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sammael world
12 août 2013

la comtesse sanglante ou les origines du mythe de dracula.....

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La comtesse Sanglante

Il est impossible de s'intéresser au phénomène, réel ou imaginaire, du vampirisme sans se référer à un personnage qui défraya la chronique au XVIIE siècle en Hongrie et Transylvanie, et qui a provoqué, dans la mémoire des peuples, l'apparition d'une image surprenante, ambiguë, terrifiante, qui est loin de laisser indifférent : la comtesse Elizabeth Bathory est en effet une des incarnations les plus caractéristiques de ce que l'on a coutume de classer dans la catégorie des vampires humains, malgré les interférences inévitables qui se sont produites entre ce que l'on sait de sa vie et des zones d'ombre que l'on n'a pas osé dévoiler en plein jour. Ce fut une criminelle, assurément. Mais ce fut aussi une femme mystérieuse qui a emporté dans la tombe de lourds secrets qu'il est bien difficile de cerner en toute objectivité.

Elizabeth Bathory est née en 1560, d'une famille de sang royal, comptant dans ses proches parents le prince de Transylvanie, Sigismond Bathory, un oncle qui devint roi de Pologne, des gouverneurs de province, de hauts magistrats, des évêques et un cardinal. Cette famille remontait très loin dans le temps et comptait un certain nombre d'aventuriers hongrois descendant probablement des Huns et qui s'étaient imposés par le sang et la violence, comme il était de règle à ces époques troublées où la Hongrie allait passer d'un paganisme pur et dur à un catholicisme très inféodé à Rome. Du temps d'Elizabeth, rien n'était d'ailleurs vraiment net dans cette région bouleversée par l'apparition des Réformateurs luthériens et calvinistes et où le catholicisme romain se heurtait au Christianisme orthodoxe et aux innombrables communautés musulmanes disséminées par les Turcs. Sans parler des vestiges virulents d'un paganisme hérité du fonds asiatique :" L'ancienne terre des Daces était païenne encore, et sa civilisation avait deux siècles de retard 1 sur celle de l'Europe occidentale. Là, régnaient, gouvernées par une mystérieuse déesse Mielliki, les innombrables forces des grands bois, tandis qu'à l'Ouest, le vent habitait seul, la montagne de Nadas. Il y avait un dieu unique, Isten, et l'arbre d'Isten, l'herbe d'Isten, l'oiseau d'Isten... Dans les Carpates superstitieuses, il y avait surtout le diable, Ordôg, servi par des sorcières, elles-mêmes assistées de chiens et de chats noirs. Et tout venait encore des esprits de la nature et des fées des éléments ; de Delibab, la fée de midi aimée du vent et mère des mirages 2, des Tünders 3, sœurs de toutes merveilles et de la Vierge de la cascade peignant ses cheveux d'eau 4. Dans les cercles d'arbres sacrés, de chênes et de noyers féconds, se célébraient encore secrètement les anciens cultes du soleil et de la lune, de l'aurore, et du cheval noir de la nuit 5. C'est dans cette atmosphère très particulière, encombrée de sortilèges et de traditions ancestrales venus d'ailleurs, que se déroula l'enfance d'Elizabeth Bathory, et cela explique certainement beaucoup de choses concernant le comportement et le mode de pensée de cette comtesse qu'il faut bien se résoudre à qualifier de ", sanglante ".Il faut aussi prendre en compte la lourde hérédité d'Elizabeth : sa lignée ne comportait pas que des petits saints, bien au contraire. Un certain nombre de ses ancêtres avaient été des brutes sanguinaires, et dans sa parenté immédiate se trouvaient quelques homosexuels mâles notoires. Un de ses frères était un dépravé pour lequel tout était bon, la plus tendre fillette comme la plus ratatinée des femmes âgées. Une de ses tantes grande dame de la cour de Hongrie défrayait la chronique scandaleuse : lesbienne impénitente, on disait, tribade " à l'époque, elle était tenue pour responsable de la dépravation de douzaines de petites filles. Et puis, la propre nourrice d'Elizabeth, joIlona, qui deviendra son âme damnée, personnage trouble et inquiétant, pratiquant la magie noire et les sortilèges les plus pervers, eut une influence déterminante sur l'évolution de son esprit.

Elizabeth Bathory

Les descriptions qu'on possède d'Elizabeth Bathory, ainsi qu'un portrait qu'on en a conservé, nous la montrent d'une grande beauté : " Les démons étaient déjà en elle ; ses yeux larges et noirs les cachaient en leur morne profondeur ; son visage était pâle de leur antique poison. Sa bouche était sinueuse comme un petit serpent qui passe, son front haut, obstiné, sans défaillance. Et le menton, appuyé sur la grande fraise plate, avait cette courbe molle de l'insanité ou du vice particulier. Elle ressemblait à quelque Valois dessiné par Clouet, Henri Ill peut-être, en féminin 1. " Bref, quelque chose de mélancolique, de secret et de cruel. Le blason des Bathory n'était-il pas composé de trois dents de loup, d'un croissant de lune, d'un soleil en forme d'étoile à six pointes, le tout entouré d'un dragon qui se mord la queue ?

On ne sait pas grand-chose sur la jeunesse et l'adolescence d'Elizabeth, sinon qu'elle se réfugiait souvent dans une solitude farouche. Par ailleurs, depuis son plus jeune âge, elle souffrait de maux de tête parfois intolérables qui la faisaient se rouler par terre. Était-ce de l'épilepsie ? Il semble plutôt qu'Elizabeth était en proie à des crises d'hystérie qu'il serait tentant d'assimiler à des crises de possession démoniaque. 

Mais cette hystérie explique en partie sa déviance sexuelle : sa sensualité était exacerbée, mais morbide, et si elle ne refusa pas les contacts masculins, elle évolua toute sa vie dans des retraites peuplées uniquement de femmes ; elle ne sacrifia jamais un seul homme à ses débauches, mais uniquement des femmes, et elle était incontestablement homosexuelle. On prétend même que c'est sa tante Klara Bathory, qu'elle fréquentait assidûment, qui l'avait initiée au culte de Sapho. 
Il faut dire que l'homosexualité était à la mode, en cette fin de XvIe siècle : à Paris, la cour des Valois donnait un exemple que s'empressaient de suivre les autres cours européennes, orientales autant qu'occidentales, celle de Rome ne faisant pas exception. Et le lesbianisme descendait même dans la rue :en Allemagne et dans tout le Saint-Empire, il y avait encore des héritières de cette étrange secte de triba des flagellantes qui parcouraient, au XlVe siècle, les villes et les villages, se mettant nues en public, se fouettant mutuellement, hurlant des chants et pratiquant des attouchements indécents. Vestiges d'un culte de la Déesse des Origines ? Probablement, mais avec des rituels érotiques sanguinaires. On peut toujours se demander si Elizabeth Bathory, si précocement initiée par sa tante Klara, n'a pas consacré sa vie à cette religion instinctuelle et viscérale tout entière vouée à l'adoration de la Grande Déesse des temps obscurs, celle qu'on a prisé trop hâtivement pour la terrible Hécate lunaire, divinité grecque des carrefours (où rôde également le Diable !), et qui n'est en réalité que l'image du Soleil rouge, divinité ô combien féminine, la fameuse et cruelle Artémis des Scythes, celle qui, dans la tragédie d'Euripide, Iphigénie en Tauride, réclame incessamment le sang des mortels pour nourrir son existence surnaturelle ? Il y a là un bel exemple de vampirisme 1. Mais l'homosexualité d'Elizabeth Bathory n'était pas exclusive. On lui prête plusieurs aventures masculines avant son mariage et après son veuvage. Toute jeune, immédiatement après sa puberté, elle aurait eu une petite fille d'un paysan. Elle avait quatorze ans et elle était déjà fiancée à Férencz Nàdasdy, un comte appartenant à la meilleure noblesse hongroise, redoutable guerrier qui devint illustre et mérita, par la suite, le titre de " Héros noir de la Hongrie ". Mais on sait ce que signifiaient les mariages dans la bonne société d'alors. Il semble que, se trouvant enceinte, elle demanda à Ursula Nàdasdy, mère de son fiancé, laquelle était chargée de sa " protection ", la permission d'aller dire adieu à sa propre mère, Anna Bathory, accompagnée d'une seule femme en qui elle avait toute confiance. On ne dit pas si Anna Bathory approuva le comportement de sa fille, mais elle fit contre mauvaise fortune bon cœur. Craignant le scandale et la rupture du mariage de sa fille, elle aurait amené secrètement Elizabeth dans un de ses châteaux les plus éloignés, du côté de la Transylvanie, laissant courir le bruit que sa fille, atteinte d'une maladie contagieuse, avait besoin de repos et d'isolement absolus. Elle l'aurait alors soignée, aidée d'une femme venue du château familial de Csejthe et d'une accoucheuse qui avait fait le serment de ne rien révéler. Une petite fille serait donc née, à laquelle on aurait donné également le prénom d'Elizabeth, et qui aurait été confiée., Moyennant pension, à la femme de Csejthe qui avait accompagné sa fille. Quant à la sage-femme, elle fut renvoyée de Roumanie avec de quoi vivre largement, mais interdiction de jamais revenir en Hongrie. C'est alors qu'Elizabeth Bathory et sa mère seraient parties directement pour Varanno où devaient êtres célébrés les noces de l'héritière des Bathory avec l'héritier des Nàdasdy.
 
Château de Csejthe
Ces noces eurent lieu le 8 mai 1575. Elizabeth avait quinze ans, et son mari en avait vingt et un. L'empereur Maximilien de Habsbourg assista lui-même au mariage. Le roi Matthias de Hongrie et l'archiduc d'Autriche envoyèrent de somptueux cadeaux aux nouveaux époux qui s'en allèrent passer leur lune de miel dans le château de Csejthe, dans le district de Nyitra, région montagneuse du nord-ouest de la Hongrie, encore célèbre aujourd'hui par la qualité de ses vignobles, mais aussi pour ses châteaux forts en ruines, ses histoires de fantômes et ses traditions vivaces de vampires et de loups-garous. Mais le séjour de Férencz Nàdasdy fut de courte durée. Ses devoirs de combattant l'appelaient à la guerre à travers toute la Hongrie et les pays avoisinants. Il laissa donc sa jeune et belle épouse régner sur le château de Csejthe et sur les vastes domaines qui l'entouraient. Que se passa-t-il donc alors ? Il est probable que la sensualité d'Elizabeth, fortement éveillée par son mari - qui lui fit d'ailleurs deux enfants - se sentit quelque peu frustrée. On lui prêta plusieurs intrigues amoureuses, mais sans lendemain, dont une avec un de ses cousins, le comte Gyorgy Thurzo, futur premier ministre de Hongrie et qui fut d'ailleurs, par la suite, son juge le plus sévère.

Cela ne veut pas dire que les époux ne s'entendaient pas bien : au contraire, leurs retrouvailles étaient toujours de nouvelles lunes de miel. Mais le seul tort du mari était d'être trop souvent absent. Et, un jour de 1586 ou 1587, alors que Férencz Nàdasdy était en plein combat contre les Serbes, on raconte qu'arriva au château de Csejthe (un grand jeune homme au teint cadavérique, dont le nom est resté perdu pour l'histoire. Il était habillé de noir, avait de profonds yeux noirs et de longs cheveux noirs tombant jusqu'aux épaules. Lorsque les servantes de la comtesse racontèrent au village de Csejthe qu'il avait aussi des canines qu'elles jugeaient anormalement longues, plus personne ne douta qu'un vampire s'était installé au château, et les villageois n'allèrent plus se coucher sans avoir soigneusement barricadé leurs portes et leurs fenêtres avec des planches 1 ". Cette histoire s'inscrit très bien dans le décor que suscite le personnage hors pair de la comtesse Bathory, mais elle est plus que suspecte. Toujours est-il qu'Elizabeth s'absenta pendant plusieurs semaines. Était-elle partie avec son " vampire " ? Les villageois murmurèrent, paraît-il, que la comtesse avait été littéralement " vampirisée " par le sombre inconnu. Il est plus vraisemblable de croire que cet homme était une sorte de sorcier, ou de prêtre plein, qui initia Elizabeth à certaines pratiques magiques. Car elle ne faisait pas mystère de ses fréquentations auprès des mages, des sorcières et autres personnages, toujours féminins, qui officiaient dans les forêts, à l'abri des regards indiscrets.

Plus intrigante est la relation entretenue réellement par Elizabeth Bathory avec une mystérieuse inconnue, dont personne ne savait le nom, , et qui venait voir Elizabeth, déguisée en garçon. Une servante avait dit à deux hommes, - ils en témoignèrent au procès -, que, sans le vouloir, elle avait surpris la comtesse seule avec cette inconnue, torturant une jeune fille dont les bras étaient attachés très serrés et si couverts de sang qu'on ne les voyait plus ,. Ce n'était pas une paysanne, mais une femme de qualité qui, sans être masquée, éprouvait le besoin de se travestir, sans doute pour éviter de se faire reconnaître. " Cette visiteuse, pour laquelle on emploie le mot " dame ", était-elle une amie descendue de quelque château des environs pour ces fêtes à deux ? Amie ignorée et intermittente, en tout cas, puisqu'à Csejthe on connaissait à peu près tout le monde appartenant à la contrée. Une étrangère ? Alors, quelles étaient exactement les relations entre elle et Elizabeth ? Leurs sadiques plaisirs étaient-ils les seuls " Il est bien difficile de répondre, d'autant plus que si la comtesse Bathory a commis et fait commettre d'innombrables crimes de sang sur des jeunes filles, on a considérablement brodé sur son action. Et ce ne sont pas les minutes de son procès, pourtant fort précises quant aux témoignages recueillis, qui peuvent donner la solution des véritables motivations d'Elizabeth Bathory.

Cependant, Férencz Nàdasdy mourut soudainement en 1604. Devenue veuve, la comtesse semble n'avoir rien changé à son mode de vie. Les tortures qu'elle infligeait à ses servantes, elle les pratiquait depuis longtemps et son mari le savait parfaitement, considérant celles-ci comme de simples amusements de la part de sa femme. D'ailleurs, dans toutes les maisons nobles de ce temps, il était courant de fouetter les servantes pour un oui ou pour un non. L'état de servage n'existait plus en Hongrie, mais les vieilles habitudes ont du mal à disparaître, surtout quand elles sont acceptées, bon gré, mal gré, par celles qui en sont les victimes. L'un des témoignages du procès est catégorique : à la question de savoir depuis combien de temps la comtesse maltraitait les jeunes filles, un témoin répond : , Elle commença quand son mari était encore en vie, mais alors ne les tuait pas. Le comte le savait et ne s'en souciait guère. " On raconte une curieuse anecdote à ce sujet, non pas sur le début des sévices opérés par Elizabeth, mais sur la naissance de sa fascination pour le sang qui coule. " Un jour qu'elle avait frappé une servante assez violemment pour la faire saigner du nez, parce qu'elle lui avait tiré les cheveux en la peignant, un peu du sang de la jeune fille tomba sur le poignet d'Elizabeth. Un peu plus tard, la comtesse crut remarquer que la peau de l'endroit où était tombé le sang était devenue plus blanche et plus douce que la peau environnante. Intriguée, elle se baigna le visage avec le sang d'une des victimes de ses orgies sadiques. Son visage lui sembla rajeuni et revivifié par le traitement 1. "

Le souci primordial d'Elizabeth Bathory, depuis son plus jeune âge, avait été sa beauté: elle avait une peur atroce de vieillir et de s'enlaidir. Il n'en fallait pas plus pour s'imaginer qu'elle pouvait indéfiniment préserver sa beauté grâce à du sang frais de jeunes filles, de préférence vierges, donc revêtues de cette aura magique que confère la virginité. " Le sang, c'est la vie ! " répétait Renfield au docteur Seward. Mais pour Elizabeth Bathory, la vie, c'était la beauté et la jeunesse. Si l'anecdote est vraie, on comprend mieux ce goût du sang chez elle. Et cela nous ramène inévitablement au vampirisme.

Elizabeth Bathory passait son temps au château de Csejthe, faisant également de fréquents séjours à Presbourg et surtout dans la demeure qu'elle avait acquise à Vienne, non loin de la cathédrale, demeure qui semble avoir été marquée aussi par de sanglantes orgies. A Csejthe comme ailleurs, Elizabeth était toujours accompagnée de sa nourrice jo Ilona et de sa servante Dorottya Szentes, dite Dorko, deux femmes vieilles, vulgaires, sales, d'une totale immoralité ' et probablement sectatrices d'une de ces mystérieuses cohortes de sorcières avorteuses qui pullulaient encore dans les campagnes de l'Europe centrale. Il semble qu'elles aient été les principales pourvoyeuses de " chair freiche " de la comtesse, en même temps que ses "agents d'exécution " quand il s'agissait de frapper, de saigner, puis d'enterrer les malheureuses victimes. Autour de ce duo infernal, il y avait un homme à tout faire, Ujvari johanes, dit Ficzko, une sorte de nabot disgracieux, et une lavandière, Katalin Beniezky. Elizabeth vivait au milieu de cette troupe entièrement vouée à son service et à la satisfaction de ses instincts les plus bas. Cela constituait pour elle le personnel permanent et indispensable. Mais il y avait aussi le personnel " volant ", de belles jeunes filles dont elle faisait ses servantes, et parfois ses concubines, du moins tant qu'elle y trouvait une certaine nouveauté. Car ces " servantes " disparaissaient les unes après les autres, et il fallait bien que le " personnel permanent " se chargeât de renouveler un cheptel qui devait être toujours jeune et beau. Certes, il y en avait toujours en réserve. On prétend même que la comtesse veillait à ce que ces jeunes filles retenues prisonnières fussent bien nourries et engraissées, car elle croyait que plus elles étaient dodues, plus elles avaient de sang dans les veines, et que plus elles étaient bien portantes, plus la vertu de ce sang était efficace. Plus que jamais, le sang était la vie: Elizabeth Bathory croyait-elle pouvoir échapper au vieillissement et à la mort, et gagner ainsi une éternelle jeunesse ? Il semble qu'il faille prendre très au sérieux cette conviction.

Un autre personnage vint bientôt compléter la sinistre troupe, une certaine Darvulia Anna. On a largement brodé sur cette femme sous prétexte que son nom évoque celui de Dracula. Il n'est pas nécessaire d'en venir là, car il apparaît que Darvulia était une sorcière de la meilleure tradition, une magicienne noire qui connaissait des formules et des incantations sataniques et qui n'hésitait pas, comme le fera plus tard la Voisin, en France, au moment de l'affaire des Poisons, à procéder à des sacrifices humains pour obtenir l'aide des puissances démoniaques. Sans doute Darvulia Anna sut-elle convaincre Elizabeth Bathory, déjà quadragénaire mais toujours très belle, qu'elle connaissait les recettes infaillibles pour prolonger indéfiniment cette beauté. La comtesse ne put plus se passer de Darvulia, et il est établi que la présence de cette ( sorcière" ne fit qu'augmenter la fréquence des (, sacrifices " qu'Elizabeth offrait à la mystérieuse divinité assoiffée de sang qu'elle n'avait jamais cessé d'adorer depuis sa plus tendre enfance. Les plus belles filles de Transylvanie et de Hongrie, lorsqu'elles étaient repérées par les émissaires de la comtesse, prenaient le chemin du château de Csejthe. Tous les moyens étaient bons : menaces, intimidation, promesses d'argent, achat pur et simple dans certaines familles pauvres. Mais la plupart d'entre elles ne ressortaient jamais plus de la sinistre forteresse.

On a probablement fort exagéré les récits concernant les supplices infligés à ces innocentes jeunes filles par la comtesse Bathory et ses âmes damnées. Mais il en est de suffisamment établis pour se faire une idée de l'atmosphère malsaine et macabre qui régnait dans les souterrains du château de Csejthe. Les filles étaient frappées avec violence. Certaines avaient le cou percé selon la plus pure tradition vampirique. D'autres étaient liées avec des cordes qu'on tordait ensuite afin qu'elles puissent s'enfoncer dans les chairs, ce qui permettait de leur ouvrir les veines et de faire jaillir le sang sur la comtesse. On prétend même' qu'on remplissait parfois des baignoires de sang et qu'Elizabeth s'y baignait avec ravissement. Mais comme sa peau délicate ne supportait pas d'être essuyée avec des serviettes, ce sont d'autres filles qui devaient la débarrasser du sang en lui léchant tout le corps avec leurs langues. Celles qui, ne supportant pas une telle horreur, s'évanouissaient, étaient ensuite sévèrement châtiées avant de servir de victimes à leur tour. On imagine aisément le contexte érotique de ces rituels. Selon certaines sources, toujours quelque peu discutables, certaines de ces jeunes filles finissaient leur vie dans le lit même de la comtesse. Elizabeth faisait venir les filles qui lui plaisaient le mieux et s'abîmait avec elles des nuits entières dans des embrassements - et des embrasements - homosexuels, avant de les mordre cruellement, parfois jusqu'à la mort. On comprend que de telles relations aient pu intéresser au plus haut point un spécialiste de l'érotisme dans la souffrance comme l'a été Georges Bataille, et aussi inspirer un certain nombre de films plus ou moins érotiques, mais parfaitement sadiques.

Il y a aussi la fameuse "Vierge de Fer". Est-ce une légende ? Actuellement, cet automate monstrueux peut encore être vu au château de Riegersburg, en Styrie. Est-ce celui dont, paraît-il, se servait la comtesse Bathory? Il s'agissait d'une statue de bois articulée, avec des mécanismes de fer, en forme de femme. Image de la déesse cruelle qu'adorait Elizabeth ? Peut-être. Ce qu'il y avait de terrible dans cet automate, c'était les pointes acérées qui pouvaient transpercer les corps qu'on soumettait à l'étreinte de la " Vierge ,. Car il est possible que des filles aient été ainsi livrées à la Vierge de Fer: les bras de celle-ci se refermaient sur le jeune corps et le pressaient de plus en plus contre les pointes acérées, permettant au sang de couler en abondance, sous les yeux d'Elizabeth et de celles qui partageaient obligatoirement ses infernales jouissances. La comtesse Bathory eût certainement été très à l'aise dans l'élaboration d'un Musée des Tortures. Et même si cette histoire de Vierge de Fer est une légende racontée après coup, l'anecdote reste néanmoins significative: toute la vie d'Elizabeth était imprégnée de sang, parce que le sang, c'est la vie.

Cependant, même si l'on est un personnage considérable, même si l'on est apparenté aux plus nobles familles de Hongrie, de Roumanie et du Saint-Empire, même si l'on prend des précautions pour éviter que les langues se délient, de telles manoeuvres ne passent pas inaperçues. On n'empêche pas certaines personnes de murmurer. On n'empêche pas les allusions, et ces allusions se colportent de village en village. Trop, c'est trop... Des rumeurs incroyables parvinrent jusqu'à la cour de Vienne, et les autorités ecclésiastiques, sentant qu'il y avait sans doute des pratiques relevant de l'hérésie ou du paganisme, commencèrent à se livrer à de discrètes enquêtes. Mais comment faire pour savoir la vérité, alors qu'en principe, la belle comtesse Bathory était insoupçonnable et " intouchable " ?

Évidemment, personne n'osait porter officiellement plainte, pas même les parents des jeunes filles disparues qui craignaient trop les représailles, y compris celles de forces diaboliques qu'on disait être au service de la comtesse. Les Bathory et les Nàdasdy étaient bien trop puissants... Mais cela n'empêcha nullement le roi Matthias de Hongrie de prendre l'affaire en main. Convaincu, par certains témoignages, que l'héritière des Bathory était coupable de crimes de sang, il ordonna une enquête qu'il confia au gouverneur de la province, lui-même cousin d'Elizabeth. Le gouverneur se rendit secrètement à Csejthe et s'informa auprès de certaines personnes de confiance, en particulier le curé qui, sans avoir l'intention de le publier de son vivant, avait rédigé un long mémoire dans lequel il signalait quantités de faits pour le moins troublants. L'envoyé du roi Matthias fut très vite édifié, et, lorsqu'il eut fait son rapport, la décision du roi fut implacable: arrêter la comtesse Bathory et tous ses complices. Et cette tâche, il la confia à un autre cousin d'Elizabeth, et qui avait été un temps son amant, son premier ministre, le comte Gyorgy Thurzo.

Le 29 décembre 1610, à la tête d'une troupe armée et accompagné du curé de Csejthe - à qui il arriva d'ailleurs une curieuse aventure à cause d'un groupe de chats ! - et en présence des deux gendres d'Elizabeth Bathory, le comte Thurzo pénétra dans le grand château. La garnison n'opposa aucune résistance et les grandes portes étaient même entrouvertes. Tous purent donc pénétrer à l'intérieur sans aucune difficulté : " Ils allèrent à travers le château, et, accompagnés de gens munis de torches connaissant les entrées des escaliers les plus secrets, descendirent au souterrain des crimes, d'où montait une odeur de cadavre, et pénétrèrent dans la salle de tortures aux murs éclaboussés de sang. Là se trouvaient encore les rouages de la , Vierge de Fer ", des cages et des instruments, auprès des brasiers éteints. Ils trouvèrent du sang desséché au fond de grands pots et d'une sorte de cuve ; ils virent les cellules où l'on emprisonnait les filles, de basses et étroites chambres de pierre; un trou profond par où l'on faisait disparaître les gens; les deux branches du souterrain, l'une conduisant vers le village et débouchant dans les caves du petit château, l'autre allant se perdre dans les collines... Enfin, un escalier montant dans les salles supérieures. Et c'est là, étendue près de la porte, que Thurzo vit une grande fille nue, morte; celle qui avait été une si belle créature n'était plus qu'une immense plaie. A la lumière de la torche, on pouvait voir les traces laissées par les instruments de torture: la chair déchiquetée, les seins tailladés, les cheveux arrachés par poignées; aux jambes et aux bras, par endroits, il ne restait plus de chair sur les os 1. " Plus loin, toujours dans le souterrain, Thurzo et ses hommes découvrirent plusieurs douzaines de jeunes filles, d'adolescentes et de jeunes femmes. Certaines étaient affaiblies, presque complètement vidées de leur sang; d'autres, dans un état d'hébétude totale, étaient encore intactes : c'était le bétail réservé aux prochaines orgies. Par la suite, on exhuma une cinquantaine de cadavres de jeunes filles dans les cours et les dépendances du château.

Elizabeth Bathory ne se trouvait pas dans le château. Il est vraisemblable de penser qu'après une nuit d'orgie rituelle, elle s'était retranchée dans son repaire constitué par le petit château, son domaine réservé où peu de gens avaient le droit de s'introduire. Lorsque le comte Thurzo se présenta devant elle, elle ne songea pas un seul instant à nier l'évidence. Aux accusations que lui porta légalement son cousin et ex-amant, elle répondit que tout cela relevait de son droit de femme noble, et qu'elle n'avait de comptes à rendre à personne. Sans se laisser impressionner, Thurzo la fit mettre sous surveillance, et la comtesse s'enferma dans un mutisme hautain dont elle ne se départit jamais plus.

Mais la procédure de la justice était en marche et plus rien ne pouvait l'arrêter désormais. Le roi Matthias était décidé à aller jusqu'au bout, Gyorgy Thurzo et les membres des familles Bathory et Nàdasdy également, même s'ils craignaient de supporter les conséquences d'un étalage public des turpitudes de la comtesse. En fait, chacun se trouvait embarrassé, car tout cela éclaboussait la plus haute société austro-hongroise de l'époque. Matthias de Hongrie était le plus acharné à vouloir justice, le comte Thurzo le plus réservé, et aussi le plus calme. Il devait y avoir procès : il aurait lieu, mais on prendrait soin de n'y point faire paraître la principale inculpée, ce qui était une façon élégante de ne pas mouiller certains membres de l'aristocratie qui avaient, sans nul doute, d'une façon ou d'une autre, été complices de la meurtrière. Il fallait des accusés pour en faire des coupables. On se rabattit sur l'entourage immédiat d'Elizabeth. On savait que ceux-là, qui appartenaient aux classes les plus obscures de la société, n'étaient pas dangereux et que leur condamnation servirait d'exutoire.

On a retrouvé le procès-verbal des interrogatoires qui furent menés pendant l'instruction. On est en droit de se demander si ces dépositions ont été acquises au moyen de la torture, méthode pratiquée couramment à l'époque, et c'est pourquoi il convient de les prendre avec toutes les réserves qui s'imposent. Mais ces dépositions ne sont nullement en contradiction avec d'autres témoignages, et avec les bruits qui circulaient depuis fort longtemps sur les atrocités qui se commettaient aussi bien à Vienne qu'à Csejthe à la demande formelle de la comtesse Bathory. Et même s'il faut faire la part de l'exagération et du lavage de cerveau qu'ont subi les témoins, les récits sont hallucinants. Il y a là un accent de vérité qui ne trompe pas: ces témoins, participants actifs des turpitudes d'Elizabeth, donc motivés par une foi énigmatique d'origine païenne et ancestrale, sont parfaitement conscients de ce qu'ils racontent, et d'ailleurs, ils ne manifestent jamais le moindre remords, le moindre sentiment de culpabilité quant à ce qui leur est reproché. A les entendre, tout ce qui s'est passé au château de Csejthe est parfaitement naturel et ne souffre pas d'être discuté. Qu'on en juge sur pièces .

Ainsi, le premier témoin, Ficzko, après avoir avoue avoir tué trente-sept jeunes filles et participé à leur inhumation, est amené à parler de l'origine des victimes et du sort qui leur était réservé : (, Dorko et une autre allèrent en chercher. Elles leur dirent de les suivre dans une bonne place de service. Pour une de ces dernières, venant d'un village, il fallut un mois pour la faire arriver et on la tua tout de suite. Surtout des femmes de différents villages s'entendaient pour fournir des jeunes filles 2. Même une fille de l'une d'elles fut tuée; alors la mère refusa d'en amener d'autres. Moi-même, je suis allé six fois en chercher avec Dorko. Il y avait une femme spéciale qui ne tuait pas, mais qui enterrait... Une femme, Szabo, a amené des filles, et aussi sa propre fille, quoique sachant qu'elle serait tuée. jo Ilona aussi en a fait venir beaucoup. Kata n'a rien amené, mais elle a enterré toutes les filles que Dorko assassinait. " On voit ainsi que la comtesse sanglante avait constitué une véritable meute pour rabattre, par tous les moyens, les filles dont elle avait besoin pour assouvir ses passions, ou plutôt pour procéder à ces étranges sacrifices.

Où cela devient presque insupportable, c'est lorsque les témoins donnent des détails sur les supplices. C'est toujours Ficzko qui parle: " Elles (les complices d'Elizabeth) attachaient les mains et les bras très serrés avec du fil de Vienne, et les battaient à mort, jusqu'à ce que tout leur corps fût noir comme du charbon et que leur peau se déchirât. L'une supporta plus de deux cents coups avant de mourir. Dorko leur coupait les doigts un à un avec des cisailles, et ensuite leur piquait les veines avec des ciseaux... jo Ilona apportait le feu, faisait rougir les tisonniers, les appliquait sur la bouche et mettait le fer dedans. Quand les couturières faisaient mal leur travail, elles étaient menées pour cela dans la salle de torture. Un jour, la maîtresse elle-même a mis ses doigts dans la bouche de l'une et a tiré jusqu'à ce que les coins se fendent. Il y avait aussi une autre femme qui s'appelait Ilona Kochiska, et qui a aussi torturé des filles. La maîtresse les piquait d'épingles un peu partout; elle a assassiné la fille de Sitkey parce qu'elle avait volé une poire... La maîtresse a toujours récompensé les vieilles quand elles avaient bien torturé les filles. Elle-même arrachait la chair avec des pinces, et coupait entre les doigts. Elle les a fait mener sur la neige, nues, et arroser d'eau glacée; elle les a arrosées elle-même et elles en moururent... Dans le coche, quand la maîtresse voyageait, elles étaient pincées et piquées d'épingles. "

Le témoignage de la nourrice, jo Ilona, n'est pas moins édifiant: ", Elle battait les filles cruellement et Darvulia mettait les jeunes servantes dans l'eau froide et les laissait toute la nuit. La comtesse elle-même déposait dans leur main une clef ou une pièce d'argent rougie au feu. A Sravar, Elizabeth a, devant son mari Férencz Nàdasdy, dévêtu une petite parente de son mari, l'a enduite de miel et laissée un jour et une nuit dans le jardin pour que les insectes et les fourmis la piquent. Elle, jo Ilona, était chargée de mettre entre les jambes des jeunes filles du papier huilé et de l'allumer... Dorko coupait avec des ciseaux les veines des bras ; il y avait tant de sang qu'il fallait jeter de la cendre autour du lit de la comtesse, et celle-ci devait changer de robe et de manches. Dorko incisait aussi les plaies boursouflées et Elizabeth arrachait avec des pinces la chair du corps des filles... C'est de Darvulia qu'Elizabeth apprit les plus graves cruautés ; elles étaient très intimes. jo Ilona savait, et avait même vu, qu'Elizabeth a brûlé le sexe de certaines filles avec la flamme d'un cierge. " Tout cela est corroboré par Dorko : (, La comtesse torturait les filles avec des cuillères rougies au feu, et leur repassait la plante des pieds avec un fer rouge. Leur arrachait la chair aux endroits les plus sensibles des seins et d'ailleurs avec de petites pinces d'argent. Les mordait en les faisant amener au bord de son lit quand elle était malade. En une seule semaine, cinq filles étaient mortes. "

Le reste est à l'avenant et nous prouve que le marquis de Sade, dans son délire somme toute parfaitement inoffensif, n'a rien inventé. Car ces témoignages, quelles que soient les réserves qu'on peut émettre à leur propos, sont terriblement accablants. Et, sans trop risquer de se tromper, il faut bien se résoudre à accepter comme un minimum absolu le chiffre ahurissant de six cents jeunes filles sacrifiées par la comtesse Elizabeth Bathory et ses complices. La comtesse fut évidemment reconnue coupable par les juges qui se penchaient sur son cas. Mais la question se posait quant à la peine qu'elle devait encourir. On sait que le roi Matthias était résolu à condamner la comtesse à mort, quels que fussent ses liens avec l'illustre famille des Bathory. Mais la famille Bathory, et le comte Gyorgy Thurzo le premier, n'avaient aucune envie de salir leur nom en faisant procéder à l'exécution publique d'une des plus grandes dames de l'Empire. Il y eut des négociations, des compromis. On se dit qu'il valait mieux faire passer Elizabeth pour folle que pour une criminelle. Le verdict tomba: les principaux complices, Jo Ilona, Ficzko, Dorko et Katalin Beniezky furent condamnés à la décapitation et rapidement exécutés. Quant à la comtesse de sang royal Elizabeth Bathory, elle fut condamnée à être murée vive dans ses appartements privés du petit château de Csejthe. Sous la surveillance des juges et du comte Thurzo, des maçons murèrent donc les fenêtres et les portes de ses appartements, ne laissant qu'une petite ouverture par laquelle on passerait tous les jours de l'eau et de la nourriture. Elizabeth Bathory se laissa enfermer sans prononcer une parole. Elle vécut quatre ans dans la solitude et l'obscurité. Aux dires de ceux qui la virent dans son dernier sommeil, en dépit de son âge - très avancé pour l'époque - de cinquante-quatre ans, sa beauté était inaltérée. Et l'on retrouva, dans ses appartements, de nombreux grimoires, et surtout des invocations sataniques dans lesquelles elle conjurait le Diable de faire mourir ses ennemis, le comte Thurzo en tête, et de leur envoyer des démons sous forme de chats noirs. C'est ce qui était arrivé au curé de Csejthe Igrsqu'il avait accompagné les justiciers dans les souterrains du château. Coïncidence? Il est bien certain que la magie, et une magie des plus noires et des plus sinistres, est la seule explication plausible de l'invraisemblable comportement de la comtesse Elizabeth Bathory.

En fait., bien des questions se posent. Dans son invocation, faite la veille de son arrestation, Elizabeth Bathory implorait l'aide des puissances maléfiques, demandant particulièrement à Satan, qu'elle appelle le Suprême Commandeur des Chats, de lui envoyer quatre-vingt-dix-neuf chats contre ses ennemis. Or, le curé de Csejthe, auteur du mémoire qu'il espérait bien transmettre un jour, était l'un de ses plus ardents ennemis, bien qu'il fût réduit au silence par peur des représailles. D'après le témoignage du prêtre, lors de la perquisition dans le château, il fut assailli par six chats qui le griffèrent et le mordirent avant d'être chassés par les hommes d'armes et de dispar ECitre comme des fantômes. Hallucination ? Superstition ? Rien n'est bien clair dans cette histoire pourtant réelle de la comtesse Bathory.

Était-elle sorcière ? Incontestablement, ou du moins magicienne, prêtresse d'une religion noire et rouge héritée de la nuit des temps. Il serait vain de prétendre qu'elle était folle. Il serait stupide de ne voir en elle qu'une dépravée sexuelle assouvissant ses désirs pervers sous le couvert de ce qu'elle croyait être son impunité. Certes, la composante sexuelle, sadique et lesbienne, ne fait aucun doute dans son comportement. Mais ce n'est pas suffisant pour expliquer de telles horreurs. Et pourquoi n'a-t-elle sacrifié, ou fait sacrifier, à son culte sanguinaire que des femmes, des filles vierges ? Le sang des vierges a donc tant de vertu qu'il puisse procurer à ceux qui savent en profiter l'immortalité dans la beauté et le printemps éternel ?

Ici, la relation entre le personnage d'Elizabeth Bathory, personnage réel, rappelons-le, et le sinistre comte Dracula, personnage romanesque mais surgi d'une longue tradition et intégré dans un ouvrage de fiction initiatique, est absolument nette. Oui, la comtesse Bathory est une femme vampire se régénérant dans le sang des jeunes vierges qu'elle sacrifie en l'honneur d'une mystérieuse et cruelle déesse des anciens jours. Elle mordait ses victimes, nous dit-on. On n'ajoute pas qu'elle buvait leur sang, mais elle s'en inondait, ce qui revient au même. Aurait-elle pu survivre autant d'années, dans toute sa beauté, sans cette thérapeutique " quelque peu spéciale ? 


Elizabeth Bathory a emporté son secret dans la tombe, si tant est qu'elle ait réellement une tombe. Car les vampires, c'est bien connu, ne meurent jamais vraiment. 

Arrestation

Enquête

Entre 1602 et 1604, le pasteur luthérien István Magyari vient se plaindre à la fois publiquement et à la cour de Vienne suite à certaines rumeurs concernant des atrocités commises par Élisabeth Báthory.

Les autorités mettent un certain temps avant de répondre aux plaintes de Magyari. Finalement, en 1610, l'empereur Matthias Ier du Saint-Empire charge György Thurzó, palatin de Hongrie, de l'enquête. En mars 1610, Thurzó demande à deux notaires de rassembler des preuves.

Avant même d’avoir obtenu des résultats, Thurzó commence à négocier avec le fils d’Élisabeth et ses deux beaux-fils. Un procès et une exécution auraient causé un scandale public et jeté la disgrâce sur une famille noble et influente qui, à l’époque, règne sur la Transylvanie ; la fortune d’Élisabeth – considérable – aurait été saisie par la couronne. Thurzó se résout à assigner la comtesse à résidence.

Accusations

On dénombre plus de 300 témoignages collectés en 1610 et 1611. Les rapports du procès comprennent les témoignages des quatre accusés, ainsi que ceux de treize autres témoins, notamment le « castellan », et le reste du personnel du château de Sárvár.

Ses premières victimes seraient de jeunes paysannes de la région, attirées à Čachtice par des offres de travail bien payé pour être servantes au château. Plus tard, elle aurait commencé à tuer des filles de la petite noblesse, envoyées chez elle par leurs parents pour y apprendre l’étiquette. Des rapts semblent aussi avoir été pratiqués.

Les descriptions de tortures mises en évidence durant le procès sont souvent basées sur l'ouï-dire. Parmi les atrocités décrites (et probables), on cite notamment :

  • de longs passages à tabac, entraînant souvent la mort ;
  • des brûlures et autres mutilations des mains, parfois aussi sur le visage et les parties génitales ;
  • des morsures atteignant des parties de peau du visage, des bras et du corps ;
  • une exposition au froid entraînant la mort ;
  • une mise à mort par dénutrition.

L’utilisation d’aiguilles sera aussi mentionnée au procès par les collaborateurs. Certains témoins mentionnent des proches qui seraient morts au château. D’autres rapportent des traces de torture sur des cadavres ; certains étaient enterrés au cimetière, d’autres dans des lieux divers.

Selon les confessions des accusés, Élisabeth Báthory aurait torturé et tué ses victimes non seulement à Čachtice, mais également dans ses propriétés à Bécko, Sárvár,DeutschkreutzBratislavaVienne et, même, sur le chemin entre ces différents lieux.

En plus des accusés, plusieurs personnes sont mentionnées comme ayant fourni des jeunes filles à Élisabeth Báthory. Le nom d'Anna Darvulia – dont on ne sait presque rien – est ainsi cité : c'était sans doute une femme des environs, dont on dit qu’elle aurait joué un rôle important dans le déclenchement des agissements sadiques d'Élisabeth Báthory. Elle serait cependant morte avant cette dernière.

Le nombre total de jeunes filles torturées et tuées par Báthory reste inconnu, bien qu’on en mentionne une centaine entre les années 1585 et 1610. Les estimations diffèrent grandement. Szentes et Fickó en rapportent respectivement 36 et 37 au cours de leur période de service. Les accusés estiment le nombre à une cinquantaine ou plus. Le personnel du château de Sárvár évalue le nombre de corps retirés du château à 100, peut-être même 200. Un témoin au tribunal évoquera un carnet, dans lequel un total de 650 victimes aurait été consigné par Báthory elle-même. Ce carnet n’a été mentionné nulle part ailleurs et n’a jamais été découvert ; cependant, ce nombre fait partie de la légende entourant Báthory.

Mais les chefs d'accusation sont parfois pris avec prudence par les historiens Comme le souligne la BBC, « la nature du procès rend toutes les preuves fournies suspectes, car elles ont été extirpées sous la torture ou des menaces de torture. ». Point que souligne également l'historien Miklós Molnàr, spécialiste de la Hongrie. Il n'est donc pas exclu que les témoins aient inventé ou exagéré des faits dans le seul but de mettre fin à leur supplice. Par ailleurs, Molnar souligne aussi que la comtesse n'a pas eu la possibilité de se défendre contre ces accusations. Mais il précise toutefois : « Il est possible qu'elle ait commis ces crimes, rien n'est exclu, mais rien n'est prouvé. »

Certaines légendes populaires véhiculent aussi l'idée selon laquelle la comtesse se serait baignée dans le sang de ses victimes pensant que cela lui permettrait de conserver sa jeunesse. Mais comme le notent les historiens comme Radu Florescu, Raymond Mcnally et Molnàr, « cette accusation est absente des procès-verbaux et des correspondances » et n'est soutenue par aucune preuve, ni aucun témoin.

En 1984, l'historien hongrois László Nagy avanca une théorie selon laquelle Élisabeth Báthory n'aurait pas commis ces crimes et aurait été victime d’une conspiration. Cette théorie a été cependant rejetée par György Pollák en 1986. Néanmoins, en 1997, le Mourre, dictionnaire encyclopédique de référence en histoire, mentionne la thèse de László Nagy et la considère comme possible :

« Il est possible que les horrifiques chefs d'accusations aient été inventés par certains membres de la famille pour soustraire Erzsébet à l'accusation suprême de haute trahison, car elle voulait contribuer avec ses gens d'armes et avec sa fortune personnelle à la lutte de son cousin Gabriel Báthory, prince de Transylvanie, contre les Habsbourg. Pour dissimuler l'action politique de la comtesse et pour éviter ainsi que la famille ne fut compromise, son mari a préféré qu'elle fut accusée de crimes de droit commun. »

Procès

Thurzó se rend à Čachtice le 29 septembre 1610, et fait arrêter Élisabeth Báthory, ainsi que quatre de ses serviteurs, accusés d’être ses complices. On dit que les hommes de Thurzó auraient trouvé le corps d’une fille morte et celui d'une mourante. Une autre femme est trouvée blessée, d’autres enfermées.

Tandis que la comtesse est assignée à résidence – et elle le restera jusqu'à sa mort –, ses complices sont poursuivis. Un procès, préparé à la hâte, se tient le 7 janvier 1611 à Bytča, présidé par le juge de la Cour royale suprême, Theodosious Syrmiensis de Szuló, et vingt juges associés. Élisabeth elle-même ne comparaît pas au procès.

Les accusés au procès sont :

  • Dorottya Szentes, désignée aussi sous le nom de Dorkó,
  • Ilona Jó,
  • Katalin Benická,
  • Le nain János Újváry, Ibis ou Ficzkó.

Dorkó, Ilona et Ficzkó sont reconnus coupables et exécutés. Dorkó et Ilona ont les doigts arrachés, avant d’être jetées au feu, tandis que Ficzkó, dont la culpabilité est jugée moindre en raison de son jeune âge, est décapité avant d’être jeté aux flammes. Un échafaud public est érigé près du château pour montrer que justice a été rendue. Katalin Benická est condamnée à une sentence de prison à vie, car elle a agi uniquement sous la contrainte et l’intimidation des autres, comme en attestent les témoignages.

Dernières années et mort

Élisabeth, jamais poursuivie au tribunal, reste assignée à résidence dans une seule pièce de son château et ce, jusqu’à sa mort.

Le roi Matthias Ier du Saint-Empire incite Thurzó à la traîner en justice. Deux notaires sont envoyés pour collecter de nouveaux témoignages20. Cependant, les lettres échangées entre l’Empereur et le Palatin, entre 1611 et 1613, laissent penser que Thurzó n’était pas enclin à attaquer la comtesse.

Le 21 août 1614, Élisabeth Báthory meurt dans son château. Elle est enterrée à l’église de Čachtice.

Elle avait rédigé un testament quelque temps auparavant, léguant deux de ses châteaux à sa fille Katharina, mais Pal étant l'unique héritier mâle, c'est à lui que reviendront tous les biens d'Élisabeth.

Ascendance

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
16. Étienne Báthory de Ecsed
 
 
 
 
 
 
 
 
8. André Báthory de Ecsed
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
17. Barbara Buthkay
 
 
 
 
 
 
 
 
4. André Báthory de Ecsed
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
18. Nicolas Drágfy de Béltek
 
 
 
 
 
 
 
 
9. Juliana Drágfy de Béltek
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
19. Eufémia Jakcs de Kusaly
 
 
 
 
 
 
 
 
2. Georges Báthory de Ecsed
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
20. Jean Rozgonyi de Rozgony
 
 
 
 
 
 
 
 
10. Étienne Rozgonyi de Rozgony
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
21. Marguerite Modrár
 
 
 
 
 
 
 
 
5. Catherine Rozgonyi de Rozgony
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
22. Nicolas Héderváry de Hédervár
 
 
 
 
 
 
 
 
11. Catherine Héderváry de Hédervár
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
23. Ursula Henning
 
 
 
 
 
 
 
 
1. Élisabeth Báthory de Ecsed
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
24. Étienne Báthory de Somlyó
 
 
 
 
 
 
 
 
12. Nicolas Báthory de Somlyó
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
25. Dorothée Várday de Kisvárda
 
 
 
 
 
 
 
 
6. Étienne Báthory de Somlyó
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
26. Jean Bánffy de Losonc
 
 
 
 
 
 
 
 
13. Sophie Bánffy de Losonc
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
27. Marguerite Malacz
 
 
 
 
 
 
 
 
3. Anne Báthory de Somlyó
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
28. Jean Telegdy de Kincstartó
 
 
 
 
 
 
 
 
14. Étienne Telegdy de Kincstartó
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
29. Isabelle Báthory de Ecsed
 
 
 
 
 
 
 
 
7. Catherine Telegdy de Kincstartó
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
30. Georges Bebek de Pelsőcz
 
 
 
 
 
 
 
 
15. Marguerite Bebek de Pelsőcz
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
31. Françoise Héderváry de Hédervár
 
 
 
 
 
 
 

Folklore et culture populaire

Élisabeth Báthory inspirera de nombreuses légendes au cours des xviiie et xixe siècles. Comme on l'a dit, le motif le plus récurrent dans les récits la concernant est celui qui la représente se baignant dans le sang de ses victimes, afin de garder beauté et jeunesse. Cette légende est apparue pour la première fois en 1729 sous la plume de László Turóczi, un jésuite érudit, dans le livre Tragica historia, le premier écrit consacré à Báthory. Des historiens modernes comme Radu Florescu et Raymond T. McNally en ont conclu que les théories présentant la vanité comme motif des meurtres d’Élisabeth provenaient essentiellement de stéréotypes liés au rôle social des femmes à l’époque. On ne pouvait pas envisager que les femmes soient capables de violence gratuite.

Au début du xixe siècle, la thèse de la vanité fut remise en question et le plaisir sadique fut considéré comme un motif plus plausible de ses crimes. En 1817, les rapports de témoignages, retrouvés en 1765, sont publiés pour la première fois prouvant que les histoires de bain de sang n’étaient que légende. Néanmoins, la légende a persisté dans l’imaginaire populaire, au point que certains motifs sont souvent pris pour des faits historiques. Certaines versions de l’histoire visaient clairement à véhiculer une morale dénonçant la vanité féminine, tandis que d’autres visaient à distraire et faire frissonner par le caractère sensationnaliste et macabre. Les croyances autour de la comtesse constituent, de nos jours, des sources d'inspirations importantes dans la culture populaire en musique, dans les films, les livres, les jeux et les jouets. Elle inspirera également de nombreux personnages fictifs d'après l'image macabre façonnée par les légendes.

 

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9 août 2013

les bourreaux.......

mengele

 

Josef Mengele

Description de cette image, également commentée ci-après

Josef Mengele, photographié en 1956 en Argentine.

Nom de naissance Josef Mengele
Surnom L'ange de la mort
Naissance 16 mars 1911
Guntzbourg (BavièreEmpire allemand)
Décès 7 février 1979 (à 67 ans)
Bertioga (Brésil)
Nationalité Allemand
Profession Médecin
Famille Karl Mengele, son père
Walburga, sa mère
Karl et Alois, ses frères
Irène, sa première femme
Martha, sa seconde femme
Rolf, son fils

Compléments

Josef Rudolf Mengele (16 mars 1911 à Günzburg enAllemagne – 7 février 1979 à Bertioga au Brésil) est unmédecin nazi allemand et un criminel de guerre

Il a été actif notamment au camp de concentration d'Auschwitz, participant à la sélection des déportés voués à un gazage immédiat et s'est livré sur de nombreux prisonniers à des expériences pseudo-scientifiques constituant des crimes de guerre.

Après la guerre, il ne fut jamais capturé et vécut 35 ans enAmérique latine sous divers pseudonymes, dont celui de Wolfgang Gerhard sous lequel il fut inhumé en 1979 auBrésil. Il est connu sous le surnom d'« ange de la mort »

Jeunesse

Josef Mengele naît à Günzburg, cité médiévale située au bord du Danube. Il est le deuxième enfant et l'aîné des trois fils de Karl Mengele (1881-1959) et de sa femme Walburga (née Hupfauer, † 1946), de riches industriels bavarois. Ses frères se nomment Karl (1912-1949) et Alois (1914-1974). Enjanvier 1930, il quitte sa ville natale pour rejoindre Munich. C’est dans cette ville qu’il va adopter l’idéologie nationale socialiste, par conviction, et ambition. Enmars 1931, il entre dans la Stahlhelm, Bund der Frontsoldaten (Ligue des Soldats du Front, Casque d’Acier), qui le rapprocha du NSDAP. En octobre 1933, il s’enrôle dans la Sturmabteilung.

Il part ensuite pour Francfort-sur-le-Main, où il étudie la médecine. En 1935, il soutient brillamment sa thèse surL’Examen morphologique de la partie antérieure de la mâchoire inférieure dans quatre groupes raciauxqui soutient grandement ses théories eugénistes et ses visions de la race supérieure. L’année suivante, il passe avec succès l’Examen d’État, et commence à pratiquer à Leipzig. Il obtient son doctorat en 1938alors qu’il exerçait auprès de l’Institut National Socialiste de Recherche pour la Pureté de la Race. La même année, il devient également membre du NSDAP (n°5.574.974); il entre ensuite dans la SS (n°317.885) et enfin, il épouse Irène Schönbein le 28 juillet. Peu de temps après, il est nommé à l'Institut de Biologie Héréditaire et d'Hygiène Raciale de Francfort, où il travaille comme assistant d'Otmar von Verschuer, selon lequel « le meilleur moyen de repérer les influences héréditaires était d'étudier les jumeaux ».

Du 24 octobre 1938 au 21 janvier 1939, il effectue son service militaire au sein de la Kompanie des Gebirgsjägerregiments 137, puis s’engagea comme membre de la Waffen-SS, en 1940. Il sert comme médecin militaire sur le front de l'est dans la 5e Panzerdivision SS Wiking. Fin 1942, il est blessé au front à la jambe et est jugé inapte à retourner au combatPour son engagement héroïque au cours des batailles, il est promu au grade de SS Hauptsturmführer ; et est décoré de la croix de fer, puis il est transféré, en mai 1943, au Bureau Central SS de l'Administration et de l'Économie, qui supervise les camps de concentration nazis, puis, le 24 mai, il est affecté au camp de concentration d'Auschwitz.

Auschwitz

Bloc 10 à Auschwitz

Mengele est notamment chargé, comme d'autres médecins SS du camp, de la sélection des déportés qui arrivent au camp : ceux qui peuvent travailler sont temporairement gardés en vie ; les autres, dont les femmes, les enfants et les vieillards, sont immédiatement dirigés vers les chambres à gaz et exterminés. Toujours vêtu d'un uniforme bien coupé et de bottes parfaitement cirées, il fait souvent impression sur les détenus par sa politesse et son élégance. Lorsqu'il rencontre une résistance, il« abandonne sa pose élégante » pour fouetter de sa cravache ceux qui refusent d'être séparés de leur famille ; lorsqu'une mère attaque un SS qui veut la séparer de sa fille, il l'abat d'un coup de revolver, puis assassine également la fille avant d'envoyer la totalité des déportés du convoi vers les chambres à gaz.

Faisant partie des médecins du camp, Mengele visite régulièrement les salles de l'hôpital de celui-ci, « avec le manteau blanc immaculé qu'il portait par-dessus son uniforme SS, fleurant l'eau de Cologne et sifflant des airs deWagner » : au cours de ces inspections, il désigne, en levant ou en baissant le pouce, les malades voués aux chambres à gaz, parfois simplement « sur des bases purement esthétiques », une vilaine cicatrice ou une éruption cutanée équivalant à une condamnation à mort. Lors d'une de ses visites, il fait tracer une ligne horizontale sur un des murs du bloc des enfants et fait gazer ceux dont la taille est inférieure à la limite qu'il a fixée. Dans certains cas, il procède lui-même et immédiatement à une injection mortelle de phénol, en « prenant un plaisir évident à son travail ».

Mengele utilise également sa nomination à Auschwitz comme une occasion de reprendre sa carrière de chercheur scientifique, entamée à l'université de Francfort mais interrompue par la Seconde Guerre mondiale ; l'un de ses projets porte sur l'étude du noma, maladie qui provoque de graves mutilations faciales et dont il pense qu'elle a un caractère héréditaire, particulièrement fréquent chez les Tziganes. Dans la ligne de son mentor, Otmar von Verschuer, il met également en place des programmes de recherche pseudo-scientifiques, portant sur les jumeaux, mais aussi sur les nains, les bossus, les homosexuels… Dans ce cadre, il se considère comme un « scientifique normal » et tient un séminaire de recherche régulier avec ses assistants, auxquels il intègre des déportés ayant une formation médicale.

Pour ses recherches sur le noma, Mengele traite un grand nombre d'enfants souffrant de cette maladie, en leur administrant des vitamines et des sulfamides ; mais dès que les progrès sont suffisants pour attester de l'efficacité du traitement, il interrompt celui-ci et laisse les enfants rechuter.

Même quand il n'est pas de service, Mengele inspecte les nouveaux arrivants à la recherche de jumeaux ou supposés tels : il les préserve de l'extermination immédiate, les installe dans des baraques séparées du reste du camp, en conservant leurs effets personnels et, lorsqu'ils sont très jeunes, sauve leur mère de la chambre à gaz pour s'occuper d'eux. Si Mengele ne permet pas que les jumeaux soient battus ou maltraités, il les traite comme des rats de laboratoire, en leur injectant divers produits chimiques ou en leur en appliquant sur la peau, afin de mettre au jour d'éventuelles différences de réaction ; si des jumeaux tombent malades et que le diagnostic est incertain, il leur fait une injection mortelle pour les autopsier afin de déterminer les causes exactes de la maladie.

Fuite, disparition et décès

Sa maison à Hohenau (Paraguay).

En janvier 1945, peu avant la libération de Cracovie par l'Armée rouge, Mengele quitte le camp et rejoint sa Bavière natale. Sa famille l'y accueille en soldat qui a fait son devoir. Peu sont ceux qui lui réclament des détails sur ses années de services et pendant près de cinq ans, il vit confortablement.

Cependant, les témoins aux procès des criminels de guerre commencent à citer son nom. Ses anciens collègues, son chauffeur SS, révèlent des détails toujours plus accablants. Les Américains, qui contrôlent la zone de Günsburg et qui jusque-là avaient ignoré le personnage, commencent à s'y intéresser. Mengele estime qu'il est temps de disparaître. Au début de l'année 1951, Mengele franchit clandestinement le col de Reschen et gagne Merano. De multiples détours le conduisent en Espagne d'où il s'embarque pour l'Amérique latine. Il arrive à Buenos Aires en 1952 où il ouvre quelques mois plus tard un cabinet médical dans un quartier résidentiel. Mengele n'a pas de permis de travail mais ce n'est pas un problème : il a d'excellentes relations avec la police du président Juan Perón et compte de nombreux amis dans l'influente colonie nazie.

En 1954, sûr de sa retraite, il expédie une demande de divorce à Fribourg-en-Brisgau, son dernier lieu de résidence avec sa femme. Une erreur qui permettra à Simon Wiesenthal de retrouver sa trace en 1959. Insouciant, Mengele fréquente allègrement les cercles mondains de Buenos Aires et épouse en seconde noces la femme de son frère Karl, mort pendant la guerre. Mais le 16 septembre 1955, le régime de Peron s'effondre. Leur protecteur disparu, la plupart des nazis réfugiés en Argentine émigrent alors au Paraguay voisin. Mengele en fait partie mais la situation se stabilisant en Argentine, il revient s'y installer. Aucune poursuite n'étant entreprise contre lui dix ans après la capitulation nazie, il prend la direction de la succursale argentine de l'entreprise familiale sous sa véritable identité.

Au début de l'année 1959, le père de Mengele meurt. Mengele n'hésite pas à rentrer à Günsburg pour assister aux obsèques. Personne ne songe alors à le dénoncer. Mais depuis quelques mois a commencé en Allemagne le grand procès d'Auschwitz et bientôt son nom est cité parmi les principaux accusés. Le 5 juillet 1959, le procureur de Fribourg-en-Brisgau lance un mandat d'arrêt contre lui. Une demande d'extradition est formulée mais les Argentins prétendent ne pas connaître son adresse. Simon Wiesenthal prend alors l'affaire en main et demande à un de ses informateurs à Buenos Aires de découvrir l'adresse exacte de Mengele, ce qui est fait le 30 décembre 1959. Deux demandes d'extraditions se heurteront à un refus poli : le passé de Mengele est jugé comme relevant du délit politique, ce qui sur un continent où les coups d'État se succèdent, ne constitue pas un motif légitime pour une extradition.

Mengele a de toute manière pris les devants. Alerté dès le début des procédures engagées contre lui, il s'est rendu au Paraguay dont il a acquis la nationalité le 27 novembre 1959. Le témoignage de deux de ses amis, le baron Alexandre von Eckstein et l'homme d'affaire Werner Jung, lui ont permis de prouver qu'il réside dans le pays depuis plus de cinq ans, condition préalable à l'obtention de la nationalité. Muni de ce sauf-conduit rassurant, Mengele rentre à Buenos Aires et attend la suite des événements. Mais la passivité des Argentins pousse les agents israéliens, qui ont récemment retrouvé et enlevé Adolf Eichmann, à agir. Ils resserrent la surveillance autour de sa villa et se préparent à l'enlever aussi. Mais Mengele leur échappe.

Il est brièvement aperçu à San Carlos de Bariloche, station de villégiature à proximité de la frontière chilienne, avant de disparaître de nouveau. Entre-temps, l'Argentine s'est décidée à lancer un mandat d'arrêt contre lui, et la piste de Mengele se perd dans la forêt brésilienne. Pendant plus d'un an, il restera introuvable. En avril 1961, un informateur, ancien membre des SS dont il s'est vite désolidarisé, alerte Wiesenthal : Mengele a été repéré en Égypte où il se prépare à gagner la Crète ou une des îles voisines. Les services israéliens s'activent mais Mengele parvient à nouveau à s'échapper.

Convaincu que l'Amérique latine est le seul endroit où il sera en sécurité, Mengele est de retour au Paraguay en1962. Sa femme et son fils sont restés en Europe, où ce dernier poursuit ses études. Simon Wiesenthal les localise sans peine mais l'enquête révèle que Mengele n'est pas sur place, même de façon épisodique. Mengele est en effet àAsunción, la capitale du Paraguay, véritable refuge pour anciens nazis. En juillet 1962, le Paraguay reçoit à son tour une demande d'extradition. Craignant que sa nouvelle nationalité ne le protège pas suffisamment, Mengele se retire dans une province reculée près de la frontière.

La veille de Noël 1963, Rolf Mengele (né en 1944), le fils du Dr Mengele, prévient ses camarades qu'il doit se rendre en Italie pour rencontrer un proche parent qui vit depuis de nombreuses années en Amérique du Sud. Lorsque Simon Wiesenthal, prévenu trop tard, arrive à l'hôtel milanais où le jeune homme est descendu, il apprend que la note a été réglée par le Dr Gregor Gregory, une des nombreuses identités dont use Mengele.

En août 1966, à Hohenau, petite station de villégiature prisée des Paraguayens, six hommes font irruption dans l'hôtel Tirol à la recherche du Dr Fritz Fischer. Lorsqu'ils arrivent dans la chambre de celui-ci, elle est vide, l'homme s'est échappé par les toits et ses poursuivants israéliens ont encore raté leur cible.

Mengele finit sa vie dans un deux-pièces cuisine de la banlieue de São Paulo, complètement reclus, sans aucune relation sociale de peur d'être reconnu, vivant chichement des subsides envoyés par sa famille ou d'anciens nazis.

Malgré tous les efforts internationaux pour le trouver, Mengele ne fut jamais pris et après 34 ans de fuite, il meurt noyé au Brésil en 1979, foudroyé par une attaque cardiaque durant une baignade à Bertioga. Sa tombe fut localisée en 1985 par un effort combiné des autorités américaines, allemandes et sud-américaines. Après exhumation, il fut identifié en 1992 par des tests génétiques sur ses os (mâchoire) réalisés par les légistes de l'UNICAMP (Université d'État de Campinas) ; l’anthropologue Clyde Snow a confirmé l'identité de Mengele.

Postérité

Selon les services israéliens, Mengele ne constitue pas le pire des criminels nazis. D'autres médecins, tels Carl Clauberg ou Horst Schumann, lui sont bien supérieurs en ce domaine. De la même manière, son rang dans la SS était modeste et ses recherches n'ont jamais attiré l'attention d'Himmler, le chef suprême de la SS peu réticent à ce genre d'expériences. Cependant il a des centaines de victimes à son actif ; rien que pour ses expériences sur les jumeaux, il fait 111 victimes. D'avoir échappé si longtemps aux polices les plus expérimentées a certes contribué à faire de Mengele un personnage médiatique, mais il restera avant tout dans les mémoires et dans l'histoire du xxe siècle ( au même titre que le Japonais Shirō Ishii qui dirigeait l'Unité 731 en Chine occupée) comme l'un des pires symboles de la médecine dévoyée et criminelle à l'œuvre sous le Troisième Reich.

 

 en 1935, Mengele a soutenu sa thèse d'anthropologie qui porte sur 1' « examen radiomorphologique de la partie antérieure de la mâchoire inférieure dans quatre groupes raciaux ». Ses conclusions, absurdes d'un point de vue scientifique, veulent prouver la "supériorité" de l'Européen de type nordique, incarnation parfaite de la race aryenne.

Entre 1940 et 1943, Joseph Mengele sert notamment dans la Waffen SS. A la suite d'une blessure sur le front de l'Est qui le rend médicalement inapte au combat, il rentre en Allemagne Il est promu au grade de Hauptsturmfiirhrer, de capitaine, et reçoit quatre décorations.

Il arrive à Auschwitz le 30 mai 1943, avec la fonction de médecin-chef de Birkenau.

Que fait-il à Auschwitz ? 

    • Il participe aux sélections des déportés « valides au travail » à l'arrivée des convois. Il déploie ici une énergie et un zèle peu communs afin de remplir les chambres à gaz. Des témoins l'ont vu abattre lui même une mère qui refusait d'être séparée de ses enfants.
    • Il utilise les déportés pour ses expériences médicales. Il fait mettre les jumeaux dans des blocks à part (des baraques). Il les examine, les mesure, les tue pour disséquer leur cadavres. Ces expériences n'apportent rien, ne débouchent sur rien, mais il les continue, dans une sorte de délire, d'obsession. Son objectif est de faciliter la reproduction des soi-disant "êtres supérieurs que seraient les "aryens", les Allemands. Il fait une sorte de catalogue des traits physiques mais n'est aucunement un précurseur de la génétique. C'est plutôt une sorte de collectionneur d'anomalies physiques.
Photo représentant deux jumelles naines, souriantes, chez elles, après la guerre. Elisabeth et Perla Moshkowitz, deux jumelles naines, ont survécu parce que Mengele s'intéressait à elles.

Après la guerre, le "docteur" Mengele réussit à fuir et serait mort en 1979 au Brésil.

Le témoignage d'une infirmière sur le délire raciste des expériences inutiles du Docteur Mengele :

 

« Je me rappelle la petite Dagmar. Elle était née à Auschwitz en 1944 de mère autrichienne et j'avais aidé à la mettre au monde. Elle est morte après que Mengele lui eut fait des injections dans les yeux pour essayer d'en changer la couleur. La petite Dagmar devait avoir des yeux bleus !... » 

Témoignage d'Ella Lingens, infirmière polonaise déportée à Auschwitz,cité par H. Langbein, Hommes et femmes à Auschwitz, Paris, Fayard, 1975

Après la guerre, une commission d'enquête sur les Crimes allemands en Pologne rapporte qu'il y eut d'autres expériences, tout aussi inutiles, menées par d'autres médecins nazis :

 

« Il y a des preuves irréfutables qui démontrent que certaines expériences ont été faites sur des hommes vivants. Ce sont les dépositions de plusieurs témoins et le compte rendu de la séance de la Section de chirurgie du 16 décembre 1943 qui cite notamment: 90 castrations, 10 ablations d'ovaires et une ablation de l'oviducte. Les expériences avaient lieu dans le Block 10 du camp principal. On peut les classer comme suit : expériences visant à l'examen du cancer, expériences de stérilisation, expériences hématologiques et sérologiques. Le plus souvent, des juives étaient employées à cet effet. Beaucoup d'entre elles furent à plusieurs reprises l'objet d'expériences. On constata, après quelques essais, qu'une fois opérées, les femmes n'étaient plus bonnes pour les expériences et dès lors on les expédiait directement aux chambres à gaz.

Les expériences de stérilisation au moyen de rayons étaient l'oeuvre du professeur Schumann de Berlin, lieutenant d'aviation de la Wehrmacht. Beaucoup de femmes vomissaient violemment après de telles expériences, beaucoup moururent peu après. Au bout de trois mois, chaque opérée subissait encore deux opérations de contrôle, pendant lesquelles une partie de leurs organes était incisée afin d'en vérifier l'état. C'est probablement à la suite de transformations hormonales provoquées par ces opérations que les jeunes filles vieillissaient précocement et faisaient l'impression de femmes âgées.

Quant aux hommes, un testicule seulement était soumis à l'insolation. Après cette opération, ils retournaient aux Blocks généraux et, après un repos d'une journée seulement, ils étaient remis au travail, sans qu'on tienne compte de leur état de santé. Beaucoup d'entre eux succombaient à la première expérience. Ceux qui y avaient survécu étaient au bout d'un mois castrés par le même Schumann, qui collectionnait les testicules coupés et les expédiait à Berlin. On choisissait pour ces expériences des hommes et des femmes jeunes et robustes, le plus souvent des juifs de Grèce. Au cours d'une séance, trente femmes environ étaient soumises à l'insolation. De telles séances étaient organisées par Schumann deux ou trois fois par semaine. Mais c'est le professeur

Clauberg, gynécologue allemand, qui fut le principal expérimentateur sur des êtres humains vivants. »

Les Crimes allemands en Pologne, Varsovie, 1948,rapport de la commission générale d'enquête sur les crimes allemands en Pologne
Expérience « médicale » pratiquée sur un cobaye humain dans la camp de Dachau : 
Il s'agissait de tester la résistance du corps humain à la pression atmosphérique. 
(Archives du CDJC)

Tableau des expériences "pseudo-médicales" réalisées dans les camps

 

Auschwitz

  • Expériences de stérilisation sur des femmes par injections intra utérines
  • Expériences de stérilisation sur des hommes et des femmes au moyen de rayons X (150 expériences)
  • Etude de l'évolution du cancer de la matrice (au moins 50 victimes)
  • Expériences sur les phlegmons (au moins 30)
  • Examens de l'atrophie du foie
  • Modification dans l'organisme sous l'influence de la faim
  • Expériences sur les jumeaux (111 victimes)
  • Expériences avec de la mescaline : obtention des aveux
  • Expériences à l'aide de brûlures (16 victimes)
  • Expériences par électrochocs, sur des aliénés
  • Expériences avec le sérum sanguin, afin d'obtenir un titre d'agglutination plus élevé, mélange de sang des groupes A II et B III
  • Expériences sur la malaria
  • Fabrication de moulages en plâtre d'organes génitaux féminins prélevés sur les déportées

Buchenwald

  • Expériences de "traitement" au phénol
  • Essais de vaccins de typhus exanthématique
  • Controle du vaccin de la fièvre jaune (485 cobayes humains)
  • Immunisation avec des vaccins de Frankel (gangrène gazeuse) (15 victimes)
  • Expériences sur des hormones
  • Expériences sur la pervitine
  • Expérience sur des bombes incendiaires au caoutchouc phosphoreux (5 victimes)
  • Expériences en graznd nombre sur des vaccins ou pseudo-vaccins contre la dysenterie, l'hépatite épidémique, la tuberculose...

Dachau

  • Expériences de ponction du foie (175 victimes environ)
  • Expériences sur la malaria (1.100 cobayes humains)
  • Expériences d'absorption d'eau de mer (40 victimes)
  • Expériences de basses pressions (plus de 200 victimes)
  • Expériences sur le froid (250 victimes)
  • Expériences sur la tuberculose (114 victimes)
  • Opérations chirurgicales expérimentales inutiles
  • Essais d'alimentation
  • Emploi de la mescaline
  • Cristalisation du sang par solution

Mauthausen

  • Mêmes expériences sur les vaccins (2.000 victimes)
  • Expériences avec des poux contaminants

Natzweiler

Schirmeck

  • Expériences sur le typhus
  • Expériences sur l'ypérite et le phosgène (300 victimes)
  • Expérience avec l'urotropine
Expériences menées par les professeurs Hirt, Bickenbach et Letz, de l'Université allemande de Starsbourg, dans une section spéciale appelée "Héritage des ancêtres"

Neuengamme

  • Expériences de désintoxication de l'eau potable polluée par des substances toxiques (plus de 150 victimes)

Ravensbrück

  • Expériences sur la gangrène gazeuse (75 victimes)
  • Expériences sur la régénération des muscles, des nerfs et des os (nombre inconnu de victimes)
  • Expériences de stérilisation de femmes
  • Expériences de greffes de peau
  • Expériences mystérieuses avec une poudre blanche non identifiée
A Ravensbrück, les déportées soumises à ces expériences étaient appelées les "lapins".

Sachsenhausen

  • Expériences avec des balles de nitrate d'acotinine (6 victimes)
  • Expériences pour ralentir le rythme cardiaque
  • Expériences avec l'ypérite (gaz moutarde)
  • Expériences sur les différences sérologiques des "races" (47 victimes tziganes)
  • Expérience avec du cyanure de potassium (1 victime avérée au crématorium)
  • Expériences de vessies artificielles
  • Expériences sur les intoxications saturnines insensibles dues à l'absorption d'eau provenant des conduites de plomb
  • Expériences avec des sulfamides
  • Essais d'alimentation
  • Expériences sur la résistance au froid
  • Essais pour déterminer le degré de solidité des chaussures de la Wehrmacht

 

L'Ahnenerbe, une société criminelle qui organisait les «expériences médicales »

« La passion de Himmler pour les expériences scientifiques, ou plutôt « pseudo-scientifiques », spécialement dans le domaine des recherches raciales, l'avait amené à créer en 1933 la société Ahnenerbe — ou Héritage des Ancêtres —  dont le siège était installé 16, Pûcklerstrasse à Berlin-Dahlem et qui était chargée à partir de 1935 d'étudier tout ce qui avait trait à l'esprit, aux actes, aux traditions, aux caractéristiques et à l'héritage de la soi-disant race « nordique indo-germanique ». Le 1er janvier 1939, elle reçut un statut nouveau qui la chargea de recherches scientifiques, lesquelles aboutirent aux expériences dans les camps.

Le 1er janvier 1942, la société fut rattachée à l'état-major personnel de Himmler et devint un organisme S. S. Le Comité directeur comprenait Himmler, président, le Dr Wuest, recteur de l'Université de Munich, et Sievers, ancien libraire devenu colonel S. S., secrétaire de la société, qui joua un rôle très important.

C'est l'Ahnenerbe qui, sur les instructions de Himmler, provoqua, organisa et finança la plupart des expériences. L'Ahnenerbe prit un développement énorme et disposa finalement de cinquante Instituts scientifiques spécialisés. Le point de départ des expériences paraît être une demande adressée à Himmler par le Dr Sigmund Rascher »

d'après Jacques Delarue, Histoire de la Gestapo, Fayard, 1962

A la Libération, la découverte des traces des expériences, à Strasbourg

Compte-rendu du Commandant RAPHAËL, du Service Cinématographique des Armées.

« Le vendredi 1er décembre 1944, au cours d'une visite à l'Hôpital Civil de Strasbourg pour rechercher du matériel photographique provenant de l'Institut allemand, le Commandant Raphaël, du Service Cinématographique de l'Armée, a constaté la présence dans le sous-sols du bâtiment de l'Institut d'Anatomie de cadavres entassés, dans des cuves peines d'alcool.

Ces cadavres étaient destinés aux expériences du Professeur Hirth, Directeur de l'Institut.

D'après les déclarations des employés alsaciens : Peter, Wagner et Gabel, ces corps auraient été livrés à l'Institut, sur la demande du Professeur Hirth, par un camp d'internés politiques (Schirmeck ou Struthof).

Sur 120 cadavres commandés, 86 ont été livrés (dans la même journée, en plusieurs fois) à 5h du matin.

Les corps étaient transportés nus, à raison de 50 par camion.

Lors de leur déchargement, les témoins ont pu constater que les cadavres présentaient les caractéristiques suivantes : Ils étaient encore tièdes et ne présentaient pas la raideur cadavérique. Leurs yeux étaient congestionnés et rouges. Ils portaient un matricule tatoué sur le bras. Ils comprenaient 30 femmes de tous âges.

D'autre part, il est à signaler qu'il a été trouvé dans le laboratoire du Professeur une bombe puissante à oxygène liquide (10kgs) destinée à provoquer la destruction de toute l'installation, et à faire disparaître ainsi toute trace compromettante. L'Avance rapide de l'armée Leclerc a empêché la réalisation de ce projet. Toutefois, le Professeur Hirth a réussi à s'enfuir, mais une partie de ses assistants sont restés sur place.

Les personnes dont les noms suivent sont à même de fournir tous détails complémentaires sur cette affaire et de servir de témoins :

1- Eléments alsaciens ayant dénoncé les agissements du Professeur et continuant leur service à l'Hôpital Civil : Pater, Wagner, Gabel.

2 - Eléments allemands (internés ou surveillés) : Mlle Seepe, secrétaire du Professeur Hirth ; M. et Mme Bong, assistants du Professeur.

Mr Bong devait être fusillé, et n'a pas été exécuté, afin de servir de témoin. Il est interné.

En résumé : Le nombre de cadavres, la manière anormale dont ces corps ont été amenés à l'hôpital, les précautions prises pour pouvoir faire disparaître toutes traces de ces installations, enfin, les déclarations des employés attachés à ce service, prouvent que le Professeur Hirth était un triste personnage dont l'activité est à mettre en lumière.

Il semble qu'on se trouve en face d'une manifestation de la barbarie allemande.

Fait à Paris, le 10 décembre 1944.

 

Shirō Ishii

Ishii en 1932.

Shirō Ishii (石井 四郎Ishii Shirō1892-1959) était le lieutenant-général de l’unité 731, chargée de la recherche sur les armes bactériologiques pendant la Seconde Guerre sino-japonaise. Il poussa le Japon à adopter une stratégie de guerre bactériologique alors que le pays était signataire de la Convention de Genève de 1925 interdisant le recours aux armes chimiques. Il fut la clé de voûte de l'organisation de programmes massifs d'expérimentations biomédicales, sur des cobayes humains notamment. Il fut à ce titre suspecté de crimes de guerre.

Jeunesse et années d'études : 1892-1920

Shiro Ishii naît le 25 juin 1892 dans l’ancien village de Chiyoda dans la préfecture de Chiba au Japon (à deux heures de voiture du centre actuel de Tokyo) dans une famille de riches propriétaires terriens. Il entre au département de médecine de l’université impériale de Kyōto en 1916 et en sort diplômé en 1920.

Débuts dans l'armée : 1922-1932

Il rejoint l'armée en tant que Chirurgien Lieutenant peu après avoir obtenu son diplôme, obtenant son transfert durant l'été 1922 à l'hôpital de la Première Armée de Tokyo.

À cette époque, il apparaît brillant, charismatique, parfois instable, versatile, extravagant et ambitieux. Il est aussi ultra-nationaliste, cherchant avec ferveur à faire du Japon un leader en Asie. Son travail le distingue aux yeux de ses supérieurs, qui le renvoient en 1924 à l'Université de Kyoto, préparer un doctorat. L'année suivante, Shiro Ishii et sa femme, la fille du directeur de l'Université impériale de Tokyo, donnent naissance à leur fille aînée Harumi Ishii. Un an plus tard, Shiro Ishii obtient son doctorat en microbiologie.

Au cours de ses travaux scientifiques, Shiro Ishii tombe sur un rapport qui va changer sa vie : écrit par le Premier Lieutenant de Seconde Classe Harada, ce rapport se concentre sur les armes bactériologiques, au cœur de la Conférence de Genève de 1925 à laquelle Harada, en tant que membre du Bureau de la Guerre, a assisté. Ishii y voit un potentiel énorme pour l'armée japonaise et décide de s'y intéresser.

Membre de plusieurs sociétés secrètes influentes dans les milieux militaires, son charisme et ses talents de persuasion le font vite remarquer auprès des personnalités influentes de l'armée, notamment l'ex-général Chirurgien de l'armée et ex-ministre de la santé, Koizumi Chikahiko, qui lui obtient le poste de Professeur d'Immunologie à l'Université médicale militaire de Tokyo, l'école médicale militaire la plus prestigieuse du Japon.

Au début de l’année 1928, il fait un voyage de 2 ans en Europe et en Amérique où il se lance dans des recherches intensives sur les effets des armes bactériologiques et des armes chimiques. Il y étudie notamment les armes chimiques utilisées pendant la Grande Guerre, visitant plusieurs instituts médicaux européens, canadiens et américains.

En 1930, de retour d'Europe, Ishii est promu commandant. Ses recherches sur les armes bactériologiques suscitent l'intérêt des hautes sphères militaires. Devant l'infériorité du Japon par rapport aux États-Unis et à l'URSS en termes de population et de capacité de production de guerre, les armes bactériologiques apparaissent en effet comme une solution pour inverser le rapport de force. Dans ce contexte, Shiro Ishii reçoit le soutien du Ministre de la Guerre Araki Sadao, du chef du bureau militaire des Affaires Nagata Tetsuzan et de colonels de factions ultra-nationalistes. Grâce à ses contacts, Shiro Ishii monte régulièrement en grade (tous les trois ans jusqu'à obtenir le grade de Lieutenant Général en 1930).

Il intègre en 1930 le service de la prévention des épidémies de l’école de médecine de l’armée. Il s'intéresse alors autant à la prévention des maladies qu'à la mise au point des armes bactériologiques. Il commence à cette date à conduire secrètement des expériences sur des cobayes humains non consentants dans son laboratoire à Tokyo.

En 1931, il invente un filtre à eau capable de nettoyer l’eau des bactéries, dispositif utilisé dans la Marine impériale japonaise.

Les expérimentations : 1932-1945

Article détaillé : Unité 731.

Dès 1930, réalisant que Tokyo n'est pas l'endroit approprié pour conduire des expérimentations à grande échelle, Shiro Ishii voit dans le Mandchoukouo l'endroit adapté à ses projets et commence les opérations en 193213.

Après le stade de Harbin, le village de Beiyinhe de 1932 à 1936

En 1932, il reçoit la permission du ministre de l'Armée, Sadao Araki, de développer un programme de recherche bactériologique et de mener des expériences sur les humains. Il dirige donc de 1932 à 1934 le “laboratoire de recherches sur la prévention des épidémies” chargé en réalité d'étudier les armes bactériologiques, qu'il installe d'abord en 1932 à Harbin, ville cosmopolite du Nord de la Mandchourie, non loin de la frontière sino-russe. Il achète de nombreux bâtiments, dispose d'un personnel (300 hommes) et d'un équipement importants, et un budget lui est confié (200 000 yens). Les recherches sur les armes bactériologiques restent secrètes et la structure est désignée sous le nom d'Unité Togo (東郷部隊, Tōgō Butai). Il devient vite manifeste cependant qu'Harbin est encore trop ouverte pour préserver le secret des expériences. Le choix se porte alors, fin 1932, sur Beiyinhe, petite ville isolée à 60 kilomètres au sud de Harbin. Shiro Ishii y fait construire un bunker-laboratoire gigantesque surnommé “La Forteresse Zhongma”. Il mène des expériences sur des prisonniers politiques et lorsque ces derniers viennent à manquer, sur d'autres prisonniers. Il doit cependant interrompre les expériences qui s'y déroulent fin 1934 à cause d'une révolte des cobayes humains et de l'explosion d'un dépôt de munition voisin qui endommage les installations. Certains prisonniers-cobayes s'étant échappés, le secret de l'opération est menacé. Shiro Ishii obtient alors la construction d'un nouvel ensemble de 70 bâtiments à Pingfang (à 24 kilomètres au sud de Harbin).

Le camp de Pingfang : 1938-1945.

Shiro Ishii bénéficie du soutien, dont le caractère volontaire ou involontaire reste inconnu, de l'Empereur Hirohito qui, le 1er octobre 1936, passe un décret impérial établissant une nouvelle unité de l'armée, la Boeki Kyusui Bu ou « Administration de fourniture d’eau et de prophylaxie de l’armée du Guandong ». Ishii est promu colonel lors de l'ouverture du nouveau centre en 1938.

Si l'Unité effectue effectivement un travail de purification des eaux, l'essentiel de sa tâche est secret. Chef de Bureau, Shiro Ishii peut organiser le projet avec une ample marge de manœuvre. Il ajoute à l'Unité Togo des médecins civils et des soldats venus de son village d'origine qui lui sont loyaux. Cette nouvelle unité prend le nom d'Unité Ishii et sera renommée en 1941 la fameuse Unité 731 (731 部隊, Nana-san-ichi butai). Il se retrouve alors à la tête d'une organisation plus importante, qui emploie près d'un millier de chercheurs (médecins, biologistes, vétérinaires et chimistes). Ses deux frères participent activement au projet : son frère Takeo supervise les systèmes de sécurité des prisonniers humains afin d'éviter les évasions pendant que Mitsuo supervise les espèces animales et la reproduction des divers cobayes animaux (rats, bacilles, puces).

Une fois l'installation de PingFang complétée, d'autres unités plus réduites sont créées d'abord en Mandchourie, àAnda, 140 kilomètres au Nord de Harbin et Dalian, un port du sud de Mandchourie. L'influence de Shiro Ishii s'étend aux parties occupées de la Chine, à la Mongolie intérieure, puis aux autres territoires occupés par le Japon au début de la Seconde Guerre mondiale : Singapour, etc. Au sommet de son pouvoir, Shiro Ishii contrôle une flotte aérienne, un personnel scientifique et médical composé de plusieurs milliers d’individus et une armée de soldats. Plus important, il gère à lui seul des sommes énormes. Il est également en étroite relation avec les hôpitaux japonais : les médecins de l’unité sont des médecins civils et les conclusions des expériences sont communiquées régulièrement au monde médical japonais. Enfin il bénéficie également du concours de la kempeitai, la police militaire de l'armée de terre, qui lui fournit ses cobayes humains.

La taille du complexe lui permet d'organiser dès 1938 des tests à l'air libre sur des soldats et des civils chinois, mandchous, coréens et russes blancs. L’affirmation selon laquelle des prisonniers de guerre britanniques et américains auraient été « utilisés » lors de ces tests prête à débat. Selon Sheldon Harris cette affirmation est infondée, mais le journal personnel de Robert Peaty, major du Royal Army Ordnance Corps (RAOC) et prisonnier de guerre au camp de Mukden, mentionne en janvier et février 1943 l'inoculation de maladies infectieuses aux prisonniers de guerre américains par des médecins de l'unité 731 sous prétexte de faire des vaccins.

L'application de ses expériences

Dans le cadre des recherches de l'Unité 731, Shiro Ishii est amené à donner des conférences et à faire des démonstrations de vivisections devant des personnalités médicales, militaires et politiques japonaises. Viennent notamment y assister les princes Chichibu, et Mikasa, jeunes frères de l'Empereur Hirohito, ainsi qu'Higashikuni Naruhiko, l'oncle de l'Empereur .

Il organise dans son centre des essais de toutes sortes visant à étudier les effets sur les « marutas » (surnom donné aux cobayes signifiant « bûches » ou « billes de bois ») de nouvelles armes, des températures extrêmes, de l'inoculation de souches bactériologiques. Ces expériences conduisent à l'utilisation d'armes bactériologiques utilisant principalement l'anthrax, le tétanos et la peste. Les méthodes imaginées pour répandre les bactéries sont diverses : distribution de nourriture ou de vêtements infectés, bombes, largage de puces, infestation des sols et de l'eau...

Entre 1937 et 1945, des dizaines de milliers de Chinois décèdent de la peste bubonique, du choléra, de l’anthrax, de la tuberculose, de la typhoïde et d’autres virus. Le nombre total de morts chinois qui résulte des armes bactériologiques utilisées par l'armée japonaise est estimé à 208 000, dont 187 000 civils par R.J Rummel . Sheldon Harris fixe quant à lui le nombre de morts aux alentours des 250 000. Quant à Shiro Ishii et l'unité 731, ils sont responsables de la mort d'entre 3 000 et 12 000 « cobayes » selon Sheldon Harris .

Défaite japonaise et démantèlement : 1945

Deux jours après l'explosion de la bombe nucléaire à Hiroshima, le 8 août, l'Union Soviétique entre en guerre et ses troupes avancent rapidement en Mandchourie. Les prisonniers du complexe de PingFang sont tués par injections d’acide prussique et incinérés en 3 jours. La centrale thermique, la prison le 11 août puis tout le reste sont détruits, sauf les bâtiments de l'entrée. Le groupe des aviateurs est chargé de dynamiter les bâtiments. Les trains se succèdent pour acheminer les nombreux membres du personnel de l'unité 731 jusqu'en Corée. Le dernier train part le 14 août au soir. Le 15 août, l'Empereur Hirohito déclare à la radio la fin de la guerre  .

5 jours plus tard, le dernier convoi d'évacuation du complexe de Pingfang arrive à Busan (ou Pusan, sur le littoral coréen). Shiro Ishii y attend les membres de l'Unité 731. L'unité est définitivement dissoute, mais les membres de l'Unité sont contraints au silence, avec ordre de dire qu'ils veillaient à empêcher la propagation d'épidémies et de purification des eaux. Shiro Ishii commande une équipe qui rejoint secrètement Tokyo en s'arrêtant chaque soir dans des temples amis. Il atteint Tokyo à la fin du mois d'août et découvre une ville dévastée, en attente des décisions américaines.

Le pacte avec les États-Unis : 1945

Douglas MacArthur arrive à la fin du mois de septembre 1945 au Japon accompagné d'un personnel nombreux comprenant des avocats, des détectives et des forces de police pour traquer les criminels de guerre japonais. De nombreux propos sont rapportés aux forces de police américaines quant aux agissements de l'Unité 731 et à la personne de Shiro Ishii, souvent anonymes, et quand déclarés souvent envoyés par les Partis Communistes Chinoisou Japonais. La précision et l'exhaustivité de certains renseignements laissent à penser que l'Unité avait peut-être été infiltrée par une cellule des Partis Communistes chinois ou soviétique. En conséquence, le 12 janvier 1946, l'ordre est donné par l'agence de contre-espionnage américaine d'arrêter Shiro Ishii pour lui faire subir un interrogatoire. Contrairement aux principaux criminels de guerre japonais, il n'est alors pas emprisonné mais assigné à résidence dans sa demeure de Tokyo. Ce dernier s'est jusque-là caché dans la montagne. Shiro Ishii et d'autres individus ayant joué un rôle important dans l'Unité 731, tels que Ryoichi Naito, sont alors interrogés. Des délégations de scientifiques envoyées de Fort Detrick, dans le Maryland, à Tokyo à l'automne 1945 (conduites par le Lieutenant Colonel Murray Sanders), en 1946 (Lieutenant Colonel Arvo Thompson), en 1947 (Dr Norbert H. Fell) et en 1948 (Dr Edwin V. Hill) rencontrent également Ishii et les autres dirigeants de l'Unité 731. Ces délégations, intéressées par les résultats scientifiques des expériences menées par l'Unité, jouent un rôle important dans la gestion de l'affaire. Alors qu’en Europe en 1947, le procès de Nuremberg met en évidence les responsabilités des nazis, un pacte secret est conclu entre Douglas MacArthur et Shiro Ishii. Ce pacte lui garantit l’immunité et le secret sur les atrocités commises en échange des résultats qu’il a obtenus. Une entente est conclue et tous les membres de l’unité sont exonérés de poursuites devant le Tribunal de Tōkyō. Ils reçoivent en plus une allocation à vie, sans doute de l’armée américaine.

Certains médecins capturés par les Soviétiques sont toutefois jugés en 1949 lors du procès de Khabarovsk mais cela ne représente que 12 membres de l’Unité 731. Shiro Ishii n’est pas inquiété. Richard Drayton, maître de conférence en histoire à l'Université de Cambridge, écrit que Shiro Ishii a donné plus tard une conférence dans le Maryland à propos des armes bactériologiques. D'autres sources disent qu'il est resté au Japon et a dirigé une pension. Il meurt d'un cancer de la gorge le 9 octobre 1959 .

Shirō Ishii en 1939.

Mémoire

Bien que les milieux médicaux, militaires et aristocratiques (la famille impériale notamment) connaissent l'histoire de l'Unité 731, longtemps les Japonais ignorent son existence. Sur les 9 éditeurs de livres d'histoire de secondaire, un seul consacre quelques lignes à l'Unité 731 et ses crimes. Ceux qui veulent briser le silence ou critiquer les agissements criminels japonais sont sujets à des pressions et menaces. La première étude japonaise sérieuse sur l’unité 731 est faite en 1976 . En 1981, la parution du livre-enquête de Seiji Morimura Unité 731 (éditions du Rocher) porte pour la première fois les activités de l'unité 731 à la connaissance du grand public. Dans la foulée, la publication d’articles de John Powell dans le Bulletin of Concerned Asian Scholars et dans le Bulletin of Atomic Scientists confirment également l'existence de l'Unité 731. Un an plus tard, le Ministère de la Santé japonais reconnaît officiellement l'existence de l'Unité 731 mais pas les expérimentations, sous prétexte d'insuffisance de preuves. Cette même année, la fille de Shiro Ishii, Harumi Ishii, donne une interview à Masanori Tabata, journaliste du Japan Times. Elle y explique qu'elle a travaillé comme secrétaire particulière de son père au quartier-général de Pingfang (près de Harbin) en 1945 et après la reddition, au domicile des Ishii à Tokyo, sténographiant une grande partie des entrevues livrées par celui-ci aux enquêteurs américains. L’article publie une photo la montrant assise à une table de banquet entre deux de ces enquêteurs.

En 1982 également le site de Pingfang est classé au patrimoine mondial et devient un lieu de mémoire. Les bâtiments administratifs sont aménagés en musée. Ce dernier présente une maquette du complexe de l'Unité 731, composé de laboratoires, d'une prison et de logements de fonctions pour le personnel japonais. Il contient aussi des scènes de vivisections avec mannequins, des photographies de prisonniers hagards, des répliques des bombes porteuses de maladies infectieuses lâchées dans des régions isolées où des prisonniers cobayes étaient placés.

En juin 1989 une grande quantité d'ossements sont découverts sur le site de l'ancienne école de Médecine de l'armée à Tokyo. Aucune enquête n'est menée pour savoir d'où ils proviennent. Entre 1993 et 1994, une exposition itinérante sur l'Unité 731 attire plus de 200 000 visiteurs. Cette même dernière année une liste officielle de 2000 ex-membres de l'Unité 731 est publiée. En 1995, un mouvement d'opinion demande que lumière soit faite sur les agissements de Shiro Ishii et des autres membres de l'Unité 731.

Tokyo s'est engagé à débarrasser la Chine de stocks d'armes chimiques produites pendant la guerre sur l'île d'Okonoshima. Plus de la moitié se trouve dans l'ancien Mandchoukouo.

En dépit des recherches d'historiens japonais et américains, des preuves apportées par les Chinois et de témoignages des certains ex-membres de l'Unité, le Japon refuse de faire véritablement la lumière sur les agissements de Shiro Ishii et l'unité 731. En 2002 cependant, une Cour de justice japonaise reconnaît officiellement le rôle de l'Unité 731 dans la guerre bactériologique qui s'est déroulée en Chine pendant la Seconde Guerre mondiale, mais elle dédouane le gouvernement japonais de toute réparation envers les plaignants chinois et russes.

Similitudes avec Mengele

Shiro Ishii compte parmi les symboles de la médecine dévoyée qui ont marqué le XXème siècle, à l'instar de Josef Mengele, médecin nazi connu notamment pour ses expérimentations médicales sur des cobayes juifs au sein du camp d'Auschwitz lors de la seconde Guerre Mondiale. Si le but des expérimentations différaient – les expérimentations de Shiro Ishii avaient une finalité surtout militaire, puis médicale, tandis que celles de Josef Mengele visaient à étayer scientifiquement la théorie raciale nazie – , Shiro Ishii et Josef Mengele se retrouvent quant aux méthodes utilisées – l'utilisation de cobayes humains forcés dans le cadre d'expériences médicales – et à l'impunité dont ils ont bénéficié.

 

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