le puritanisme, la bégueulerie, la bigoterie, le système du renfermé, de l’étroit, a dénaturé et perd dans sa fleur les plus charmantes créations du bon Dieu. J’ai peur du corset moral, voilà tout. Les premières impressions ne s’effacent pas… Nous portons en nous notre passé ; pendant toute notre vie, nous nous sentons de la nourrice.

Il est toujours triste de partir d’un lieu où l’on sait que l’on ne reviendra jamais. Voilà de ces mélancolies qui sont peut-être une des choses les plus profitables des voyages.

Le seul moyen de n’être pas malheureux c’est de s’enfermer dans l’art et de compter pour rien tout le reste, l’orgueil remplace tout quand il est assis sur une large base.

Certes, il est beau d’occuper de la place dans les âmes de la foule, mais on y est les trois quarts du temps en si piètre compagnie qu’il y a de quoi dégoûter la délicatesse d’un homme bien né.

Avouons que si aucune belle chose n’est restée ignorée, il n’y a pas de turpitude qui n’ait été applaudie, ni de sot qui n’ait passé pour grand homme, ni de grand homme qu’on n’ait comparé à un crétin. 

La postérité change d’avis quelquefois (mais la tache n’en reste pas moins au front de cette humanité qui a de si nobles instincts) et encore ! Est-ce que jamais la France reconnaîtra que Ronsard vaut bien Racine ! — Il faut donc faire de l’art pour soi, pour soi seul, comme on joue du violon.

On n’arrive au style qu’avec un labeur atroce, avec une opiniâtreté fanatique et dévouée.

Le vice n’est pas plus fécondant que la vertu, il ne faut être ni l’un ni l’autre, ni vicieux, ni vertueux, mais au-dessus de tout cela… N’aimons-nous pas à retrouver sur les gens et même sur les meubles et les vêtements quelque chose de ceux qui les ont approchés, aimés, connus ou usés ?

La première qualité de l’art et son but est l’illusion ; l’émotion, laquelle s’obtient souvent par certains sacrifices de détails poétiques, est une tout autre chose et d’un ordre inférieur. J’ai pleuré à des mélodrames qui ne valaient pas quatre sous et Gœthe ne m’a jamais mouillé l’œil, si ce n’est d’admiration.

La courtisane est un mythe. Jamais une femme n’a inventé une débauche.

Vis-à-vis de l’amour en effet, les femmes n’ont pas d’arrière-boutique, elles ne gardent rien à part pour elles comme nous autres, qui, dans toutes nos générosités de sentiment, réservons néanmoins toujours in petto un petit magot pour notre usage exclusif.

Tu peindras le vin, l’amour, les femmes, la gloire, à condition, mon bonhomme, que tu ne seras ni ivrogne, ni amant, ni mari, ni tourlourou. Mêlé à la vie, on la voit mal, on en souffre ou on en jouit trop. L’artiste, selon moi, est une monstruosité, quelque chose hors nature, tous les malheurs dont la Providence l’accable lui viennent de l’entêtement qu’il a à nier cet axiome — il en souffre et en fait souffrir. Qu’on interroge là-dessus les femmes qui ont aimé des poètes et les hommes qui ont aimé des actrices.

L’homme de l’avenir aura peut-être des joies immenses. Il voyagera dans les étoiles, avec des pilules d’air dans sa poche. Nous sommes venus, nous autres, ou trop tôt ou trop tard. Nous aurons fait ce qu’il y a de plus difficile et de moins glorieux : la transition.

Pour établir quelque chose de durable, il faut une base fixe ; l’avenir nous tourmente et le passé nous retient. Voilà pourquoi le présent nous échappe.

La bêtise est quelque chose d’inébranlable, rien ne l’attaque sans se briser contre elle ; elle est de la nature du granit, dure et résistante.

Celui qui, voyageant, conserve de soi la même estime qu’il avait dans son cabinet en se regardant tous les jours dans sa glace, est un bien grand homme ou un bien robuste imbécile. Je ne sais pourquoi, mais je deviens très humble.

Quel lourd aviron qu’une plume et combien l’idée, quand il la faut creuser avec, est un dur courant !

D’un homme à un autre homme, d’une femme à une autre femme, d’un cœur à un autre cœur, quels abîmes ! La distance d’un continent à l’autre n’est rien à côté.

Il n’y a rien de plus inutile que ces amitiés héroïques qui demandent des circonstances pour se prouver.

Le difficile, c’est de trouver quelqu’un qui ne vous agace pas les nerfs dans toutes les occurrences de la vie.

Je crois, comme le paria de Bernardin de Saint-Pierre, que le bonheur se trouve avec une bonne femme. Le tout est de la rencontrer, et d’être soi-même un bon homme, condition double et effrayante. 

Il n’y a rien de plus vil sur la terre qu’un mauvais artiste, qu’un gredin qui côtoie toute sa vie le beau sans y jamais débarquer et y planter son drapeau.

Faire de l’art pour gagner de l’argent, flatter le public, débiter des bouffonneries joviales ou lugubres en vue du bruit ou des monacos, c’est là la plus ignoble des professions, par la même raison que l’artiste me semble le maître homme des hommes.

J’aimerais mieux avoir peint la chapelle Sixtine que gagné bien des batailles, même celle de Marengo. Ça durera plus longtemps et c’était peut-être plus difficile.

Le dernier franciscain qui court le monde pieds nus, qui a l’esprit borné et qui ne comprend pas les prières qu’il récite est aussi respectable peut-être qu’un Cardinal, s’il prie avec conviction, s’il accomplit son œuvre avec ardeur.

Les serments, les larmes, les désespoirs, tout cela coule comme une poignée de sable dans la main. Attendez, serrez un peu, il n’y aura tout à l’heure plus rien du tout.

Il est beau d’être un grand écrivain, de tenir les hommes dans la poêle à frire de sa phrase et de les y faire sauter comme des marrons. Il doit y avoir de délirants orgueils à sentir qu’on pèse sur l’humanité de tout le poids de son idée, mais il faut pour cela avoir quelque chose à dire.

L’art, au bout du compte, n’est peut-être pas plus sérieux qu’un jeu de quilles ; tout n’est peut-être qu’une immense blague, j’en ai peur, et quand nous serons de l’autre côté de la page, nous serons peut-être fort étonnés d’apprendre que le mot du rébus était si simple.

La bibliothèque d’un écrivain doit se composer de cinq à six livres, sources qu’il faut relire tous les jours. Quant aux autres, il est bon de les connaître et puis c’est tout. Mais c’est qu’il y a tant de manières différentes de lire, et cela demande tant d’esprit que de bien lire ! 

L’esprit sert à peu de choses dans les arts, à empêcher l’enthousiasme et à nier le génie, voilà tout.

Il est bien plus facile de discuter que de comprendre, et de bavarder d’art, idée du beau, idéal, etc., que de faire le moindre sonnet ou la plus petite phrase.

L’idéal de l’État, selon les socialistes, n’est-il pas une espèce de vaste monstre absorbant en lui toute action individuelle, toute personnalité, toute pensée et qui dirigera tout, fera tout ? Une tyrannie sacerdotale est au fond de ces cœurs étroits et il faut tout régler, tout refaire, reconstruire sur d’autres bases, etc.

De tous les gens de lettres décorés, il n’y en a qu’un seul de commandeur, c’est M. Scribe ! Quelle immense ironie que tout cela ! et comme les honneurs foisonnent quand l’honneur manque !

Quand on a son modèle net, devant les yeux, on écrit toujours bien, et où donc le vrai est-il plus clairement visible que dans ces belles expositions de la misère humaine ? Elles ont quelque chose de si cru que cela donne à l’esprit des appétits de cannibales. Il se précipite dessus pour les dévorer et se les assimiler.

Il est bon et il peut même être beau de rire de la vie, pourvu qu’on vive ; il faut se placer au-dessus de tout et placer son esprit au-dessus de soi-même, j’entends la liberté de l’idée, dont je déclare impie toute limite.

Le vrai n’est jamais dans le présent ; s’y l’on s’y attache, on y périt. A l’heure qu’il est je crois même qu’un penseur (et qu’est-ce que l’artiste si ce n’est un triple penseur ?) ne doit avoir ni religion, ni patrie, ni même aucune conviction sociale. Le doute absolu maintenant me paraît être si nettement démontré que vouloir le formuler serait presque une niaiserie.

L’esprit autrefois était un soleil solitaire, tout autour de lui il y avait le cielvide ; son disque maintenant, comme par un soir d’hiver, semble avoir pâli et il illumine toute la brume humaine de sa clarté confuse.

Les chefs-d’œuvre sont bêtes, ils ont la mine tranquille comme les productions mêmes de la nature, comme les grands animaux et les montagnes ; j’aime l’ordure, oui, et quand elle est lyrique comme dans Rabelais qui n’est point du tout un homme à gaudriole, mais la gaudriole est française. Pour plaire au goût français il faut cacher presque la poésie, comme on fait pour les pilules, dans une poudre incolore et la lui faire avaler sans qu’il s’en doute.

Ce qui distingue les grands génies, c’est la généralisation et la création ; ils résument en un type des personnalités éparses et apportent à la conscience du genre humain des personnages nouveaux ; est-ce qu’on ne croit pas à l’existence de Don Quichotte comme à celle de César ? Shakespeare est quelque chose de formidable sous ce rapport ; ce n’était pas un homme, mais un continent ; il y avait des grands hommes en lui, des foules entières, des paysages ; ils n’ont pas besoin de faire du style, ceux-là, ils sont forts en dépit de toutes les fautes et à cause d’elles ; mais nous, les petits, nous ne valons que par l’exécution achevée.

Les très grands hommes écrivent souvent fort mal et tant mieux pour eux. Ce n’est pas là qu’il faut chercher l’art de la forme, mais chez les seconds (Horace, La Bruyère), il faut savoir les maîtres par cœur, les idolâtrer, tâcher de penser comme eux, et puis s’en séparer pour toujours. Comme instruction technique, on trouve plus de profit à tirer des génies savants et habiles.

Moins on sent une chose, plus on est apte à l’exprimer comme elle est(comme elle est toujours en elle-même dans sa généralité et dégagée de tous ses contingents éphémères) mais il faut avoir la faculté de se la faire sentir. Cette faculté n’est autre que le génie : voir, avoir le modèle devant soi, qui pose. C’est pourquoi je déteste la poésie parlée, la poésie en phrases. Pour les choses qui n’ont pas de mots le regard suffit ; les exhalaisons d’âme, le lyrisme, les descriptions, je veux de tout cela en style ; ailleurs c’est une prostitution de l’art et du sentiment même.

Il n’y a rien de plus faible que de mettre en art des sentiments personnels, l’artiste doit s’arranger de façon à faire croire à la postérité qu’il n’a pas vécu ; moins je m’en fais une idée et plus il me semble grand ; je ne peux rien me figurer sur la personne d’Homère, de Rabelais, et quand je pense à Michel-Ange, je vois de dos seulement un vieillard de stature colossale sculptant la nuit aux flambeaux.


Les œuvres les plus belles sont celles où il y a le moins de matière ; plus l’expression se rapproche de la pensée, plus le mot colle dessus et disparaît, plus c’est beau. Je crois que l’avenir de l’art est dans ces voies ; je le vois à mesure qu’il grandit s’éthérisant tant qu’il peut, depuis les pylônes égyptiens jusqu’aux lancettes gothiques, et depuis les poèmes de vingt mille vers des Indiens jusqu’aux jets de Byron, la forme en devenant habile s’atténue ; elle quitte toute liturgie, toute règle, toute mesure ; elle abandonne l’épique pour le roman, le vers pour la prose ; elle ne se connaît plus d’orthodoxie et est libre comme chaque volonté qui la produit. Cet affranchissement de la matérialité se retrouve en tout, et les gouvernements l’ont suivi depuis les despotismes orientaux jusqu’aux socialismes futurs. C’est pour cela qu’il n’y a ni beaux ni vilains sujets et qu’on pourrait presque établir comme axiome, en se posant au point de vue de l’art pur, qu’il n’y en a aucun, le style étant à lui tout seul une manière absolue de voir les choses.

La femme est un produit de l’homme. Dieu a créé la femelle, et l’homme a fait la femme ; elle est le résultat de la civilisation, une œuvre factice. Dans les pays où toute culture intellectuelle est nulle, elle n’existe pas, car c’est une œuvre d’art, au sens humanitaire ; est-ce pour cela que toutes les grandes idées générales se sont symbolisées au féminin ?

Les femmes se défient trop des hommes en général, et pas assez en particulier, elles nous jugent tous comme des monstres, mais au milieu des monstres il y a un ange ; nous ne sommes ni monstres ni anges.

Quel artiste on serait si l’on n’avait jamais lu que du beau, vu que du beau, aimé que du beau. Si quelque ange gardien de la pureté de notre plume avait écarté de nous, dès l’abord, toutes les mauvaises connaissances, qu’on n’ait jamais fréquenté d’imbéciles ni lu de journaux. Les Grecs avaient de tout cela, ils étaient comme plastiqués dans des conditions que rien ne redonnera, mais vouloir se chausser de leurs bottes est démence. Ce ne sont pas des chlamydes qu’il faut au nord, mais des pelisses de fourrures. La forme antique est insuffisante à nos besoins, et notre vie n’est pas faite pour chanter ces airs simples. Soyons aussi artistes qu’eux si nous le pouvons, mais autrement qu’eux. La conscience du genre humain s’est changée depuis Homère. Le ventre de Sancho Pança fait craquer la ceinture de Vénus. Au lieu de nous acharner à reproduire de vieux chics, il faut s’évertuer à en inventer de nouveaux.

Les chevaux et les styles de race ont du sang plein les veines, et on le voit battre sous la peau et courir depuis l’oreille jusqu’aux sabots. La vie ! la vie ! c’est pour cela que j’aime tant le lyrisme. Il me semble la forme la plus naturelle de la poésie, elle est là toute nue et en liberté… Aussi comme les grands maîtres sont excessifs ! Ils vont jusqu’à la dernière limite de l’idée ; les bonshommes de Michel-Ange ont des câbles plutôt que des muscles, dans les bacchanales de Rubens on pisse par terre, voir tout Shakespeare, etc., etc., et le dernier des gens de la famille, le vieux père Hugo, quelle belle chose queNotre- Dame ! J’en ai relu dernièrement trois chapitres, celui des truands entre autres, c’est cela qui est fort.

Amants du beau, nous sommes tous des bannis et quelle joie quand on rencontre un compatriote sur cette terre d’exil.

Les matérialistes et les spiritualistes empêchent également de connaître la matière et l’esprit, parce qu’ils scindent l’un de l’autre.

Le cœur dans ses affections comme l’humanité dans ses idées s’étend sans cesse en cercles plus élargis.

On traite les femmes comme nous traitons le public, avec beaucoup de déférence extérieure et un souverain mépris en dedans. L’amour humilié se fait orgueil libertin.

Je crois que le succès auprès des femmes est généralement une marque de médiocrité et c’est celui-là pourtant que nous envions tous et qui couronne les autres ; mais on n’en veut pas convenir, et comme on considère comme très au-dessous de soi les objets de leur préférence, on arrive à cette conviction qu’elles sont stupides, ce qui n’est pas ; nous jugeons à notre point de vue, elles au leur ; la beauté n’est pas pour la femme ce qu’elle est pour l’homme ; on ne s’entendra jamais là-dessus, ni sur l’esprit ni sur le sentiment.

C’est dans la seconde période de la vie d’artiste que les voyages sont bons, mais dans la première il est mieux de jeter dehors tout ce qu’on a de vraiment intime, d’original, d’individuel.

La prose est née d’hier, voilà ce qu’il faut se dire. Le vers est la forme par excellence des littératures anciennes. Toutes les combinaisons prosodiques ont été faites, mais celles de la prose, tant s’en faut !

Le temps est passé du beau. L’humanité, quitte à y revenir, n’en a que faire pour le quart d’heure. Plus il ira, plus l’art sera scientifique, de même que la science deviendra artistique ; tous deux se rejoindront au sommet après s’être séparés à la base. Aucune pensée humaine ne peut prévoir maintenant à quels brillants soleils psychiques écloront les œuvres de l’avenir.

On n’écrit pas avec son cœur, mais avec sa tête, encore une fois, et si bien doué que l’on soit, il faut toujours cette vieille concentration qui donne vigueur à la pensée et relief au mot.

L’art est une représentation, nous ne devons penser qu’à représenter ; il faut que l’esprit de l’artiste soit comme la mer, assez vaste pour qu’on n’en voie pas les bords, assez pur pour que les étoiles du ciel s’y mirent jusqu’au fond.

Où est la limite de l’inspiration à la folie, de la stupidité à l’extase ? ne faut-il pas pour être artiste voir tout d’une façon différente de celle des autres hommes ? L’art n’est pas un jeu d’esprit, c’est une atmosphère spéciale ; mais qui dit qu’à force de descendre toujours plus avant dans les gouffres pour respirer un air plus chaud, on ne finit pas par rencontrer des miasmes funèbres ?

Le génie, c’est Dieu qui le donne, mais le talent nous regarde ; avec un esprit droit, l’amour de la chose et une patience soutenue on arrive à en avoir. La correction (je l’entends dans le plus haut sens du mot) fait à la pensée ce que l’eau du Styx faisait au corps d’Achille : elle la rend invulnérable et indestructible.

La forme est la chair même de la pensée, comme la pensée est l’âme de la vie ; plus les muscles de votre poitrine seront larges, plus vous respirerez à l’aise.

Vouloir donnera la prose le rythme du vers (en la laissant prose et très prose) et écrire la vie ordinaire comme on écrit l’histoire ou l’épopée (sans dénaturer le sujet) est peut-être une absurdité, voilà ce que je me demande quelquefois ; mais c’est peut-être aussi une grande tentative et très originale !

L’auteur dans son œuvre doit être comme Dieu dans l’univers, présent partout, et visible nulle part ; l’art étant une seconde nature, le créateur de cette nature-là doit agir par des procédés analogues ; que l’on sente dans tous les atomes, à tous les aspects, une impassibilité cachée, infinie ; l’effet pour le spectateur doit être une espèce d’ébahissement. Comment tout cela s’est-il fait ? doit-on dire, et qu’on se sente écrasé sans savoir pourquoi ; l’art grec était dans ce principe-là, et pour y arriver plus vite, il choisissait ses personnages dans des conditions sociales exceptionnelles, rois, dieux, demi-dieux ; on ne vous intéressait pas avec vous-mêmes, le divin était le but.

Il faut une volonté surhumaine pour écrire, et je ne suis qu’un homme.

La célébrité la plus complète ne vous assouvit point, et l’on meurt presquetoujours dans l’incertitude de son propre nom, à moins d’être un sot. Donc l’illustration ne vous classe pas plus à vos propres yeux que l’obscurité.

Quand on se compare à ce qui vous entoure, on s’admire, mais quand on lève les yeux plus haut, vers l’absolu, vers les maîtres, vers le rêve, comme on se méprise !

La poésie est une plante libre ; elle croît partout sans avoir été semée. Le poète n’est pas autre chose que le botaniste patient qui gravit les montagnes pour aller la cueillir.

Je suis un barbare, j’en ai l’apathie musculaire, les langueurs nerveuses, les yeux verts et la haute taille ; mais j’en ai aussi l’élan, l’entêtement, l’irascibilité. Normands, tous tant que nous sommes, nous avons quelque peu de cidre dans les veines, c’est une boisson aigre et fermentée et qui quelquefois fait sauter la bonde.

Chaque chose est un infini ; le plus petit caillou arrête la pensée tout comme l’idée de Dieu. Entre deux cœurs qui battent l’un sur l’autre il y a des abîmes, le néant est entre eux, toute la vie et le reste. L’âme a beau faire, elle ne brise pas sa solitude, elle marche avec elle, on se sent fourmi dans un désert, et perdu… perdu…

Je crois cet axiome vrai, à savoir que l’on aime le mensonge, mensonge pendant la journée et songe pendant la nuit. Voilà l’homme.

Quand on est jeune, on associe la réalisation future de ses rêves aux existences qui vous entourent. À mesure que ces existences disparaissent, les rêves s’en vont.

Je suis loin d’être l’homme de la nature qui se lève avec le soleil, s’endort comme les poules, boit l’eau des torrents, etc. Il me faut une vie factice et des milieux en tout extraordinaires. Ce n’est point un vice d’esprit, mais toute uneconstitution de l’homme ; reste à savoir, après tout, si ce qu’on appelle le factice n’est pas une autre nature.

La mélancolie elle-même n’est qu’un souvenir qui s’ignore.

Je crois à la race plus qu’à l’éducation, on emporte, quoi qu’en ait dit Danton, la patrie à la semelle de ses talons et l’on porte au cœur, sans le savoir, la poussière de ses ancêtres morts.

Ne nous lamentons sur rien ; se plaindre de tout ce qui nous afflige ou nous irrite, c’est se plaindre de la constitution même de l’existence. Nous sommes faits pour la peindre, nous autres, et rien de plus. Soyons religieux ; moi, tout ce qui m’arrive de fâcheux, en grand ou en petit, fait que je me resserre de plus en plus à mon éternel souci. Je m’y cramponne à deux mains et je ferme les deux yeux ; à force d’appeler la Grâce, elle vient. Dieu a pitié des simples et le soleil brille toujours pour les cœurs vigoureux qui se placent au-dessus des montagnes. Je tourne à une espèce de mysticisme esthétique (si les deux mots peuvent aller ensemble) et je voudrais qu’il fût plus fort.

Voilà ce que tous les socialistes du monde n’ont pas voulu voir avec leur éternelle prédication matérialiste, ils ont nié la douleur, ils ont blasphémé les trois quarts de la poésie moderne ; le sang du Christ qui se remue en nous, rien ne l’extirpera, rien ne le tarira, il ne s’agit pas de le dessécher, mais de lui faire des ruisseaux. Si le sentiment de l’insuffisance humaine, du néant de la vie, venait à périr (ce qui serait la conséquence de leur hypothèse) nous serions plus bêtes que les oiseaux qui au moins perchent sur les arbres.

A mesure que l’humanité se perfectionne, l’homme se dégrade ; quand tout ne sera plus qu’une combinaison économique d’intérêts bien contre-balancés, à quoi servira la vertu ? Quand la nature sera tellement esclave qu’elle aura perduses formes originales, où sera la plastique ?

L’incapacité des grandes pensées aux affaires n’est qu’un excès de capacité. Dans les grands vases une goutte d’eau n’est rien et elle emplit les petites bouteilles, mais la durée est là qui nous console ; que reste-t-il de tous les actifs, Alexandre, Louis XIV, etc., et Napoléon même, si voisin de nous ? La pensée est comme l’âme, éternelle, et l’action comme le corps, mortelle.

Le génie comme un fort cheval traîne à son cul l’humanité sur les routes de l’idée ; elle a beau tirer les rênes et par sa bêtise lui faire saigner les dents en hocquesonnant tant qu’elle peut le mors dans sa bouche, l’autre qui a les jarrets robustes continue toujours au grand galop par les précipices et les vertiges.

Il ne faut penser qu’aux triomphes que l’on se décerne, être soi-même son public, son critique. Le seul moyen de vivre en paix, c’est de se placer tout d’un bond au-dessus de l’humanité entière et de n’avoir avec elle rien de commun qu’un rapport d’art.

La fraternité est une des plus belles inventions de l’hypocrisie sociale. On crie contre les jésuites. O candeur ! nous en sommes tous.

J’aime les gens tranchants et énergumènes, on ne fait rien de grand sans le fanatisme. Le fanatisme est la religion, et les philosophes du xviiie siècle, en criant après l’un, renversaient l’autre. Le fanatisme est la foi, la foi même, la foi ardente, celle qui fait des œuvres et agit. La religion est une conception variable, une affaire d’invention humaine, une idée enfin ; l’autre un sentiment.

Il faut, pour bien faire une chose, que cette chose-là rentre dans votre constitution ; un botaniste ne doit avoir ni les mains, ni les yeux, ni la tête faits comme un astronome, et ne voir les astres que par rapport aux herbes. 

Une âme se mesure à la dimension de son désir, comme l’on juge d’avance des cathédrales à la hauteur de leurs clochers, et c’est pour cela que je hais la poésie bourgeoise, l’art domestique, quoique j’en fasse ; mais c’est bien la dernière fois ; au fond cela me dégoûte.

La femme entretenue a envahi la débauche comme le journaliste la poésie, nous nous noyons dans les demi-teintes. La courtisane n’existe pas plus que le saint ; il y a des soupeuses et des lorettes, ce qui même est encore plus fétide que la grisette.

Plus une œuvre est bonne, plus elle attire la critique ; c’est comme les puces qui se précipitent sur le linge blanc.

Il fut un temps où le patriotisme s’étendait à la cité, puis le sentiment peu à peu s’est élargi avec le territoire. Maintenant l’idée de Patrie est, Dieu merci, à peu près morte et on en est au socialisme, à l’humanitarisme (si l’on peuts’exprimer ainsi). Je crois que plus tard on reconnaîtra que l’amour de l’humanité est quelque chose d’aussi piètre que l’amour de Dieu, on aimera le juste en soi, le beau pour le beau ; le comble de la civilisation sera de n’avoir besoin d’aucun bon sentiment. Ce qui s’appelle les sacrifices seront inutiles, mais il faudra pourtant toujours un peu de gendarmes !

Le seul enseignement à tirer du régime actuel (basé sur le joli mot vox populi, vox Dei) est que l’idée du peuple est aussi usée que celle du roi ; que l’on mette donc ensemble la blouse du travailleur avec la pourpre du monarque et qu’on les jette de compagnie toutes deux aux latrines pour y cacher conjointement leur taches de sang et de boue ; elles en sont raides.

Ce qui me semble à moi le plus haut dans l’art (et le plus difficile) ce n’est ni de faire rire, ni de faire pleurer, ni de vous mettre en rut ou en fureur, mais d’agir à la façon de la nature, c’est-à-dire de faire rêver. Aussi les très belles œuvres ont ce caractère, elles sont sereines d’aspect et incompréhensibles quant au procédé, elles sont immobiles comme des falaises, houleuses comme l’océan, pleines de frondaisons, de verdures et de murmures comme les bois, tristes comme le désert, bleues comme le ciel — Homère, Rabelais, Michel-Ange, Shakespeare, Gœthe m’apparaissent impitoyables, cela est sans fond, infini, multiple. Par de petites ouvertures on aperçoit des précipices, il y a du noir en bas, du vertige, et cependant quelque chose de singulièrement doux plane sur l’ensemble ! C’est l’idéal de la lumière, le sourire du soleil, et c’est calme ! C’est calme ! et c’est fort.

Chacun de nous a dans le cœur un calendrier particulier d’après lequel il mesure le temps ; il y a des minutes qui sont des années, des jours qui marquent comme des siècles.

Nos joies comme nos douleurs doivent s’absorber dans notre œuvre ; on ne reconnaît pas dans les nuages les gouttes d’eau de la rosée que le soleil y a fait monter ! Évaporez-vous, pluie terrestre, larmes des jours anciens, et formez dans les cieux de gigantesques voûtes toutes pénétrées de soleil.

On doit être âme le plus possible et c’est par ce détachement que l’immense sympathie des choses et des êtres nous arrivera plus abondante. La France a été constituée du jour que les provinces sont mortes, et le sentiment humanitaire commence à naître sur les ruines des patries. Il arrivera un temps où quelque chose de plus large et de plus haut le remplacera, et l’homme aimera le néant même, tant il se sentira participant.

N’importe, bien ou mal, c’est une délicieuse chose que d’écrire, que de ne plus être soi, mais de circuler dans toute la création dont on parle.

Aujourd’hui, par exemple, homme et femme tout ensemble, amant et maîtresse à la fois, je me suis promené à cheval dans une forêt par une après-midi d’automne sous des feuilles jaunes, et j’étais les chevaux, les feuilles, le vent, les paroles qu’on se disait et le soleil rouge qui faisait s’entre-fermer leurs paupières noyées d’amour. Est-ce orgueil ou pitié, est-ce le débordement niais d’une satisfaction de soi-même exagérée ? ou bien un vague et noble sentiment de religion ? Mais quand je rumine après les avoir senties ces journées-là, je serais tenté de faire une prière de remerciement au bon Dieu si je savais qu’il pût m’entendre. Qu’il soit donc béni pour ne pas m’avoir fait naître marchand de coton, vaudevilliste, homme d’esprit, etc. Chantons Apollon comme aux premiers jours, aspirons à pleins poumons le grand air froid du Parnasse, frappons sur nos guitares et nos cymbales, et tournons comme des derviches dans l’éternel brouhaha des formes et des idées.

En fait d’injures, de sottises, de bêtises, etc., je trouve qu’il ne faut se fâcher que lorsqu’on vous le dit en face. Faites-moi des grimaces dans le dos tant que vous voudrez, mon cul vous contemple ! 

Les vieux époux finissent par se ressembler. Tous les gens de la même profession n’ont-ils pas le même air ?

« Qu’est-ce que ton devoir ? — L’exigence de chaque jour. » Cette pensée est de Gœthe, faisons notre devoir qui est de tâcher d’écrire bien, et quelle société de saints serait celle où seulement chacun ferait son devoir.

L’œuvre de la critique moderne est de remettre l’art sur son piédestal. On ne vulgarise pas le beau, on le dégrade, voilà tout. Qu’a-t-on fait de l’antiquité en voulant la rendre accessible aux enfants ? Quelque chose de profondément stupide ! Mais il est si commode pour tous de se servir d’expurgata, de traductions, d’atténuations, il est si doux pour les nains de contempler les géants raccourcis ! ce qu’il y a de meilleur dans l’art échappera toujours aux natures médiocres, c’est-à-dire aux trois quarts et demi du genre humain. Pourquoi dénaturer la vérité au profit de la bassesse ? 

Le vrai poète pour moi est un prêtre. Dès qu’il passe la soutane il doit quitter sa famille.

Personne n’est original au sens strict du mot, le talent comme la vie se transmet par infusion et il faut vivre dans un milieu noble, prendre l’esprit de société des maîtres ; il n’y a pas de mal à étudier à fond un génie complètement différent de celui qu’on a, parce qu’on ne peut le copier.

Il ne faut jamais craindre d’être exagéré, tous les très grands l’ont été, Michel-Ange, Rabelais, Shakespeare, Molière ; il s’agit de faire prendre un lavement à un homme (dans Pourceaugnac) ; on n’apporte pas une seringue, non, on emplit le théâtre de seringues et d’apothicaires, cela est tout bonnement le génie dans son vrai centre, qui est l’énorme. Mais pour que l’exagération ne paraisse pas, il faut qu’elle soit partout continue, proportionnée, harmonique à elle-même ; si vos bonshommes ont cent pieds il faut que les montagnes en aient vingt mille et qu’est-ce donc que l’idéal si ce n’est ce grossissement-là ?

L’artiste doit tout élever, il est comme une pompe, il a en lui un grand tuyau qui descend aux entrailles des choses, dans les couches profondes, il aspire et fait jaillir au soleil en gerbes géantes ce qui était plat sous terre et ce qu’on ne voyait pas.

On ne se lasse point de ce qui est bien écrit, le style c’est la vie ! c’est le sang même de la pensée !

L’idéal n’est fécond que lorsqu’on y fait tout rentrer. C’est un travail d’amour et non d’exclusion. Voilà deux siècles que la France marche suffisamment dans cette voie de négation ascendante ; on a de plus en plus diminué des livres la nature, la franchise, le caprice, la personnalité, et même l’érudition comme étant grossière, immorale, bizarre, pédantesque, et dans les mœurs on a pourchassé, honni et presque anéanti la gaillardise et l’aménité, les grandes manières, et les genres de vie libres, lesquels sont les féconds. On s’est guindé vers la décence ! Pour cacher des écrouelles on a haussé sa cravate. L’idéal jacobin et l’idéal Marmontellien peuvent se donner la main. Notre délicieuse époque est encore encombrée par cette double poussière. Robespierre et M. de la Harpe nous régentent du fond de leur tombe. Mais je crois qu’il y a quelque chose au-dessus de tout cela, à savoir : l’acceptation ironique de l’existence et sa refonte plastique et complète par l’art. Quant à nous, vivre ne nous regarde pas, ce qu’il faut chercher, c’est ne pas souffrir.

Le lieu commun n’est manié que par les imbéciles ou par les très grands ; les natures médiocres l’évitent, elles recherchent l’ingénieux, l’accidenté.

Nous sommes tous enfoncés au même niveau, dans une médiocrité commune. L’égalité sociale a passé dans l’esprit, on fait des livres pour tout le monde, de l’art pour tout le monde, de la science pour tout le monde, comme on construit des chemins de fer et des chauffoirs publics. L’humanité a la rage de l’abaissement moral, et je lui en veux de ce que je fais partie d’elle.

La générosité à l’encontre des gredins est presque une indélicatesse à l’encontre du bien.

Certaines natures ne souffrent pas. Les gens sans nerfs sont-ils heureux ? Mais de combien de choses ne sont-ils pas privés ? A mesure qu’on s’élève dans l’échelle des êtres, la faculté nerveuse augmente, c’est-à-dire la faculté de souffrir ; souffrir et penser seraient-ils donc même chose ? Le génie après tout n’est peut-être qu’un raffinement de la douleur, c’est-à-dire une méditation de l’objectif à travers notre âme ?

Il y a dans la Poétique de Ronsard un curieux précepte : il recommande au poète de s’instruire dans les arts et métiers, forgerons, orfèvres, serruriers, etc., pour y puiser les métaphores ; c’est là ce qui vous fait, en effet, une langue riche ; il faut que les phrases s’agitent dans un livre comme les feuilles dans une forêt, toutes dissemblables en leur ressemblance.

Je crois que si l’on regardait toujours les cieux, on finirait par avoir des ailes.

L’idéal est comme le soleil, il pompe à lui toutes les crasses de la terre.

Ce n’est pas tout que d’avoir des ailes, il faut qu’elles nous portent.

Il a été donné à l’antiquité de produire des êtres qui ont du fait de leur seule vie dépassé tout rêve possible ; ceux qui les veulent reproduire ne les connaissent pas, voilà ce que ça prouve. Quand on est jeune on se laisse tenter volontiers par ces resplendissantes figures dont l’auréole arrive jusqu’à nous, on tend les bras pour les rejoindre, on court vers elles… et elles reculent, elles reculent ; elles montent dans leurs nuages, elles grandissent, elles s’illuminent et comme le Christ aux apôtres, nous crient de ne pas chercher à les atteindre.

La médiocrité chérit la règle, moi je la hais ; je me sens contre elle et contre toute restriction, corporation, caste, hiérarchie, niveau, troupeau, une exécration qui m’emplit l’âme, et c’est par ce côté-là peut-être que je comprends le martyre.

N’est-il pas de la vie d’artiste, ou plutôt d’une œuvre d’art à accomplir, comme d’une grande montagne à escalader ? Dur voyage et qui demande une volonté acharnée ! D’abord on aperçoit d’en bas une haute cime ; dans les cieux, elle est étincelante de pureté ; elle est effrayante de hauteur ! et elle vous sollicite cependant à cause de cela même. On part, mais à chaque plateau de la route le sommet grandit, l’horizon se recule, on va par les précipices, les vertiges et les découragements, il fait froid ! et l’éternel ouragan des hautes régions vous enlève en passant jusqu’au dernier lambeau de votre vêtement ; la terre est perdue pour toujours, et le but sans doute ne s’atteindra pas. C’est l’heure où l’on compte ses fatigues, où l’on regarde avec épouvante les gerçures de sa peau. L’on n’a rien qu’une indomptable envie de monter plus haut, d’en finir, de mourir. Quelquefois, pourtant, un coup des vents du ciel arrive et dévoile à votre éblouissement des perfections innombrables, infinies, merveilleuses ! A vingt mille pieds sous soi, on aperçoit les hommes, une brise olympienne emplit nos poumons géants et l’on se considère comme un colosse ayant le monde entier pour piédestal. Puis le brouillard retombe et l’on continue à tâtons ! s’écorchant les ongles aux rochers et pleurant de la solitude ! N’importe ! mourons dans la neige, dans la blanche douleur de notre désir, au murmure des torrents de l’Esprit, et la figure tournée vers le soleil !

Au-dessus de la vie, au-dessus du bonheur, il y a quelque chose de bleu, d’ incandescent au grand ciel immuable et subtil dont les rayonnements qui nous arrivent suffisent à animer des mondes. La splendeur du génie n’est que le reflet pâle du verbe caché ; mais si ces manifestations nous sont à nous autres impossibles à cause de la faiblesse de nos natures, l’amour, l’amour, l’aspiration nous y renvoie, elle nous pousse vers lui, nous y confond, nous y mêle. On peut y vivre ; des peuples entiers n’en sont pas sortis, et il y a des siècles qui ont ainsi passé dans l’humanité comme des comètes dans l’espace tout échevelées et sublimes.

Les grandes passions, je ne dis pas les turbulentes, mais les hautes, les larges sont celles à qui rien ne peut nuire, et dans lesquelles plusieurs autres peuvent se mouvoir. Aucun accident ne peut déranger une harmonie qui comprend en soi tous les cas particuliers ; sans un tel amour, d’autres amours même auraient pu venir : il eût été tout le cœur ! 

Je crois que le plus grand caractère du génie est avant tout la force. Donc, ce que je déteste le plus dans les arts, ce qui me crispe, c’est l’ingénieux,l’esprit.

Tout ce qu’on invente est vrai ; la poésie est une chose aussi précise que la géométrie ; l’induction vaut la déduction ; et puis, arrivé à un certain endroit, on ne se trompe plus quant à tout ce qui est de l’âme ; ma pauvre Bovary, sans doute, souffre et pleure dans vingt villages de France à la fois, à cette heure même.

Il n’y a pas besoin de gravir les montagnes ou de descendre au fleuve pour puiser de l’eau ; dans un espace grand comme la main, enfoncez la sonde et frappez dessus, il jaillira des fontaines. Le puits artésien est un symbole, et les Chinois, qui l’ont connu de tout temps, sont un grand peuple.

Oui, je soutiens (et ceci, pour moi, doit être un dogme pratique dans la vie d’artiste) qu’il faut faire dans son existence deux parts : vivre en bourgeois et penser en demi-dieu. Les satisfactions du corps et de la tête n’ont rien de commun ; s’ils se rencontrent mêlés, prenez-les et gardez-les ; mais ne les cherchez pas réunis, car ce serait factice, et cette idée de bonheur, du reste, est la cause presque exclusive de toutes les infortunes humaines.

On s’étonne des mystiques, mais le secret est là : leur amour, à la manière des torrents, n’avait qu’un seul lit, étroit, profond, en pente, et c’est pour cela qu’il emportait tout.

Si vous voulez à la fois chercher le Bonheur et le Beau, vous n’atteindrez ni à l’un ni à l’autre, car le second n’arrive que par le sacrifice ; l’art, comme le Dieu des Juifs, se repaît d’holocaustes.

Au reste, toutes les difficultés que l’on éprouve en écrivant viennent dumanque d’ordre. C’est une conviction que j’ai maintenant. Si vous vous acharnez à une tournure ou à une expression qui n’arrive pas, c’est que vous n’avez pas l’idée. L’image ou le sentiment bien net dans la tête amène le mot sur le papier, l’un coule de l’autre.

La personnalité sentimentale sera ce qui plus tard fera passer pour puérile et un peu niaise une bonne partie de la littérature contemporaine. Que de sentiment, que de sentiment ! que de tendresses, que de larmes ! il n’y aura jamais eu de si braves gens. Il faut avoir avant tout du sang dans les phrases et non de la lymphe ; et quand je dis du sang c’est du cœur ; il faut que cela batte, que cela palpite, que cela émeuve ; il faut faire s’aimer les arbres et tressaillir les granits ; on peut mettre un immense amour dans l’histoire d’un brin d’herbe : la fable des deux pigeons m’a toujours plus ému que tout Lamartine, et ce n’est pas le sujet ; mais si La Fontaine avait dépensé d’abord sa faculté aimante dans l’exposition de ses sentiments personnels, lui en serait-il resté suffisamment pour peindre l’amitié des deux oiseaux ? Prenons garde de dépenser en petite monnaie nos pièces d’or.

Il n’y a que les lieux communs et les pays connus qui soient d’une intarissable beauté.

A Paris, le char d’Apollon, est un fiacre ; la célébrité s’y obtient à force de courses.

C’est donc quelque chose de bien atrocement délicieux que d’écrire, pour qu’on reste à s’acharner ainsi, en des tortures pareilles, et qu’on n’en veuille pas d’autres. Il y a là-dessous un mystère qui m’échappe ! la vocation est peut-être comme l’amour du pays natal (que j’ai peu, du reste), un certain lien fatal des hommes aux choses. Le Sibérien dans ses neiges et le Hottentot dans sa hutte vivent contents, sans rêver soleil ni palais. Quelque chose de plus fort qu’eux les attache à leur misère, et nous nous débattons dans les formes. Poètes, sculpteurs, peintres et musiciens, nous respirons l’existence à travers la phrase, le contour, la couleur ou l’harmonie, et nous trouvons tout cela le plus beau du monde !

Rappelons-nous toujours que l’impersonnalité est le signe de la force ; absorbons l’objectif et qu’il circule en nous, qu’il se reproduise au dehors sans qu’on puisse rien comprendre à cette chimie merveilleuse. Notre cœur ne doit être bon qu’à sentir celui des autres. Soyons des miroirs grossissants de la vérité externe.

Toute correction doit être faite avec sens ; il faut bien ruminer son objectif avant de songer à la forme, car elle n’arrive bonne que si l’illusion du sujet nous obsède.

Nous vivons dans un monde où l’on s’habille de vêtements tout confectionnés. Donc, tant pis pour vous si vous êtes trop grand.

Un livre, cela vous crée une famille éternelle dans l’humanité. Tous ceux qui vivront de vos pensées, ce sont comme des enfants attablés à votre foyer. Aussi quelle reconnaissance j’ai, moi, pour ces pauvres vieux braves dont on se bourre à si large gueule, qu’il semble qu’on a connus, et auxquels on rêve comme à des amis morts.

Quand on ne peut pas entraîner la société derrière soi, on se met à sa remorque comme les chevaux du roulier lorsqu’il s’agit de descendre une côte ; alors la machine en mouvement vous emporte, c’est un moyen d’avancer. On est servi par les passions du jour et par la sympathie des envieux. C’est là le secret des grands succès et des petits aussi.

L’art ne réclame ni complaisance ni politesse, rien que la foi, la foi toujours et la liberté.

Chaque rêve finit par trouver sa forme ; il y a des ondes pour toutes les soifs, de l’amour pour tous les cœurs. Et puis, rien ne fait mieux passer la vieque la préoccupation incessante d’une idée, qu’un idéal, comme disent les grisettes… Folie pour folie, prenons les plus nobles. Puisque nous ne pouvons décrocher le soleil, il faut boucher toutes nos fenêtres et allumer des lustres dans notre chambre.

Qui vous dit que votre jugement humain soit infaillible ? que votre sentiment ne vous abuse pas ? Comment pouvons-nous, avec nos sens bornés et notre intelligence finie, arriver à la connaissance absolue du vrai et du bien ? Saisirons-nous jamais l’absolu ? Il faut, si l’on veut vivre, renoncer à avoir une idée nette de quoi que ce soit. L’humanité est ainsi, il ne s’agit pas de la changer, mais de la connaître. Pensez moins à vous, abandonnez l’espoir d’une solution, elle est au sein du Père, lui seul la possède et ne la communique pas, mais il y a dans l’ardeur de l’étude des joies idéales faites pour les nobles âmes.

Un livre peut être plein d’énormités et de bévues et n’en être pas moins fort beau. Une pareille doctrine, si elle était admise, serait déplorable, je le sais, en France surtout, où l’on a le pédantisme et l’ignorance, mais je vois dans la tendance contraire (qui est la mienne, hélas !) un grand danger ; — l’étude de l’habit nous fait oublier l’âme. — Je donnerais la demi-rame de notes que j’ai écrites depuis cinq mois, et les 98 volumes que j’ai lus, pour être, pendant trois secondes seulement, réellement émotionné par la passion de mes héros. Prenons garde de tomber dans le brimborion, on reviendrait ainsi tout doucement à la Cafetière de l’abbé Delille. Il y a toute une école de peinture maintenant qui, à force d’aimer Pompéi, en est arrivée à faire plus rococo que Girodet. Je crois donc qu’il ne faut rien aimer, c’est-à-dire qu’il faut planer impartialement au-dessus de tous les objectifs.

La vie, la mort, la joie et les larmes, tout cela se vaut, en définitive. Du haut de la planète de Saturne, notre univers est une petite étincelle ; il faut tâcher, je le sais bien, d’être par l’esprit aussi haut placé que les étoiles. Mais cela n’est pas facile continuellement. Avez-vous remarqué comme nous aimons nos douleurs ?… Mais nous ne valons peut-être quelque chose que par nos souffrances, car elles sont toutes des aspirations. Il y a tant de gens dont la joie est si immonde et l’idéal si borné, que nous devons bénir notre malheur, s’il nous fait plus dignes.

Le malheur de la vie se passe à dire : « il est trop tôt », — puis : « il est trop tard ».

C’est parce que je crois à l’évolution perpétuelle de l’humanité et à ses formes incessantes, que je hais tous les cadres où on veut la fourrer de vive force, toutes les formalités dont on la définit, tous les plans que l’on rêve pour elle. La démocratie n’est pas plus son dernier mot que l’esclavage ne l’a été, que la féodalité ne l’a été, que la monarchie ne l’a été. L’horizon perçu par les yeux humains n’est jamais le rivage, parce qu’au delà de cet horizon il y en a un autre, et toujours ! Ainsi chercher la meilleure des religions ou le meilleur des gouvernements, me semble une folie niaise. Le meilleur, pour moi, c’est celui qui agonise, parce qu’il va faire place à un autre.

Les gens légers, bornés, les esprits présomptueux et enthousiastes veulent en toute chose une conclusion ; ils cherchent le but de la vie, et la dimension de l’infini ; ils prennent dans leur pauvre petite main une poignée de sable et ils disent à l’océan : « Je vais compter les grains de tes rivages. » Mais comme les grains leur coulent entre les doigts, et que le calcul est long, ils trépignent et ils pleurent. Savez-vous ce qu’il faut faire sur la grève ? Il faut s’agenouiller ou se promener.

Les mots sublimes (que l’on rapporte dans les histoires) ont été dits souvent par des simples. Ce qui n’est nullement un argument contre l’art, au contraire, car ils avaient ce qui fait l’art même, à savoir la pensée concrétée, un sentiment quelconque, violent, et arrivé à son dernier état d’idéal : « Si vous aviez la foi, vous remueriez des montagnes » est aussi le principe du beau, ce qui se traduit plus prosaïquement : « Si vous saviez précisément ce que vous voulez dire, vous le diriez bien. » Aussi n’est-il pas très difficile de parler de soi, mais des autres !

Notre âme est une bête féroce ; toujours affamée, il faut la gorger jusqu’à la gueule pour qu’elle ne se jette pas sur nous. Rien n’apaise plus qu’un long travail. L’érudition est chose rafraîchissante. Combien je regrette souvent de n’être pas un savant, et comme j’envie ces calmes existences passées à étudier des pattes de mouches, des étoiles ou des fleurs !

Quand une fois on a baisé un cadavre au front, il vous en reste toujours sur les lèvres quelque chose, une amertume infinie, un arrière-goût de néant que rien n’efface.

Comme nous souffrons par nos affections ! Il n’est pas d’amour qui ne soit parfois aussi lourd à porter qu’une haine ! 

Le seul moyen de supporter l’existence, c’est de s’étourdir dans la littérature comme dans une orgie perpétuelle. Le vin de l’art cause une longue ivresse, et il est inépuisable. C’est de penser à soi qui rend malheureux.

Le style est autant sous les mots que dans les mots. C’est autant l’âme que la chair d’une œuvre.

Et d’ailleurs je ne sais (et personne ne sait) ce que veulent dire ces deux mots : âme et corps, où l’une finit, où l’autre commence ; nous sentons desforces, et puis c’est tout. Le matérialisme et le spiritualisme pèsent encore trop sur la conscience de l’homme pour que l’on étudie impartialement tous ces phénomènes. L’anatomie du cœur humain n’est pas encore faite. Comment voulez-vous qu’on le guérisse ? Ce sera l’unique gloire du xixe siècle que d’avoir commencé ces études. Le sens historique est tout nouveau dans ce monde. On va se mettre à étudier les idées comme des faits et à disséquer lescroyances comme des organismes. Il y a toute une école qui travaille dans l’ombre et qui fera quelque chose, j’en suis sûr.

Comme nous nous attachons aux choses ! C’est surtout quand on voyage que l’on sent profondément la mélancolie de la nature, qui n’est que celle de notre âme projetée sur les objets. Il m’est arrivé d’avoir des larmes aux yeux en quittant tel paysage. Pourquoi ?

L’envie du succès, le besoin de réussir quand même, à cause du profit, a tellement démoralisé la littérature, qu’on devient stupide de timidité. L’idée d’une chute ou d’un blâme les fait tous foirer de peur dans leurs culottes : « Cela vous est bien commode à dire, vous, parce que vous avez des rentes », réponse commode et qui relègue la moralité parmi les choses de luxe.

Tout ce qui touche une plume doit avoir trop de reconnaissance à Hugo pour se permettre une critique ; mais je trouve, intérieurement, que les dieux vieillissent.

Un bon sujet de roman est celui qui vient tout d’une pièce, d’un seul jet. C’est une idée mère d’où toutes les autres découlent. On n’est pas du tout libre d’écrire telle ou telle chose. On ne choisit pas son sujet. Voilà ce que le public et les critiques ne comprennent pas. Le secret des chefs-d’œuvre est là, dans la concordance du sujet et du tempérament de l’auteur.

Expliquer le mal par le péché originel, c’est ne rien expliquer du tout. La recherche de la cause est antiphilosophique, antiscientifique et les religions en cela me déplaisent encore plus que les philosophies, puisqu’elles affirment la connaître. Que ce soit un besoin du cœur, d’accord. C’est ce besoin-là qui est respectable, et non des dogmes éphémères.

La rage de vouloir conclure est une des manies les plus funestes et les plus stériles qui appartiennent à l’humanité. Chaque religion et chaque philosophie a prétendu avoir Dieu à elle, toiser l’infini et connaître la recette du bonheur. Quel orgueil et quel néant ! Je vois, au contraire, que les plus grands génies et les plus grandes œuvres n’ont jamais conclu. Homère, Shakespeare, Gœthe, tous les fils aînés de Dieu (comme dit Michelet) se sont bien gardés de faire autre chose que représenter. Nous voulons escalader le ciel ; eh bien, élargissons d’abord notre esprit et notre cœur. Hommes d’aspirations célestes nous sommes tous enfoncés dans les fanges de la terre jusqu’au cou. La barbarie du moyen âge nous étreint encore par mille préjugés, mille coutumes.

Je viens d’avaler Lamennais, Saint-Simon, Fourier et je reprends Proudhon d’un bout à l’autre. Si on veut ne rien connaître de tous ces gens-là, c’est de lire les critiques et les résumés faits sur eux ; car on les a toujours réfutés ou exaltés, mais jamais exposés. Il y a une chose saillante et qui les lie tous : c’est la haine de la liberté, la haine de la Révolution française et de la philosophie. Ce sont tous des bonshommes du moyen âge, esprits enfoncés dans le passé. Et quels cuistres ! quels pions ! Des séminaristes en goguette ou des caissiers en délire. S’ils n’ont pas réussi en 48, c’est qu’ils étaient en dehors du grand courant traditionnel. Le socialisme est une face du passé, comme le jésuitisme de l’autre. Le grand maître de Saint-Simon était M. de Maistre et l’on n’a pas dit tout ce que Proudhon et Louis Blanc ont pris à Lamennais. L’école de Lyon, qui a été la plus active, est toute mystique à la façon des Lollards. Les bourgeois n’ont rien compris à tout cela. On a senti instinctivement ce qui fait le fond de toutes ces utopies sociales : la tyrannie, l’anti-nature, la mort de l’âme.

On fausse toujours la réalité quand on veut l’amener à une conclusion qui n’appartient qu’à Dieu seul.

Quand on a pris un livre, il faut l’avaler d’un seul coup : c’est le seul moyen de voir l’ensemble et d’en tirer profit. Accoutume-toi à poursuivre une idée. Puisque tu es mon élève, je ne veux pas que tu aies ce décousu dans les pensées, ce peu d’esprit de suite, qui est l’apanage des personnes de ton sexe.

La vie doit être une éducation incessante, il faut tout apprendre, depuis parler jusqu’à mourir.

Et, bien que j’aie de grands besoins (dont je ne dis mot), je me ferais plutôt pion dans un collège que d’écrire quatre lignes pour de l’argent. J’aurais pu être riche, j’ai tout envoyé faire f… et je reste comme un Bédouin dans mon désert et dans ma noblesse.

Les plus forts y ont péri. L’art est un luxe ; il veut des mains blanches et calmes. On fait d’abord une petite concession, puis deux, puis vingt. On s’illusionne sur sa moralité pendant longtemps. Puis on s’en f… complètement et puis on devient imbécile, tout à fait, ou approchant. 

L’artiste doit être dans son œuvre comme Dieu dans la création, invisible et tout-puissant, qu’on le sente partout, mais qu’on ne le voie pas. Et puis l’art doit s’élever au-dessus des affections personnelles et des susceptibilités nerveuses ! il est temps de lui donner, par une méthode impitoyable, la précision des sciences physiques !

Les hommes trouveront toujours que la chose la plus sérieuse de leur existence, c’est jouir.

La femme, pour nous tous, est l’ogive de l’infini. Cela n’est pas noble, mais tel est le vrai fond du mâle.

Bien des choses s’expliqueraient si nous pouvions connaître notre généalogie véritable, car les éléments qui font un homme étant bornés, les mêmes combinaisons doivent se reproduire. Ainsi l’hérédité est un principe juste qui a été mal appliqué. 

Les sciences psychologiques resteront où elles gisent, c’est-à-dire dans les ténèbres et la folie, tant qu’elles n’auront pas une nomenclature exacte et qu’il sera permis d’employer la même expression pour signifier les idées les plus diverses.

Les grandes natures, qui sont les bonnes, sont avant tout prodigues et n’y regardent pas de si près à se dépenser. Il faut rire et pleurer, aimer, travailler, jouir et souffrir, enfin vibrer autant que possible dans toute son étendue. Voilà, je crois, le vrai humain.

Bien que je sois dans le troupeau de ses petits-fils, cet homme (J.-J. Rousseau) me déplaît. Je crois qu’il a eu une influence funeste ? C’est le générateur de la démocratie envieuse et tyrannique. Les brumes de sa mélancolie ont obscurci dans les cerveaux français l’idée du droit.

Du jour où je ne serai plus indigné, je tomberai à plat, comme une poupée à qui on retire son bâton. 

Imaginez un homme qui, avec des balances de mille coudées, voudrait peser le sable de la mer. Quand il aurait empli ses deux plateaux, ils déborderaient et son travail ne serait pas plus avancé qu’au commencement. Toutes les philosophies en sont là. Elles ont beau dire : « Il y a un poids cependant, il y a un certain chiffre qu’il faut savoir, essayons » ; on élargit les balances, la corde casse et toujours, ainsi toujours !

Le but ! la cause ! mais nous serions Dieu, si nous tenions la cause, et à mesure que nous irons, elle se reculera indéfiniment, parce que notre horizon s’élargira. Plus les télescopes seront parfaits, et plus les étoiles seront nombreuses. Nous sommes condamnés à rouler dans les ténèbres et dans les larmes.

Tout dépend de la valeur que nous donnons aux choses. C’est nous qui faisons la moralité et la vertu. Le cannibale qui mange son semblable est aussi innocent que l’enfant qui suce son sucre d’orge. 

Le roman, selon moi, doit être scientifique, c’est-à-dire rester dans les généralités probables.

On n’est idéal qu’à la condition d’être réel, et on n’est vrai qu’à force de généraliser.

Tout le progrès qu’on peut espérer, c’est de rendre la brute un peu moins méchante. Mais quant à hausser les idées de la masse, à lui donner une conception de Dieu plus large et partant moins humaine, j’en doute, j’en doute.

Je ne veux avoir ni amour, ni haine, ni pitié, ni colère. Quant à la sympathie, c’est différent : jamais on n’en a assez.

La muse, si revêche qu’elle soit, donne moins de chagrin que la femme. Je ne peux accorder l’une avec l’autre. Il faut opter. Mon choix est fait depuis longtemps.

Les hommes purement intellectuels ont rendu plus de services au genre humain que tous les saint Vincent de Paul du monde. Et la politique sera une éternelle niaiserie tant qu’elle ne sera pas une dépendance de la science.

On se paie de mots dans cette question de l’immortalité, car la question est de savoir si le moi persiste. L’affirmative me paraît une outrecuidance de notre orgueil, une protestation de notre faiblesse contre l’ordre éternel. La mort n’a peut-être pas plus de secrets à nous révéler que la vie ?

Ce ne sont pas en effet les grands malheurs qui sont à craindre dans la vie, mais les petits, j’ai plus peur de piqûres d’épingles que de coups de sabre, de même on n’a pas besoin à toute heure de dévouements et de sacrifices, mais il nous faut toujours de la part d’autrui des semblants d’amitié et d’affection, des attentions et des manières.

Le paysan, qui est plat comme une punaise par amour de son bien, se transforme en bête féroce dès qu’il a perdu sa vache. 

Tout homme (selon moi) si infime qu’il soit, a droit à une voix, la sienne, mais n’est pas l’égal de son voisin, lequel peut le valoir cent fois. Dans une entreprise (société anonyme) chaque actionnaire vote en raison de son apport : il en devrait être ainsi dans le gouvernement d’une nation. Je vaux bien vingt électeurs de Croisset ; l’argent, l’esprit et la race même doivent être comptés, bref toutes les forces, or, jusqu’à présent je n’en vois qu’une : le nombre.

La masse, le nombre est toujours idiot. Je n’ai pas beaucoup de convictions, mais j’ai celle-là fortement. Cependant il faut respecter la masse, si inepte qu’elle soit, parce qu’elle contient des germes d’une fécondité incalculable. Donnez-lui la liberté, mais non le pouvoir.

Nous ne souffrons que d’une chose : la bêtise. Mais elle est formidable et universelle. Quand on parle de l’abrutissement de la plèbe, on dit une chose injuste, incomplète. Conclusion : il faut éclairer les classes éclairées. Commencez par la tête, c’est ce qui est le plus malade, le reste suivra.

Quand tout le monde pourra lire le Petit Journal et le Figaro, on ne lira pas autre chose, puisque le bourgeois, le monsieur riche ne lit rien de plus. La presse est une école d’abrutissement, parce qu’elle dispense de penser. Le premier remède serait d’en finir avec le suffrage universel, la honte de l’esprit humain.

Pour que la France se relève, il faut qu’elle passe de l’inspiration à la Science, qu’elle abandonne toute métaphysique, qu’elle entre dans la critique, c’est-à-dire dans l’examen des choses.

Je crois que la foule, le troupeau sera toujours haïssable ; il n’y a d’important qu’un petit groupe d’esprits, toujours les mêmes, et qui se repassent le flambeau. Tant qu’on ne s’inclinera pas devant les mandarins, tant que l’Académie des sciences ne sera pas le remplaçant du pape, la politique tout entière et la société, jusque dans ses racines, ne sera qu’un ramassis de blagues écœurantes.

Le peuple est un éternel mineur, et il sera toujours (dans la hiérarchie des éléments sociaux) au dernier rang, puisqu’il est le nombre, la masse, l’illimité.

Je hais la démocratie (telle du moins qu’on l’entend en France) c’est-à-dire l’exaltation de la grâce au détriment de la justice, la négation du droit, en un mot l’anti-sociabilité.

Les ouvriers de luxe sont inutiles dans la société où la plèbe domine.

Nous périssons par l’indulgence, par la clémence, par la vacherie et (j’en reviens à mon éternel refrain) par le manque de justice !

La méthode est tout ce qu’il y a de plus haut dans la critique, puisqu’elle donne le moyen de créer. 

Je me suis remis à travailler, car l’existence n’est tolérable que si on oublie sa misérable personne.

Le principal en ce monde est de tenir son âme dans une région haute, loin des fanges bourgeoises et démocratiques. Le culte de l’art donne de l’orgueil ; on n’en a jamais trop, telle est ma morale.

On devrait faire de l’art exclusivement pour soi : on n’en aurait que les jouissances ; mais, dès qu’on veut faire sortir son œuvre du « silence du cabinet », on souffre trop, surtout quand on est, comme moi, un véritable écorché. Le moindre contact me déchire. Je suis plus que jamais irascible, intolérant, insociable, exagéré, Saint-Polycarpien.

La légitimité n’est pas plus viable que la Commune, ce sont deux âneries historiques.

La première qualité pour voir est de posséder de bons yeux. Or, s’ils sont troublés par les passions, c’est-à-dire par un intérêt personnel, les choses vous échappent. Un bon cœur donne tant d’esprit.

Quand on réfléchit un peu sérieusement, on est tenté de se casser la gueule. C’est pourquoi il faut agir. Le livre qu’on lit a beau être bête, il importe de le finir ; celui qu’on entreprend peut être idiot, n’importe ! écrivons-le ! La fin de Candide « cultivons notre jardin » est la plus grande leçon de morale qui existe.

On n’arrange pas sa destinée, on la subit.

Quand on devient vieux, les habitudes sont une tyrannie..... Tout ce qui s’en va, tout ce que l’on quitte a le caractère de l’irrévocable, et on sent la mort marcher sur vous. Si à la ruine intérieure que l’on sent très bien, des ruines du dehors s’ajoutent, on est tout simplement écrasé.

Dans l’idéal que j’ai de l’art, je crois qu’on ne doit rien montrer de sesconvictions et que l’artiste ne doit pas plus apparaître dans son œuvre que Dieu dans la nature. L’homme n’est rien, l’œuvre tout !

Autant que possible, il ne faut jamais rêver qu’à un objet en dehors de nous, autrement on tombe dans l’océan de tristesse.

La table d’hôte, la cloche ! et tout le reste ! cette vie de bestiaux qu’on mène ensemble a quelque chose qui nous ravale. C’est le rêve moderne, démocratie, égalité !

Les morts sont plus agréables que les trois quarts des vivants, les souvenirs de cette nature sont pleins de douceur, quand on a passé par les grandes amertumes.

Quand je découvre une mauvaise assonance ou une répétition dans une de mes phrases, je suis sûr que je patauge dans le faux ; à force de chercher, je trouve l’expression juste qui était la seule et qui est, en même temps, l’harmonieuse. Le mot ne manque jamais quand on possède l’idée.

Si le lecteur ne tire pas d’un livre la moralité qui doit s’y trouver, c’est que le lecteur est un imbécile ou que le livre est faux au point de vue de l’exactitude. Car du moment qu’une chose est vraie, elle est bonne. Les livres obscènes ne sont même immoraux que parce qu’ils manquent de vérité. Ça ne se passe pas comme ça dans la vie.

Le succès est une conséquence et ne doit pas être un but.

S’écarter des journaux ! la haine de ces boutiques-là est le commencement de l’amour du Beau. Elles sont par essence hostiles à toute personnalité un peu au-dessus des autres. L’originalité, sous quelque forme qu’elle se montre, les exaspère. 

Dans la jeunesse on est vert et dur, on s’attendrit plus tard, et enfin l’on arrive à être blette comme une poire d’edouin.

Tous les procès de presse, tous les empêchements à la pensée me stupéfient par leur profonde inutilité ; l’expérience est là pour prouver que jamais ils n’ont servi à rien. N’importe ! on ne s’en lasse pas. La sottise naturelle est au pouvoir. Je hais frénétiquement ces idiots qui veulent écraser la muse sous les talons de leurs bottes ; d’un revers de sa plume, elle leur casse la gueule et remonte au ciel. Mais ce crime-là, qui est la négation du Saint-Esprit, est le plus grand des crimes et peut-être le seul crime.

Voici un verset d’Isaïe que je me répète sans cesse, et qui m’obsède, tant je le trouve sublime : « Qu’ils sont beaux sur les montagnes les pieds du messager qui apporte de bonnes nouvelles ». Creuse-moi ça, songes-y ! quel horizon ! quelle bouffée de vent dans la poitrine ! 

« Tout pour les dames », ça se dit, mais « l’art avant tout », ça se pratique.

L’histoire des arts n’est qu’un martyrologe ; tout ce qui est escarpé est plein de précipices, tant mieux ! moins de gens peuvent y atteindre.

Voilà la vraie immoralité : l’ignorance et la bêtise ; le diable n’est pas autre chose. Il se nomme Légion.

Du moment que vous vous élevez, on (l’éternel et exécrable on) vous rabaisse. C’est pour cela que l’autorité est haïssable essentiellement. Je demande ce qu’elle a jamais fait de bien dans le monde.

Il ne suffit pas d’avoir de l’esprit. Sans le caractère, les œuvres d’art, quoi qu’on fasse, seront toujours médiocres ; l’honnêteté est la première condition de l’esthétique.

Ce qui nous manque, ce sont les principes. On a beau dire, il en faut, reste à savoir lesquels. Pour un artiste, il n’y en a qu’un : tout sacrifier à l’art. La vie doit être considérée par lui comme un moyen, rien de plus, et la première personne dont il doit se f… c’est de lui-même.

Et puis ceux qu’on croit ne plus aimer, on les aime encore. — Rien ne s’éteint complètement. Après le feu la fumée, qui dure plus longtemps que lui.

Le succès matériel ne doit être qu’un résultat, et jamais un but. Autrement, on perd la boule, on n’a même plus le sens pratique. Faisons bien, puis advienne que pourra !

Il ne faut plaindre la mort que des heureux, c’est-à-dire celle de fort peu de gens.

Le mépris de la gloriole et du gain est la première marche pour atteindre au Beau, la morale n’étant qu’une partie de l’esthétique, mais sa condition foncière.

Les honneurs déshonorent ; le titre dégrade ; la fonction abrutit. 

La vraie force est l’exagération de la souplesse. L’artiste doit contenir un saltimbanque.

Il n’y a de bête, en fait d’art, que : 1o le gouvernement, 2o les directeurs de théâtre, 3o les éditeurs, 4o les rédacteurs en chef des journaux, 5o les critiques autorisés ; enfin tout ce qui détient le pouvoir, parce que le pouvoir est essentiellement stupide. Depuis que la terre tourne, le Bien et le Beau ont été en dehors de lui.

Quand on écrit bien, on a contre soi deux ennemis : 1o le public, parce que le style le contraint à penser, l’oblige à un travail ; 2o le gouvernement, parce qu’il sent en nous une force, et que le pouvoir n’aime pas un autre pouvoir. Les gouvernements ont beau changer, monarchie, empire ou république, peu importe ! l’esthétique ne change pas. De par la vertu de leur place, les agents, administrateurs et magistrats, ont le monopole du goût.

La réalité ne se plie point à l’idéal, mais le confirme. 

La somme de félicité départie à chacun de nous est mince et quand nous en avons dépensé quelque peu, nous sommes tout moroses.

La bonne et la mauvaise société doivent être étudiées, la vérité est danstout, comprenons chaque chose et n’en blâmons aucune, c’est le moyen de savoir beaucoup et d’être calme, et c’est quelque chose que d’être calme, c’est presque être heureux.

La contemplation des belles choses rend toujours tristes pour un certain temps. On dirait que nous ne sommes faits que pour supporter une certaine dose de beau, un peu plus nous fatigue. Voilà pourquoi les nations médiocres préfèrent la vue d’un fleuve à celle de l’Océan, et pourquoi il y a tant de gens qui proclament Béranger le premier poète français.

Ne me parlez pas des temps modernes en fait de grandiose. Il n’y a pas de quoi satisfaire l’imagination d’un feuilletoniste de dernier ordre.

Il n’y a pour moi dans le monde que les beaux vers, les phrases bien tournées, harmonieuses, chantantes, les beaux couchers de soleil, les clairs de lune, les tableaux colorés, les marbres antiques et les têtes accentuées. Au delà, rien.

L’obligation où l’on est de vivre sur un coin de terre marqué en rouge ou en bleu sur la carte, et de détester les autres coins en vert ou en noir, m’a paru toujours étroite, bornée, et d’une stupidité finie.

Le cynisme est une merveilleuse chose en cela qu’étant la charge du vice il en est en même temps le correctif et l’annihilation.

Les femmes ne comprennent pas qu’on puisse aimer à des degrés différents ; elles parlent beaucoup de l’âme, mais le corps leur tient fort au cœur, car elles voient tout l’amour mis en jeu dans l’acte du corps ; on peut adorer une femme et aller chaque soir chez les filles.

Il faut que chaque œuvre maintenant ait sa signification morale, son enseignement gradué, il faut donner une portée philosophique à un sonnet, qu’un drame tape sur les doigts aux monarques et qu’une aquarelle adoucisse les mœurs. L’avocasserie se glisse partout, la rage de discourir, de pérorer, de plaider ; la Muse devient le piédestal de mille convoitises.

Les beaux fragments ne font rien ; l’unité, l’unité, tout est là. L’ensemble, voilà ce qui manque à tous ceux d’aujourd’hui, aux grands comme aux petits. Mille beaux endroits, pas une œuvre.

Je me fais fort de soutenir dans une thèse qu’il n’y a pas une critique de bonne depuis qu’on en fait, que ça ne sert à rien qu’à embêter les autres et à abrutir le public ; on fait de la critique quand on ne peut pas faire de l’art, de même qu’on se met mouchard quand on ne peut pas être soldat.

Quand on observe avec un peu d’attention la vie on y voit les cèdres moins hauts et les roseaux plus grands.

Nier l’existence des sentiments tristes parce qu’ils sont tristes, c’est nier le soleil tant qu’il n’est pas midi.

Il faut se méfier de tout ce qui ressemble à de l’inspiration et qui n’est souvent que du parti pris et une exaltation factice que l’on s’est donnée volontairement et qui n’est pas venue d’elle-même ; d’ailleurs on ne vit pas dans l’inspiration : Pégase marche plus souvent qu’il ne galope, tout le talent est de savoir lui faire prendre les allures qu’on veut.

Comme si nous n’avions pas assez de notre passé nous remâchons celui de l’humanité entière et nous nous délectons dans cette amertume voluptueuse. Qu’ importe après tout s’il n’y a que là qu’on puisse vivre ! S’il n’y a qu’à cela qu’on puisse penser sans dédain et sans pitié !

La patrie est peut-être comme la famille, on n’en sent bien le prix que lorsqu’on n’en a plus.

A mesure que je me détache des artistes, je m’enthousiasme davantage pour l’art ; la mer paraît immense vue du rivage, montez sur le sommet des montagnes, la voilà plus grande encore ; embarquez-vous dessus, tout disparaît, des flots, des flots.

Le génie n’est pas rare maintenant, mais ce que personne n’a plus et ce qu’il faut tâcher d’avoir, c’est la conscience.

Ce qui nous manque à tous, ce n’est pas le style ni cette flexibilité de l’archet et des doigts désignée sous le nom de talent. Nous avons un orchestre nombreux, une palette riche, des ressources variées. En fait de ruses et de ficelles, nous en savons beaucoup plus qu’on n’en a peut-être jamais su. Non, ce qui nous manque c’est le principe intrinsèque. C’est l’âme de la chose, l’idée même du sujet. Nous prenons des notes, nous faisons des voyages, misère, misère ! Nous devenons savants, archéologues, historiens, médecins, gnaffes et gens de goût. Qu’est-ce que tout ça y fait ? Mais le cœur ? la verve ; d’où partir et où aller ?

Ce qui nous manque, c’est l’audace. A force de scrupule, nous ressemblons à ces pauvres dévots qui ne vivent pas, de peur de l’enfer, et qui réveillent leur confesseur de grand matin pour s’accuser d’avoir eu la nuit des rêves amoureux. Ne nous inquiétons pas tant du résultat. Aimons, aimons, qu’importe l’enfant dont accouchera la Muse ; le plus pur plaisir n’est-il pas dans ses baisers ?

Exhumer, dans ce qu’on rejetait comme hors d’usage, des trésors nouveaux de plastique et de sentiment, découvrir dans l’univers de l’amour un sentiment nouveau et appeler à son exploitation des milliers d’êtres qui s’en trouvaient rejetés, cela n’est-il pas spirituel et sublime ?

Je porte une haine aiguë et perpétuelle à quiconque taille un arbre pour l’embellir, châtre un cheval pour l’affaiblir, à tous ceux qui coupent les oreilles ou la queue des chiens, à tous ceux qui font des paons avec des ifs, des sphères et des pyramides avec du buis ; à tous ceux qui restaurent, badigeonnent, corrigent, aux éditeurs d’expurgata, aux chastes voileurs de nudités profanes, aux arrangeurs d’abrégés et de raccourcis ; à tous ceux qui rasent quoi que ce soit pour lui mettre une perruque, et qui, féroces dans leur pédantisme, impitoyables dans leur ineptie, s’en vont amputant la nature, ce bel art du bon Dieu, et crachant sur l’art, cette autre nature que l’homme porte en lui comme Jéhovah porte l’autre et qui est la cadette ou peut-être l’aînée.

Ne croyez pas les mains sans gants plus robustes que les autres ; on peut être las de tout sans rien connaître, fatigué de traîner sa casaque sans avoir luWerther ni René, et il n’y a pas besoin d’être reçu bachelier pour se brûler la cervelle.

Oh ! que la forme humaine est belle quand elle apparaît dans sa liberté native, telle qu’elle fut créée au premier jour du monde.

Le cœur, comme l’estomac, veut des nourritures variées.

Ce qu’on demande aujourd’hui, n’est-ce pas plutôt tout le contraire du nu, du simple et du vrai ? Fortune et succès à ceux qui savent revêtir et habiller les choses ! Le tailleur est le roi du siècle, la feuille de vigne en est le symbole ; lois, arts, politique, caleçon partout ! Libertés menteuses, meubles plaqués, peinture à la détrempe, le public aime ça. Donnez-lui-en, fourrez-lui-en, gorgez cet imbécile !

Ce n’est pas de sacrifices que le cœur a faim, mais de confidences. 

Il me semble que Michel-Ange est quelque chose d’inouï, comme serait un Homère shakespearien, un mélange d’antique et de moyen âge, je ne sais quoi.

Dans les confidences les plus intimes, il y a toujours quelque chose que l’on ne dit pas.

Dieu sait le commencement et la fin de l’homme ; le milieu, l’art, comme lui dans l’espace, doit rester suspendu dans l’infini, complet en lui-même, indépendant de son producteur.

Pour avoir du talent il faut être convaincu qu’on en possède, et pour garder sa conscience pure, la mettre au-dessus de celles de tous les autres. Le moyen de vivre avec sérénité et au grand air, c’est de se fixer sur une pyramide quelconque, n’importe laquelle, pourvu qu’elle soit élevée et la base solide. Ah ! ce n’est pas toujours amusant et l’on est tout seul, mais on se console en crachant d’en haut. 

Il n’est pas de sottise ni de vice qui ne trouve son compte et ses rêves. Je trouve que l’homme maintenant est plus fanatique que jamais, mais de lui ; il ne chante autre chose, et dans cette pensée qui saute par-dessus les soleils, dévore l’espace et hêle après l’infini, comme dirait Montaigne, il ne trouve rien de plus grand que cette misère même de la vie dont elle tâche sans cesse de se dégager.

Je défie aucun dramaturge d’avoir l’audace de mettre en scène sur le boulevard un ouvrier voleur. Non : là il faut que l’ouvrier soit honnête homme, tandis que le monsieur est toujours un gredin ; de même qu’aux Français la jeune fille est pure, car les mamans y conduisent leurs demoiselles.

L’orgueil est une bête féroce qui vit dans les cavernes et dans les déserts, la vanité au contraire, comme un perroquet, saute de branche en branche et bavarde en pleine lumière. 

Il y a de par le monde une conjuration géniale et permanente contre deux choses, à savoir, la poésie et la liberté ; les gens de goût se chargent d’exterminer l’une, comme les gens d’ordre de poursuivre l’autre.

Si la littérature moderne était seulement morale, elle deviendrait forte ; avec de la moralité disparaîtraient le plagiat, le pastiche, l’ignorance, les prétentions exorbitantes ; la critique serait utile et l’art naïf, puisque ce serait alors un besoin et non une spéculation.

Je suis sûr d’ailleurs que les hommes ne sont pas plus frères que les feuilles des bois ne sont pareilles, elles se tourmentent ensemble, voilà tout ; ne sommes-nous pas faits avec les émanations de l’Univers ?

Nos passions sont comme les volcans, elles grondent toujours, mais l’éruption n’est qu’intermittente.

L’humanité nous hait, nous ne la servons pas et nous la haïssons ; car elle nous blesse. Aimons-nous donc en l’Art comme les mystiques s’aiment en Dieu et que tout pâlisse devant cet amour. Que toutes les autres chandelles dela vie disparaissent devant ce grand soleil.

La Passion s’arrange mal de cette longue patience que demande le métier. L’art est assez vaste pour occuper tout un homme ; en distraire quelque chose est presque un crime, c’est un vol fait à l’idée, un manque au devoir.

Écrivains que nous sommes et toujours courbés sur l’art, nous n’avons guère avec la nature que des communications imaginatives, il faut quelquefois regarder la lune ou le soleil en face. La sève des arbres nous entre au cœur par les longs regards stupides que l’on tient sur eux. Comme les moutons qui broutent du thym parmi les prés, ont ensuite la chair plus savoureuse, quelque chose des saveurs de la nature doit pénétrer notre esprit s’il s’est bien roulé sur elle. 

Il n’y a qu’un beau, c’est le même partout, mais il a des aspects différents, il est plus ou moins coloré par les reflets qui le dominent.

Les hautes idées poussent à l’ombre et au bord des précipices comme les sapins.

Quand on aura, pendant quelque temps, traité l’âme humaine avec l’impartialité que l’on met dans les sciences physiques à étudier la matière, on aura fait un pas immense ; c’est le seul moyen à l’humanité de se mettre un peu au-dessus d’elle-même. Elle se considérera alors franchement, purement dans le miroir de ses œuvres, elle sera comme Dieu, elle se jugera d’en haut.

L’industrialisme a développé le laid dans des proportions gigantesques ! Combien de braves gens qui, il y a un siècle, eussent parfaitement vécu sans beaux-arts, et à qui il faut maintenant de petites statuettes, de petite musique et de petite littérature ! 

Ce ne sont pas les Napolitains qui entendent la couleur, mais les Hollandais et les Vénitiens : comme ils étaient toujours dans le brouillard, ils ont aimé le soleil.

Le rêve du socialisme, n’est-ce pas de pouvoir faire asseoir l’humanité monstrueuse d’obésité, dans une niche toute peinte de jaune comme dans les gares de chemins de fer, et qu’elle soit là à se dandiner sur son siège, ivre, béate, les yeux clos, digérant son déjeuner, attendant le dîner et faisant sous elle.

Une réaction terrible se fait dans la conscience moderne contre ce qu’on appelle l’Amour. Cela a commencé par des rugissements d’ironie (Byron, etc.), et le siècle tout entier regarde à la loupe et dissèque sur sa table la petite fleur du sentiment qui sentait si bon… jadis !

Il faut toujours espérer quand on désespère, et douter quand on espère. 

Lisez les grands maîtres en tâchant de saisir leur procédé, de vous rapprocher de leur âme, et vous sortirez de cette étude avec des éblouissements qui vous rendront joyeux. Vous serez comme Moïse en descendant du Sinaï. Il avait des rayons autour de la face, pour avoir contemplé Dieu.

Je parie que, dans cinquante ans seulement, les mots : Problème social, moralisation des masses, progrès et démocratie seront passés à l’état de « rengaine » et apparaîtront aussi grotesques que ceux de : sensibilité, nature, préjugés et doux liens du cœur, si fort à la mode vers la fin du dix-huitième siècle.

Il faut, quand on veut faire de l’art, se mettre au-dessus de tous les éloges et de toutes les critiques. Quand on a un idéal net, on tâche d’y monter en droite ligne, sans regarder à ce qui se trouve en route.

Le principal en ce monde est de tenir son âme dans une région haute, loin des fanges bourgeoises et démocratiques. Le culte de l’art donne de l’orgueil ; on n’en a jamais trop.

Il n’y a rien de plus mélancolique que les beaux soirs d’été. Les forces de la nature éternelle nous font mieux sentir le néant de notre pauvre individualité.

Les guerres de races vont peut-être recommencer. On verra, avant un siècle, plusieurs milliers d’hommes s’entretuer en une séance… Peut-être aussi la Prusse va-t-elle recevoir une forte raclée qui entrait dans les desseins de la Providence, pour rétablir l’équilibre européen ? Ce pays-là tendait à s’hypertrophier, comme la France l’a fait sous Louis XIV et Napoléon. Les autres organes s’en trouvent gênés. De là un trouble universel. Des saignées formidables seraient-elles utiles ?

Les armées de Napoléon Ier ont commis des horreurs, sans doute. Mais ce qui les composait, c’était la partie inférieure du peuple français, tandis que, dans l’armée de Guillaume, c’est tout le peuple allemand qui est le coupable.

Quelle barbarie ! quelle reculade… Ces officiers, qui cassent des glaces en gants blancs, qui savent le sanscrit et qui se ruent sur le champagne, qui vous volent votre montre et vous envoient ensuite leur carte de visite, cette guerre pour de l’argent, ces civilisés sauvages me font plus horreur que les cannibales.

Toute gentillesse, comme eût dit Montaigne, est perdue pour longtemps, un monde va commencer ; on élèvera les enfants dans la haine des Prussiens.

 

 

5 juillet 2013

idées glanées sur la société......l'anti pouvoir

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L’escroquerie de la propriété intellectuelle et des droits d’auteurs

“Le droit à la propriété fut l’origine du mal sur Terre, le premier maillon d’une longue chaîne de crimes et d’infortunes, endurée par les humains depuis leur naissance.”

 

“Tout travail humain est le résultat d’une force collective, toute propriété devient par conséquent, collective et unitaire. Pour parler de manière plus exact: le travail détruit la propriété.”

(Pierre Joseph Proudhon)

… et de manière générale, tout ce qui est produit par l’humanité appartient à l’humanité. Cela constitue son patrimoine que nul ne peut arbitrairement s’approprier, donc usurper. Les soi-disants "droits d’auteurs ou de propriété intellectuelle" ne sont qu’une mascarade de plus, une invention ne favorisant que l’oligarchie et son industrie mise en place.

 

Brisons les reins de la domination “intellectuelle” de l’industrie

 

Les films, la musique et les émissions de télévision créés par d’énormes cartels médiatiques monopolistes comme Disney, Sony, Warner Brothers, Fox, Paramount, ainsi que les compagnies de logiciels comme Electronic Arts, Microsoft, Autodesk et bien d’autres, appartiennent à un consortium d’intérêts finanço-industriels qui mène la croisade sur la “propriété intellectuelle” et bon nombre de ses créations impopulaires, incluant le SOPA, ACTA (NdT: LOPSI, HADOPI  en France) ainsi qu’une campagne de mise en accusation d’une floppée de grand-mères et de lycéens pour simplement partager une information labellisée “propriété” par ces mega-industries.

Image: Le racket de la “propriété intellectuelle”. Personne ne possède des “idées” ou une “information”, on ne possède que les moyens de les divulguer, de les enregistrer ou de les visionner. Le paradigme que ces intérêts industrio-financiers tente de créer et de perpétuer est un paradigme qui place inévitablement tout sous la coupe de “domaine intellectuel”, parce qu’il n’y a qu’eux qui ont l’argent et le pouvoir suffisants pour pouvoir les enregistrer et les défendre. Dans ce processus, ils ralentissent tout progrès technologique et social en défendant leurs modèles de commerce archaïques et obsolètes.

….

Ce qu’is représentent en réalité est l’anti-thèse du vrai commerce et du progrès, ce sont des réactionnaires technologiques, qui étouffent toute avance qui menace leurs modèles archaïques et obsolètes et l’énorme influence injuste et imméritée qu’ils ont accumulée depuis des décennies.

L’existence même de films, de musique, de logiciels libres “open source” et de publications indépendants, prouve que la connaissance, le spectacle et tout ce qu’il y a entre les deux non seulement peut survivre au delà de ces paradigmes essoufflés de “droits d’auteurs”, mais qu’en fait ils peuvent s’épanouir.

Un nouveau paradigme de donner crédit quand crédit est dû, mais de garder l’information et le média qui la contient en accès libre pour tous, est en train d’émerger. Prendre un CD physique à une autre personne est priver cette personne d’un objet concret, c’est donc en l’état actuel des choses, un vol. En revanche, copier digitalement l’information contenue sur ce CD avec le consentement du propriétaire du CD, n’est pas un vol.

La technologie a rendu possible de copier l’information sans priver les individus d’objets tangibles de valeur et parce que la culture de partager ne coûte rien à ceux impliqués, et plus l’information est partagée et plus il est facile pour ceux qui recherchent cette information de la trouver, ceci s’est généralisé de manière compréhensible à tous les médias digitalement encodés. Les producteurs de logiciels, de livres, de films, de musique doivent tous faire face au changement d’une industrie de simplement créer un média et vendre le médium qui le contient.

Il y a toujours de l’argent à faire avec les spectacles dans les théâtres et avec les productions physiques que d’aucun trouve de valeur suffisante pour payer. Mais, même dans cet aspect, les outils pour créer des films, de la musique, des logiciels et des livres deviennent de plus en plus bon marché et accessibles à un plus grand nombre de gens qui partageraient bien plus volontiers leur travail au sein d’une culture du partage.

Ce que ces intérêts industrio-financiers protègent donc, n’est pas leurs “droits” ou eux-mêmes à l’encontre de “vol”, mais leur monopole sur un système archaïque qui, s’il n’est plus protégé, s’effondrera et disparaîtra. Comme si un consortium de bibliothèques et de libraires mondial s’unifiait pour mettre hors-la-loi l’internet et les sites internet comme Wikipedia; la réaction de la mega-industrie des médias est une réaction profondément absurde, entretenue exclusivement par la richesse immense que son monopole lui a donné au fil des décennies et qui existe toujours parce qu’un grand nombre de personnes à travers le monde continue de regarder, d’écouter, de lire et malheureusement, de croire tout ce qu’ils disent et écrivent.

Ci-dessous figure une liste des cartels médiatiques et des industries qui constituent leurs membres et qui sont responsables de cette croisade absurde en faveur de la “propriété intellectuelle”. Chacune de ces industrie produit des choses dont nous sommes tous parfaitement capables de nous passer et comme c’est le cas avec bien d’autres monopoles industrio-financiers, dont il serait mieux que nous nous passions en première instance.

Recording Industry Association of America (RIAA) Members

National Music Publishers Association (NMPA) Board Members

Motion Picture Association of America (MPAA) Members

Independent Film & Television Alliance (IFTA) Member Directory

Entertainment Software Association (ESA) Members

Business Software Alliance (BSA) Members

Pour chaque film, chanson, ou logiciel produit par cette collection de parasites monopolistes industriels, il y a un produit équivalent ou bien supérieur en qualité qui est open source ou en accès libre, créations communes, ou de domaines publics alternatifs. Il y a une myriade d’information, ouverte. libre et gratuite ainsi que de possibilités d’amusement en ligne créés par des amateurs mais aussi par une frange grandissante de professionnels. Il y a également une très grande (et grandissante) sélection de logiciels open source qui sont à la disposition de tout à chacun.

Nous avons la société que nous achetons. Si nous continuons à payer des financiers industriels issus du Fortune 500 qui continuent à concentrer richesse et pouvoir dans le moins de mains possible et continuent à les utiliser pour créer et guider un agenda qui ne sert que des intérêts spéciaux aux dépends de la très vaste majorité, nous n’avons que nous même à blâmer. Boycotter ces industries leur enlève une vaste richesse dont elles ont besoin pour continuer leur immense lobbying et payer leurs ressources législatives. De plus, en boycottant ces mega-industries, nous avons l’argent à dépenser localement, pour les artistes locaux, qui eux ont de l’argent à dépenser localement ; pour ces artistes locaux qui se démènent pour créer des spectacles de scène ou de créer des choses tangibles que nous pouvons tous apprécier.

Que des êtres humains de nos jours passent des mois, voire des années en prison pour “violation de droits d’auteurs et/ou de reproduction” alors que des assassins de masse se promènent librement et en toute impunité sur le sol américain (NdT; Cartalucci fait ici référence aux politiciens, politiciennes, hommes et femmes d’état… ainsi que les criminels dictateurs hébergés par les états-unis pour “services rendus”), dénonce ces immenses injustices générées par ce même système, rendant encore plus urgent le fait que celui-ci doit être aboli et remplacé de toute urgence.

Enlever la poussière des illusions du monde spatio-temporel c’est supprimer laSIMONIE : Volonté réfléchie d’acheter ou de vendre à prix temporel une chose spirituelle (ou assimilable à une chose spirituelle). SIMONIE = POUVOIR. Et le « Droit d’auteur » et autre « Propriété intellectuelle » en font la partie. Enfin ! comment le mental ou l’ego d’un individu (donc son corps) peut-il être une « propriété » ? Nous sommes donc de nos jours encore au temps de l’esclavage antique et du palpage de muscles et de l’inspection de la dentition de la marchandise !
Ainsi cet avertissement ci-dessous devrait figurer avant tout film, texte, musique, etc. Comme les mauvaises herbes, les « ayants droits » ça n’existe pas ! L’art est une chose, le mercantilisme est un drame et n’a rien à voir avec un quelconque art. C’est la bêtise bourgeoise commencée au milieu du 19ème siècle et démarrée en 1789, qui a distingué l’Art gratuit du travail qui n’aurait pour fin que l’argent. C’est aussi simple que cela, tout comme est juste ce texte ci-dessous, d’après un journal d’avant la seconde guerre mondiale (texte adapté à la libération globale ou réalisation de l’Instant ou Soi divin) :
 
« REPRODUCTION AUTORISÉE.

Le régime matérialiste et corrupteur du profitariat intellectuel ou culte du mental et de sa prétendue « propriété littéraire » ou « propriété intellectuelle » a généralisé la SIMONIE et provoque une pernicieuse, dangereuse et honteuse prostitution de l’esprit, et ne permet aucunement de se libérer du mental ou ego. Cette SIMONIE encourage le culte de l’ego.
Déjà que l’intellect est un obstacle, cet asservissement supplémentaire de l’intellect à l’argent renforce ce supplément d’obstacle bloquant la libération et empêchant la maîtrise de l’ego, maîtrise qui seule pourra sauver l’être humain sur cette planète.
Rompant avec les égarements mortels suite à la révolution de 1789 et à la mainmise de l’argent sur les individus, nous autorisons, nous sollicitons même la REPRODUCTION, partielle ou total, de tout ce qui est publié sous forme de textes, musiques et films, peintures et dessins et techniques (en citant la source, de préférence). Du mental au génie sous quelque forme que ce soit n’ont pas à entrer dans un quelconque business.

Nous demandons aux confrères : littéraires, musiciens, cinéastes, artistes et artisans et ingénieurs de toutes disciplines qui voudront bien user de ce droit naturel, de nous faire le service ou le partage gracieux de leurs textes, musiques, films et autres arts et techniques. La libre circulation des connaissances (sous forme de TROC) pourra ainsi profiter au plus grand nombre de personnes. C’est aussi vital que l’air que nous respirons et l’eau que nous buvons.

Il est utile de rappeler qu’en matière d’intellect il n’y a rien de nouveau sous le Soleil. Ce que nous appelons « découvertes » ou « inventions » sont simplement des REdécouvertes faites par des hommes dont les tendances innées sont fortes dans tel ou tel domaine. Il n’y a de nouveau que ce qui a déjà été oublié. Aussi les essences sont les mêmes qu’il y a 5000, 10.000, 50.000 ans, etc. Le monde a été créé en mesure, nombre et poids et c’est vrai pour l’éternité.

Toutes industries, surtout celles travaillant sur le vivant et qui essayent de « breveter la Nature » ; tous lobbys et laboratoires de recherches ; toutes industries de l’entertainment et de médias dit de « grand public » sont des criminels qui font du business de leur intellect, et par conséquence de leur savoir faire, et de ce fait ils incitent naturellement à pratiquer ce qu’ils appellent le « piratage » et la « contrefaçon ». Ce sont eux les premiers responsables. Ce sont eux les principaux SIMONIAQUES. Ils vendent comme une SUPÉRIORITÉ. Ils vendent de la VIOLENCE. L’Or métal, le luxe incite aux pillages ».

Ainsi :

Question : J’entends par exemple de la musique. Elle est belle et grandiose [opinion]. Je reconnais qu’elle est de Wagner. Je ne peux tout de même pas prétendre qu’elle est de moi.
Maharshi : Wagner et sa musique existent-ils séparés de vous ? Si vous n’êtes pas là pour dire que c’est la musique de Wagner, comment pouvez-vous en être consciente ? Sans en être conscient, peut-on dire que cette musique existe ? Pour être plus clair : reconnaissez-vous la musique de Wagner dans votre sommeil profond ? Et cependant vous admettez bien que vous existez pendant le sommeil. Ce qui prouve que Wagner et sa musique ne sont que vos pensées. Elles sont en vous et non pas hors de vous.
(Ramana Maharshi, entretien 609).

Le « droit d’auteur » ou « propriété intellectuelle », tout comme son prolongement avec le « brevet » est bien une escroquerie... Une SIMONIE en bandes organisées.
 

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5 juillet 2013

peter pan....

RoyoPort2couv

(merci ma susu)

Demain la vie sera enchantée
où seuls tes habits s'endormiront
demain la nuit saura s'effacer
seules nos réalités s'en iront

Demain la vie sera enchantée
et le temps saura s'évaporer
je pourrai devenir peter pan
passer dans le pays du présent

Mais les grilles sont fermées
elles sont dures à franchir
et je ne veux plus grandir
après toutes ces années

Moi je veux rester comme ça
toute ma vie
moi je veux rester tel que je suis
moi je resterai comme ça toute ma vie
moi je resterai tel que je suis

Une petite fée saura me bercer
me charmer autour de mon berceau
je pourrai devenir un héros
solliciter une éternité

Mais gravir des parois
ne pas partir sans toi
nous on ne veut plus grandir
on veut cette éternité

Allez!
Nous on veut rester comme ça toute la vie
et s'embrasser à tout jamais
moi je resterai comme toi toute ma vie
moi je resterai tel que je suis

Mais nous voici arrivés
après tant d'années
l'éternité
et nous voici arrivés
après tant d'années
à la beauté à la beauté

Allez!
moi je veux rester comme ça toute ma vie
moi je veux rester tel que je suis
et s'amuser à tout à tout jamais
moi je ne changerai plus jamais..

 

Indochine

 

 

Peter Pan est un personnage fictif créé par l'auteur écossais J. M. Barrie, apparu pour la première fois dans le roman The Little White Bird (Le Petit Oiseau Blanc ), puis dans la pièce du même nom et enfin dans le romanPeter and Wendy, plus connu sous le titre Peter Pan. Le personnage et l'œuvre ont ensuite été adaptés à de nombreuses reprises au théâtre, au cinéma, ou encore en bande dessinée.

 

L'œuvre

J. M. Barrie a créé Peter Pan en racontant des histoires aux fils de son amie Sylvia Llewelyn Davies, avec laquelle il avait une relation spéciale. Sylvia était la fille de George du Maurier, dessinateur satirique et compagnon de route de Henry James. « Peter » était le prénom de leur troisième fils, et le nom « Pan » rappelait le dieu grec de la Nature.

Pour certains commentateurs, le personnage a pu être inventé par Barrie dans le souvenir du deuil de son frère aîné David, mort à 13 ans. Sa mère ne s'en remit jamais vraiment. Pour Andrew Birkin, auteur de J. M. Barrie and the Lost Boys, « si Margaret Ogilvy trouvait du réconfort dans l'idée que David en mourant enfant, resterait un enfant à jamais, Barrie y trouva son inspiration. »

Peter Pan fait sa première apparition imprimée en 1902 dans le livre The Little White Bird (littéralement, le petit oiseau blanc) dont la traduction française a été réalisée par Céline-Albin Faivre. Barrie développe le personnage de Peter pour créer la pièce de théâtre Peter Pan, or The Boy Who Wouldn't Grow Up (Peter Pan, ou le garçon qui ne voulait pas grandir) dont la première eut lieu à Londres le 27 décembre 1904. En 1906, la partie de The Little White Birdconcernant Peter Pan est publiée seule : Peter Pan in Kensington Gardens, illustrée par Arthur Rackham. Enfin, Barrie adapta la pièce en un roman publié en 1911 et titré Peter and Wendy, connue actuellement sous le titre Peter Pan.

Pendant le milieu du xxe siècle, le prénom Wendy devint populaire en Angleterre grâce au personnage du roman.

Une statue de bronze de George Frampton a été érigée dans Kensington Gardens à Londres en 1912. Peter Pan y est représenté en train de jouer de la flûte. Une copie de cette statue se trouve dans le Parc d'Egmont à Bruxelles depuis 1924. Elle a été offerte à la ville par son auteur, Sir George Frampton, en témoignage de l'amitié qui liait les enfants anglais et belges pendant la Première Guerre mondiale.

 

Résumé

Ce vendredi soir, la voie est libre pour Peter Pan, le petit garçon qui refuse de grandir : M. et Mme Darling sont absents et la chienne Nana, qui tient lieu de nurse à leurs enfants Wendy, Jean et Michel, a été enchaînée dans le jardin.

Venu récupérer son ombre abandonnée lors d’une précédente visite, Peter se trouve face à Wendy. Avide des histoires qu’elle pourra lui raconter et du rôle de mère, fantasmé, qu'elle pourrait accomplir, il la persuade de le suivre jusqu’au Pays imaginaire (Neverland)

Wendy devra s’y défendre de la jalousie de la fée Clochette (Tinker Bell) et veiller sur la petite famille des Garçons perdus, jadis tombés de leur landau, dont elle devient la mère. Emmenés par Peter Pan, Wendy et ses frères vivront d’extraordinaires aventures auxquelles seront mêlées les Peaux-Rouges et Lily La Tigresse (Tiger Lily), mais surtout les Pirates et leur chef, le fameux Capitaine Crochet (Captain Hook, capitaine du Jolly Roger, traditionnellement joué dans les adaptations par le même acteur que M. Darling, le père des enfants), qui n’a jamais pardonné à Peter de lui avoir coupé la main avant de la jeter en pâture avec le réveil du capitaine au Crocodile qui le poursuit depuis sans trêve...

Crochet enlève au cours d'une embuscade Lily La Tigresse, afin de capturer Peter, dont il pense qu'il viendra la sauver. Peter Pan se rend à la Lagune aux Sirènes avec Wendy. Au cours d'une bataille, Lily La Tigresse est libérée et retourne chez les Indiens.

À cause de sa jalousie, Clochette révèle la cachette de Peter Pan, où Crochet le trouve endormi et décide de le tuer en empoisonnant la potion que Wendy avait donné à Peter. Entre-temps, les enfants perdus, Wendy et ses frères sont capturés. Quand Peter se réveille, Clochette est prise de remords et veut le prévenir que la potion qu'il est sur le point de boire est empoisonnée. Fâché contre elle, Peter Pan ne la croit pas et Clochette boit la potion elle-même. Pour la sauver de la mort, Peter fait appel à tous les enfants qui croient aux fées et Clochette revient à elle. Peter retourne auJolly Roger et une bataille s'engage. Crochet est vaincu et, poussé par-dessus bord, disparaît dans la gueule du crocodile.

Peter devient capitaine du Jolly Roger et ramène Wendy, John et Michael et les Enfants perdus à Londres. Les parents Darling retrouvent leurs enfants et adoptent tous les Enfants perdus. Peter Pan rentre au Pays imaginaire en jurant à Wendy qu'il ne l'oubliera pas, et qu'il reviendra tous les ans pour la ramener au Pays imaginaire.

Mais on apprend dans un épilogue écrit quelques années après la pièce qu'il oublie sa promesse et ne revient que bien longtemps après quand il retrouve Wendy grandie et maman. Il emmène alors sa fille Jane, puis, une fois que celle ci était devenue grande, sa propre fille Margaret. L'auteur mentionne que ce cycle continuera pour toujours.

 

Thèmes

Par là, Peter Pan est aussi un livre sur la mort et la thanatophobie, raison de la volonté de Peter de ne pas grandir. La mort est très présente dans l'œuvre, sous différentes formes : elle est symbolisée par le crocodile-horloge, elle est la terreur du capitaine Crochet (qui la fait pourtant subir à bon nombre de personnages) et de Peter (en cela, ils se ressemblent car même Peter Pan n'hésite pas à tuer les enfants perdus qui grandissent), mais elle est aussi thématisée indirectement par certains motifs récurrents de l'œuvre, notamment par l'oubli.

Certains commentateurs y voient aussi le thème de l'éveil de la sexualité chez Wendy, et les sentiments freudiens de Peter envers une figure maternelle, et ses sentiments conflictuels pour Wendy et la fée Clochette. Elles représentent chacune une femme idéalisée différente. On peut en fait déterminer au moins quatre archétypes inaccessibles à partir des personnages féminins : Wendy, Clochette, les Sirènes, et Lily.

Le livre met aussi en scène, et c'est l'une des première fois dans l'histoire de la littérature, un franchissement de la barrière de la fiction, puisque Wendy et ses frères vont entrer dans un monde de conte où ils vont justement reconnaître nombre de personnages inventés par Wendy ; ce qui peut à la fois illustrer la lecture, où l'enfant lecteur peut s'identifier au héros d'une histoire et avoir le sentiment de rentrer à l’intérieur du livre, mais aussi une métaphore de la difficulté de l'auteur à quitter ce monde merveilleux et à ne pas se laisser dominer par lui. Ce monde apparaît en effet dominé par l'enfance :

Peter veut rester un enfant pour toujours, et éviter les responsabilités de l'âge adulte, il s'enferme en quelque sorte dans le monde de l'enfance. Il adopte une attitude souvent tyrannique et hostile à toute forme d'autorité, ce qui permit à certains commentateurs d'obédience freudienne de parler d'un personnage sans surmoi. Le syndrome de Peter Pan tire justement son nom du refus conjoint de mûrir en s'insérant dans le monde des adultes, perçu comme trop conventionnel et de reconnaître le caractère fictif et enfantin des êtres peuplant l'imaginaire de l'enfance.

Le personnage de Peter Pan

Le personnage de Peter Pan est plus ambigu qu'il n'y paraît au premier abord. C'est pourquoi, malgré les apparences, Peter Pan n'est pas uniquement un conte pour enfants, mais bien un récit précurseur du syndrome de Peter Pan. Évidemment, c'est un enfant qui refuse de grandir, mais ce n'est pas seulement l'enfant joyeux qu'il paraît.

Peter est très lié au Pays imaginaire ; il est le Pays imaginaire et tous ses personnages, les bons comme les méchants. S'il le quitte, le monde s'endort, la nature se fane et les Enfants perdus ne se battent plus avec les pirates. Tout change constamment au Pays imaginaire ; les Enfants perdus ne sont jamais les mêmes (quand ils sont trop grands, ils partent ou sont directement exécutés par Peter car « grandir est contraire au règlement »), les méchants changent (une fois que Crochet est tué, d'autres apparaîtront), les fées ont aussi une vie très courte, et les aventures s'enchaînent. Seul Peter Pan est immuable dans ce monde ; il est l'éternel maître du jeu, il est le jeu lui-même.

Peter Pan est défini à plusieurs reprises, à l'instar de tous les enfants comme « joyeux, innocent et sans cœur » : totalement égocentrique, il n'accorde que peu d'importance aux autres personnages, qu'il ne considère que comme ses faire-valoir. À la fin de l'histoire, il finit par oublier ses anciens amis (et ennemis), et les anciennes aventures qu'il a vécues sont perpétuellement remplacées par de nouvelles. Tout, à part lui, est interchangeable ; il va chercher les enfants génération après génération et oublie à chaque fois les précédents. Le personnage n'est d'ailleurs pas sans rapports avec celui du fripon (dont Till l'Espiègle est un grand exemple) décrit et analysé par Carl Gustav Jung.

Le roman montre que Peter Pan n'est pas quelqu'un d'humain ou un héros : dans l'histoire il est incapable d'amour, de compassion ou de quelque sentiment profond que ce soit. Il reste éternellement bloqué dans le factice, ne faisant aucune différence entre le jeu et la réalité.

Mais l'œuvre de J. M. Barrie ne nous montre pas uniquement un gentil garçon rêveur en mal d'aventure. Au contraire, c'est un garçon qui s'obstine pleinement à ne pas vieillir ni se souvenir (il ne viendra plus chaque printemps rendre visite à Wendy, car pour lui, ce temps « infini » que lui procure le Pays imaginaire lui fait perdre de manière irrémédiable la notion du Temps. Wendy le sait très bien : « Et Wendy devait en être consciente, sinon pourquoi lui aurait-elle adressé un au revoir si plaintif ? »). Peter Pan est aussi cruel (sans s'en rendre compte). D'un certain côté, on peut dire que le personnage le plus représentatif de Peter dans ce Pays imaginaire est le capitaine Crochet. Le capitaine Crochet est, en beaucoup de points, semblable à Peter :

  • Ils se craignent mutuellement, mais ne peuvent pas vivre l'un sans l'autre (écroulement de l'équilibre du Bien et du Mal). Il faut toujours que quelqu'un craigne un autre personnage ; Crochet craint le Crocodile, les pirates craignent les Indiens, les Indiens craignent les animaux sauvages, les animaux sauvages craignent les enfants, les Garçons Perdus craignent les pirates. Tout tourne en rond au Pays imaginaire, et chaque clan court à travers l'île de manière ininterrompue sans jamais se rencontrer. Et quand bien même Peter tuerait Crochet, il prendrait aussitôt son rôle pour ne pas rompre l'équilibre de l'île, en attendant qu'un nouvel ennemi survienne. C'est d'ailleurs ce qui se passe.
  • Ils sont tous les deux seuls et sans amour. Crochet le sait très bien et réussit difficilement à vivre avec, mais Peter ne sait tout simplement pas ce qu'est l'amour (qui est tout proche de lui, grâce à Wendy qui, elle, se refuse à rester une enfant et entame ses premiers sentiments amoureux envers Peter). Pourtant, si on se réfère au type d'histoire qu'adore écouter en cachette Peter Pan, le soir sur le balcon de Wendy, ce ne sont « que des histoires d'amour se terminant par un baiser et où le Bien triomphe du Mal ».

Mais ce qui sépare le Capitaine Crochet et Peter Pan est le vécu, le côté adulte. L'adulte est un pirate pour Peter. D'ailleurs, on peut voir sa réaction lorsque, pour la première fois, Peter est confronté à la cruauté et à la perfidie de l'homme : il est resté bouche bée pendant quelques instants, incapable de comprendre pourquoi Crochet a fait un tel coup bas. C'est à cause de tous ces « défauts » adultes, apportés par le temps impitoyable, que Peter Pan refuse de grandir : ce serait pour lui une dégénérescence.

Mais qu'est réellement Peter Pan ? Un pirate. Dans son livre, lorsque Peter Pan triomphe de Crochet, Barrie tient absolument à ce que l'on remarque que Peter Pan remplace aussitôt son ennemi, prenant ses vêtements et l'imitant jusqu'au crochet : « Par la suite, la rumeur courut que la première nuit où il porta ce costume, il resta longtemps assis dans la cabine, le porte-cigares de Crochet aux lèvres, et tous les doigts d'une main repliés, à l'exception de l'index qu'il tenait recourbé en l'air de façon menaçante, comme un crochet. »

On est bien loin de l'univers Disney ; derrière les apparences d'un petit conte pour enfants, se cache un texte d'une profondeur vertigineuse où chaque phrase importe, et où une analyse approfondie est nécessaire pour tout comprendre. Le dernier chapitre, considéré par certains comme une fin secondaire, est probablement le passage le plus important et le plus démonstratif de ce que veut nous faire parvenir l'auteur. Le Temps passe, irrémédiablement, pour tout être vivant ; personne ne peut rien changer à cela.

On le voit avec le personnage de Wendy, au dernier chapitre : Peter Pan en a peur, car elle a grandi. Il se rabat donc sur l'enfant de Wendy, Jane.

Peter Pan et le Pays Imaginaire ne sont rien de plus que le fantasme de tout enfant (une fontaine de jouvence où Peter Pan est le maître). Un monde parfait mélangé à l'esprit de communauté garçonnier, de conquête, d'histoires sans fin : un lieu où le temps n'a plus d'importance et où le matin se lève à chaque instant.

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